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mercredi 26 août 2020

Johnny Winter fin

Hard Again" - Muddy Waters - Rock Fever

Depuis les années 60, Muddy Waters s’amuse de voir tout ces blancs-becs jouer sa musique. C’est grâce à un de ses titres que les Stones ont choisi leur nom, et ils ont posé leurs premiers accords en imitant sa musique. Depuis, son mojo se répand dans le rock comme une traînée de poudre , et le vieux bluesman a désormais plus de descendants que Gengis Khan. Conscient du tremblement qu’il a déclenché, Muddy annonce à qui veut l’entendre que « si ces types peuvent jouer ses riffs , ils ne seront jamais capables de chanter comme lui. ». Ce chant , c’est l’expression poignante d’un homme qui a passé sa jeunesse les pieds dans la boue et le nez dans sa misère.


Même au moment où toute une génération le vénère comme un dieu, le souvenir de ses années noires nourrit sa musique. Il surfe alors sur la vague du rock, reprenant let spend the night together en compagnie de Mike Bloomfield, sur l’album father and son. En 1972, c’est Rory Gallagher et Steve Winwood qui sont adoubés par le père du mojo, sur le live London session.

Mais la gratitude est le plus éphémère des sentiments humain et, alors que ses descendants continuent de lui rendre hommage , le label de Muddy met la clef sous la porte. Ayant eu vent de cette déchéance, Johnny parvient à convaincre son label de produire le disque qu’il va enregistrer avec Muddy. Sorti en 1977, Hard again est un monument blues sorti au milieu des cris hystériques de la vague punk.

Johnny et Muddy se connaissent, ils ont déjà eu l’occasion de jouer ensemble à plusieurs reprises. Connaissant la virtuosité de son sauveur, Muddy décide de se concentrer sur le chant, et sa voix atteint ainsi le summum de son charisme virile. Derrière lui , les meilleurs guitaristes de blues vivants sont au sommet de leur art.

Déjà présent lors du légendaire concert de Muddy à Newport , James Cotton envoie ses riffs fleurant bon le bayou avec la force nonchalante des damnés de Chicago. Si Manish Boy dépasse les versions culte de Willie Dixon et Son House, c’est avant tout grâce à la ferveur de ce groupe habité par le mojo. Pour accentuer cette énergie, Hard Again a été enregistré en deux jours, lors de bœufs improvisés.

Certains regretteront que cette liberté incite Johnny à partir dans des solos un peu brouillons, que cette énergie s’exprime parfois à travers des improvisations un peu bancales. Mais c’est justement cette spontanéité qui fait la grandeur de ce disque. Alors que les Stones et leurs semblables tentent de créer une version bien propre de son swing , Hard Again ramène tout le monde dans les bars de Chicago , et affirme virilement que Muddy reste le modèle indépassable.

Johnny Winter vient de sauver sa carrière et, pour le remercier, le mannish boy lui permet d’enregistrer son prochain disque avec son groupe. Nothin but the blues sera donc le générique de fin de ce récit. Et quel générique ! Ce disque est le dernier chef d’œuvre d’un musicien qui, n’ayant plus rien à prouver, plonge totalement dans sa vieille obsession. Grâce au groupe de Muddy , l’albinos immortalise son rêve , sonner comme les géants de la grande époque du blues.

La flamme ravivée par hard again n’est pas encore éteinte, et elle inspire notre guitariste livide, qui a écrit la quasi intégralité des titres de nothin but the blues. Le blues a pris possession de son corps squelettique , et raconte sa glorieuse épopée à travers chacun de ses titres. Calmé par cette héritage imposant, le jeu de Johnny Winter se fait plus sobre que jamais. Cette réserve lui permet de jouer sur les variations, de changer d’époque en accélérant ou en ralentissant ses tempos.

Tired to try et TV mama ramènent l’auditeur dans ces rues , où boogie chillen et spoonfull résonnèrent pour la première fois. Johnny prend alors possession du blues d’avant-guerre, et parvient à lui donner une beauté éblouissante sur le slow I was rainnin. La guitare électrique s’enroule ensuite autour d’un riff acoustique , et nous ramène à l’époque où certains bluesmen découvraient l’électricité sous les huées des puristes. On saluera au passage la splendeur de ce groupe, déjà grandiose sur hard again , et qui permet à Johnny de sonner comme il a toujours rêvé de sonner.

