Waves est le dernier chapitre de l’aventure du Patti Smith group. Les musiciens sentaient bien que quelque chose était en train de disparaître, mais ils refusaient d’y croire. A peine les derniers concerts de la tournée Easter terminés, Patti partit s’isoler à Détroit. Là, Fred Smith la garde comme un trésor inaccessible, allant jusqu’à empêcher ses amis de la voir. Il n’est pas impossible que cet isolement soit voulu par une chanteuse pour qui le rock devient une obligation. Patti Smith est un personnage excessif, elle connaît le prix à payer pour vivre comme elle l’entend. Elle a toujours agi sur le coup d’une révélation, et celle-ci se nomme désormais Fred Smith.
Rêvant d’une vie de famille apaisée, celle qui se disait « général du rock n roll » parle désormais de « laisser la place aux jeunes générations ». La seule nouvelle qu’elle reçoit du monde du rock ne fait rien pour arranger son abdication. Un soir au CBGB, Sid Vicious s’est montré particulièrement agressif envers la petite amie de son frère, l’obligeant à s’interposer pour tenter de calmer les choses. Sid n’est pas du genre à faire des phrases, il a plutôt l’habitude d’assommer ses contradicteurs d’un coup de cannette de bières. Le frangin s’en titre donc avec quelques points de sutures, mais l’accident confirme une décision que Patti semblait préparer depuis quelques jours.
Elle programme donc l’enregistrement de ce qui doit être son dernier album, qui sera produit par Todd Rundgren. Après s’être fait connaitre grâce à un tube de the Nazz , Todd a produit des disques pour des groupes tels que les New york dolls ou Grand funk railroad. Mais il s’est surtout révélé en solo, lorsqu’il sortit « sometin / anything » et le lumineux « A wizard a true star ». En plein âge d’or progressif, Todd Rundgren prouva que l’on pouvait créer une œuvre ambitieuse sans tomber dans l’intellectualisme abscons de certains prog rockers anglais. Ses disques charmaient immédiatement l’oreille, avant de dévoiler toute leur richesse au fil des écoutes. Et puis il y a leur production flamboyante, du grand spectacle, où l’extravagance de Todd atteint des sommets pyrotechniques.
Quand Patti rejoint le producteur, elle lui annonce d’emblée
que ce disque sera son dernier. Pour ce chant du cygne, Todd déploie toute la
splendeur de son excentricité sonore. Pour donner plus d’impact à la
déclaration ouvrant l’album, il fait sonner la batterie comme un cœur en pleine
transe amoureuse. Ce « Frederick » , c’est bien sûr Fred Sonic Smith
, à qui elle crie son amour devant une chorale grandiloquente. Waves marque l’avènement
d’un mysticisme plus apaisé, la chanteuse ne part plus en transe, elle médite.
Cette pop est toujours faite pour conquérir les charts , dancing barefoot s’élevant dans un refrain que n’aurait pas renié le Tom Petty de Damn the torpedoes. Plus mélodieuse, la guitare semble chasser sur les terres des Heartbreakers. La reprise de « So you want to be rock n roll star » enfonce le clou , tant elle semble calquée sur la version qu’en fit le grand Tom.
Arrive ensuite la Patti Smith plus expérimentale, celle qui se fit connaitre en faisant du rock un temple, une religion, une secte. Hymn est une déclamation telle que Jim Morrison aurait rêvé d’en produire, la voix de Patti Smith se mariant parfaitement à la mélodie d’une harpe antique, dans une déclamation que l’on croirait sortie de la grande Athènes. Revenge prend la suite sur un blues méditatif, mojo de moine tibétain atteignant le nirvana. Les chorus de six cordes ne sont plus des détonations, mais des apothéoses, ils brillent telles des cierges flamboyant au fond d’une imposante cathédrale. On retrouve ensuite le clavier délirant de « A wizard a true star » en ouverture de « Citizen ship » , avant que le titre ne se pose sur une alternance solennelle de slows monacaux et de fièvre heavy blues. Dans ses moments les plus intenses, le titre sonne comme du Led Zeppelin illuminé, comme Jimmy Page propulsé par un orgue monacal.
Waves est l’album de la démesure, ses titres offrent à la
pop une dimension qu’elle n’a jamais eu, qu’elle n’aura plus jamais. Seven way
to goin est lancé sur une introduction qui semble rendre hommage aux grands
pharaons, avant que le groupe ne construise sa grande pyramide à grands coups de
free jazz grandiloquent. Ce titre, c’est Coltrane rencontrant la grandiloquence
illuminée d’un Patti Smith group en pleine agonie. Patti clôt ensuite l’épopée
de sa troupe sur une grandiloquente bluette pop , qui restera sans doute un de
ses plus beaux titres. La mélodie de Broken flag a encore l’air de monter au ciel,
la sobre introduction au piano s’achevant dans une symphonie de chœurs célestes
sur fond de percussions solennelles. Avec cette procession, c’est les seventies
que Patti enterre, décennie superbe où elle sut donner un peu de grandeur aux
grognements nihilistes du mouvement punk.
Et qu’importe si Waves semble ensuite en faire un peu trop, son auteur se prenant ensuite pour un membre du Vatican en pleine conversation avec le pape. Cet égo trip ne dure que quelques minutes , ce n’est pas ça qui va détruire la grandeur d’un album globalement fascinant. Le public ne s’y trompera pas, Waves dépassant rapidement les ventes de Easter, emportant ainsi Patti Smith dans un cercle infernal. Pressée par ses managers, elle enchaine les concerts, les interviews sans intérêt, subit la pression d’un public de plus en plus hystérique.
Après avoir failli être kidnappée après un concert en Italie,
Patti ouvre le concert suivant en transformant sa phrase la plus connue :
« Jesus die for somebody sins why not mine. »
Le symbole de l’anarchisme punk devenait ainsi la phrase la plus anti rock qui soit, elle exprimait le virage d’une femme voulant désormais se consacrer à autre chose qu’à la vie égoïste de rockstar. Après le concert, elle largue une nouvelle fois son groupe pour partir fonder une famille avec Fred Smith.
L’histoire musicale de Patti Smith s’arrête donc là …
Pour l’instant.
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