Le groupe de Scott Ayers et Bliss Blood sortira finalement six albums entre 1988 et 1995.
Partie ensuite à New York, elle a bifurqué vers une toute autre voie, d'abord avec The Moonlighters, du jazz rétro très influencé par les années 20/30 et qu'elle qualifie volontiers de "swing hawaïen" et où elle joue également de l'ukulele, puis ensuite en duo avec le guitariste Al Steet davantage tourné vers le blues flamenco très intimiste.
Elle a également participé à d'autres projets, notamment avec le groupe Exit 13.
Au delà de l'intérêt musical des groupes auxquelles elle a participé, c'est son parcours et la diversité des styles musicaux abordés qui fascinent.
Un parcours insolite, plus que surprenant, que j'avais envie de partager et de faire découvrir à travers cette interview que Bliss Blood nous a accordé avec beaucoup de gentillesse et d'amitié et ainsi de revenir sur sa l'ensemble de sa carrière.
En espérant que Bliss Blood puisse rapidement s'investir dans de nouveaux projets musicaux...
Du Texas vers New York, du noise rock vers le jazz...
Du Texas vers New York, du noise rock vers le jazz...
En route...
PREMIERE PARTIE :
* Peux-tu nous parler de ton parcours et de tes activités avant Pain Teens ?
J'ai grandi dans la plus grande ville du Nebraska, Omaha, une ville de 500 000 habitants à l'époque. Tu sais mes parents étaient ce qu'on peut appeler des travailleurs complaisants, typiques de la communauté chrétienne du Midwest des années 50. Vers l'âge de 13 ans, j'ai commencé à me rebeller et j'ai refusé d'aller à l'église. Quand j'avais 17 ans, nous avons déménagé à Houston, au Texas, au cours de ma dernière année de lycée. Mes amis du Nebraska m'ont manqué et j'ai été déçue. Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai déménagé pour aller dans la maison d'un copain pendant environ un an, puis j'ai obtenu mon propre appartement. J'ai eu une série d'emplois horribles avant d'aller à l'université pendant deux ans, puis j'ai été obligée d'abandonner parce que mes parents refusaient de contribuer à mes études. J'ai eu plusieurs boulots d'employée de bureau plus terribles les uns que les autres, puis j'ai quitté ce monde et j'ai commencé à travailler dans un magasin de disques et à faire de la musique avec Pain Teens.
* A cette époque, quels étaient tes goûts musicaux, tes chanteurs/chanteuses préférés ?
J'aimais la musique New Wave comme Siouxsie and the Banshees, Nina Hagen, The Cure et des trucs plus étranges comme The Birthday Party, Throbbing Gristle, D.A.F., Einsturzende Neubauten. J'aimais aussi Bessie Smith et Janis Joplin, les débuts du jazz et du blues des années 1920.
* Comment s'est créé Pain Teens ?
Scott Ayers était un de mes amis de classe d'anthropologie à l'Université de Houston. Je suis allée écouter son groupe Alien Labor jouer sur le campus, et il m'a fait écouter un enregistrement de musique expérimentale sur un petit magnétophone. Cela m'a rappelé 'My Life In the Bush of Ghosts' d'Eno et David Byrne. Nous ne nous sommes pas vus pendant quelques années après la fin de cette année scolaire. A l'époque j'écrivais des critiques pour un magazine de musique local gratuit et j'entendais son autre groupe Naked Amerika à la radio universitaire. Je suis donc allée écouter sa formation (..) et aussi raviver notre amitié. Il s'est avéré qu'aucun de ses autres membres du groupe n'était vraiment intéressé par sa musique expérimentale, alors j'ai décidé de rejoindre les Pain Teens. Il avait donc enregistré pas mal de choses pendant plusieurs années avant que je ne rejoigne le groupe, et beaucoup de ces premiers enregistrements ont ensuite été publiés sur nos démos ou repris en tant que nouvelles compositions de Pain Teens. Des chansons comme Symptoms, Shock Treatment, qui ont fait partie des albums Born in Blood et Case Histories, ont été extraites de ces premiers enregistrements.