Après avoir sauvé son modèle de l’oubli, Johnny Winter rend hommage à son mojo lubrique. Nothin but the blues est l’aboutissement d’un cheminement commencé sur the progressive blues experiment , et qui a finalement ramené notre albinos sur sa terre promise. Muddy Waters a permis au rock d’accoucher du rock n roll , et grâce à Johnny Winter le rock a maintenu en vie son père défaillant.

Cher lecteur ,

Pour des raisons de cohérence, je tiens à parler ici de deux disques que j’ai volontairement exclu de ce dossier.
Sorti en 1978 , White hot and blues est un disque un peu plus secondaire dans la discographie de l’albinos , qui était alors trop pris par son travail avec Muddy pour sortir un grand disque. C’est tout de même un  album bien sympathique que tout fan de l’albinos se doit de posséder.
Quand à Raisin Cain , j’avoue que ce disque m’enthousiasme un peu moins. Johnny y surjoue le rôle du vieux gardien de l’âge d’or du rock n roll , et la production surfaite lui donne des airs de has been pas encore prêt à mourir. Il faut tout de même avouer que sa version de Like a Rolling stone est impressionnante, et que l’ensemble se tient bien mieux que la suite de sa carrière.
Voilà, tu es donc arrivé au bout du récit de deux des parcours les plus impressionnants des 60’s/70’s. Deux visions du swing qui se sont magnifiquement complétées et affrontées pendant près de 10 ans. Johnny et Edgard Winter feront à jamais partie de la grande histoire du rock , dont ils incarnent la grandiose diversité musicale.

                                                                                                                              

lundi 24 août 2020

Johnny Winter 7

John Dawson Winter III - Wikipedia

 Pendant que son frère se prend les pieds dans son tapis glam, Johnny Winter atteint le but ultime de nombreux rockers, sonner comme un nouveau Chuck Berry. Depuis trois ans, notre albinos a joué un rock , funky , country , bluesy , hard rock , et voilà qu’il se contente de jouer du rock n roll. Rock n Roll people c’est johnny be good et shakin all over dans le même morceau, le summum de l’énergie juvénile des fifties. Johnny Winter est le seul à pouvoir ouvrir un titre sur un telle déluge électrique, sans s’égarer dans un grand délire Pagien. Cet homme retombe toujours sur la rythmique comme un chat retombe toujours sur ses pattes, c’est un réflexe naturel.

Ajoutez à ça les riffs de pick up my mojo et sweet papa john , et vous obtenez un swing à rendre jaloux le grand Chuck en personne. Les cuivres n’ont pas tout à fait abandonné la partie , et « lay down tomorrow » les voient offrir à Johnny la classe grandiloquente du King sur la scène de Las Vegas. Johnny n’a plus chanté comme ça depuis son second album, sa voix mélodieuse s’envole au milieu de chœurs beaux à pleurer.

Comme un clin d’œil à ses petits frères sudistes , Johnny fait un petit détour sur les terres de la country et du blues, les deux mamelles nourrissant l’armée levée par Lynyrd Skynyrd. Passé ses petites diversions , John Dawson Winter sonne comme un juke box abandonné au fond d’un vieux club. Chaque titre pourrait faire partie d’une compil de tubes des années 50 , ils ressuscitent une formule que les stray cats ne feront que parodier.

Regardez le notre albinos, son allure martiale de lord anglais, cintré dans un costume de monarque. John Dawson Winter est plus qu’un énième album de rock n roll, c’est un coup d’état. Pour être digne de jouer du rock n roll, il faudra désormais se rapprocher de ce modèle tonitruant. Dans le sud, tout le monde s’y plie, et l’écho de cette musique finit même par atteindre les côtes anglaises. Nuthin fancy , Point Blank , Tres hombres , et plus tard Molly Hatchet et Strike , chaque disque sudiste est un assaut envahissant le monde du rock. A la tête de ces rednecks déchainés, John Dawson Winter a lancé la charge la plus sanglante.

