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lundi 28 juin 2021

Neil Young and Crazy Horse : Zuma

 


Près du studio où Neil enregistre, un homme se penche contre le mur pour comprendre ce qui se prépare. Les cheveux bouclés et le visage couvert par une barbe hirsute, Dylan vint écouter la prochaine œuvre de son seul rival. Ces dernières années, l’ex porte-parole d’une génération est devenu une figure que l’on adore détester. Ce que le public a pu beugler quand le héros du folk a tourné country, ça lui rappelait les réactions des puristes du folk quand il passa à l’électrique. Cette fois, l’indignation était plus politique que musicale, la country étant vue par certains comme la musique des beaufs racistes de l’Amérique profonde.

Ces idiots ne comprenaient pas que sa folk , celle que tous reprenaient quand elle annonçait que « les temps changeaient » , cette folk-là avait les mêmes racines que la country qu'ils vomissaient. Folk ou country, tout cela est avant tout un blues de blancs , un témoin des joies et des peines de ce petit peuple qui bâtit le « pays de la liberté ».

Arrivé à ce point de mon récit , vous devez déjà vous demander ce que le grand Bob fait encore là. J’y reviendrais, mais vous faites bien de m’inciter à retrouver le loner où nous l’avions laissé. Après l’enregistrement de Homegrown , il fut recontacté par les survivants du Crazy horse. Ses vieux compères avaient trouvé un homme capable de prendre la succession de Dany Whitten , mais il fallait que leur leader vienne l’adouber.

Lors de l'arrivée de Neil, Frank Sampedro se présenta. Le jeune homme était obsédé par Everybody know this is nowhere , qui lui avait permis de forger son jeu en jouant par-dessus les chevauchées binaires du Crazy horse mythique. A la surprise du loner , cette affirmation n’était pas un simple emballement de fan hystérique. Dès les premières mesures , le jeu de celui que l’on surnommait déjà poncho se fondait parfaitement dans les emballements binaires du groupe. Le Crazy horse galopait de nouveau et son maitre redécouvrait l’ivresse d’être porté par une telle monture.

Heureux d’avoir retrouvé son groupe le plus emblématique, Neil s’empresse d’embarquer ce beau monde en studio. Il avait un projet en cours, une sorte de concept album sur l’histoire des incas, un disque qui devait renouer avec la tendre légèreté d’Harvest. Si Zuma sera bien un disque plus léger que ses œuvres précédentes, on est tout de même loin de la légèreté d’Harvest. Au fil des improvisations , la musique se durcit, Neil déverse toutes les émotions de ces dernières années dans ses accords. 

C’est un torrent d’émotions contraires, qui se succèdent et se percutent dans ce grand cyclone sonore, un magma chauffé à blanc par le mojo lunatique de son cheval fou. Ecrite alors qu’il n’était qu’un adolescent, don’t cry no tears devient le cri d’un homme de nouveau debout. Le riff sautillant tranche avec la voix mélancolique et rageuse de notre loup canadien, les emportements de guitares sauvages éloignent notre homme de ses tourments. L’énergie joyeuse d’un country rock puissant est nuancée par le ton dramatique du barde Young, ces contraires se côtoient et se complètent. 

Zuma n’est pas le témoin d’une douleur sans issue , comme Tonight the night le fut avant lui , ses lamentations sont plus rageuses que résignées. Quand le chanteur se laisse un peu trop aller à sa mélancolie contemplative, la puissance enjouée de son groupe le ramène vers des pensées plus positives. Pour imposer cette énergie, le Crazy horse semble soulever des montagnes à chaque note. Les instrumentaux tonnent comme la foudre, la mélodie virevolte entre ces éclairs menaçant avec la grâce d’un faucon au milieu de la tempête.

Nous n’assistons pas ici au retour du rock primaire d’Everybody know this is nowhere, Zuma est plus fin et plus nuancé. Cela n’empêche pas mister Young de nous sortir deux magnifiques riffs stoniens sur les virulents Cortez the killer et Drive back. Le mieux est que cette palette émotionnelle n’empêche pas le Crazy horse de conserver son irrésistible simplicité, sa fougue binaire bottant le cul du folk rock et de la country. Il parvient simplement, avec quelques notes et un mojo des plus basique , à exprimer une impressionnante palette d'émotions . 

Cette intensité n’est pas sans rappeler un autre album sorti en cette même année 1975, l’incontournable Blood on the track. Avec ces portraits dostoievskiens servis par une instrumentation minimaliste, le grand Bob déployait une intensité émotionnelle similaire. Sur ce classique , le Zim déverse ses douleurs d’homme abandonné , plonge au plus profond de sa déprime pour pouvoir rebondir. Pendant ce temps , Neil retrouve la puissance positive de sa plus superbe monture , noie ses dernières traces de mélancolie dans de grandes passes d’armes électriques. Un homme tombait pendant que l’autre se relevait, tout deux accouchant des deux plus grandes œuvres de cette années 1975.

Quelques mois plus tard, Dylan sortira le plus léger « Desire » , avant de monter la rollin thunder revue. Parcourant les routes pour retrouver l’enthousiasme de ses jeunes années, Dylan revient dans les petits bars où tout a commencé, recrute quelques musiciens locaux pour compléter une formation changeante. Suivant son exemple , Neil monte la rollin Zuma revue , qui fait aussi la tournée des petits bars. Partageant un verre avec les spectateurs à la fin des concerts, il redevient un jeune musicien jouant surtout pour le plaisir.  

Pour Dylan comme pour Neil Young , Zuma et Blood on the tracks sont deux albums essentiels, ils représentent le début d’un nouveau chapitre de leur légende.            

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