* Le groupe s'est formé au Texas. Vu de France c'est un état qui n'est pas particulièrement réputé pour ses groupes de rock comparé à la Californie, New York, Detroit ou Seattle ? Qu'en est-il réellement ? (1)
À l'époque, il y avait quelques groupes célèbres du Texas des années 1960, comme Red Krayola, The 13th Floor Elevators, et puis une ère nouvelle avec des groupes punks comme The Dicks, les Big Boys, M.D.C, puis la vague suivante était emmenée par The Butthole Surfers. Les Surfers étaient les plus fameux et les plus connus quand sommes arrivés. Ils ont été à l'origine d'une nouvelle scène punk rock psychédélique qui était unique au Texas à l'époque, de nombreux groupes comme Ed Hall (qui a commencé à San Francisco et a déménagé à Austin), Crust, Lithium Xmas, Non-Dairy Creamers, Drain, Cherubs, Evil Mother, Angkor Wat, John Boy, ont été engendrés par eux. Houston avait beaucoup de grands groupes comme Culturcide, The Party Owls, Keel Haul, Sugar Shack, Dead Horse, Ms.Carriage and the Casual Tease, The Introverts, Really Red, Grindin' Teeth, Rusted Shut, The Mike Gunn, Bayou Pigs, Turmoil in the Toybox, Sprawl, au moment où nous construisions cette scène à la fin des années 1980 et au début des années 1990.
Les scènes de Californie, de New York et du Royaume-Uni étaient les plus influentes, quelques groupes comme les Stooges et MC5 de Detroit, mais Seattle n'était pas vraiment sur la carte jusqu'aux années où Pain Teens a commencé à se produire. Je suppose que quelques groupes comme Melvins avaient commencé à "explorer" et "défricher" le coin, mais personne ne s'en souciait vraiment jusqu'à ce que Sub Pop et K records commencent à sortir des trucs.
* Au début les premiers albums sont plutôt du noise rock expérimental ?
C'était un projet de studio que Scott a réalisé en solo pendant plusieurs années avec une bande 4 pistes et des cassettes. Il a tout joué, fait les overdubs et mixé. C'était intentionnellement très primitif et biaisé, afin de pouvoir provoquer et déranger quelques pans de la société ; et pour pouvoir ainsi se moquer de toute l'hypocrisie.
Quand je me suis jointe au groupe, nous avons fait plus d'enregistrements expérimentaux (Count Magnus, Innsmouth) qui ont été inspirés par mes auteurs d'horreur préférés du début du XXe siècle, H.P. Lovecraft et M.R. James. Scott est vraiment entré dans Lovecraft et a fait un tas de morceaux inspirés de ses histoires : Brown Jenkin, Mindless Piping, etc.
Au fil du temps, parce que je suis avant tout une chanteuse, nous avons commencé à ajouter des pistes vocales, puis le moment est venu de jouer en live. Pour notre première représentation, nous avons joué avec des bandes d'accompagnement. Scott portait un masque d'Halloween Michael Meyers et je portais un voile noir sur mon visage. C'était dans un espace artistique, donc c'était le premier concert parfait. Perry Webb et Dan Workman de Culturcide étaient les têtes d'affiche, Dan jouait de la guitare solo tandis que Perry dessinait d'énormes figures symétriques en utilisant les deux mains (...). C'était un super premier concert.
Mais ensuite, nous voulions jouer au club punk rock, The Axiom, nous avons donc dû composer une musique plus adaptée à cet environnement. Nous avons invité les amis de Scott, Bart Enoch et David Parker à jouer de la batterie et Steve Cook à jouer de la basse. Plus tard, nous avons remplacé Steve par Kirk Carr et avons également ajouté Ralf Armin de Ms. Carriage à la guitare pendant environ un an.
* Vous avez enregistré "Death Row Eyes", un single, sur Sub Pop. Que retiens-tu de cette expérience sur un label important (celui de Nirvana notamment) de l'époque ?
