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mercredi 8 juillet 2020

Jack White 8


Une foule d'invités est de nouveau réunie devant le third man studio. Une pancarte annonce un événement exceptionnel, le vinyle le plus rapidement enregistré du monde sera pressé ce soir. Cet album immortalisera une des premières prestations de Jack White en solo , et on entend déjà le bourdonnement des machines, derrière le mur séparant la salle de concert du studio. Vêtu d’un costume bleu , Jack se présente accompagné d’un groupe exclusivement féminin. Nommé « the peacock » , la formation représente le coté le plus apaisé de sa musique. Les mélodies s’enchaînent , la pop se marie de nouveau avec la chaleur du bluesgrass , et on aurait bien écouté ce groupe des heures, si le maître de cérémonie n’avait annoncé l’entracte.

Il revient donc avec un autre groupe, entièrement masculin, et s’embarque dans la partie la plus tendue du show. Le changement de décor est radical, ce second acte est un déluge dévastateur , l’éternel retour à la fougue de Détroit. Entre les mains nerveuses de ce nouveau groupe , cut like a buffalo est désossé, pour n’en garder que la puissance schizophrène de son riff sanglant, « my dorbell » devient un rock destroy digne des pires sagouins punks.

En un peu moins d’une heure, plusieurs exemplaires du live sont pressés , et vendus à une foule ravie. Encore distribué aujourd’hui , le live at third man est un vinyle hautement recommandable , il immortalise la naissance du Jack White post white stripes. Coup de maître, qui lui permet aussi de faire la promotion de ce vinyle qu’il considère comme « l’avenir de la musique », ce concert est suivi d’une nouvelle période de discrétion.

Neil Young vient toutefois visiter le studio de ce savant fou de la musique enregistrée, et y grave un disque moyen. Peu importe sa qualité , la rumeur entretenue par l’annonce de l’enregistrement de « a letter from home » permet à Jack de rester dans le coup. Ce genre de coup de communication lui permet de soigner sa prochaine sortie, tout en entretenant sa notoriété. Fruit de plusieurs mois de travail, Lazaretto  sort donc dans le meilleur contexte possible. Le disque est une nouvelle fois promu grâce à la puissance d’un riff , celui de son morceau titre.

Envoyé en avant-première, Lazarreto est doté d’un riff chromé, qui semble annoncer le futur de la guitare électrique. C’est Hendrix plongé dans un décor de science-fiction, le beat urbain remplaçant le jungle beat. Il montre surtout un disque qui s’inscrit dans la droite lignée de blunderbuss , un homme qui parvient à maîtriser sa nouvelle inspiration sans atténuer sa fraîcheur.  En poursuivant cette voie , Jack White espère encore que d’autres exploreront ces décors inédits , mais encore une fois la vague ne se soulèvera pas.

On peut le regretter, mais cela n’enlève rien à la grandeur de ce disque. Après tout, parvenir à prolonger le chemin tracé par blunderbuss avec autant de brio est déjà un exploit qui mérite d’être salué.  D’autant que cette réussite encourage Jack à reprendre en main un autre projet, les dead weather.

Artiste assez discret depuis quelques années, le voilà qui nous gratifie de deux disques en moins de deux ans. C’est que Blunderbuss a annoncé le début d’une période de clarification, un moment fondateur où Jack définit ce que sera la suite de sa carrière.

Il est donc logique qu’il rectifie la trajectoire des dead weather, ce groupe qui semblait chercher sa voie sur « sea of coward ». Dodge and Burn sort donc en 2015 , et s’affirme vite comme le road trip malsain qui fixe le son du groupe.

On retrouve ainsi cet electro rock glauque, parcouru par les ambitions modernistes de son batteur. Le disque doit surtout sa grandeur à la grande forme d’Allison Mossart , dont les hurlements macabres n’ont jamais parus aussi séduisants. Les chœurs la rejoignent parfois, le temps de refrains qui sont autant de clins d’œils fait aux radios. Entre pop malsaine, rock primaire flirtant avec la sauvagerie d’un Ty Segall , et rap rock conquérant, dodge and burn est le disque d’un groupe qui assume ses rêves de gloire.

Le résultat, sans atteindre le niveau des albums solos de Jack, est une réussite enthousiasmante.

Aujourd’hui , Jack White est devenu un explorateur incompris. Sorti en 2018, boarding house reach a été vu comme l’égarement d’un artiste perdu dans ses ambitions avant-gardistes. On a refusé de comprendre que cette folie robotique était le grand aboutissement des deux disques précédents. Ce barnum synthétique, c’était une nouvelle tradition poussant ses premiers cris , l’équivalent moderne de la déflagration des sixties.

Le succès du dernier album des raconteurs , sorti un an plus tard , montre cet immobilisme contre lequel Jack White doit en partie lutter. Le public tient à sa zone de confort, et un disque comme help us stranger sera toujours plus salué que l’originalité de son dernier album solo. Ces deux facettes de sa musique sont primordiales, mais espérons que l’une ne finisse pas par prendre le pas sur l’autre.   

lundi 6 juillet 2020

Jack White 7


Boarding House Reach: Jack White, Jack White: Amazon.fr: Musique

Sea of coward sort quelques mois seulement après horeround , s’inscrivant ainsi dans une continuité que l’hyperactif Jack White n’avait plus montré depuis des années. Nous sommes en 2010 et, alors que le disque sort, le public n’a d’yeux que pour under great northern light. Premier et seul live des White Stripes , l’enregistrement permet aux fans de croire au retour d’un groupe de plus en plus discret.

