Il y’a peu , avant d’écrire cette chronique , je lisais l’ « Œuvre »
d’Emile Zola , m’étonnant de trouver chez son peintre maudit des préoccupations
partagées par les grands artistes rejetés du rock. Transformez ce peintre en
rocker , imaginez que l’œuvre qu’il construit n’est autre que Berlin , et vous
découvrez le calvaire vécu par Lou Reed en 1973.
Sa grande œuvre , à jamais incomprise, n’obtiendra pas le
rang si mérité de sgt pepper des seventies, et le chanteur se cache désormais
derrière son personnage de Dandy décadent. Il avait compris que le public,
obnubilé par les digressions instrumentales du hard rock et du prog, n’était
pas encore prêt à subir ses histoires sordides sur fond de mélodies
voluptueuses.
En 1973 , les dieux de la pop se nomment Black Sabbath ,
Led Zeppelin , et Deep Purple , et il fallait jouer aussi fort qu’eux pour se
faire entendre. Lou va leur donner ce qu’ils veulent, après avoir promu Dick
Wagner et Steve Hunter au rang de héro hard glam. Aminci par la drogue , le
chanteur ressemble à un mix entre un personnage de Burroughs et Ziggy Stardust.
Son image marque ainsi une génération vouée au culte de l’artificiel
et du narcissisme. Andy Warhol avait prouvé qu’une boite de conserve pouvait
être une œuvre d’art, Lou allait beaucoup plus loin en annonçant que tout le
monde pouvait l’être.
Une horde de jeunes imiterait bientôt ce style
outrageant, profitant de son insouciance avant que « le Dandy ne meure
sous les coups de boutoir du réel », comme disait ce cher Eudeline.
Backstage , Lou n’est qu’un junkie pathétique , et il n’est pas rare de voir
ses deux guitaristes le porter jusqu’à la scène. Là, la lumière des projecteurs
agit comme la foudre sur le corps de ce frankenshtein rock , qui se voit
soudain doté d’une aura impressionnante.
Columbia lui ayant forcé la main, afin de rattraper le naufrage
de Berlin, Reed réduira ce live à un énième bourbier heavy rock. Au-delà du
fait qu’aucun enfant de Led Zeppelin n’a su écrire des rimes aussi évocatrices
que celles d’heroin , le jeu de ses deux émissaires est bien plus fin que celui
des Iommi , Blackmore, et autres tacherons chevelus.
Pour ouvrir rock n roll animal , Steve Hunter compose une
longue introduction instrumentale , sorte de boogie mécanique ouvrant la voie à
un sweet jane métamorphosé. Dick Wagner offre une leçon de retenue aux hard rockers,
leur réapprenant le gout du riff carré, du solo qui ne se perd pas dans des digressions
interminables.
Entre leurs mains , le chaos froid de « white light
white heat » devient un brûlot fédérateur , où la guitare slide vient
défier Duane Allman pendant quelques précieuses secondes. Issu de loaded ,
« rock n roll » n’a jamais si bien porté son nom , ses solos
étincelants s’apparentant aux exploits classieux de Mick Ronson. Et puis il y’a
heroin , froide observation des émotions successives d’un junkie, transformé
ici en péplum rock.
Les stones avaient suivi cette voie provocatrice avec
sister morphine , et il était temps que le poète de New York reprenne son trône
de roi décadent. Cette version est un grand blues industriel, les solos
déchirant la mélodie comme autant de transes narcotiques.
Comble de l’ironie, « lady day » voit tout le
public communier devant la pièce maitresse d’un grand disque qu’elle a
massivement rejeté. Et c’est là que se trouve justement le génie de rock n roll
animal. Lou Reed s’y approprie le son de son époque pour imposer ses récits
sombres.
Bien sûr, le disque sera un succès, un des rares albums
où les ambitions commerciales et artistiques sont réconciliées. Lou Reed a beau
avoir les même préoccupations, son histoire s’achève mieux que celle de Claude
Lantier*.
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Le peintre- Zola
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