C'était un enregistrement inutilisé d'une chanson que nous jouions en live. Sub Pop faisait un "Singles Club", où vous vous abonniez et obteniez un single 7'' différent chaque mois. C'était vraiment cool d'être inclus là-dedans, je suppose parce que nous avions joué à Seattle et que les gens là-bas savaient qui nous étions. Le meilleur aspect de tout ça fût de collaborer avec l'artiste pop anglais bizarre Edwin Pouncey, mieux connu sous le nom de Savage Pencil. Il était extrêmement cool et est venu nous voir lorsque nous avons joué à Londres en 1991. Comme Steven Severin de Siouxsie and the Banshees, et John Peel, qui nous avait déjà envoyé une carte postale de fan quand il a reçu l'album Case Histories via le réseau de distribution radio Rockpool, qui à l'époque envoyait des albums aux stations de radio des États-Unis et à la BBC, une aide considérable dans la promotion de notre musique.
Je ne me souviens pas vraiment de Sub Pop, je pense qu'ils nous ont payé une somme forfaitaire et environ 50 exemplaires du disque. Je ne sais pas combien de singles ont été pressés au total, mais c'était plutôt chouette.
* J'ai découvert Pain Teens dans les années 90 avec "Destroy Me, Lover", le cinquième album vraiment différent, plus "classique", un peu plus pop rock. C'est mon préféré. Cette évolution a été faite délibérément ou est-ce une évolution logique ?
Je pense qu'une partie de ce résultat est dû à la musique différente que j'ai assimilée en travaillant dans un magasin de disques pendant de nombreuses années. J'ai fait les samples sur le morceau 'Dominant Man' à partir d'un disque de jazz avec un nouveau clavier d'échantillonnage cool que Scott avait acheté. Nous aimions toutes sortes de musique et nous mélangions tout ensemble pour voir jusqu'où nous pouvions aller tout en restant bizarre. Scott a aimé cette émission de télévision "Get A Life" qui avait une chanson thème de R.E.M et il a fait RU-486 et m'a demandé de lui donner un titre et de chanter dessus. Je n'aimais vraiment pas R.E.M à l'époque, j'ai fait les paroles sur la pilule abortive et j'ai essayé de la rendre aussi féministe et subversive que possible. C'était donc en quelque sorte notre processus - rendre les choses aussi extrêmes que possible, dans n'importe quel style.
* Raconte nous l'histoire de "Story of Isaac", cette reprise incroyable, sublime et inattendue d'une chanson folk de Leonard Cohen ?
Un ami m'avait envoyé cette chanson sur une bande de mix des années auparavant. J'ai vraiment aimé l'aspect anti-chrétien et anti-maltraitance des enfants des paroles. Scott a ajouté la guitare et les effets sonores. Cela fonctionnait vraiment bien, et ma voix ressemblait beaucoup plus à celle d'un enfant qu'à celle de Leonard Cohen !
* Sur le dernier album "Beast of Dreams" il y a de nouveaux sons, des influences orientales, une nouvelle évolution, une sorte de mélange des premiers albums et de "Destroy me, lover" ?
J'étais vraiment dans le jazz à ce moment-là et j'avais même joué un concert de jazz avec un pianiste ami à moi. Je commençais à m'intéresser à la musique de films, comme Invitation. Si vous écoutez attentivement, vous pouvez entendre que Scott et moi sommes en quelque sorte séparés l'un de l'autre au niveau de l'enregistrement. Ses "bidouillages" noise ne m'incluent pas vraiment, et ma voix devient de plus en plus belle, plus celle d'une chanteuse, plus inspirée par toute la musique du monde que j'avais écoutée et collectionnée, et aussi de plus en plus obsédante. Je pense que c'était un beau final pour tous nos enregistrements musicaux.
* Pourquoi le groupe s'est-il arrêté après « Beast of dreams» ?
J'ai déménagé à New York un mois après la sortie de l'album, et personne ne s'attendait plus à ce que nous revenions en tournée ou que nous fassions de nouveaux disques. Nous étions arrivés en quelque sorte au terme de notre parcours.
* Que gardes-tu en priorité de ces 10 années d'expérience avec Pain Teens ?