Si cet engouement éclipse la sortie de Sea of coward , on ne peut réellement regretter que ce disque soit passé aux oubliettes. En prolongeant le rock macabre de horeround , sea of coward en a émoussé le tranchant. Le groupe est désormais bien en place, chacun a pris ses marques , et les vieux réflexes tuent l’originalité de sa musique. Premier fautif, Dean Fertita a pris ses aises, et sa guitare prend largement le pas sur les décors sombres mis en place par le synthé.

Résultat, dans ses moments les plus violents , les dead Weathers ressemblent presque à ces groupes, qui réadaptent le heavy rock de black sabbath. Dans les passages plus posés, seule la voix caverneuse de Mossart empêche blue blood blues ou die by the droop de rejoindre le rang des puristes du heavy blues.

Seule la jam electro rock de « I’m mad » renoue avec les décors fascinants de horeround. Le titre nous fait redécouvrir ce mysticisme violent, la voix de Mossart entre dans un chaos électrique cauchemardesque, un blues de démon. Pour le reste, le groupe rentre dans le rang, accentue ses riffs bluesy pour rassurer la masse, et se met ainsi au niveau d’une concurrence qui ne lui arrivait pas à la cheville.

Hors , ce passé semblait enfin derrière nous , et tous voulaient encore croire que le rock populaire et frais représenté par Jack White n’était pas mort. C’est pour cela que under great northern light a éclipsé sea of coward . Le premier représentait le triomphe d’un groupe ambitieux, alors que le second sonne comme un aveu d’impuissance.

Le désastre que tous redoutait finit tout de même par arriver en 2011 , lorsque la séparation des whites stripes est officialisée. Le groupe était le dernier à représenter le rock au sommet des ventes, la dernière tête d’affiche d’une culture qui commence à s’enterrer. Sans eux, le rock avance comme un canard sans tête, les groupes se multiplient mais leur popularité reste limitée.

Paradoxalement, la fin du succès des White Stripes est aussi une libération, elle permet à Jack White de repartir de zéro. C’est ainsi qu’un tube venu de nulle part envahit les radios et chaînes musicales , que les bars diffusent ce nouveau riff avec le même enthousiasme que seven nation army ou Steady as she goes. Jack semble être le dernier à pouvoir pondre un riff pareil, une telle décharge transmettant le rock à une nouvelle génération.

Sixteen saltine est le riff qui ouvre cette nouvelle décennie, un swing urbain ultra moderne, le blues du futur. Son énergie irrésistible permet à blunderbuss d’être apprécié à sa juste valeur, il permet à ce premier essai novateur d’obtenir des ventes plus qu’honorables. Lassé de voir le rock ressasser son passé, tout en s’étonnant de regrouper un public vieillissant, Jack White réinvente les vieux repères.

Freedom at 21 et take me with you when you go donnent une nouvelle jeunesse au psychédélisme. La country devient un spleen urbain, une pop bardée de violons accédant à une nouvelle jeunesse. Même le blues hypocritical kiss est soutenu par un beat effréné, des percussions chromées montrant au hip hop ce que peut être la grandeur du groove urbain. Cette modernité, blunderbuss se la réapproprie, il accomplit un travail d’assimilation que le rock n’a plus effectué depuis les seventies. Symbole de cette régénération , « Weep themselve to sleep » est un spoken blues qui fait passer le rap pour un gargouillement de crétins attardés. Même « I’m shakin » , qui est une reprise d’un vieux rock n roll , sonne comme un tube capable de faire danser tous les gangsters de Harlem.   

Blunderbuss est aussi essentiel que le fut electric ladyland , il montre aux rockers un nouveau plan pour conquérir le monde. Rock du 21e siécle , pop chaleureuse réinventant son héritage , blunderbuss aurait dû être le début d’un raz de marée. Chacun aurait alors tenté de transcender cette fraicheur pop, reprenant à sa sauce cette modernité comme leurs ainés tentèrent de créer leur « revolver ». Mais notre époque n’a pas su créer ses Stones et autres Beach Boys , elle ne parvient pas à reproduire un foisonnement qu’elle ne peut que regretter.

Blunderbuss est donc la brillante base à partir de laquelle Jack White cherchera une formule capable de sortir le rock de sa léthargie. Le début d’une quête solitaire qu’il effectuera lui-même dans une relative discrétion.    



samedi 4 juillet 2020

jack white 6

Icky Thump

Même si ils sont au bord de l’implosion, les whites stripes restent très demandés , et les concerts se poursuivent à un rythme irrégulier. Du coup, Jack White passe de son duo phare aux raconteurs et , si les concerts déçoivent rarement , on attend avec impatience un nouvel album.

C’est logiquement les raconteurs qui mettent fin à deux ans de silence discographique. Enregistré dans l’urgence entre deux engagements, consoler of the lonely est bouclé quelques jours seulement avant sa parution. Résultat, la presse découvre le LP en même temps que les fans, ce qui ne lui laisse pas le temps de faire naître la rumeur sensée porter un disque au sommet des ventes.

Orné d’une pochette rendant hommage à sergent pepper , consoler of the lonely est l’œuvre la plus ambitieuse des raconteurs. Le disque lorgne du côté du hard rock baroque , une sorte de rencontre entre le bluegrass et led zeppelin III. La fougue venue de Détroit laisse place à des mélodies tolkenniennes, Jack White redevient le troubadour blafard de retour à cold Mountain. Ce disque a des airs de fresque épique, la beauté chaleureuse de l’étoile guidant le voyageur égaré.

