Dans les studios d’Atlantic , Crosby et Nash ont enfin convaincu Stephen Still de reprendre contact avec Neil Young. Ce dernier n’avait pas encore pardonné au canadien d’avoir si brutalement quitté le Buffalo Springfield, mais sa nouvelle formation avait besoin d’un musicien supplémentaire. Stephen propose donc à son ex partenaire de le rejoindre dans le studio de Crosby Still and Nash. Pour limiter les tensions liées au caractère du Canadien , Still lui propose de ne rejoindre le trio qu’après son set acoustique. Sans surprise, Neil refuse ce travail de fonctionnaire, il ne rejoindra le trio que si son nom apparait à côté de ceux des autres musiciens. Non content d’imposer sa place dans cette union d’élite, le loner exige aussi de pouvoir continuer ses activités en solo et avec le Crazy horse. Pris de cours, Crosby Still and Nash sont obligés d’accepter toutes ces conditions avant d’entrer en studio.
Alors que les premières séances d’enregistrements démarrent , le nombre de précommandes du premier album de Crosby Still Nash and Young bat déjà des records. L’enregistrement est pourtant interrompu pour que le groupe puisse participer au festival de Woodstock. L’événement devait être payant mais, dépassés par l’invasion d’une horde de spectateurs bien plus importante que ce qui était prévu, les organisateurs n’ont pas réussi à contrôler les entrées.
L’organisation fut d’ailleurs désastreuse, le retard de plusieurs artistes obligeant le chanteur folk Ritchie Havens à improviser pendant de longues minutes. Affamée par un ravitaillement défectueux, privée de tout confort, cette foule vécut tout de même la plus grande communion musicale de l’histoire de l’humanité. Woodstock fait rêver parce que notre époque est devenue trop médiocre pour espérer revoir une chose aussi belle. Si un organisateur tentait une telle expérience aujourd’hui, il serait trainé devant tous les tribunaux pour le volume trop élevé de sa sonorisation, l’absence de sanitaires et de nourriture, si la présence d’une espèce protégée sur place ne lui vaut pas une plainte pour « écocide ». Une tentative de ressusciter ce festival fut d’ailleurs organisée dans les années 90. Profitant de la liberté laissée par les organisateurs, le public s’était laissé aller à un déchainement de violence. Le festival dont l’hymne était paix et amour était devenu un enfer de viols et de haine.
1969 fut la seule année où la musique était assez somptueuse pour faire communier une telle foule. Pourtant, comme Bob Dylan, Neil Young a vite compris qu’un tel événement est dangereux pour la carrière de ses protagonistes. De Janis Joplin à Canned Heat , d’Alvin Lee à Jimi Hendrix , tous seront avant tous les « héros de Woodstock » , et ce au détriment de leurs œuvres. Pour Crosby Still Nash and Young , le drame était plus profond. De par leur passé, ces hommes représentaient l’âge d’or du rock Californien, ils étaient les Beatles d’Amérique. Voilà pourquoi, malgré une prestation catastrophique, le quatuor fut acclamé par une foule qui le vénérait. Woodstock a ainsi été le point d’orgue en même temps que l’arrêt de mort de CSNY. Neil Young refusait de rester le doudou de cette foule de futurs nostalgiques, il ne voulait pas devenir un symbole du passé.
De retour au studio Atlantic, Crosby Still Nash and Young bouclent les sessions de l’album Déjà vu , qui sort enfin en mars 1970. Cet album est une œuvre dépassée par son époque, le symbole d’une nation de Woodstock qui disparaît déjà. Sur la pochette, la photo de ces musiciens a le charme de celles exposées dans les musées. Elle célèbre une époque qui semble déjà disparue. En ouverture, carry on atteint la symbiose que cherchaient les grandes communautés hippies de San Francisco. On retrouve sur ce titre l’idéalisme de « the time they are changin » , marié à la douce innocence des Byrds.
Il est impossible de représenter l’idéalisme hippie sans parler du Vietnam, symbole d’un impérialisme américain devenu fou. « Almost cut my hair » lance donc sa diatribe pacifiste sur une chevauchée électrique digne du Crazy horse. On retrouve ici l’agressivité lyrique et le swing nonchalant que Neil Young sera bientôt le seul à incarner.
C’est d’ailleurs le canadien qui fait redescendre la pression avec la country folk d’helpless. L’intensité sonore devient une intensité émotionnelle, les gémissements du violon souligne la tendresse d’un refrain poignant. Comme beaucoup de grandes œuvres du Loner , helpless ménage ses effets pour réduire au maximum la distance entre l’auditeur et les musiciens. Avec cette complainte épurée, Neil annonce ses plus belles heures de troubadour country folk. Après une émotion aussi intense, l’optimisme léger de « Woodstock » permet à l’auditeur de souffler un peu.
Sur un riff digne de Keith Richard , « Woodstock » célèbre la grandeur d’un événement historique. Déjà vu ne se contente pas de pleurer une époque perdue, il la sublime et s’affirme comme l’aboutissement de son œuvre. Une bonne partie de ce que l’on a appelé le California sound pousse ici son chant du cygne. David Crosby parviendra bien à retrouver cette beauté le temps d’un album, mais la douleur aura alors pris la place de la nostalgie rêveuse de Déjà vu. Rongés par les querelles d’égo et leurs peines personnelles, Crosby Still et Nash s’enfoncent progressivement dans la drogue. Méprisant la descente aux enfers de ces musiciens, qui semblent vouloir mourir avec les idéaux qu’ils représentaient, Neil Young est déjà prêt à mettre fin à l’aventure CSNY.
Un événement tragique va le maintenir quelques jours auprès de ce qui ressemble de plus en plus à une réunion de has been. Nous sommes en mai 1970 dans l’université de Kent, située dans l’Ohio. Les farces de l’ordre sont à cran, plusieurs manifestants radicaux sont venus bruler des constitutions sous leur nez, avant d’incendier un bâtiment situé à proximité. Les cognes ont alors sorti les triques, parvenant ainsi à disperser les troupes les plus radicales. Le lendemain de ces débordements , une troupe de manifestants pacifistes se réunit dans le jardin de la même université. Pacifiste ou radicaux , pour les policiers ça revenait au même … C’est toujours la même racaille rouge qui menace le pays des libertés et de l’oncle Sam !
Alors ils utilisèrent les mêmes moyens, chargeant les manifestants avec violence. Au début, cette méthode archaïque semblait marcher, mais un sit in parvint tout de même à s’organiser dans la cour de l’université. Se croyant au far west , le sergent Taylord sortit alors son pétard pour tirer dans le tas. Prenant cet acte pour un ordre , la section qui le suivait fit de même avec un enthousiasme remarquable de bêtise. En treize secondes soixante sept balles furent tirées sur cette foule désarmée, faisant ainsi quatre morts et neuf blessés.
Toutes les télévisions passaient ces images horribles en boucle,
inspirant ainsi à Neil Young un de ses titres les plus connus. Enregistré avec
Crosby Still et Nash , Ohio cible « Nixon et ses soldats de plombs »
dès la première phrase , ce qui lui vaudra d’être censuré sur de nombreuses
radios. Cette censure n’empêchera pas le titre de devenir un tube. CSNY se
dissout ensuite, peu de temps après avoir chanté la mort des idéaux qu’il
représentait.
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