C’est un hymne annonçant un nouvel âge d’or, une chanson contestataire digne des glorieuses sixties. Neil Young a vraiment cru que ce cowboy Tatcherophile de Reagan était le candidat du peuple, qu’il pouvait construire une Amérique fière et solidaire. Il ne comprit pas que cette politique ultra libérale allait précipiter toute une partie du petit peuple dans un abime de misère. On pouvait bien lui bourrer le mou avec « la grandeur de l’Amérique éternelle » , l’abrutir à coup de films chauvins , lui chanter l’éloge du mérite et faire passer sa misère pour une liberté, la tête de la masse n’adhère plus aux grands principes quand son ventre est vide.
« Il y a des couleurs dans la rue
Rouge blanche et bleu
Les gens trainent les pieds
Les gens dorment dans leurs chaussures
Mais il y a des panneaux d’avertissement devant nous
Je ne me sens pas comme satan
Alors j’essaie d’oublier de toutes les manières possibles »
Rockin in the free word s’ouvre ainsi sur cette déclaration, le Canadien veut oublier que c’est en partie lui qui a précipité le peuple entre les griffes du grand méchant loup libéral.
« Je vous le dis , petits bonshommes , couillons de la vie , battus , rançonnés , transpirant de toujours , je vous préviens , quand les grands de ce monde se mettent à vous aimer , c’est qu’il vont vous tourner en saucisson de bataille… C’est le signe … Il est infaillible. ». C’est signé Louis Ferdinand Céline dans son fameux Voyage au bout de la nuit, ça résume surtout bien ce que le peuple américain a vécu.
La désillusion eut au moins le mérite de régénérer la muse de Neil Young. Sorti en 1989, Freedom est si bon qu’il rappelle les grandes charges heavy folk de Rust never sleep. Comme ce classique de 1979, Freedom s’ouvre et se referme sur une version acoustique et électrique du même titre, le rageur rockin in the free word. Les mélodies les plus apaisées renouent avec les sommets mélancoliques de Times fade away , la guitare retrouve la vélocité de ses jeunes années. Cette résurrection n’est pas parfaite, les errements du passé ont encore laissé quelques traces , mais elles sont assez rares pour ne pas briser l’harmonie de ce grand album.
Oui, le refrain de The way of love est encore un peu niais, oui Someday fait un peu penser aux simagrées pompeuses dans lesquelles Springsteen a tendance à se perdre. Mais, à côté de ça , On broadway rappelle aux futurs héros du grunge qui est le patron, Hangin on a limb nous ramène dans ces salles où le loner atteignit le sommet de son charisme acoustique. Freedom est le disque d’un vieux combattant faisant l’inventaire de ses armes avant de se lancer dans une nouvelle bataille. Nostalgie folk , rêverie country , swing stonien ou crasseux , toute la palette du loner est présente ici.
Il entre ainsi dans cette armée de revenants que l’on croyait étouffer par la guimauve des eighties. Dans la même période, Dylan posa les bases de sa renaissance avec Oh mercy , Lou Reed réinventa sa poésie urbaine sur New York et Neil Young se réconcilia avec sa muse sur ce vibrant Freedom.
Rocker révolté, riffeur génial , countryman fascinant ,
Neil apparait ici comme si les années précédentes ne furent qu’un mauvais rêve.
Quand, pour boucler ce retour glorieux, la guitare électrique transforme Rockin in the free word en cri de rage , un seul constat s’impose : Neil
Young est de retour.
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