Pendant que son frère devient l’incarnation du rock n roll, Edgard Winter dissout son Edgard Winter group. C’est donc sous son propre nom qu’il sort, en 1975, Jasmine Nightdream. Les temps ont déjà changé, Bowie a suicidé son héros glam , et les Dolls annoncent la future invasion punk. Quelques rares survivants, comme Mott the hoople , tentent de maintenir la flamme vacillante du glam rock , mais la résistance ne durera que quelques mois. Loin de suivre les évolutions du rock Anglais, Jasmine Nightdream fait le bilan du riche parcours d’Edgard.

 En ouverture, la mélodie Jazzy de one day tomorrow renoue avec la beauté cuivrée d’entrance. Little brother sonne ensuite comme un funk rock électronique, et ses mélodies dansantes flirtent une nouvelle fois avec la folie futuriste d’un Todd Rundgren.

Le synthétiseur est devenu l’instrument de prédilection d’Edgard, celui qui donne au disque cette allure de spleen martien. Revenu de ses glorieux exploits en compagnie d’Alice Cooper et de Johnny Winter , Rick Derringer apporte la puissance sonore qui évite au disque de s’engluer dans ses excentricités synthétiques. 

Sur Hello Mellow Feelin , ses solos puissants et mélodieux tissent un blues langoureux à grand coup de riffs poignants. Shuffle low laisse ensuite la guitare se déchaîner sur une batterie funky digne de white trash. Le rythme accélère lentement, et atteint son paroxysme sur un instrumental qui sonne comme un clin d’œil à ZZ Top. On ne peut alors que penser à la puissance orgiaque de la grange, quand les solos affutés s’élancent sur la rythmique, comme une charge de bisons.  Prolongeant le durcissement entamé sur le titre précèdent, Keep on brunin pourrait donner des leçons de heavy rock à Bob Seeger.
                                        

On regretterait presque que la mélodie reprenne ses droits, que le clavier pousse la guitare rageuse au second plan. Le synthé se joint alors au chœurs soul de « how do you like to love » , et le tout groove comme une discothèque installée dans le cosmos. Loin d’être endormi par cet apaisement, Rick Derringer se tient en embuscade, sa guitare offrant quelques fulgurances à l’auditeur attentif.

Jasmine Nightdream réussit ce que son prédécesseur avait si lamentablement raté , faire cohabiter toutes les influences de son créateur. Funk , Pop avant gardiste , Rock , blues , tout cela se mélange dans un album unique, pour célébrer les noces du swing et du groove.

       

Johnny Winter 6

Johnny Winter - Still Alive And Well (1973, Vinyl) | Discogs 
Après presque trois ans d’exil, Johnny Winter sort enfin un nouvel album. Sa génération a disparu, tuée par la fin du psychédélisme, ou victime de ses excès. Sacrifié sur l’hôtel de la défonce rock, Hendrix , Jim Morrison , et Janis Joplin n’ont pas eu son réflexe salutaire. Johnny peut donc l’annoncer fièrement dès le titre de son album , il est vivant et en forme. L’époque est plus que jamais acquise à sa cause, et son sud natal est en train de lui préparer le terrain. Tout a commencé alors qu’il était en convalescence. Issus de Macon, les Allman Brother ont donné une nouvelle jeunesse au blues, et l’ont remis sur le devant de la scène lors d’un mythique concert au Fillmore. Un peu plus loin, dans ce Texas où Johnny a écrit sa légende, un trio pas encore barbu commence à affûter son blues gras. 

ZZ top fait en réalité partie de la génération de Hendrix, qu’ils ont d’ailleurs rencontré à leurs débuts. Mais leur musique est faite pour les années 70 et, sorti en 1971 , leur premier album est considéré par beaucoup comme leur chef d’œuvre absolu. De retour au milieu d’une  nouvelle vague de blues rocker, Johnny Winter ne pouvait que défendre sa place de plus grand bluesman vivant. Et, rien que pour le tranchant de « silver train » et let it bleed , Still alive and well le place déjà au sommet de la nouvelle vague heavy blues. Les Stones eux même se sont inclinés devant cette version de Silver Train, qui n’était pourtant pas un de leurs titres les plus remarquables.

