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samedi 19 juin 2021

Neil Young : After the goldrush

 


Cette fois , Crosby Still Nash and Young est bien mort. Officiellement, Neil Young s’est juste absenté le temps de produire son troisième album solo, mais l’homme n’est pas du genre à rentrer au bercail quand sa muse le mène ailleurs. Il s’enferme donc dans son studio avec le Crazy horse et Neil Lofgren. Ce dernier n’est pas encore le guitariste au sourire sympathique que popularisera le E Street band , mais juste un musicien de studio inconnu du grand public. Alors que l’homme était jusque-là engagé pour ses talents de guitariste , Neil Young lui demande de se charger du piano, instrument qu’il ne maitrise absolument pas.

Et c’est justement ce que cherche le loner , l’innocence du débutant , la simplicité touchante de celui qui semble découvrir son instrument. After the gold rush s’ouvre sur tell me why , un country folk sentimental qui n’est pas sans rappeler un autre grand troubadour populaire. Depuis John Whesley Hardin , Bob Dylan se détend lui aussi dans les décors bucoliques de la country renaissante. Neil est plus mélodique que son alter égo New Yorkais, son sentimentalisme offre une nouvelle douceur à une rythmique que n’aurait pas reniée Johnny Cash.  

Neil Lofgren fait ensuite des merveilles sur after the gold rush (le morceau) , parvenant à annoncer le lyrisme théâtral qui fera la grandeur de Bruce Springsteen. Dans ce bain grandiloquent, la voix de Neil Young laisse s’épanouir toute sa sensibilité. Pendant des années, les producteurs voulurent cacher ce hululement de vieux loup blessé. Neil Young , comme Bob Dylan , n’a pas une « belle voix » , dans le sens où celle-ci tranche trop franchement avec la douceur de la pop pour ne pas choquer l’oreille. Ces intonations ont leurs propres codes, leurs propres caractères, qui se dévoilent ici dans toute sa splendeur. Cette voix, c’est le cri d’un homme qui faillit perdre la vie alors qu’il n’avait pas dix ans. On a l’impression que cet écorché vif ressent tout plus intensément que le commun des mortels.

Quelque minute plus tard, quand le Crazy horse le ramène sur le sentier de la guerre, ses lamentations deviennent de redoutables condamnations. Southern man le voit ainsi renvoyer le sud-américain à son passé esclavagiste et à ses déviances racistes, il cite les croix de feu du Klan comme autant de symbole d’un passé dont les sudistes porteront toujours la honte. Derrière lui, le groupe de Danny Whiten tricote un swing d’apache perdu en plein far west , un  groove voodoo portant la colère de tous ces martyrs de l’Amérique. 

A cette charge succède till the morning come , courte comptine folk dont les chœurs rappellent les bluettes légères de Crosby Still Nash and Young. On retrouve ensuite une folk plus sophistiquée sur Oh lonesome me. L’harmonica joue un blues poignant, le piano souligne discrètement un slow dirigé par une rythmique nonchalante. Ce titre représente le blues des campagnes, c’est Blind Willie Johnson jouant son spleen mystique en compagnie des Byrds, le tout culminant sur des chœurs sur lesquels planent encore l’ombre des grandes chorales californiennes.

Avec after the gold rush , Neil Young crée une beauté hybride. Léviathan gorgé des rythmiques sèches du blues, de la simplicité poignante de la folk, du charisme bucolique de la country, cette force émouvante fait rayonner sa voix d’écorché vif. Reconnaissant dans ce lyrisme la splendeur un peu nostalgique de Déjà vu, le grand public ne tarde pas à se ruer sur ce after the goldrush.

Cet album réinvente ce que Crosby Still Nash and Young n’ont pu que célébrer une dernière fois , il offre une nouvelle vie à une musique que l’on croyait morte sous les coups des grands drames de la fin des sixties. After the goldrush devait être la bande son d’un film que Neil Young voulait réaliser. Le long métrage ne verra jamais le jour, ce qui ne fait qu’augmenter la grandeur de ces mélodies.

Avec les royalties engendrées par les ventes astronomiques de after the gold rush , Neil Young achète un ranch qu’il renomme broken arrow. C’est à partir de cette date que l’histoire fait place à la légende.          

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