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jeudi 6 mai 2021

David Crosby: If I could only remember my name

C’était une époque bénie, la camisole qu’est le dogme catholique ou chrétien relâchait son étreinte sur l’occident, sans qu’aucune prétendue loi divine ne vienne la remplacer. Après qu’Elvis eut libéré les corps, le rock se mit à libérer les âmes. Pris dans un trip génial, Mike Bloomfield enregistra le riff d’east west. Jusque-là, le guitariste reproduisait les complaintes des damnés de l’Amérique, les cris de douleur des grands misérables noirs. Le LSD faisait décoller ses complaintes trop réalistes, ouvrait les portes d’un nouvel éden.

Lors d’un passage du Butterfield blues band en Californie, c’est toute une génération de chanteurs folk idéalistes qui se convertit à ce blues hypnotique. Parmi eux se trouvait le groupe de Janis Joplin , le Jefferson airplane , Quicksilver messenger service , le Grateful dead … Cette génération avait adopté cette musique comme une révélation , elle lui porta la dévotion qui lui permis de sortir une série d’œuvres intemporelles. En voyant la jeunesse se dévouer à ce qui ressemble de plus en plus à une religion païenne , les partisans des vieux dogmes durent penser que cette folie ne durerait pas. Pour eux, tout homme athée se retrouve dans la situation d’une brebis égarée au bord du précipice, il subit l’angoisse de sa mort inéluctable.

Ils ne comprirent pas tout de suite que cette musique prenait la place de ce qu’il nommait dieu, elle détournait l’homme de ses angoisses existentielles. La pop fut tout et, au sommet de la grande cathédrale du rock Californien, une sainte trinité finit par s’imposer. Celle-ci devint Saint quatuor lorsque Crosby Still and Nash adoptèrent Neil Young, "déjà vue" allait devenir son évangile. Lorsque les cadres d’Atlantic virent débarquer quatre des plus grandes pointures de la pop moderne, ils leur laissèrent une liberté totale. Lors de la sortie de Déjà vu, un constat s’imposait, cette œuvre portait le soleil chaleureux du rock Californien à son Zénith. Les chœurs surpassaient la symbiose fabuleuse de the Mamas and the papas , les refrains avaient la légèreté irrésistible des plus grands tubes des Beatles , il se dégageait de ce disque une beauté sereine dont on ne peut se lasser.

Peu de temps avant son enregistrement, David Crosby a perdu sa petite amie dans un accident de la route. Quand il apprit son décès, il entamait les séances de ce qui allait être son premier album solo.

« On ne fait pas son deuil , c’est le deuil qui nous fait. » disait Léon Bloy. C’est exactement ce qui va se passer sur « If I can only remember my name ». Après avoir appris le drame, David Crosby vécut comme un homme plongé dans un océan de douleurs, s’appuyant épisodiquement sur le fond qu’il touche pour remonter à la surface. Alors, forcément, la musique se fait l’exutoire de sa douleur.                                                                               

La souffrance devient nostalgie, la légèreté hédoniste de l’ex leader des Byrds se meut en une gravité d’illuminé athée. Derrière Crosby , Neil Cassady du Jefferson Airplane et Jerry Garcia du Grateful Dead sont venus poser leurs instruments sur ses lamentations lumineuses. Du coté des chœurs, Neil Young , Joni Mitchell et Grace Slick forment une harmonie éblouissante , qui semble ramener l’auditeur au paradis perdu.

Dès l’ouverture, cette harmonie chante le slogan d’une génération magnifique « music is love ». Le refrain a la force d’une procession, la mélodie donne à la folk une ampleur mystique qu’elle n’a jamais eu. Derrière des ballades telles que laughlin ou music is love , un nouvel absolu semble se dessiner , celui d’un dévot du folk rock ayant atteint le sommet de sa transe spirituelle. Avec son mojo tout en puissance contenue, un titre comme « what are their name » semble rivaliser avec les plus beaux blues apaches du crazy horse.

Et puis il y’a la voix de David Crosby, fleuve limpide coulant au milieu d’une forêt chatoyante. Poignante sans verser dans le sentimentalisme forcé, nostalgique sans ressasser la douceur un peu niaise des Byrds , If I could only remember my name est l’œuvre d’un artiste touché par la grâce. En guise d’apothéose mystique, Crosby transforme le carillon de Vendôme en grande communion vocale.

Aujourd’hui, cet album est classé second meilleur disque de tous les temps par l’osservatore romano , qui n’est autre que le journal officiel du Vatican. Avec une telle œuvre l’homme semble vraiment « dépasser dieu comme il a dépassé le singe ». Sorti en 1971, ce disque restera un des plus grands monuments érigés par une génération pour qui la pop fut une religion sans dogme.            

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