C'était vraiment très amusant, j'ai appris les techniques d'enregistrement, j'ai pu voyager aux États-Unis lors de quatre tournées et faire un court voyage en Europe, (ce que j'ai aussi fait avec The Moonlighters plus tard, en tournée en Allemagne quatre fois). J'ai rejoint Scott parce qu'il était déjà établi et avait une esthétique similaire, ce qui est difficile à trouver, et je voulais être chanteuse. Je me suis bien amusée mais je travaillais dur, et travailler au magasin de disques en même temps m'a permis de participer à la construction d'une scène musicale pour notre communauté artistique à Houston, ce qui était extrêmement difficile car la ville est si étendue et avait très peu de médias publics à l'époque. Il y avait deux stations de radio, KPFT et KTRU, qui diffusaient de la musique locale et de la musique expérimentale, et quelques magazines hebdomadaires gratuits qui mentionnaient la musique locale, mais le grand public ne savait pas fondamentalement que la scène musicale underground à Houston existait même pour l'essentiel. Quelques groupes comme King's X avaient percé, mais le reste d'entre nous jouions principalement pour nos amis, c'était très underground.
* A cette époque, de nombreux groupes alternatifs / indépendants signaient sur de grands labels. Qu'est-ce que tu penses ? Et avez-vous été sollicités ?
Ce que les grands labels ont fait, c'est de détruire tous ces groupes alterntifs qui étaient énormes à notre époque, ou du moins d'essayer de les détruire, parce qu'ils étaient en concurrence avec ceux signés par les grands labels. Quelques-uns comme Nirvana et Pearl Jam sont devenus énormes, mais finalement la plupart d'entre eux se sont effondrés beaucoup plus tôt qu'ils ne l'auraient probablement fait. Des groupes comme Melvins ont survécu, mais Jesus Lizard, Babes In Toyland, Foetus, Godflesh, Helmet...ont juste été utilisés comme simple premières parties pour des groupes qui auraient dû ouvrir pour eux. Les majors ont ainsi réussi à détruire et à écraser les groupes alternatifs et la scène musicale indépendante que nous avions créée à l'époque où Pain Teens s'est séparé (...).
* Les textes et les pochettes participent volontiers à l'image de Pain Teens : pour les textes j'ai l'impression que les thèmes abordés sont une sorte de psychanalyse de la société et des gens comme si vous exploriez en auscultant le côté obscur caché des individus et de la société ? Une sorte d'exorcisme ? Un peu de provocation aussi ?
Oui, tu as tout à fait raison. Nous avons trouvé de la fascination dans la folie et avons essayé de découvrir les origines du côté obscur de notre culture. Pour moi, j'ai trouvé que c'est un cycle dans lequel les gens sont maltraités et le perpétuent ensuite sur les jeunes une fois qu'ils ont le pouvoir. C'est un héritage horrible de l'esclavage, de la misogynie et de tous les autres maux de l'Europe coloniale et de la religion, nous l'avons donc biaisé de toutes les manières possibles et avons essayé d'humaniser les victimes. Je recommande vivement le documentaire "Annihilate all the Brutes" de Raoul Peck si ce sujet vous intéresse davantage.
* Question classique : peux-tu nous raconter un bon souvenir ou une anecdote de concerts ou de tournées (Vous avez notamment joué avec Neurosis, Brutal Truth) ?
Mon moment préféré de nos différentes tournées a été lorsque Pain Teens a joué au Festival Tegen Tonen à Amsterdam, en février 1991. Quand nous sommes arrivés, j'ai découvert à ma grande joie que mon groupe préféré, Terminal Cheesecake, de Londres, figurait également à l'affiche! J'ai pu voir leur concert et aussi être la seule personne à écouter leur soundcheck. Ils ont joué au Paradiso et à la vieille église, dans la salle du choeur à l'étage. J'aurais aimé que Pain Teens puisse jouer là-bas, car nous avons joué dans la salle principale et c'était beaucoup trop grand (...). Terminal Cheesecake avait l'air incroyable, et ils étaient modestes et humbles. Je leur ai dit plus tard qu'ils avaient donné des coups de pied au cul, et ils ont répondu: "Non, nous sommes britanniques, nous ne pouvons pas botter le cul !!."
* Qu'as-tu fait entre Pain Teens et les Moonlighters?. Je sais que tu as enregistré un morceau (2) avec Melvins ? Comment as-tu rencontré ce groupe culte ?