Les chœurs se font plus apaisés, la musique développe un mysticisme qui semble sortie d’un autre âge. Même le blues top yourself semble sorti des caravanes transportant les premiers conquérants de l’Amérique. L’influence de Détroit a beau ressortir le temps de quelques riffs énervés , Salute your solution et hold up sont couverts de la même patine que les grandes mélodies de ce disque.

Rich Kid blues réinvente la poésie nonchalante de Lou Reed , alors que many shades of black s’inscrit dans la lignée des grandes bluettes pop anglaise. Ce disque est le concert de voyageurs ayant découvert le rock par hasard , et y injectent tout le mysticisme de leur temps. C’est une symphonie folk heavy rock dont « carolina drama » constitue le final lumineux.

Les raconteurs ne pouvaient en lâcher quelques bribes avant sa parution , elles auraient sonné comme les morceaux d’un édifice en construction. Ce disque ne comporte aucun tube, aucun titre capable de fédérer l’humanité autour de son énergie viscérale. Et c’est justement là que réside sa force, c’est un monolithe épique, une fresque musicale.

Après avoir redonné au rock une urgence qu’il avait un peu perdu , les raconteurs ressuscitait l’ambition artistique de son âge d’or.

Imaginé en 2001, le studio third man voit enfin le jour huit ans plus tard. C’est un grand jour et, alors que son nouveau groupe se prépare, Jack se sent comme le citoyen Kane lors de la fameuse scène du meeting. Seuls 150 chanceux sont invités à son triomphe, et il compte bien profiter de l’occasion pour dévoiler son nouveau projet musical.

Alors que les invités sont entrés dans la salle de concert de cet electric lady studio moderne, c’est Allison Mossart qui se présente face à eux. Chanteuse d’un duo de power pop , elle semble à des années lumières de l’univers de l’organisateur de l’événement , mais ses accompagnateurs rassurent tout le monde. Même si il participe désormais à l’âge d’or de Queen of the Stone Edge , Dean Fertita restera toujours un membre des raconteurs. Jack Lawrence vient lui aussi de cette formation, et le public n’a pas encore remarqué l’homme qui se place discrètement derrière la batterie.  Le clavier ouvre le bal sur un sifflement menaçant et moderne, un décor électronique qui tranche radicalement avec ce que Jack White proposait jusque-là.

Qu’importe, il ne semble pas décidé à se montrer, alors les invités se laissent embarquer par cette messe noire. Ouvrant le bal, Treat me like your mother redéfinit les règles du stoner rock, sa violence morbide faisant passer le magma sonore de Kyuss pour de la gadoue molle. Bourrée d’échos , la voix d’Allison Mossart entre dans un sabbat menaçant. Tout le premier disque de ce nouveau groupe est joué en avant-première et , alors que new pony réinvente le heavy rock de Black Sabbath, les spectateurs commencent à reconnaître le sauvage qui s’agite derrière la batterie.

Jack White a choisi ce poste pour se mettre en retrait , et redevenir un simple musicien d’accompagnement. Lors des sessions de « horeround » , il a laissé la majeure partie de l’écriture à ses collègues. Il découvre ainsi un univers qu’il n’aurait sans doute pas exploré seul, une musique qui élargit son horizon et nourrit ses futures productions.

La modernité de horeround guidera sa carrière solo, elle sera le filtre qui donnera à sa musique une seconde jeunesse. Le disque est bien plus qu’un simple moment charnière , c’est une création unique. Chaos electro stoner , electro rock heavy doté d’un mysticisme menaçant digne des doors , horeround est une création folle.

On a parfois l’impression d’entendre un Kyuss en plein bad trip, ou Kraftwerk ayant décidé de modernisé le heavy rock de Black Sabbath. On observe même un certain attrait derrière ce rock sombre et expérimental, une nouvelle vision du tube rock. Tout cela est contenu dans « cut like a Buffalo », une célébration démoniaque, un rock infernal qui aurait pu détruire la monotonie des classement musicaux.

Fait exceptionnel , alors que l’on est encore en train de décortiquer le charme noir de horeround , les dead Weather travaillent déjà sur son successeur.      

jeudi 2 juillet 2020

Jack White 5


The Raconteurs — Wikipédia

Nous sommes en plein été à Detroit, un été caniculaire particulièrement aride. La chaleur semble encore plus étouffante dans ce désert urbain, elle exprime le martyr d’une ville en pleine agonie. En cette année 2006, alors que les Whites stripes sont à l’arrêt, Jack renoue avec ses racines. Dans une cave, il jamme avec Brenda Benson, un musicien qui a aussi vécu les grandes heures de la nouvelle scène de Détroit, sans accéder à la gloire.

Benson embarque son ami dans un rythme à la Hooker , le genre d’inspiration qui prend possession de vos doigts sans que vous vous en rendiez compte. C’est un dialogue binaire qui se met en place, les notes menaçantes de Jack faisant doucement décoller les « boom boom » de son partenaire. Steady as she goes est à l’origine un titre de Benson , c’est lui qui imprima ce rythme qui fera bientôt chavirer les stades. Jack n’a plus qu’à faire décoller ce swing , comme à la grande époque de the go. On se demande d’ailleurs si Benson ne s’est pas inspiré de la simplicité des whites stripes, tant ce rythme entêtant semble rendre hommage à la simplicité de Meg.

