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dimanche 27 juin 2021

Neil Young : Live at Roxy

 


Après la sortie de tonight the night , le label de Neil Young commença à se poser des questions sur l’avenir de son poulain. Non seulement Tonight the night les a déconcerté, mais le loner prend un malin plaisir à accentuer cette incompréhension sur scène. Débarquant parfois affublé d’un masque à l’effigie de Nixon,  Neil refuse de jouer ses classiques, préférant infliger à son public des gémissements que sa maison de disque refuse encore de publier. Suite à ces prestations excentriques , les rumeurs vont bon train. On dit que le loner est complétement défoncé, accro aux pires substances, certains vont jusqu’à annoncer sa mort. Neil semble avoir complétement pété les plombs, pourtant les spectateurs du Roxy veulent croire que tous ces ragots ne sont que de mauvaises rumeurs.

Ce n’est pas le décor de ce concert qui va leur donner des raisons de se rassurer. En hauteur, une banderole annonce « Bienvenue à Miami beach où tout est moins cher que ça en a l’air. »

Placées sur les amplis , plusieurs bouteilles de vodka annoncent déjà que les musiciens joueront certainement dans un état second. Pourtant, à son arrivée, le groupe fait bonne figure, leur look ne tranchant pas avec ceux des autres rockers de leur époque. Au milieu d’eux arrive une sorte de hippie débraillé, le visage mangé par une barbe de clochard, et dont les lunettes noires semblent cacher une effrayante gueule de bois. L’homme est présenté aux spectateurs :

« Ladies and gentlemen Mister Neil Young. »

Là , le public fut sous le choc, il ne parvint pas à se faire à l’idée que ce clochard débraillé n’est autre que l’auteur d’Harvest. L’homme désespéré provoque souvent chez les spectateurs un mélange de mépris et de fascination, la foule est un troupeau de hyènes qui adore voir souffrir les grands hommes blessés. Avec cette idole californienne transformée en clochard dépressif, elle en avait pour son argent.

Paradoxalement, les Santa Monica flyers ouvrirent le concert sur un rythme assez enjoué. Plus musclé, la version live de tonight the night est un rock rageur, le piano accentuant son swing de bordel texan. Plus nerveuse, la guitare du loner déchire ce tempo boogie à grands coups de chorus cinglants. Presque digne de Rory Gallagher , cette ouverture montre que les Santa monica flyers sont aussi et d’abord un grand groupe de rock bluesy. Neil ne pleure plus son mort, il le célèbre dans une grande cérémonie rock n roll. L’alcool aidant, il veut alléger la noirceur pesante de l’album qu’il vient d’enregistrer, se libérer de cet étau qui le pousse à gémir plus qu’à chanter.

Cela ne l’empêche pas, dès qu’il a terminé une improvisation digne des grandes heures de Little Richard, de livrer une poignante version de mellow my mind. L’harmonica a beau adoucir l’austérité de cette folk torturée, le riff a beau rivaliser avec les bluesmen les plus classieux, cette voix éraillée vous prend à la gorge. Ecouter ce live au Roxy après s’être plongé dans la marée noire de Tonight the night donne presque l’impression que ces disques sont joués par deux formations différentes.

Les titres de tonight the night furent enregistré en une prise, le loner privilégiant l’émotion au détriment de la splendide virtuosité de ses musiciens. Passé les lamentations de mellow my mind , le groupe va donc se libérer totalement , jusqu’à évoquer le bon vieux temps du Crazy horse. Sur word on a string , le riff gambade joyeusement sur un martellement binaire , la voix éraillée du loner se chargeant d’apporter une touche de poésie à ce mojo minimaliste. Ce concert au Roxy montre un homme qui commence à se relever, un artiste qui eut besoin de toucher le fond pour mieux rebondir.

La guitare de Neil ne gémit plus, elle chante. Le dépressif pathétique qui entra sur scène devient un vieux sage ayant survécu aux pires tourments. Il y a encore de la douleur dans cette voix avinée, mais cette douleur ne domine plus. Sur les passages les plus mélodieux, le loner semble contempler ses douleur d’une montagne vertigineuse, elles influencent encore sa musique mais ne le blessent plus.

Ses rocks nostalgiques sont des bouffées d'oxygène, ils ont l’intensité des premières minutes de réveil après un long coma. Symbole de cette renaissance, une country plus insouciante fait timidement son retour. Roll another number n’a pas la gaieté franche d’un heart of gold , mais son feeling enjoué montre que l’esprit de son auteur s’apaise. Le loner n’a pas encore le cœur à la fête, ce qui ne l’empêche pas de se laisser embarquer dans des chœurs bucoliques sur fond de tempo campagnard.

Les titres qu’il joua ce soir-là au Roxy , personne ne les connaissait , pourtant tous crient leur joie en reconnaissant la seconde partie de tonight the night. Envoyé pied au plancher, ce cri de douleur devient un grand exutoire rock n roll. Le batteur cogne ses fûts comme une brute, impose cette monotonie sauvage qui est le cœur nucléaire du rock  n roll. La guitare danse autour de ce rythme avec énergie, la puissance de ses solos semble repousser de redoutables démons.

Le groupe s’éclipsa ensuite durant quelques secondes, la ferveur d’une foule conquise l’obligeant à prolonger un peu sa prestation. La guitare se met alors à fredonner la mélodie de walk on , on constate alors que Neil est bien en train de guérir de ses blessures. « On ne fait pas son deuil . C’est le deuil qui nous fait. » On retombe sur la phrase fermant la chronique précédente. Une fois passé les premières douleurs, le deuil permet à l’homme de faire sa mue , d’oublier ce qu’il était pour devenir ce qu’il sera. Et c’est exactement ce que fit Neil Young sur la scène du Roxy.       

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