Issu de goat head soup , le titre est dépouillé jusqu’à l’os par les riffs cinglants de notre albinos , son swing se révèle ainsi dans toute sa pureté rythmique. Je n’irais pas jusqu’à dire que sa version de Let it bleed sonne mieux que l’original, il sonne juste comme les Stones révéraient de sonner. Quand les anglais jouent le blues, ils ne peuvent s’empêcher de l’emmener ailleurs, sur des terres plus proches de leurs mélodies pop. Johnny, lui, ne triche pas. Le blues est dans ses veines , reproduire son feeling est pour lui un réflexe inscrit sans son ADN.

 De rock me baby à l’orgie sanglante de let it bleed , Still alive and well fait table rase des emportements hard rock du précèdent album. Tout le monde redécouvre le blues, il n’a donc plus de raison de s’en éloigner. Sur too much seconal , il se permet même de ressusciter le mojo acoustique des pionniers. C’est qu’à force de célébrer le blues, Johnny est devenu le guide de cette nouvelle génération, celui qui montre la voie à suivre. Still Alive and well représente la lumière d’un phare après une longue traversée brumeuse, la silhouette d’Ithaque qui voit enfin le retour de son roi.

Johnny Winter sort définitivement de la compétition rock, il plane au-dessus de la mêlée, avec la même confiance tranquille que Muddy Waters regardant une nuée de blancs becs jouer sa musique. Johnny a ressuscité le purisme de ses débuts, mais une telle réussite ne peut que l’obliger à chercher d’autres sonorités.

C’est ainsi que sort saint and sinner , quelques mois seulement après son grand frère bluesy. La funk fait alors son entrée dans l’arsenal de Johnny Winter , donnant naissance au disque le plus original de sa brillante discographie.

Dès les premières secondes , les claviers installent un groove futuriste, que la guitare suit dans le boogie martien de blinded by love. Les cuivres sont encore à la fête, ils dansent sur le groove funky de feedback highway 101, et s’enroulent autour du slow Huttin so bad. Johnny n’oublie pas le rock pour autant , et thirty days renoue avec le rock direct de l’album précédent. Le plus surprenant reste sa reprise de stray cat blues , un des points d’orgue de l’album Beggar Banquet des Stones. Le titre sert de prétexte à une orgie de solos, qui donne l’impression que notre albinos a décidé de rivaliser avec le Hendrix du Fillmore. Johnny a sans doute pris exemple sur l’excentricité du band of gypsys et de ses enfants groovy.  C’est comme si celui qui prit le rôle de gardien de la tradition se libérait dans un déluge de feedback. Même le rock apparemment épuré de riot cell block n 9 débouche sur une orgie de riffs gras.

Après un still alive and well très puriste, Johnny casse son image de vieux sage du blues, et affirme ainsi que son âge d’or n’est pas encore terminé. Plus riche que n’importe lequel de ses albums , saint and sinner est une réussite unique dans sa discographie. La voix de l’Amérique a parlé, il est temps que son alter ego anglophile lui réponde.

Shock treatement devait s’inscrire dans la continuité de « they only come out at night » , c’est au contraire un album de fin de cycle. Le morceau ouvrant le disque annonçait pourtant un déluge heavy glam , le groupe jouait comme les enfants de Bowie traumatisés par la découverte du proto punk des New York dolls.Le riff était destroy et agressif , le chant agressif , le glam se radicalisait dans une orgie prometteuse.  

Sauf que, perturbé par ses influences diverses, Edgard est comme un gosse laissé seul dans un magasin de bonbons. Alors, il pioche dans tous les rayons, en espérant qu’une certaine cohésion finissent par émerger de ces expérimentations folles. La mélodie cuivrée de Easy Street nous passe un peu la pommade, comme pour préparer le terrain à un nouvel assaut, qui prendra de longues minutes à arriver.

A la place , on a droit à Sundow , qui perpétue la beauté tranquille de free ride. Les cuivres sonnent comme des lyres angéliques , et la guitare construit son escalier vers un nouveau paradis pop. Après ce sympathique changement de décors, le groupe renoue brutalement avec son passé progressif, et Do you Like me sonne comme l’électro rock de Todd Rundgren.

Au lieu d’atténuer ces changements de décors, Edgard les radicalise, faisant de son disque une playlist agréable mais sans identité claire. Le Edgard Winter group sonne tantôt comme une version pop de Slade , un Marc Bolan ayant découvert le synthé , où le Bowie de Pin Up, quand il ne s’emballe pas dans un hard rock un peu lourdaud.   

On voyait pourtant dans ses titres les plus énervés un moyen de marquer une nouvelle fois l’histoire, en entrant dans le sillon d’un rock qui se radicalise. Mais les quelques mouvements d’humeur de ce disque sont noyés dans une série d’expérimentations mélodiques, elles sonnent comme un coup d’épée porté à une soupe indescriptible.

Avec ce disque, Edgard devient le nihiliste ultime, celui qui semble avoir bâti son album avec une série de 33 tours empilés au hasard. C’est d’autant plus dommage que , pris individuellement , ces titres sont loin d’être mauvais. Mais qui veut voir un film fait d’extraits de classiques ? Et bien shock treatement serait sa bande son.  

jeudi 20 août 2020

Johnny Winter 5

Roadwork : Edgar Winter: Amazon.fr: Musique 

Porté par la force du dieu swing , White thrash envahit deux des plus grandes salles américaines , pour y enregistrer un live historique. Le whiskey à gogo est un de ces lieux qui attire toutes les révolutions , il a été le théâtre de l’ascension du Buffalo Springfield , le point de départ de l’épopée subversive des Mother , le temple où naquit le rock baroque de Love , et j’en passe. L’appolo , lui, fut longtemps un haut lieu du jazz , Count Basie et Duke Ellinghton y ont effectué des prestations sublimes. Quelques années après le passage de Edgard Winter White Trash, James Brown viendra d’ailleurs enregistrer un live explosif dans ce haut lieu de l’histoire du jazz.

Encore une fois , Edgard est à la croisée des genres , il trône au carrefour des mythes et crée sa légende à la frontière des genres musicaux. Ce soir-là, c’est pourtant le rock n roll qui aura le premier rôle. Prenez un môme fou de funk, jazz et blues, mettez le devant une foule déchaînée, et il accélère les rythmes, durcit ses riffs , bref il rock mieux que quiconque. Cette ambiance de fête mystique, ce rock puriste nappé de cuivre soul, c’est le E street band jouant avec une puissance inédite.

La comparaison peut paraître osée au premier abord, mais je vous certifie que, quand le saxophone s’embarque dans un solos brûlants, c’est l’image de Clarence Clemons qui vient immédiatement à l’esprit. Le soul rock de White trash est certes plus agressif, ses riffs sont plus tranchants que ceux du boss, mais sur le fond son énergie est très proche.
                                                                                                                
Quand les chœurs gospels de save the planet ouvrent la performance, on a vraiment l’impression que ces types sont venus célébrer la fin de l’humanité. Tous les live devraient donner cette impression , tout groupe devrait voir la scène comme un tribunal où il doit défendre sa peau, et jouer avec toute l’intensité de ceux qui savent qu’ils n’auront pas de seconde chance. L’heure du jugement dernier est arrivée, et ce soir le rock n roll vient sauver nos esprits.

Alors le ton se durcit encore, la force du riff explose sur le refrain revanchard de still alive and well , danse autour du blues cuivré de back in the USA. Ce dernier ressemble à ZZ top qui se serait mis à groover comme funkadelic , ou à James Brown singeant BB King.

Attiré par l’intensité de la célébration, Johnny Winter sort une première fois de son isolement forcé. Son Rock n roll hoochie koo sonne toujours comme du Stones accéléré, un boogie blues ponctué de solos tranchants. Il faut l’entendre dialoguer avec White Trash , répondant à son swing dansant par des chorus minimalistes, dans la grande tradition d’un John Lee Hooker. Johnny annonce que l’heure du blues a sonné,  le mojo du cadet répond à celui de l’aîné.

Galvanisé par cette visite, Edgard suit ensuite la science de la nonchalance libidineuse de Howlin Wolf. Grand coït musical digne de spoonfull , tobacco road voit les cuivres suivre les coups de boutoir d’un riff délicieusement gras. Do yourself a favor rallonge un peu ce groove bluesy , puis la prestation s’achève comme elle a commencé , sur un gospel apocalyptique.
                                       
Roadwork est le summum d’une flamme que personne ne parviendra à raviver .Une réunion de White trash aura bien lieu quelques années plus tard, sans atteindre ce niveau de puissance.

Alors que roadwork vient de sortir , le premier disque de l’Edgard Winter group débarque en cette même année 1972. Nommé « they only come out at night », l’album montre de nouveau l’anglophilie de son auteur. Mais on ne parle déjà plus de l’Angleterre progressiste de King crimson, son heure de gloire semble déjà derrière elle. A la place, Marc Bolan a lancé le glam rock avec deux albums somptueux (electric warrior et the slider). Le succès monumental de T rex a permis à toute une vague d’artistes de s’engouffrer dans la brèche, et fit naître le personnage androgyne le plus connu de Bowie.

Même Lou Reed a cédé aux sirènes du glam, et transformer permet à Bowie de calquer ses chœurs excentriques sur ses récits décadents. Une génération au look androgyne, prônant un rock léger et classieux se lève , et Edgard s’y conforme dès la pochette de son album. Du côté de la musique, les claviers soulignent un swing plus pop, et les chœurs entrent dans le rang des enfants de Marc Bolan.

Free Ride fait penser à du Slade , alors que les solos qui le ponctuent flirtent avec la puissance hard glam de Mick Ronson. Mais chassez le naturel et il revient chanter le country blues, comme le montre round and round. Sur ce titre les chœurs se font plus solennels, la mélodie bucolique développe une beauté campagnarde que n’aurait pas renié les Outlaws. Cette parenthèse fermée, le Edgard Winter Group prédit comment sonnera Bowie , quand Aladin sane prendra d’assaut l’Amérique. Rock n roll boogie woogie blues sonne comme sa reprise de let spend the night together , avec une énergie mieux maîtrisée. La bluette autumn est plus dispensable, mais sa durée est assez courte pour en faire une respiration agréable avant d’atteindre le clou du spectacle.

 Frankeinstein restera le titre culte d’Edgard Winter , celui dont les riffs chromés annoncent les futurs exploits du duo Wagner/ Hunter. Au final, « they only come out at night » est encore un disque nourri par ses contradictions. La beauté artificielle du glam y côtoie la beauté rêveuse d’une mélodie country , la violence chromée du hard rock sort des splendeurs énergiques de la pop anglophile.

Porté par le succès du tube Frankenstein, « they only come out at night » est le plus grand succès commercial de son auteur. Pour les anglais, il devait sonner comme le portrait d’une époque, celle où la jeunesse était partagée entre la puissance d’un hard rock encore fringuant, et la beauté d’un glam rock en plein âge d’or.       

      

mardi 18 août 2020

Johnny Winter 4

White Trash : Edgar Winter: Amazon.fr: Musique

Alors qu’entrance fait une entrée discrète dans les bacs des disquaires, Johnny Winter And le rejoint. Ce disque est sans doute le moins connu de la carrière de l’ainé des frères albinos, c’est aussi une de ses plus grandes réussites. Au fil de ses productions, Johnny n’a cessé de se radicaliser , augmentant la puissance de son blues pour l’imposer à un public avide de grondements électriques. Après avoir lutté avec panache contre l’invasion du hard rock, Johnny Winter a fini par absorber sa violence, sans réellement s’y conformer.  Johnny Winter And est le disque le plus virulent du texan , et ce virage doit beaucoup à Rick Derringer.

Ce dernier est l’enfant du heavy rock , et ses riffs sont imprégnés de la puissance plombée de purple haze , le brûlot hendrixien que tous les contemporains de Jimmy Page tentent d’égaler. « Guess I’ll go away » montre tout de suite l’apport de son jeu virulent, il transforme la rythmique toujours métronomique de Winter en enclume venant pilonner vos tympans. Ponctuant les assauts de ce swing sauvage , les distorsions deviennent des lames de fond venues déchirer les poses pompeuses du gang de Blackmore , Page et autres Tony Iommy.

Si Johnny consent enfin à jouer un rock plus radical, il n’est pas encore prêt à céder aux clichés tapageurs qui font la légende des nouveaux guitar hero. Quand il se laisse aller à de petites improvisations , c’est toujours avec le soutien d’un groupe compact comme un bloc de béton. Prodigal son montre bien cette discipline. Johnny ne se sert pas de ses musiciens comme d’une rampe de lancement pour le propulser dans de grands délires solistes, ses solos se fondent dans la masse, comme une puissance virtuose faisant décoller son groupe vers des sommets rythmiques. Johnny est , avec Keith Richard , un des derniers à considérer la guitare comme un instrument au service du swing.
                                                                  
En refusant d’en faire un totem devant lequel tout groupe doit s’incliner pendant de longues minutes, il préserve le groove de ses modèles. Si cet album doit être intégré à ce que certains appellent le « hard rock » , il faudra le ranger au côté de AC/DC, Ted Nugent , ou Foghat, et de tous ces groupes qui n’avaient de « hard » que la puissance sonore. On pense aussi un peu au boogie excentrique d’Alice Cooper , qui ne tardera d’ailleurs pas à récupérer Rick Derringer pour enregistrer « Killer ».

Johnny Winter And est le disque d’un musicien qui a accepté la mutation du blues, et a pioché dans ses gimmicks pour poursuivre sa légende. Ecoutez l’instrumental déchirant qui sert de point d’orgue à rock n roll hoochie koo, et la grande envolée achevant rock n roll music , et vous comprendrez pourquoi ce disque est un indispensable des seventies. Johnny s’applique à rétablir le dialogue sacré entre les musiciens, cette symbiose qui fait la grandeur du rock, et dont certains croyaient pouvoir se passer. Avec Johnny Winter And , Johnny leur montre les sommets qu’ils ne pourront jamais atteindre, leur réapprend l’humilité dans une grande fête heavy.

La tension qui parcourt ce disque est aussi liée à la mauvaise passe que traverse Johnny lors de son enregistrement. Pour supporter le rythme infernal des tournées, le guitariste a consommé toute une série de drogues qui commence sérieusement à le miner. Si il ne réagit pas rapidement, il risque de rejoindre les fantômes de Janis Joplin et Jimi Hendrix, il doit donc commencer une longue cure de désintoxication. Pour promouvoir son dernier disque, il n’aura eu le temps de jouer que deux concerts au Fillmore, qui sont d’ailleurs sortis par sa maison de disque pour combler son absence.  

Le procédé n’est pas nouveau, la plupart des groupes se servent des live pour combler une période de vide créatif, mais celui-ci va s’avérer grandiose. Nommé sobrement « Johnny Winter And » , le disque commence sur la douceur blues cuivré de « good morning little schoolgirl » et « It’s my own fault ». Issus de ses premiers disques , ces titres permettent à son nouveau groupe de se réapproprier le patrimoine de son leader. Doucement , « It’s my own fault » monte dans des envolées heavy , montrant que ses musiciens sont déjà en pleine symbiose.

Les choses sérieuses commencent vraiment à partir de Jumping Jack Flash, une des meilleurs reprises des Stones à ce jour. Je l’ai déjà dit, Johnny Winter et Keith Richard parlent le même langage, ils ont la même obsession pour la rythmique, même si celle de Johnny est plus tranchante. Et c'est justement ce jeu virevoltant qui lui permet de transcender ce totem du mythe stonien , il parvient à caler sur ce matériel une poignée de solos mélodiques que ce bon vieux Keith n’aurait jamais tenté.

Chauffé à blanc par ce tour de force, le groupe s’embarque dans un medley passant en revue great balls on fire/ long tall sally/ et whole lotta shakin going on. Le groupe semble parcouru par une énergie démentielle, comme si les fantômes qu’il convoquait prenaient possession de leurs improvisations. La prestation se clôt ensuite sur mean town blues et Johnny be good , qui sont envoyés avec la même force électrique.

Ces deux soir là au Fillmore , Johnny a jeté ses dernières forces dans la bataille , donnant ainsi au rock un de ses plus grands enregistrements live.

Condamné à évoluer dans l’ombre de son glorieux aîné , Edgard Winter monte un nouveau groupe , Edgard Winter White Trash , dont le premier album sort le même mois et la même année que Johnny Winter And.

Il est intéressant de mettre en parallèle ces deux productions. Comme je le disais pour Entrance, Edgard est plus ouvert que son frère, ses talents de multi instrumentiste le poussent à expérimenter. Johnny ne vénère qu’un swing , celui du blues , Edgard porte plutôt un culte à tous les avatars de ce même swing. Edgard Winter White trash est d’ailleurs un monument à la gloire des trois corps du dieux swing , le jazz , le funk , et le blues. Les cuivres mélodieux illuminent la mélodie bluesy de fly away , enrobent les rythmes funky de where would I be.

Le gospel n’est pas en reste, et save the planet sonne comme Don Nix donnant un concert dans une église avec les Stones comme backin band. Le swing est dans chaque riff , chaque battement, chaque mélodie de ce disque brulant. I’ve got a news for you donne même l’impression d’entendre Muddy Waters jouer en compagnie du big bang de Miles Davis. A sa façon, Edgard Winter est aussi un disque traditionnaliste, mais il voit la tradition dans toute sa diversité triomphante.

Edgard Winter White trash est plus puissant que Sly and the family stones, plus groovy que le chaos blues de son frère, c’est une réussite qui brille grâce à ses contradictions. Si les ventes n’imposent pas ce constat au grand public , Edgard Winter White Trash montre aux initiés qu’il est bien plus que le faire valoir de son frère.      
                                                                                                                        

dimanche 16 août 2020

Johnny Winter 3

Johnny winter/pochette cartonnee - Johnny Winter - CD album ...

Sobrement appelé Johnny Winter , le second album de notre albinos fait partie des joyaux définissant le blues rock. On retrouve ici la lutte entre le moderne et la tradition , qui faisait déjà la beauté de « the progressive blues experiment ». Mais la modernité a changé de visage , les échos hypnotiques ont fait place à des solos rapides et tranchants. Le tempo du rock a changé, des guitaristes comme Alvin Lee ou Hendrix ont remplacé les contemporains de Jerry Garcia, et la force et la vitesse sont devenues des principes sacrés. Pour être entendu, il faut désormais aligner un maximum d’accords , avec le maximum de puissance.


Johnny a donc aiguisé son jeu, mais n’allez pas croire qu’il a laissé tomber le feeling de ses modèles. C’est même tous le contraire, « Johnny Winter » est un pur album de blues , il atteint la frontière qui le sépare du barnum rock , sans jamais la dépasser. Mean Mistreater a d’ailleurs toute la puissance menaçante que Led zeppelin et Cactus reproduiront quelques mois plus tard. Contrairement à eux, Johnny ne tente pas d’embarquer cette puissance dans de longs délires sauvages. Il sait qu’il a atteint une limite indépassable, que toute fioriture sonnerait comme une trahison de son identité artistique.

Si il avait parsemé des titres comme I m yours and I’m her de solos interminables, nous le saluerions aujourd’hui comme le père du hard rock. Mais il ne veut pas de ce titre, et balance ses solos dans l’urgence, s’empresse de raccrocher son  riff à la rythmique pour préserver son swing. Une trop grande incartade à ses principes puristes aurait donné à « good morning little schoolgirl » , When I got a friend , ou « I’ll drown my own tears » des airs de symboles du passé.

Tout le charme de cet album est contenu dans cet équilibre fragile entre la violence de son époque, et la somptuosité de ses balades bluesy cuivrées. « