Lorsque ce live est sorti, en 2014 , les puristes ont
du se demander ce qui était arrivé à gov’t mule. Certes , le groupe a
toujours pris un malin plaisir à parer le blues sudiste de ses dorures
mélodiques. Les premiers albums annonçaient donc la renaissance de ce rock rugueux,
qui se parait désormais de sonorités plus complexes, d’un son au pouvoir de
séduction moins immédiat.
Les trois premiers disques gardaient pourtant une
puissance groovy propre aux enfants de Lynyrd , tout en laissant deviner une
virtuosité qui ne demandait qu’à s’épanouir dans des univers plus larges. Un
compromis entre la rugosité de leur Amérique profonde et la puissance
mélodique des plus grands groupes anglais, voilà ce que représentait la mule.
Mais de là à crier son amour d’un symbole de la pop élitiste il y’avait une
marge.
Nous voilà donc, encore une fois face à cette vieille peur :
les messies que les rockers avaient choisis étaient-ils en train de nous faire
leur aveu d’impuissance. On en a vu tant s’étioler dans le bain visqueux du
passéisme putride, que la peur nous serre le cœur à chaque reprise, et le
moindre hommage est fatalement déclencheur de soupçon. Le rock est comme l’homme,
s’il ne bouge pas il s’affaisse, perd toute puissance de séduction, et finit
par ne susciter que dégout et rejet.
Voilà pourquoi les jeunes préfèrent le rap au rock. Certes
le rap est con, mais il s’agit d’une connerie variée, foisonnante, aussi
inépuisable que celle qui qualifie une bonne part de l’espèce humaine.
Alors, pour dissiper toutes ses peurs , la mule lâche les
chevaux dans une ouverture où il dynamite ses classiques. Les solos ravageurs de
Warren Hayne renouent alors avec la puissance des débuts, pendant que les
claviers nous préparent en douceur à la prestation d’un groupe, qui ne cessera
de troquer la naïveté de ses premiers cris contre une nouvelle forme de beauté
musicale. Une approche en douceur du « coté sombre de la lune », voilà
ce que représente la première partie de ce concert, le gang de l’ex Allman
produisant un boucan digne d’une fusée en plein décollage, pour rassurer ses
passagers sur les capacités de l’appareil dans lequel il embarque.
On commence à entrevoir les décors lunaires grâce à un
instrumental fiévreux , ou eternity breath est transformé en groove spatial ,
avant de laisser place à une version dépouillée du fameux riff de St Stephen. Avec
une rare intelligence, gov’t mule parvient à s’approprier l’ambiance fascinante
d’eternity breath , St Stephen enchainant sur une énergie beaucoup plus directe.
Comme si le groupe dessinait sa propre dualité à travers ce passage majestueux.
Le premier décollage a eu lieu, mais il est rapidement
suivi d’une dernière escale sur terre, le temps de refaire parler la poudre.
Et puis le groove change progressivement de forme, la mélodie passe lentement
devant la puissance électrique, comme si la brute avait laissé place au poète.
C’est que gov’t mule a muri depuis le départ tragique de
son premier bassiste , et ce live commence à ressembler à une victoire du
groupe dans son long combat vers la maturité. J’avoue pour ma part apprécier
autant la première période que la seconde, et je ne suis visiblement pas le
seul à apprécier que gov’t mule puisse faire autre chose que du blues tueur de
tympans.
La preuve, lorsque Warren Hayne annonce un set « vraiment
spécial » , et que les premières notes de child of the earth résonnent ,
le silence se fait et une autre magie commence à faire effet. Vient ensuite « shine
on you crazy diamond » , qui nous permet de saluer l’humilité d’un
guitariste qui n’a pas cherché à singer la beauté atmosphérique du jeu de David
Gilmour.
A la place, il fait entrer le groupe dans un jazz
cotoneux et éblouissant, le prodige spirituel naissant de l’alliance de ces
musiciens plus attachés à leurs buts qu’à
leur égo. C’est encore une nouvelle
spiritualité qui semble ressortir de ce moment merveilleux, où le public uni
comme un seul homme déclame les fameux vers de wish you were here. Cette
ballade dédiée au génie perturbé que fut Syd Barett devient alors un hymne universel,
la perte de ce grand homme résonnant dans chaque cœur d’une façon différente,
mais avec la même force. Si il y’a une force supérieure, elle se situe dans ces
refrains , qui nous attirent pour mieux nous élever. La musique ayant réussi à
produire des moments de communions que la religion ne peut que singer
gauchement.
Et ses classiques, que le public a choisi de s’approprier,
gov’t mule les encre entre ses compositions, comme si ils étaient issus du
même moule. Il fait ainsi plus que rendre hommage à un monument qui brillera
toujours tel un diamand fou , il justifie un virage élitiste que beaucoup
semblait lui reprocher depuis la sortie de « déjà voodoo ».
L’élève est allé chercher auprès du maitre la matière
capable de justifier sa nouvelle existence, et les deux parties se sont régénérées
à travers cet échange plein d’humilité.
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