Dans tous les cas, cette proximité entre les deux hommes n’est pas artificielle, c’est un des plus grands duos de compositeurs qui nait dans cette cave de Détroit. Cette première réussite incite le groupe à  convoquer d’autres vétérans de la ville , afin d’enregistrer le premier album des raconteurs. Broken Boy Soldier est construit par morceau , lorsque les emplois du temps des différents protagonistes leur permettent de se réunir. L’album sort donc enfin en 2006, et la notoriété de Jack White, alliée au riff de steady as she goes, permet à ce tout jeune groupe d’obtenir une reconnaissance mondiale.

Signe de leur ascension fulgurante, l’Europe et les Etats Unie sont déjà conquis, et le groupe y célèbre sa naissance, devant une foule comparable à celle qui se précipite aux concerts des white stripes.

Brocken Boy soldier est un disque bicéphale, il est marqué par les personnalités complémentaires de ses auteurs. « Steady as she goes » annonçait un retour au rock de Détroit, la renaissance du Heavy rock sulfureux que the go avait abandonné. Avec Hand et Broken Boy Soldier , steady as she goes forme un brasier qui rallume la flamme née au cœur de la motor city. L’énergie est la même, elle change juste de forme, elle s’affine au contact de la power pop de Benson. White/ Benson représente le retour de cette affrontement entre rock et pop, qui fit les grandes heures des Beatles. La sauce prend si bien que les idées se mêlent, et il devient difficile de deviner qui a écrit quoi.

Pour la légende, on aimerait attribuer à Benson la parenté des mélodies les plus envoûtantes, la splendeur douce de together et de hands, ou le refrain irrésistible d’intimate secretary. Il représenterait ainsi la face la plus apaisée du duo, un George Harrison développant sa musique dans l’ombre de son grand partenaire.  Mais arrive toujours le moment où un riff cinglant vient troubler la quiétude de ses ballades, où les chœurs se font plus puissants et la douceur plus fédératrice.   

Les trois derniers titres closent le bal sur une influence anglaise plus assumée. Yellow moon flirte avec les grandes heures des Kinks, et call it a day est un blues parcouru de chœurs pop , qui ouvre la voie au final blue vein. Ce final est un spleen mélodieux, un rock raffiné dans la ligné de « i want you (she's so heavy) ». On en revient encore au traumatisme d’Abbey Road , la fin d’un groupe qui représentait l’an 0 du rock contemporain. Si les raconteurs font référence à cette fin traumatisante, c’est pour signaler qu’ils s’inscrivent dans cette lignée. Ils se retrouveront donc régulièrement pour célébrer la rencontre entre la pop anglaise et le rock de Détroit. Pour l’heure, après une poignée de concerts , le projet disparaît aussi vite qu’il est né. Les raconteurs comblaient le vide laissé par la sortie de get behind me satan , il rassasiait un public avide d’électricité.  

La batterie entre dans une danse apache , rythme guerrier cherchant une nouvelle voie pour s’épanouir. Si les raconteurs ont servi de hors d’œuvre à une horde de mordus de férocité électrique , Icky thump s’apprête à les rassasier une dernière fois. Cela fait deux ans qu’ils attendaient le prochain album du duo, qu’ils espéraient un retour aux sources. Alors forcément, quand la batterie claque comme la hache sur le cou du condamné à mort , quand une guitare sanguinaire explose dans un déluge crasseux , tout le monde salue le retour du totem perdu. Cette puissance, c’est l’oasis au milieu du désert, la vibration attendue par une foule primaire.

Jack lui donnait sa ration de rock sauvage, sans pour autant reprendre les plans de white blood cells. Comme sur elephant, la guitare sonne comme une secousse sismique, mais il ne cherche plus à adoucir son tranchant. Au contraire, les mélodies faussement légères préparent le terrain , entretiennent le calme pour mieux faire résonner les emballements du duo. Chaque riff introduit de cette manière porte un coup destructeur à la tradition blues, l’emmène sur des chemins qui ne lui sont pas familiers.

Cette violence est le cri d’un groupe en pleine décomposition, la force désespérée d’un duo qui a trouvé la mort au bout de son chemin glorieux. Cette tension secoue une culture amorphe, elle donne un dernier coup salvateur dans la fourmilière. You don’t know what love is propulse cette violence au sommet des ventes, en offrant aux radios les refrains irrésistibles dont elles raffolent. Il représente le coté attrayant de ce festival de riffs lancé sur différents tempos, ces tornades plantées dans différents territoires. Véritable corrida blues , Conquest représente lui aussi cette maudite bénédiction que fut le succès du groupe.

Les White Stripes résument d’ailleurs tout dans le documentaire offert en bonus sur le live « under great northern light ». Entre les concerts , le duo jamme librement , ses improvisations semblent s’imprégner des terres qu’il visite. Le live s’ouvre d’ailleurs sur une symphonie de cornemuse, avant que le riff de lets shake hand n’ouvre les hostilités sur un boogie particulièrement puissant. Icky thump n’est pas seulement un champs du cygne, il exprime la grandeur d’une gloire mondiale, qui n’aura duré que quelques années. Les crises d’angoisse de Meg ne font qu’empirer, et le groupe sombre de nouveau dans une longue période de silence.