Jim Thirlwell du groupe Foetus m'a dit qu'il était invité par les Melvins pour chanter sur un titre de leur album et que chaque morceau aurait un chanteur différent, tous en tant qu'invité. Je lui ai dit de leur demander si je pouvais participer, et à ma grande surprise, Buzzo (le chanteur/guitariste des Melvins) m'a appelée et on est devenu copains. Ensuite, ils m'ont envoyé un délire de 9 minutes ! Mais je pense que je me suis plutôt bien débrouillée avec ça au niveau du chant et que cela s'accordait avec l'ambiance à la fois sombre et amusante qui colle aux Melvins.
Interview réalisée par mail en avril et mai 2021
Merci à JeHanne pour le coup de main concernant les "problèmes" de traduction et la relecture.
PREMIERE PARTIE :
* Peux-tu nous parler de ton parcours et de tes activités avant Pain Teens ?
J'ai grandi dans la plus grande ville du Nebraska, Omaha, une ville de 500 000 habitants à l'époque. Tu sais mes parents étaient ce qu'on peut appeler des travailleurs complaisants, typiques de la communauté chrétienne du Midwest des années 50. Vers l'âge de 13 ans, j'ai commencé à me rebeller et j'ai refusé d'aller à l'église. Quand j'avais 17 ans, nous avons déménagé à Houston, au Texas, au cours de ma dernière année de lycée. Mes amis du Nebraska m'ont manqué et j'ai été déçue. Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai déménagé pour aller dans la maison d'un copain pendant environ un an, puis j'ai obtenu mon propre appartement. J'ai eu une série d'emplois horribles avant d'aller à l'université pendant deux ans, puis j'ai été obligée d'abandonner parce que mes parents refusaient de contribuer à mes études. J'ai eu plusieurs boulots d'employée de bureau plus terribles les uns que les autres, puis j'ai quitté ce monde et j'ai commencé à travailler dans un magasin de disques et à faire de la musique avec Pain Teens.
* A cette époque, quels étaient tes goûts musicaux, tes chanteurs/chanteuses préférés ?
J'aimais la musique New Wave comme Siouxsie and the Banshees, Nina Hagen, The Cure et des trucs plus étranges comme The Birthday Party, Throbbing Gristle, D.A.F., Einsturzende Neubauten. J'aimais aussi Bessie Smith et Janis Joplin, les débuts du jazz et du blues des années 1920.
* Comment s'est créé Pain Teens ?
Scott Ayers était un de mes amis de classe d'anthropologie à l'Université de Houston. Je suis allée écouter son groupe Alien Labor jouer sur le campus, et il m'a fait écouter un enregistrement de musique expérimentale sur un petit magnétophone. Cela m'a rappelé 'My Life In the Bush of Ghosts' d'Eno et David Byrne. Nous ne nous sommes pas vus pendant quelques années après la fin de cette année scolaire. A l'époque j'écrivais des critiques pour un magazine de musique local gratuit et j'entendais son autre groupe Naked Amerika à la radio universitaire. Je suis donc allée écouter sa formation (..) et aussi raviver notre amitié. Il s'est avéré qu'aucun de ses autres membres du groupe n'était vraiment intéressé par sa musique expérimentale, alors j'ai décidé de rejoindre les Pain Teens. Il avait donc enregistré pas mal de choses pendant plusieurs années avant que je ne rejoigne le groupe, et beaucoup de ces premiers enregistrements ont ensuite été publiés sur nos démos ou repris en tant que nouvelles compositions de Pain Teens. Des chansons comme Symptoms, Shock Treatment, qui ont fait partie des albums Born in Blood et Case Histories, ont été extraites de ces premiers enregistrements.
À l'époque, il y avait quelques groupes célèbres du Texas des années 1960, comme Red Krayola, The 13th Floor Elevators, et puis une ère nouvelle avec des groupes punks comme The Dicks, les Big Boys, M.D.C, puis la vague suivante était emmenée par The Butthole Surfers. Les Surfers étaient les plus fameux et les plus connus quand sommes arrivés. Ils ont été à l'origine d'une nouvelle scène punk rock psychédélique qui était unique au Texas à l'époque, de nombreux groupes comme Ed Hall (qui a commencé à San Francisco et a déménagé à Austin), Crust, Lithium Xmas, Non-Dairy Creamers, Drain, Cherubs, Evil Mother, Angkor Wat, John Boy, ont été engendrés par eux. Houston avait beaucoup de grands groupes comme Culturcide, The Party Owls, Keel Haul, Sugar Shack, Dead Horse, Ms.Carriage and the Casual Tease, The Introverts, Really Red, Grindin' Teeth, Rusted Shut, The Mike Gunn, Bayou Pigs, Turmoil in the Toybox, Sprawl, au moment où nous construisions cette scène à la fin des années 1980 et au début des années 1990.
Les scènes de Californie, de New York et du Royaume-Uni étaient les plus influentes, quelques groupes comme les Stooges et MC5 de Detroit, mais Seattle n'était pas vraiment sur la carte jusqu'aux années où Pain Teens a commencé à se produire. Je suppose que quelques groupes comme Melvins avaient commencé à "explorer" et "défricher" le coin, mais personne ne s'en souciait vraiment jusqu'à ce que Sub Pop et K records commencent à sortir des trucs.
C'était un projet de studio que Scott a réalisé en solo pendant plusieurs années avec une bande 4 pistes et des cassettes. Il a tout joué, fait les overdubs et mixé. C'était intentionnellement très primitif et biaisé, afin de pouvoir provoquer et déranger quelques pans de la société ; et pour pouvoir ainsi se moquer de toute l'hypocrisie.
Quand je me suis jointe au groupe, nous avons fait plus d'enregistrements expérimentaux (Count Magnus, Innsmouth) qui ont été inspirés par mes auteurs d'horreur préférés du début du XXe siècle, H.P. Lovecraft et M.R. James. Scott est vraiment entré dans Lovecraft et a fait un tas de morceaux inspirés de ses histoires : Brown Jenkin, Mindless Piping, etc.
Au fil du temps, parce que je suis avant tout une chanteuse, nous avons commencé à ajouter des pistes vocales, puis le moment est venu de jouer en live. Pour notre première représentation, nous avons joué avec des bandes d'accompagnement. Scott portait un masque d'Halloween Michael Meyers et je portais un voile noir sur mon visage. C'était dans un espace artistique, donc c'était le premier concert parfait. Perry Webb et Dan Workman de Culturcide étaient les têtes d'affiche, Dan jouait de la guitare solo tandis que Perry dessinait d'énormes figures symétriques en utilisant les deux mains (...). C'était un super premier concert.
Mais ensuite, nous voulions jouer au club punk rock, The Axiom, nous avons donc dû composer une musique plus adaptée à cet environnement. Nous avons invité les amis de Scott, Bart Enoch et David Parker à jouer de la batterie et Steve Cook à jouer de la basse. Plus tard, nous avons remplacé Steve par Kirk Carr et avons également ajouté Ralf Armin de Ms. Carriage à la guitare pendant environ un an.
* Vous avez enregistré "Death Row Eyes", un single, sur Sub Pop. Que retiens-tu de cette expérience sur un label important (celui de Nirvana notamment) de l'époque ?
C'était un enregistrement inutilisé d'une chanson que nous jouions en live. Sub Pop faisait un "Singles Club", où vous vous abonniez et obteniez un single 7'' différent chaque mois. C'était vraiment cool d'être inclus là-dedans, je suppose parce que nous avions joué à Seattle et que les gens là-bas savaient qui nous étions. Le meilleur aspect de tout ça fût de collaborer avec l'artiste pop anglais bizarre Edwin Pouncey, mieux connu sous le nom de Savage Pencil. Il était extrêmement cool et est venu nous voir lorsque nous avons joué à Londres en 1991. Comme Steven Severin de Siouxsie and the Banshees, et John Peel, qui nous avait déjà envoyé une carte postale de fan quand il a reçu l'album Case Histories via le réseau de distribution radio Rockpool, qui à l'époque envoyait des albums aux stations de radio des États-Unis et à la BBC, une aide considérable dans la promotion de notre musique.
Je ne me souviens pas vraiment de Sub Pop, je pense qu'ils nous ont payé une somme forfaitaire et environ 50 exemplaires du disque. Je ne sais pas combien de singles ont été pressés au total, mais c'était plutôt chouette.
