Quand on y pense, cette tendance à parquer les rockers
dans des stades fut une absurdité. En dehors du fait que, parqués dans ces
immenses parterres , seuls les spectateurs des premiers rangs profitent pleinement
de la prestation , cette mode a tendance à standardiser le concert de rock. Face
à des milliers de personnes, rares sont les musiciens osant expérimenter, et
proposer autre chose que ce que le public s’attend à entendre. Arrivé à un
certain degré , le nombre devient une force tyrannique imposant ses attentes
aux pauvres artistes.
Si se planter n’est pas trop grave, quand on joue
simplement devant une salle modeste, cela s’avère catastrophique quand vous
avez des milliers de personnes face à vous. Ajoutez à ça les sponsors, sans lesquels
vous ne pourriez assumer le coût d’un tel concert, et vous voilà obligé de
respecter un certain cahier des charges.
A ce titre la pochette de « before the flood »
représentait le basculement à venir , cette somme de spectateurs vertigineuse incarnant
un passage obligé, et ce pour tout musicien voulant pérenniser sa carrière.
Mais Dylan ne se satisfait pas de cette obligation, les grandes salles le frustrent
et lui donnent l’impression d’être une curiosité qu’on exhibe au plus grand
nombre.
Alors il décide de tout envoyer promener , congédiant un
band avec lesquel il avait pourtant produit ses albums les plus brillants , et
réunissant une poignée de vieilles connaissances. Réconcilié avec celui dont
elle a accéléré l’ascension, Joan Baez rejoint une équipe qui comprend aussi
Mick Ronson , l’homme qui fut derrière ziggy stardust. Et ils affutent leurs mélodies à l’ancienne ,
cherchant la symbiose devant le public chaleureux des salles petites ou
moyennes où ils jouent.
Ce que Dylan voulait retrouver avant tout , c’était la
simplicité de ces années où il a conquis le monde , avec une guitare sèche pour
seule alliée. Le fait que son périple ait démarré en Angleterre n’est pas un hasard,
il convoque son passé pour que cette rétrospective lui montre une nouvelle
voie.
Outre Roger McGuinness , ex leader des byrds , et Mick
Ronson, qui forme un duo de guitares chargé d’électriser les mélodies du grand
Bob, la rollin thunder revue recrute des musiciens locaux pour compléter son
effectif. Les prestations sont chaleureuses, porteuse d’une légèreté hippie désuète,
le mouvement étant déjà dépassé à l’époque.
De l’avis de tous ceux ayant eu la chance d’assister à
ces prestations , ces concerts furent magnifiques , mais Dylan a jusque là
toujours refusé de sortir les enregistrements issus de cette tournée. Alors en
plein tournage de son film Renaldo and Clara, il ne voulait pas que ces
enregistrements face de l’ombre à sa nouvelle lubie.
Ce refus donna aux enregistrements une aura mythique, et
ce n’est pas hard rain qui allait soulager la frustration des Dylanophiles.
Enregistré lors de la seconde partie de cette tournée, lorsque la gaieté et la
spontanéité des débuts ont fait place à une certaine lassitude, il ne restitue
absolument pas la magie de cette tournée bohème.
Un premier disque sortira des années plus tard , dans la
lignée des bootleg séries , ne faisant qu’accentuer l’attente de fans
convaincus que le Zim gardait encore le gros de ces enregistrements dans ses
tiroirs.
Aujourd’hui , enfin , l’évènement est salué comme il se
doit, à travers 14 disques indispensables à tout fans de Dylan. Le barde arrivé
sous un masque blanc , comme si il effectuait une nouvelle mue artistique. Sous
les pieds des musiciens , un tapis aux couleurs chaleureuses semble sorti du van
des merry prankers. Mais la troupe est attachée à la terre, et ne reviendra pas
aux délires acidulés des disciples d’Aldous Huxley et Ken Kesey.
La série de Live
s’ouvre sur la prestation seacrest motel
de Fallmouth en Angleterre. Le band est d’abord salué à travers deux
reprises issues de leurs premiers disques, tears of rage et I shall be realeased,
deux perles rustiques issues du premier album du band. Ecrites par Dylan , ces
chansons sont jouées dans une version bucolique très respectueuse des originaux,
la voix nasillarde du Zim ajoutant une douceur nostalgique à ces classiques
folk.
Mais on retiendra surtout « ballad of a thin
man » , où Ronson ne s’acharne pas à reproduire le feeling de Mike Bloomfield
, dont le talent est salué par un piano au swing irrésistible. Suivent deux
titres issus de desire , et qui reviennent de façon récurrente dans ce coffret.
Le premier, hurricane , renoue avec la verve protestataire des débuts de Dylan.