La rumeur court déjà que le duo est foutu , qu’il va rejoindre les libertines et les strokes au panthéon des derniers héros disparus. L’avenir lui donnera malheureusement raison , faisant ainsi de Icky thump le dernier épisode d’une carrière parfaite, le crépuscule d’un minimalisme qui régénéra la pop.      

mardi 30 juin 2020

Jack White 4

43 Best Cold Mountain images | Cold mountain, Cold, I movie

C’est l’événement cinématographique de 2005, la sortie de « retour à cold mountain ». Ce film manichéen et abrutissant, si il semble fait pour séduire les séniles qui composent les jurys des grands concours , montre que l’époque moderne sera placée sous le signe de l’hystérie collective. Construit comme un drame , « retour à cold mountain » ne peut que déclencher un rire gêné chez les personnes saines d’esprits.

Jouer par des comédiens en roue libre , les personnages sont aussi crédibles qu’Omar Sy dans le rôle d’Arsene Lupin. Nathalie Portman effectue exactement ce que le film vous supplie de faire, elle pleure sur commande. Quand on lui prend son bébé dans une scène pitoyable de pathos surjouée, on prie presque pour que les clowns achèvent aussi ses hurlements de petit goret geignard.

Seule la prestation de Jack White relève un peu le niveau , il ressemble à un musicien de la guerre de sécession perdu sur un plateau de tournage. Cette apparition montre surtout la notoriété qu’il a acquise. Pour lui, 2005 est aussi le début des tournées mondiales , marquées par des concerts où le public devient une nuée de sauterelles animé par ses riffs. Dans les décors imposants des stades , le groupe montre parfois ses limites. Le son n’est pas totalement maîtrisé, certains rangs ne perçoivent qu’un gargouillis crasseux, ce qui n’empêche pas la foule de communier devant ce garage rock tonitruant.

La musique des whites stripes est surtout faite pour les petites salles, c’est là qu’elle peut montrer toute sa force viscérale. Alors on cherche parfois un coupable à ces prestations inégales , et c’est encore Meg White qui en fait les frais. Alors que son ex mari devient un demi dieu, on se moque de la simplicité de ses rythmes , de l’énergie enfantine de son jeu. On ne saurait dire à quel point c’est précisément cette simplicité qui permet aux white stripes d’exister , mais le public aime tuer ses idoles.  Meg commence d’ailleurs à perdre pied , ces foules immenses la terrifient , la notoriété du groupe la met sous pression.  

Enregistré en 2005 , Get Behind Me Satan ressemble à une volonté de prendre du recul sur cette folie, de chercher une nouvelle voie. L’auditeur est d’abord caressé dans le sens du poil , on lui offre sa décharge électrique pour lui faire supporter le choc à venir. La seconde déflagration ne viendra pas tout de suite, Jack a rangé sa guitare et ne compte pas en faire un usage abusif. Le piano et le marimba prennent donc sa place , pour souligner l’importance de la rythmique décriée de Meg, et l’habiller de mélodies inattendues.

L’électricité n’a plus sa place ici , elle ne ferait que troubler ces expérimentations acoustiques. Pour entrer dans ce disque , l’auditeur doit dépasser ses préjugés , se débarrasser de ses attentes pour comprendre cette nouvelle énergie. Bluette exotique entretenue par un marimba mélodieux, the nurse est parcouru par des syncopes, dont la puissance est accentuée par ses apartés apaisés. 

My Dorbell sonne ensuite comme un classique instantané, une kermesse pop où le piano donne la réplique à une batterie festive. Le piano adoucit les emballements de la batterie,  il l’empêche de partir dans une secousse violente, et met en valeur une des meilleures prestations de Meg White. La jeune femme délivre un jeu énergique sans être violent, elle embarque les mélodies acoustiques dans une célébration légère, sans en brusquer la douceur enfantine.

Ses battements sont le cœur qui nourrit ces expérimentations acoustiques, le doudou qui permet aux fans puristes de ne pas être totalement perdus. Elle abandonnera pourtant les fans bornés , troquant ses toms contre un tambourin timide . Rien que ce passage aurait du permettre au groupe d’être canonisé par une armée de fans hystériques. Les White Stripes avaient atteint une splendeur décharnée jusqu’à l’os , un blues des grottes , une pop de sauvages. Vieux folk , pop acoustique , les adjectifs ne manquent pas pour qualifier cette réussite. La seule chose que ces mots creux doivent saluer, c’est l’aboutissement d’un processus démarré sur apple blossom et hotel yorba, une simplicité qui met la pop à nue.

Certains cherchaient cette profondeur squelettique dans les live unpluggeds de MTV , mais il ne suffit pas de sortir une guitare sèche en miaulant comme un chat castré pour la réveiller. Pour atteindre ce niveau, le musicien doit tordre le coup de ses ambitions, renouer avec une spontanéité corrompue par des siècles d’évolution.

Get Behin Me Satan , c’est un duo qui est parti se réfugier dans la grotte , et joue avec les sons comme les premiers primates secouant les branches. Les white stripes ne voulaient pas faire grandir le rock , mais le faire régresser , c’était la seule issue. Au lieu de se prosterner , tous virent le disque comme une curiosité un peu repoussante. On mettait l’origine du monde sur disque, et le public se sauvait en se bouchant le nez.

A partir de là , le duo aurait pu se radicaliser davantage , dégraisser encore le pachyderme pompeux qu’est Elephant. Mais le public avait rendu son verdict , incitant Jack White à partir sur des chemins passionnants mais plus balisés. Ce disque sonne comme un Atlantide abandonné trop tôt, une montagne de splendeur qu’on ne peut qu’admirer de loin. 