Je pense qu'une partie de ce résultat est dû à la musique différente que j'ai assimilée en travaillant dans un magasin de disques pendant de nombreuses années. J'ai fait les samples sur le morceau 'Dominant Man' à partir d'un disque de jazz avec un nouveau clavier d'échantillonnage cool que Scott avait acheté. Nous aimions toutes sortes de musique et nous mélangions tout ensemble pour voir jusqu'où nous pouvions aller tout en restant bizarre. Scott a aimé cette émission de télévision "Get A Life" qui avait une chanson thème de R.E.M et il a fait RU-486 et m'a demandé de lui donner un titre et de chanter dessus. Je n'aimais vraiment pas R.E.M à l'époque, j'ai fait les paroles sur la pilule abortive et j'ai essayé de la rendre aussi féministe et subversive que possible. C'était donc en quelque sorte notre processus - rendre les choses aussi extrêmes que possible, dans n'importe quel style.
* Raconte nous l'histoire de "Story of Isaac", cette reprise incroyable, sublime et inattendue d'une chanson folk de Leonard Cohen ?
Un ami m'avait envoyé cette chanson sur une bande de mix des années auparavant. J'ai vraiment aimé l'aspect anti-chrétien et anti-maltraitance des enfants des paroles. Scott a ajouté la guitare et les effets sonores. Cela fonctionnait vraiment bien, et ma voix ressemblait beaucoup plus à celle d'un enfant qu'à celle de Leonard Cohen !
* Sur le dernier album "Beast of Dreams" il y a de nouveaux sons, des influences orientales, une nouvelle évolution, une sorte de mélange des premiers albums et de "Destroy me, lover" ?
J'étais vraiment dans le jazz à ce moment-là et j'avais même joué un concert de jazz avec un pianiste ami à moi. Je commençais à m'intéresser à la musique de films, comme Invitation. Si vous écoutez attentivement, vous pouvez entendre que Scott et moi sommes en quelque sorte séparés l'un de l'autre au niveau de l'enregistrement. Ses "bidouillages" noise ne m'incluent pas vraiment, et ma voix devient de plus en plus belle, plus celle d'une chanteuse, plus inspirée par toute la musique du monde que j'avais écoutée et collectionnée, et aussi de plus en plus obsédante. Je pense que c'était un beau final pour tous nos enregistrements musicaux.
* Pourquoi le groupe s'est-il arrêté après « Beast of dreams» ?
J'ai déménagé à New York un mois après la sortie de l'album, et personne ne s'attendait plus à ce que nous revenions en tournée ou que nous fassions de nouveaux disques. Nous étions arrivés en quelque sorte au terme de notre parcours.
* Que gardes-tu en priorité de ces 10 années d'expérience avec Pain Teens ?
C'était vraiment très amusant, j'ai appris les techniques d'enregistrement, j'ai pu voyager aux États-Unis lors de quatre tournées et faire un court voyage en Europe, (ce que j'ai aussi fait avec The Moonlighters plus tard, en tournée en Allemagne quatre fois). J'ai rejoint Scott parce qu'il était déjà établi et avait une esthétique similaire, ce qui est difficile à trouver, et je voulais être chanteuse. Je me suis bien amusée mais je travaillais dur, et travailler au magasin de disques en même temps m'a permis de participer à la construction d'une scène musicale pour notre communauté artistique à Houston, ce qui était extrêmement difficile car la ville est si étendue et avait très peu de médias publics à l'époque. Il y avait deux stations de radio, KPFT et KTRU, qui diffusaient de la musique locale et de la musique expérimentale, et quelques magazines hebdomadaires gratuits qui mentionnaient la musique locale, mais le grand public ne savait pas fondamentalement que la scène musicale underground à Houston existait même pour l'essentiel. Quelques groupes comme King's X avaient percé, mais le reste d'entre nous jouions principalement pour nos amis, c'était très underground.
