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dimanche 22 décembre 2019

Lou Reed : New Sensations


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« Le moindre geste humain se comprend à partir de l'avenir; même le réactionnaire est tourné vers l'avenir puisqu'il se soucie de préparer un futur qui soit identique au passé. » Sartre.
Et voilà , je recommence avec mon affrontement entre vieux et nouveaux , immobilisme traditionnel et futilité moderniste. C’est que, en musique, cette séparation me parait absurde, chaque artiste se devant de se nourrir de ce qu’il l’a précédé, pour inscrire son œuvre dans le marbre de la postérité.

Et pourtant, je ne dirais jamais assez de mal des années 80, consécration d’un modernisme devenu fou, triste dépotoir ou les conseillers marketing étouffèrent tout ce que la musique avait de beau. On ne va pas reprendre le récit misérable de cette dystopie pop, elle est déjà assez irritante sur tous ces albums sonnant de la même façon.

Que peut faire Lou Reed à une époque qui crée ses propres œillères ? Comment peut-il survivre alors que la colonne vertébrale de son œuvre est le rock ? Ecoutez bien tous ses disques , du premier album à celui-ci , tous célèbrent ce rythme rugueux qui fit le vrai rock n roll. On exclura juste Berlin , grandiose requiem allant bien plus loin que le simple rock n roll , et la cacophonie metal machine music.

Pour le reste , les preuves de la pureté de ce rocker sont présentes dès les premiers riffs du velvet, et jusqu’au beat irrésistible de « I love you sweet suzanne ». Premier titre de « new sensation » , il choque par son coté commercial , porté par une boite à rythme très présente. Ne vous leurrez pas , Lou n’a pas décidé d’entrer dans la catégorie grandiloquente des clowns funestes que sont devenus Bowie et Springsteen après le succès de Let’s dance et Born In the USA , sans oublier les gesticulations risibles de celui qu’on nomme déjà « king of pop ».

A une époque célébrant l’artificiel et le tapageur, Reed balance un tube simplissime, où la boite à rythme est le cheval de Troie, chargée de faire pénétrer le rock n roll dans une pop corrompue. « I love you suzanne » plonge ses racines dans les disques de la motown , c’est le patron montrant aux jeunes l’essence d’une énergie orgiaque inépuisable.

Lou Reed , c’est Jekyll et Hyde en même temps , la subversion des premiers rock n roll servi par un poète à la prose fascinante. Si la production léchée tourne la page de ses riffs métalliques, si les textes plus apaisés semblent tuer le dandy décadent sous les coups de l’homme mur , pendant que les chœurs emmènent les refrains vers des sommets spirituels, cette sagesse est un leurre.

Lou sait qu’il est désormais le maître d’un navire que tous semblent abandonner et, au fond, new sensation est fait du même bois que ses classiques électriques.

 Rien n’est jamais tout rose dans son esprit , la violence y côtoie le romantisme, au rythme d’un chant parlé, qui ressemble à la réincarnation des grands poètes et romanciers.

L’amour, célébré sur Cosney Island Babie , lui inspire ici une désillusion violente. Cette désillusion qui l’amène à enchaîner les baignes sur le visage délicat de sa bien aimée, le tout chanté sur une mélodie que n’aurait pas renié le Petty des débuts. « I’m sorry » lâche t’il, sur une complainte bien éloignée de la froideur du narrateur de Berlin. « Turn to me » termine la série amère, en assurant qu’il sera toujours le seul vers qui cette femme pourra toujours se tourner, le tout sur un rythme stonien laissant les chœurs gospels transformer le refrain en prière désespérée.

Le morceau titre semble le mettre dans la peau de Marlon Brando dans l’équipée sauvage , ou du captain america d’easy rider. Attaché à sa moto, Lou Reed se rêve en vagabond solitaire, écoutant de la musique country en causant avec les indigènes. C’est l’éternel cri de révolte de celui qui ne se reconnaissent pas dans ces « gens négatifs », et enfourche sa moto comme on prenait autrefois la mer , pour se sentir enfin vivant. Le tout sur fond de rock n roll mélodique.

Mais sa liberté, Reed la trouve surtout dans la culture , saluant Scorcese et le thêatre sur « doin things that we want to ». Là , les chœurs se font plus nerveux , la rythmique plus enjouée , avec toujours ce feeling post stonien, pour célébrer la puissance émancipatrice de ce rock dont Lou est devenu la nouvelle réincarnation.

Puis il a de nouveau le blues , et se désespère de la vie solitaire du chanteur en tournée, lourd tribut d’une gloire qui , pour lui , fut toujours relative. Nommé « what become a legend most » , son rythme de valse pop rappelle « street hassle », la grâce poétique ayant remplacé la violente noirceur de son ancien classique. 

La fascination morbide de l’animal rock n roll n’est jamais loin, et trouve encore une expression vibrante sur « fly to the sun ». La mort ? Il la décrit comme un moyen de fuir la souffrance, affirmant qu’il ne fuirait « ni devant la bombe ni devant l’holocauste », pour « voler jusqu’au soleil ». La mélodie est encore une fois superbe, avec cette voix, qui parle comme celle qui semble vous raconter une histoire, quand vous vous plongez dans un grand roman.

Dans le roman Reedien , le rock n roll n’est jamais loin , comme ses grands espaces chers à Kerouac.  « my friends John » est d’ailleurs le second meilleur rock du disque (juste après I love you suzanne), porté par un beat implacable.

Loin du junkie qu’il fut, high on the city montre un Reed apaisé , à la recherche de plaisirs sains, le tout sur une mélodie désuète, ouvrant la voie à la légèreté entrainante de « down at the arcade ». Ce rêvant en héros de jeu vidéo, Lou achève le disque comme il a commencé, par un rock n roll donnant la fessée à tous ses contemporains.

Aujourd’hui , ceux qui n’ont pas oublié ce disque le regarde de haut , lui reprochant de resservir la même formule sous un vernis eighties. Mais c’est justement la grandeur de ce disque et, alors que le rap et l’électro commence à balancer leurs soupes fades , alors que le heavy metal enchaîne les notes à une vitesse maladive , laissant le groove mourir sous ses mitraillages abrutissant , Reed rappelle que le rock est avant tout une affaire de swing.       


     

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