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mercredi 2 septembre 2020

Thelonious Monk Quartet

 Monk's Dream: Thelonious Monk, Thelonious Monk: Amazon.fr: Musique
Thelonious Monk représente, avec Mingus et quelques autres, la naissance du jazz moderne. Comme beaucoup de musiciens des années 30 à 50, son parcours musical démarre dans une église , où il plaque ses premières mélodies sur un vieil orgue poussiéreux. Ses progrès rapides lui permettent d’intégrer ses premiers Big Band, et d’en sortir avec la conviction que ces formations tapageuses ne sont pas faites pour lui.

Il en arrête donc ses errements collectifs, pour former son quintet , et trouve sa voie à force d’improvisations. Sa première inspiration, le grand Monk la trouve en se promenant en ville. Au milieu de bâtiments imposants, les automobilistes expriment leur empressement à grand coup de klaxon rageur. Ce son, qui pour le commun des mortels n’est que l’expression irritante de la bêtise d’hommes qui fonceraient dans les murs pour gagner quelques secondes , est la base du swing Monkien.

 Notons en passant que l’essor des moyens de locomotion a fait autant pour la musique américaine que n’importe quel instrument. Du côté du Missisipi , les travailleurs de coton passent leur vie à reproduire le rythme des trains pour accompagner leurs complaintes. De cette manière, le jazz et le blues furent liés dès leur origine , le premier représentant le swing urbain alors que le second entretenait un swing terreux et rural.

Après quelques années chez Blues note , qui publia le grandiose « criss cross » , Monk est enfin signé par Columbia. Ce label n’est pas une simple maison de disques, c’est un temple qui a abrité les plus grands artistes contemporains, d’Aretha Franklin à Bob Dylan, en passant par Miles Davis et Duke Ellington. C’est donc logiquement sur ce label que Thelonious Monk livre ce qui restera le sommet de sa classe dissonante.

Cette musique, c’est un édifice magnifique mais bancal, une beauté excentrique qui semble toujours sur le point de s’effondrer. Titre emblématique de l’album, Monk dream est le symbole de cet équilibre au-dessus du chaos. Monk joue comme un pianiste schizophrène , ses mains semblent dotées de deux volontés autonomes. L’une d’elles montre une discipline implacable, elle martèle le rythme autour duquel vient s’enrouler une charpente faussement bancale. La seconde main danse follement autour de son swing, elle initie une valse délirante que la basse et le saxophone vont bientôt poursuivre.
                           
La mélodie se dessine ainsi, fragile et mystérieuse , les silences accentuent les contours de sa fresque excentrique. Ce jeu sur les silences donne l’impression que Monk Dream (l’album), largement écrit et répété, est issu de l’improvisation hasardeuse d’un groupe en pleine exploration sonore. L’excentricité du piano passe pour une recherche de mélodie, les silences ressemblent aux hésitations d’un groupe qui ne sait pas où il va. Les mélodies jouent avec nos nerfs, mais tiennent comme par miracle.

Quand on parle de Jazz moderne, le blues n’est jamais loin, comme le montre five spot blues et bolivas. Ecoutez un peu ces notes dépouillées, cette rigueur minimaliste qui dit plus en trois ou quatre notes que la plupart de la concurrence en un disque. Aujourd’hui, on parlerait sans doute de blue jazz ou de jazz blues , comme si il fallait une étiquette pour rassurer l’auditeur inquiété par une trop grande originalité. Il suffit pourtant d’un mot pour qualifier ce disque : swing.

Quand la basse plaque ses accords répétitifs, quand le piano de Monk manie les dissonances comme un équilibriste au bord de la brèche, quand les silences laissent résonner les notes et vibrer la mélodie, c’est le swing qui est à la fête.

Malheureusement, Monk sera victime d’une vague terrible et irrésistible, celle du rock. Conscient que sa musique ne peut plus cohabiter avec le fils du blues, Monk devient de plus en plus irritable, il sent que la fin est proche. Même les plus grands artistes ne sont pas éternels et, voyant désormais le vieux jazzman comme un boulet , Columbia le vire sans ménagement en 1972.

Dans le milieu du jazz, son comportement colérique permet aux snobs de faire courir la rumeur qu’il serait idiot, et que son génie ne serait que le fruit d’un don inné. Cette rumeur ne fait que renforcer le mythe Monk. Elle permet à Monk Dream de s’imposer comme le chef d’œuvre d’un homme qui, à force de travail acharné, a atteint une forme de beauté que ses contemporains ne peuvent expliquer de façon rationnelle.