Cette histoire de boxeur jugé pour un crime qu’il n’a pas commis est tout
simplement une des meilleurs chansons folk du barde, et les chœurs ne font
qu’ajouter de la force à son message.
Et puis vient ce qui restera le plus grand moment de
cette tournée, « one more cup of cofee » , longue complainte tsigane
portée par une mélodie envoutante. Et puis il dépouille la mélodie grâcieuse de
« just like a woman » , les violons bluesgrass gémissant tendrement
derrière ses chœurs plaintifs. Cette première prestation peut ensuite se
conclure sur le vibrant « knockin on heaven’s door » , qui sera
toujours plus prenant dans la version sobre et habitée de Dylan, que massacré
par les hurlements d’Axl Rose.
Cette mise en bouche nous ferait presque regretter que
cette date ne remplisse qu’un disque, mais rassurez-vous , les choses sérieuses
ne font que commencer.
Les disques suivants seront doubles , et le périple
continue dans le Memorial auditorium de Worchester. Du répertoire lié au band,
il ne reste que I shall be realeased , qui clôt merveilleusement le premier
disque. « When I paint my
masterpiece » ouvre le bal sur une note délicieusement bluesgrass, les
guitares dansant langoureusement autour de la mélodie. On se délecte des
quelques solos bluesy, soutenant la beauté doucereuse des déclamations
dylanniennes.
Le maitre mot du concert semble être
« sobriété » , la guitare soutenant le rythme sans hausser le ton ,
laissant ainsi la beauté des notes cristallines de guitares slide de ain’t me
babe s’exprimer. Si Ronson a un jeu plus bluesy que le folkeux lambda, il
s’adapte parfaitement à la personnalité musicale de Mcguin , au point que des
titres comme « the lonesome death of Hattie Carrol » sonne presque
comme le byrds des débuts, et flirte avec la douceur électrique de CBNY.
Cette proximité prouve, si il y’avait encore besoin , que
la majorité de la scène folk rock n’a fait que se réapproprier les mélodies de
sa trilogie électrique ( blonde on blonde , highway 51 revisited et brin git
all back home). Et , quand il s’associe à un ex Byrds , les passages les plus
electriques s’en approchent d’autant plus.
« It take a lot to laught . It take a train to cry »
change radicalement de registre , partant dans un boogie déchainé , où les
guitares se font plus incisives pour transcender un rythme binaire viscérale.
Passé ce coup de sang , on en revient aux mélodies Tsiganes de l’album desire ,
avec le festif romance in durango , et le plus rock Isis.
Et puis Dylan reprend sa guitare électrique, pour
redevenir le jeune folkeux du festival de Newport , le temps de « blowin
in the wind ». Avec Joan Baez , il renoue avec des splendeurs oubliées,
prouvant ainsi que les grandes mélodies ne vieillissent pas. Le duo prolonge un
peu la chaleur de ce moment d’anthologie avec les chœurs folks de « wild
mountain time ».
Si j’ai dit précédemment que le maitre mot de ce concert
est « sobriété », c’est avant tout parce que les moments les plus mémorables
de ce concert sont ceux où il se contente d’une guitare sèche, et de sa voix
chevrotante. Et , si vous en doutez encore , réécoutez la mélodie countrie de
mama you been on my mind , ou le spleen acoustique de « tangled up in
blue ».
Et , quand après quelques minutes supplémentaires , la
rollin thunder revue se clôt sur un classique de Woody Guthrie chanté avec
Johnny Mitchell , on comprend que le plus simple est souvent le mieux. Mais il
est déjà temps de reprendre la route vers le prochain épisode de ce voyage
musical.
Celle-ci ce déroule à Cambridge, au Harvard Square
Théâtre. La troupe s’est alors stabilisée autour d’une set list proche du show
précèdent, et ses deux guitaristes ont gagné en assurance. Le duo
Mcguin / Ronson est toujours un allié discret , mais les quelques effets
qu’il s’autorise donnent à ces titres country/bluegrass une énergie beaucoup
plus rock.Ce duo carillonne gracieusement sur « when I Paint my
masterpiece », tricote un blues langoureux sur « it ain’t me
babe », et ses arpèges accentuent la douceur nostalgique de « blowin
in the wind ».
Parmi les grandes surprises de ce live , on retiendra
encore une fois « wild mountain time », un spleen bucolique porté par
la classe indépassable du duo Dylan/ Baez. Issu de la noirceur de blood on the
tracks , « simple twist of fate » offre un intermède acoustique
bienvenu et envoutant. Plus de dix ans après la puissance acoustique de son
premier disque , Dylan prouve une nouvelle fois que personne ne peut avoir
autant de charisme avec une simple guitare sèche.