A partir de cette base , ils auraient pu atteindre la folie exotique de Dr John , réinventer le cœur voodoo de gris gris , donner des leçons de compositions perchées à Beefheart. Tout est permis à celui qui a su détruire ce qu’il était , se suicider pour ressusciter plus beau , plus fort , et plus con.

Le monde meurt sous les réflexions léthargiques d’intellectuels séniles , Get Behin Me Satan leur bottait le cul. La majorité constitue une génération d’oreilles impuissantes, des vieux sourdingues dont les oreilles ne jouissent que sous les coups de boutoir de l’électricité. Pourtant, imaginez un stade chantant en cœur My Dorbell , une foule extatique prise de transe sur les convulsions exotiques de the nurse.

Là plus que jamais, le rock aurait pris toute son ampleur. On aurait pu organiser un concert dans les grottes de Lascaux. Pour compléter l’œuvre des premiers hommes, les gamins auraient dessiné le portrait du groupe à la craie, juste à coté des dessins de chasse au mammouth. Le groupe lui-même semble ne pas s’en remettre, et sombre dans un sommeil de plusieurs mois.    

vendredi 26 juin 2020

Jack White 2

2001 : les White Stripes débarquent en Europe et enregistrent deux ...

Le premier public des whites stripes est évidement celui de Detroit , cette scène que le duo fait entrer dans la modernité. Meg White agite ses baguettes comme des hochets , massacre ses toms avec le plaisir innocent du gamin tambourinant sur son tambour. Les rythmes sont basiques à souhait , ce bon vieux boom boom n’a été jamais joué avec une telle simplicité assumée. Seule la vitesse semble varier, le rythme s’emballe, se repose pour entrer dans une marche pachydermique , ou ménage ses échos venus du delta du Mississipi.

Dans le milieu underground de Détroit , on est fasciné par ce duo qui redéfinit le groupe de rock, tout en sonnant aussi fort et dur que n’importe quelle formation locale. Un petit label indépendant propose vite au white stripes d’immortaliser cette énergie, qu’il ne publie au départ que sous la forme de single. C’est ainsi que sort « let’s shake hand », véritable déluge électrique de musiciens approchant du but, sans réellement le toucher. Le titre n’est pressé qu’à 1000 exemplaires, mais c’est suffisant pour démarrer une légende.

Dans la rédaction des premiers fanzines , on s’active pour propager la rumeur de ce renouveau rock. Le couple commence à apparaître vêtu de rouge et de blanc, et une sorte de bonbon trône sur ses photos, comme un symbole de la spontanéité de sa musique. Cette rumeur est nourrie par d’autres singles, que le groupe envoie à ses fanzines pour entretenir sa notoriété naissante.  Rapidement, son label se rend compte qu’il se passe quelque chose, et qu’il faut rapidement enregistrer un album pour passer à la vitesse supérieure.

Le disque éponyme sort donc en 1999, et est présenté comme un hommage à Son House. Comme son modèle, les whites stripes perpétuent le culte de la variation, de la même pulsation jouée à un rythme plus ou moins rapide. C’est le grand retour de la monotonie originelle , le mojo hypnotique doté d’une nouvelle splendeur. Le blues des White Stripes , c’est une frappe de mule sur laquelle la guitare vient balancer ses riffs pachydermiques. Chaque note vous secoue le cerveau avec une violence, dont l’écho reste longtemps imprimé dans votre mémoire.

Même « one more cup of cofee » , la ballade tzigane de Bob Dylan , est parcourue d’une agressivité, qui ne demande qu’à exploser dans une détonation destructrice. Le duo traite le titre comme deux tortionnaires retenant leurs instincts meurtriers. La frappe de Meg sonne comme le grondement d’une énergie menaçante, transformant la ballade en cauchemar mystique. 

L’album est schizophrène, le respect du passé y côtoie une violence qui semble vouloir le détruire. Et c’est encore le blues qui représente le mieux cet affrontement philosophique. Classique immortel du genre, John The revelator subit les pires outrages , son feeling étant magnifiquement massacré par un rythme destructeur. Le blues est ainsi lavé de ses vieux clichés , qui sont autant de barrières l’empêchant de renaître.  

Et puis, quelques minutes plus tard, « screwdriver » fait machine arrière, tant il semble inspiré de la ballade de ces grands martyrs noirs. Les white Stripes affirment leur indépendance tout en cajolant leurs totems, ils veulent représenter l’avenir sans faire oublier le passé.

Ce premier disque est bien plus qu’un simple hommage à Son House , c’est le blues réinventé pour un nouveau public. L’album n’est pas un succès, mais ses modestes ventes suffisent à justifier l’enregistrement quasi immédiat d’un autre disque.

De stijl sort donc quelques moins plus tard, mais le chemin parcouru est déjà impressionnant. Déjà arboré fièrement sur les couvertures des fanzines , le rouge et le blanc deviennent l’étendard du groupe. Sur la pochette, le duo sur joue sa légèreté enfantine, regardant l’objectif d’un air innocent.

C’est que ce second essai a jeté l’agressivité du premier, l’énergie est toujours là mais elle a changé de nature.  « you pretty good looking » annonce déjà la métamorphose en cours. La gravité du blues a fait place à une légèreté enfantine, la violence lourde à une énergie bienfaisante. Après avoir réinventé le blues, Jack White tisse ses mélodies, composant ainsi sa version musicale de citizen Kane.