Ce que les grands labels ont fait, c'est de détruire tous ces groupes alterntifs qui étaient énormes à notre époque, ou du moins d'essayer de les détruire, parce qu'ils étaient en concurrence avec ceux signés par les grands labels. Quelques-uns comme Nirvana et Pearl Jam sont devenus énormes, mais finalement la plupart d'entre eux se sont effondrés beaucoup plus tôt qu'ils ne l'auraient probablement fait. Des groupes comme Melvins ont survécu, mais Jesus Lizard, Babes In Toyland, Foetus, Godflesh, Helmet...ont juste été utilisés comme simple premières parties pour des groupes qui auraient dû ouvrir pour eux. Les majors ont ainsi réussi à détruire et à écraser les groupes alternatifs et la scène musicale indépendante que nous avions créée à l'époque où Pain Teens s'est séparé (...).
* Les textes et les pochettes participent volontiers à l'image de Pain Teens : pour les textes j'ai l'impression que les thèmes abordés sont une sorte de psychanalyse de la société et des gens comme si vous exploriez en auscultant le côté obscur caché des individus et de la société ? Une sorte d'exorcisme ? Un peu de provocation aussi ?
Oui, tu as tout à fait raison. Nous avons trouvé de la fascination dans la folie et avons essayé de découvrir les origines du côté obscur de notre culture. Pour moi, j'ai trouvé que c'est un cycle dans lequel les gens sont maltraités et le perpétuent ensuite sur les jeunes une fois qu'ils ont le pouvoir. C'est un héritage horrible de l'esclavage, de la misogynie et de tous les autres maux de l'Europe coloniale et de la religion, nous l'avons donc biaisé de toutes les manières possibles et avons essayé d'humaniser les victimes. Je recommande vivement le documentaire "Annihilate all the Brutes" de Raoul Peck si ce sujet vous intéresse davantage.
Mon moment préféré de nos différentes tournées a été lorsque Pain Teens a joué au Festival Tegen Tonen à Amsterdam, en février 1991. Quand nous sommes arrivés, j'ai découvert à ma grande joie que mon groupe préféré, Terminal Cheesecake, de Londres, figurait également à l'affiche! J'ai pu voir leur concert et aussi être la seule personne à écouter leur soundcheck. Ils ont joué au Paradiso et à la vieille église, dans la salle du choeur à l'étage. J'aurais aimé que Pain Teens puisse jouer là-bas, car nous avons joué dans la salle principale et c'était beaucoup trop grand (...). Terminal Cheesecake avait l'air incroyable, et ils étaient modestes et humbles. Je leur ai dit plus tard qu'ils avaient donné des coups de pied au cul, et ils ont répondu: "Non, nous sommes britanniques, nous ne pouvons pas botter le cul !!."
* Qu'as-tu fait entre Pain Teens et les Moonlighters?. Je sais que tu as enregistré un morceau (2) avec Melvins ? Comment as-tu rencontré ce groupe culte ?
Jim Thirlwell du groupe Foetus m'a dit qu'il était invité par les Melvins pour chanter sur un titre de leur album et que chaque morceau aurait un chanteur différent, tous en tant qu'invité. Je lui ai dit de leur demander si je pouvais participer, et à ma grande surprise, Buzzo (le chanteur/guitariste des Melvins) m'a appelée et on est devenu copains. Ensuite, ils m'ont envoyé un délire de 9 minutes ! Mais je pense que je me suis plutôt bien débrouillée avec ça au niveau du chant et que cela s'accordait avec l'ambiance à la fois sombre et amusante qui colle aux Melvins.
(A SUIVRE)
(1) Evidemment il y a aussi quelques groupes/artistes plus connus issus du Texas tels ZZ Top, Pantera, Janis Joplin voire At the drive in ou Dirty Rotten Imbeciles
(2) morceau " The Man With the Laughing Hand Is Dead" sur l'album "The crybaby"
Vous pouvez retrouver Bliss Blood sur Bandcamp :
https://blissblood.bandcamp.com/
(2) morceau " The Man With the Laughing Hand Is Dead" sur l'album "The crybaby"
Vous pouvez retrouver Bliss Blood sur Bandcamp :
https://blissblood.bandcamp.com/
Interview réalisée par mail en avril et mai 2021
Merci à JeHanne pour le coup de main concernant les "problèmes" de traduction et la relecture.
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