Mais le point d’orgue de ce live , celui qui justifie
presque à lui seul la présence de ce double album dans ce coffret , c’est la
réadaptation de « just like a woman ». Morceau phare de « blonde
on blonde » , sa mélodie électrique se transforme en lamentation
campagnarde, les violons larmoyant rapprochant le titre des paysages rustiques
chers à Steinbeck et Johnny Cash.
Cette version modifiée montre une nouvelle fois que Dylan
ne veut pas que son œuvre se fossilise. En bricolant ses créations selon ses
lubies du moment , l’homme inventait de nouvelles œuvres devant un public qui
ne comprenait pas toujours ses fantaisies. De cette manière il a accumulé une
quantité d’enregistrements live dépassant sa discographie studio , tout en
étant au moins aussi importante. L’ épisode de Cambridge, au Harvard Square
Théâtre, fait clairement partie des grands moments de cette véritable œuvre
parallèle.
Après un brillant périple dans la perfide albion , la
rollin thunder revue retrouve le pays de son guide folk , et pose ses valises
au music hall de Boston. Ce périple rappelle le retour de Dylan au pays , dans
les années 60. L’homme était, à l’époque, un poète folk adulé, cherchant une
nouvelle voie alors qu’il était vénéré par toute une génération. En 1975, il
n’est plus cette idole que les jeunes américains voudraient statufier. Si l’on
en croit le documentaire de Scorcese , l’homme était plutôt au début de sa
période creuse , et ce malgré le succès de son album desire , sorti peu
avant la tournée.
Interviewé par le réalisateur, Dylan avouera lui-même
que « si on la juge de façon commerciale , la rollin thunder revue fut un
échec. » Mais laissons donc les griffes immondes du mercantilisme dans les
supermarchés répugnants, où il règne comme un roi assis sur un tas d’ordures.
Si on était un peu mesquin, on pourrait affirmer que c’est
Joan Baez, alors auréolée du succès de diamond and rust , qui a sauvé ce voyage
du fiasco financier. Mais le dieu argent ne fait pas tout, et la revue du grand
Bob brille d’un nouvel éclat dans cette soirée américaine.
Terre natale du blues, l’amérique déchaine un groupe plus
prompt à laisser les guitares, ces éternels symboles de l’insoumission,
exprimer tous leurs feeling trouvant sa source chez BB King , Muddy Water , et
même Chuck Berry. Sur « romance in durango » Ronson s’autorise un
solo déchirant, qui semble saluer la mémoire de Hendrix. L’instant est
éphémère, quelques secondes qui semblent valoir de l’or, mais qui s’arrête
juste avant que cette magnifique intuition ne puisse virer à la démonstration
un peu désuète.
Mcguin et Ronson sont parmi les seuls musiciens stables
de la revue, et ce n’est pas un hasard. Ayant appris à se connaitre lors des
précédentes prestations, ils sont à Dylan ce que le duo Richard / Jones fut aux
stones. Sachant d’instinct où placer ses notes pour obtenir le maximum d’impact
, leurs riffs et solos courts percent régulièrement la mélodie , comme une
décharge vivifiante et régulière.
Comme pour célébrer son retour au pays , Dylan se pose
quelques minutes pour revisiter son passé folk. La participation de Baez à
« the time they are changing » semble le ramener plus de dix ans en arrière,
quand ils étaient le couple royal de Newport. C’est un autre symbole qui
succède à cette douceur folk avec « Mr tambourine man ». On tient ici
l’un des titres les plus vénérés du Zim , celui qui a donné naissance au folk
rock sur « bring it all back home » , avant que les Byrds ne prolonge
son éclat sur un album qui donnera des idées à toute une scène Californienne.
Comme Dylan ne joue jamais la même chose deux fois , il reste
quelques savoureuses surprises sur ce concert , mais je ne veux pas gâcher
toute la surprise aux curieux. « Elvis a libéré les corps et Dylan à
libéré les esprits » disait Springsteen. Ce soir-là, il a sans doute
réuni ces deux facettes qui font la grandeur du rock , la beauté primaire , et
la fascination mystique. Si vous en doutiez encore , voilà la preuve que la
rollin thunder revue fut d’abord et surtout une grande troupe de rock , au sens
le plus noble du terme.
D’ailleurs , je vais arrêter mon récit à cette étape ,
pour laisser à ce coffret la part de mystère qui déclenche les grandes
découvertes. Sachez juste une chose , cette objet est un document historique
d’une sincérité bouleversante. Car , si les petites salles sont l’endroit où le
rock brille le mieux , c’est parce que ces salles humbles n’autorisent aucun
artifice.
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