Le minimalisme n’est plus seulement abrasif, il est aussi mélodieux. Apple Blossom et I’m bout to pack it up définissent une nouvelle vision de la folk , plus pop. Le traditionalisme folk vient donc compléter le tableau de chasse d’un duo qui brille en réinventant le passé. Le blues lui, n’a pas disparu , il suit l’évolution en cours. Comme nouvelle reprise, le duo choisit Death Letter , classique immortelle, que Mellenchamp réadaptera bientôt à la sauce bluesgrass.

Ce choix n’est pas un hasard, ce titre est calé sur un rythme sautillant, qui colle parfaitement à l’ambiance générale de De Stilj. Ce rythme, Jack et Meg vont en souligner la gaieté  dans une célébration rafraichissante.  Les white stripes se sont réappropriés le rock , ils fêtent ici son renouveau. Même quand le rythme s’alourdit , ce n’est que pour célébrer cette nostalgie, qui est le bonheur des gens tristes.

Cette gaieté n’est pas dénuée de verve, et jumble jumble, et hello operator , posent les bases du hard boogie version white stripes. La guitare ne hurle plus , elle chante , comme pouvait le faire Janis Joplin , Bon Scott , tous ces chanteur qui semblaient avoir l’énergie du monde dans leurs gosiers. Les tentations de rapprocher Jack des hard rockers vont commencer à se faire sentir, et elles ne feront que croitre au fil des années.

Sa dextérité est pourtant très éloignée des égarements bavards de Blackmore , et autres rainbow, elle renoue plutôt avec la retenue prônée par les punk. Si Jack plaque un solo, c’est dans l’urgence, et il l’arrête rapidement pour ne pas perdre l’efficacité de ses riffs.

Si les whites stripes sont si fascinants, c’est parce qu’ils tapent toujours sur le même clou , pendant le même temps , mais de plusieurs façons différentes. Ce qui est à la fête, à travers ces beat binaires, ces boogie enjoués , et ces folk pop , c’est le rock n roll des grands épicuriens.

C’est la joie simple contenue dans Johnny be good sweet little sixteen, et jailhouse rock . Depuis plus de trente ans , on en revient toujours là , mais de tant de façon différente.    

De stilj fait naître les whites stripes dans ce qu’ils ont de plus excitants . Ce disque, c’est le triomphe du minimalisme, un rock dénué de fioritures mais pleins d’ambition. Nous sommes en 2000 , et cette fureur est sur le point de sortir de Détroit pour déferler sur le monde.
                                          

mardi 23 juin 2020

Jack White 1

Chic, un nouvel album de Jack White prévu pour « très bientôt » - Jack


Depuis qu’il a atteint l’âge de raison , Jack White sait que la révolte rock a changé de nature. Detroit est une ville violente depuis des années, mais le temps que ses habitants ont passé sur les chaines de production semble avoir grignoté le cerveau de leur progéniture. Jack passe sa jeunesse dans une époque charnière, celle où les bornes d’arcades ont remplacé les guitares, et des rappeurs engloutissent les jeunes cerveaux dans leurs aboiements pompeux. Etre rock à cette époque, ce n’est plus représenter la jeunesse, c’est la rejeter.

 Au milieu de l’hystérie collective , alors que le peuple américain se transforme en populace, Jack souhaite devenir curé. La religion lui aurait au moins permis de se protéger de la folie ambiante, d’affirmer sa croyance en une valeur supérieure, dans une époque qui dit que tout ce vaut. La rébellion d’un homme suffit parfois à sauver l’humanité, c’est vrai chez les curés comme chez les rockers.

Traditionaliste jusque dans ses premiers amours musicaux, Jack tombe amoureux du rock en découvrant le blues. L’homme qui voulait donner sa vie à dieu est donc sauvé par le diable, le blues devient sa nouvelle bible.

Robert Johnson a travaillé son art dans la très pieuse Amérique d’avant-guerre. Dans les coins où ce pionnier jouait, les pasteurs le sermonnaient devant une foule acquise à leur cause. Mais Johnson prenait ses sermons comme des blagues un peu niaises, ne cessant jamais de jouer ses accords honnis, sous les yeux réprobateurs d’un public moraliste.
« C’est la musique du diable ! » lance le pasteur. Son ton est tranchant et autoritaire, comme si cette sentence ne pouvait que plier le musicien à sa volonté.  

Johnson levait alors la tête, gratifiait son interlocuteur d’un sourire arrogant, et l’envoyait dans les cordes d’un ton sarcastique. « Vous avez raison révèrent. C’est d’ailleurs lui qui me l’a enseigné. » Pour ceux qui aiment les bons mots, cette phrase est une grande saille provocatrice .Elle sera néanmoins à l’origine d’une légende Faustienne, qu’on imputera ensuite à de nombreux guitaristes.
                                 
Plus de 40 ans après cette histoire, Jack White écoute religieusement ce blues épuré. En bon musicien, le jeune homme découvre le rock en passant par le blues ,il découvre surtout que l’on peut dire beaucoup avec peu. Le blues de Johnson est nourri des échos de notes qu’il fait longuement raisonner, comme si les brusquer eut été un blasphème. Les notes sont comme les mots, il faut les laisser respirer, s’épanouir dans de grands espaces pour mieux marquer les esprits.

