Elle parait déjà loin cette époque où , grimé en Alien
bisexuel , Bowie récupérait la mise avec une formule initiée par son ami Marc
Bolan. Ziggy Stardust était alors le rock dans ce qu’il avait de plus sulfureux,
viscéral, mais aussi classieux. Sa voix, Bowie l’avait travaillée en s’inspirant
de Brel , dont il reprenait « la mort » à chaque concert.
Ziggy était une hydre musicale magnifique, un personnage
fascinant né de la curiosité sans fin de son géniteur. Avec lui, l’artiste
devenait lui aussi une œuvre, reprenant l’adage de Warhol selon lequel n’importe
quoi pouvait être considéré comme de l’art.
Et pourtant, quand le maître a crucifié sa créature sur
la scène de l’Hammersmith Odeon , beaucoup pensèrent qu’il tuait aussi sa
carrière. L’homme lui-même n’était pas encore bien sûr de lui, et annonçait
timidement son virage groovie sur un « diamond dogs » encore très
marqué par le fantôme de son alien glam.
Si les deux albums suivant sont aussi sous-estimés , c’est
avant tout parce que le maître lui-même minimisait son œuvre, parlant de
plastic soul par respect pour ceux qui inspirèrent le groove de « young
americains » et « station to station ». Un nouveau personnage
naissait avec ces disques , le Thin White Duke , dandy émacié chargé de prêcher
la bonne parole soul.
Mais surtout, station to station montrait déjà une envie
de se diriger vers des terrains moins balisés, désir magnifiquement illustré
par la fresque urbaine qui ouvre le disque. Perdu dans une paranoïa nourri à
grand coups de coke, Bowie a immortalisé son enfer sur « l’homme qui
venait d’ailleurs » , film qui fait plus figure de document biographique
que de véritable chef d’œuvre du septième art.
Il trouve alors refuge dans le rock expérimental allemand,
can , neuh , et autres tangerine dream développant une musique délirante
et robotique, qui ressemble à la bande son de son enfer psychologique.
Véritable éponge musicale, il s’imprègne rapidement de
cette fascinante avant-garde, et la restitue sur deux disques incontournables.
Cet homme, devenu rachitique, et développant un charisme fait de sons
futuristes, était le prophète venu populariser la musique du futur.
Car Bowie ne s’était pas contenté de copier l’ambiguïté
un peu snob de ses modèles allemands, il s’en était nourri pour créer une
nouvelle pop. Voilà pourquoi, plus que n’importe
lesquels, les concerts de cette époque bénie sont des monuments historiques.
Dans cette salle londonienne, en 1978, Bowie célébrait le
Zénith de sa nouvelle incarnation , annonçant d’entrée la couleur via un warsawa
en forme de prière spatiale. Puis vient « heroes » , sommet de la
trilogie berlinoise , ode romantique qui permet à Bowie de faire un tube issu d’une musique profondément underground. On ne m’enlèvera pas de l’idée que « beauty
and the beast » , dont le riff délirant partage la scène avec un synthé,
qu’on jurerait venu d’une des lointaines planètes dépeintes par K Dick et
Asimov , est bien plus aventureux .
C’est un nouveau rock qui naît à travers ce riff chromé,
une fraîcheur futuriste que les tacherons de la pop/new wave ne feront que
parodier. On a beaucoup parlé de cette reprise d’ « alabama song » ,
blues viscéral des doors, issue d’un disque qui donna au psychédélisme ses
lettres de noblesse. Cette version montre la différence entre le dévot, paralysé
par l’admiration qu’il voue à ses idoles, et un créateur tel que Bowie.
Sa vision de l’hommage est plus créative, il plie ses
influences à sa volonté pour produire une matière unique. Ainsi, « alabama
song » peut entrer dans sa grande célébration futuriste à grands coups de
synthétiseurs dansants sur son rythme aviné.
Et puis le dandy n’a jamais aussi bien chanté, ses
prestations sur suffragette city , five years , ou soul love figurant parmi les meilleurs de sa
carrière. Quant à sa « plastic soul » , elle mérite désormais
magnifiquement son nom , ses arrangements se fondant dans une matière que Bowie
est encore le seul à maîtriser.
Si ce live, comme tous les concerts issus de cette tournée,
est incontournable, c’est parce qu’il prolonge l’écho de deux disques (heroes
et low) , qui n’ont pas d’égal dans la pop anglaise. C’est le sommet d’un
héritage qui ne fera que se liquéfier dans les années 80, mais Bowie sera déjà
passé à autre chose.
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