Keith Relf a vu défiler tous les chamboulements de ces swinguantes sixties. C’est lui qui , en 1963, a fondé les yardbirds , groupe plus connu pour sa succession de musiciens légendaires que pour son œuvre. A ses débuts , le groupe faisait swinguer toute l’Angleterre , côtoyant les Who , des Kinks pas encore embarqués dans leur grande aventure pop , et admirant les Stones. Le groupe de Mick Jagger était le symbole du rythm n blues , cette grande récupération du blues américain qui fait swinguer Londres. Les Stones étaient les guides ultimes de la vague rythm n blues british , le modèle que tous voulaient dépasser. Alors, certes, aucun groupe du pays ne parviendra à reprendre les vieux tubes d’Howlin Wolf ou Muddy Waters avec autant de justesse , mais les Yardbirds préféraient annoncer l’avenir que répéter le passé.
D’ailleurs, le groupe de Keith Relf avait pour guitariste l’anti Keith Richard parfait , un massacreur de manche qui aurait fait passé BB King pour un musicien austère. Avec ses solos bavards , Clapton annonçait ce que serait le guitar héro quelques années plus tard . Les groupes devenaient alors des faire-valoir pour solistes virtuoses. L’histoire retiendra que c’est Hendrix qui initia cette révolution, mais Clapton l’avait prédit dès son arrivée chez les Yardbirds.
Et puis le swing a changé de forme, s’étirant et se déformant sous l’influence de Beatles ouvrant la voie du psychédélisme. Comment continuer à jouer les éternels standards du Mississipi blues, alors que le groupe de McCartney conquérait le monde, avec une pop de plus en plus sophistiquée. Les Yardbirds ont donc écrit leur « Love me do » en sortant « for your love ». Le succès fut instantané, et les Yardbirds entraient dans la grande lutte opposant les plus grands songwritters anglais. Cette lutte, Clapton ne l’acceptait pas. Pour lui le blues était un dogme, un sacerdoce, et une telle guimauve sonnait pour lui comme un blasphème.
Slowhand a donc quitté le groupe qui le fit naître, et c’est à partir de là que tout a commencé à partir en vrille. Pour le remplacer, les Yardbirds choisirent Jeff Beck, qui poursuivit d’abord le virage pop initié juste avant son arrivée. En prenant de l’assurance, Beck va progressivement recentrer le groupe sur un hard blues annonçant les futures bombes électriques de Led Zeppelin et autres Deep purple. Un seul disque rendra justice à cette période mythique, Roger the Enginer, crise de nerf heavy blues d’un groupe au bord du précipice.
Les Yardbirds étaient devenus trop énormes pour survivre et , quand Jimmy Page vint croiser le fer avec Beck , les égos des deux guitaristes firent rapidement exploser le groupe. Keith Relf claqua la porte en 1968, quelques mois avant que Page ne fasse des Yardbirds le prototype de ce qui deviendra Led Zeppelin.
Keith embarque alors Jim Maccarthy , autre ex taulier de son ancien groupe , avec qui il enregistre le premier album de Renaissance. Sorti en 1969, ce disque est, avec le premier album de Colosseum , et le In the court of the crimson king de King Crimson , un des actes de naissance du rock progressif. Ces albums montrent une scène anglaise qui ne veut déjà plus reproduire pieusement les lamentations bluesy de ses modèles américains. C’est encore les Beatles qui montrèrent la voie, le big band « a day in the life » donnant vie à une nouvelle galaxie rock.
En suivant ce modèle, les Moody blues écriront night in white satin , Procol Harum composera a whiter shade of pale. Les rockers anglais commençaient à rêver de symphonie rock , mais personne n’avait encore réussi à maintenir cette fusion sur tout un disque.
Renaissance (l’album) est donc le premier à y parvenir, le rock et la musique baroque accouchant ici d’une beauté aussi inédite qu’envoutante. En introduction, les notes de piano se déversent en un torrent lumineux, dont la batterie vient rapidement secouer l’écoulement limpide. S’ouvre alors une valse énergique et raffinée , un boogie symphonique bientôt propulsé au paradis par un refrain mystique. Des déesses inconnues psalmodient gracieusement sur une mélodie de piano , le rythme s’accélère sans s’emballer , s’intensifie sans perturber l’harmonie de la mélodie.
Kings and queens est une des rares fresques que l’on peut réellement qualifier d’opéra rock , une pièce épique où le chant a la grandiloquence stupéfiante des grandes cantatrices. Ce niveau de symbiose entre l’immédiateté de la pop et la beauté grave de musique jugée plus « sérieuse » sera rarement égalé par la suite. Après avoir déroulé une telle palette, Renaissance n’a plus qu’à agrandir son paysage en suivant le même modèle. Sur le bien nommé innocence, le groupe montre que le rock est toujours là, enlacé dans les draps somptueux de son charisme virtuose.
Island est plus mélancolique, les arpèges de guitares suffisant à habiller le chant hypnotisant de Jane Relf, dont la voix de sirène peut faire rougir les plus belles naïades Californiennes.
A la sortie du premier
album de Renaissance, les critiques commencent à se déchirer autour de ces
questions : Est-ce encore du rock ?
Cette musique ne va-t-elle pas trop loin ?
Et bien oui, on peut encore appeler ça du rock, il s’agit même de la plus brillante réponse des anglais à la domination américaine. Les groupes américains capables d’atteindre un tel niveau de raffinement pop se comptent , encore aujourd’hui , sur les doigts d’une main de yakuza erratique.
Avec ce premier album, Renaissance achève le travail d’émancipation entamé avec les premiers tubes de
son ancien groupe. Pop baroque, rock symphonique, ce disque pose la première
pierre d’un rock qui ne cessera ensuite de vampiriser les musiques l’ayant précédées.
La grande aventure du rock progressif démarre aussi avec ce disque trop méconnu,
porte dorée s’ouvrant sur un monde merveilleux.
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