Quant Jack White découvre les stooges , quelques jours plus tard , alors qu’il commence à forger son jeu , ses deux modèles sont loin de s’opposer. Les stooges exprimaient le désespoir face à un futur s’annonçant sombre, la colère froide de ceux qui ne pourront que subir une ère de déclin . Ils avaient acté la fin de la génération peace and love avant tout le monde , et personne ne leur a pardonné.  Ils furent pendant des années les héros méconnus du proto punk, ceux qui avaient tout compris avant tout le monde, mais ne parvenaient pas à vendre le message.
                
Sur la méthode , les stooges font bien partie des lointains descendant du père Johnson. Ils partagent la même science de l’efficacité, leurs guitares sont violentes mais pas bavardes. Les stooges ont joué le blues de leur génération, « search and destroy » et « sweet home chicago » ne sont que deux avatars de la même énergie libératrice.

D’ailleurs, quand Iggy Pop chante no fun, les usines commençaient déjà à s’envoler. Les disciples d’Henry Ford , après s’être gavés sur le dos d’hommes détruits par un travail abrutissant, laissaient désormais la ville à sa misère. Jack White est l’enfant d’une ville morte, mais la perte des vieux repères est aussi source d’opportunités pour qui sait les saisir.
 Le jeune homme revient ainsi aux sources de la condition ouvrière, l’artisanat. Pour payer les dépenses de ses groupes aux cachets ridicules, il apprend à redonner vie aux vieux meubles.

Voué au départ à une carrière de prêtre, Jack White n’aura pas les mêmes hésitations que Little Richard et Eddie Cochran. Le rock balaie ainsi ses projet de vie religieuse, et tout est fait pour entretenir ses rêves de gloire.  

Une dernière révélation va façonner notre personnage, celle de citizen kane. Chef d’œuvre d’Orson Wells , le film est une ode à l’enfance perdue. Comme si cette histoire devait le marquer à vie, Jack White ne cessera de développer une image faussement puérile, une légèreté enfantine. Ce film va aussi lui apprendre que l’Amérique reste le pays où n’importe qui, par la seule force de son travail acharné, peut bâtir un empire.
                                     
Alors il trime, et si les cachets restent ridicules , l’époque finit par devenir favorable. Dans les bars de Détroit, toute une scène réinvente le chaos stoogien. Les guitaristes s’affrontent et se succèdent dans une éruption qui fait trembler les murs, c’est la rivalité de musiciens jouant toujours plus fort pour se faire entendre.  
                                                                 
Nouveau groupe de notre guitariste tonitruant, the go joue ce soir le concert de sa vie. Parmi le public, les dirigeants de Sub pop cherchent le gang capable de faire oublier la débâcle grunge. Star du label, Kurt Cobain n’était pas le précurseur du grunge , il en était l’incarnation. Cette scène ne vivait que parce que les maisons de disques rêvaient de lancer un raz de marée comparable à nevermind.

Quand la figure médiatique a disparu, les espoirs se sont envolés avec elle. Toute une génération a été traumatisée par cette fin abrupte, le grunge devenait un drame que personne ne souhaitait revivre. Les deux dirigeants de sub pop sont donc au milieu de ce public comme deux hommes nageant après le naufrage, et leur bouée ne tarde pas à se présenter.  

The go partage avec le grunge cette violence agressive, cette puissance qui vous secoue sauvagement. Mais cette force n’est plus dépressive, elle est révoltée, c’est le retour du rock n roll dans ce qu’il a de plus brute. Les deux managers flairent un gros coup, et emmènent rapidement le gang dans le studio le plus proche.

The go (l’album) est enregistré comme tout premier disque devrait l’être , live et sans retouche. Quand le disque sort, les libertines n’ont pas encore rencontré Mick Jones , les Strokes ne sont que des fils à papa, et même oasis ne s’est pas encore formé.

On tient donc là le premier manifeste post grunge, et il est brillant. De « Watcha doin » à « meet me at the movie », ce disque est plus puissant que Kick out the jam , plus remuant que le jungle beat de Hooker. Ces titres auraient presque pu figurer sur back in the USA , le classique que MC5 dédia à la gloire éternelle du rock originel. Ces jeunes loups ont juste poussé les potards un peu plus fort, et l’époque ne va pas tarder à être secouée de façon irréversible.

On signalera au passage que ce disque est un de ceux qui rendent le plus justice au jeu éruptif de Jack White, mais son parcours avec le groupe touche déjà à sa fin. Conscient de son potentiel, sub pop lui a fait signer une clause l’empêchant d’aller voir ailleurs. Mais Jack place l’honneur avant tout, les seuls musiciens ayant osé le provoquer peuvent en témoigner. Il n’hésite donc pas à quitter le groupe pour se libérer de ses chaînes contractuelles.

Il tue ainsi un groupe qui n’aura pas vécu assez longtemps pour récolter les fruits de sa fureur. Mais Jack n’est pas fait pour être le simple guitariste d’un groupe, son orgueil ne le supporterait pas. Alors il forme sa femme à la batterie, en lui donnant juste assez de bases pour imprimer un rythme des plus primaires.

On a beaucoup décrié le jeu de Meg White , mais elle a permis à son mari d’atteindre son graal artistique , la profondeur rugueuse des enregistrements de Johnson. Le rock n’est qu’un rythme vicieux, sur lequel la guitare hurle ses trois accords libérateurs. Cette musique n’a besoin de rien d’autre, et il est bon que quelques brutes le rappellent.

En ce début de second millénaire, les brutes seront un couple faussement enfantin, jouant sur l’ambiguïté de sa relation pour braquer les projecteurs sur leur musique. The go est mort ! Vive les White Stripes.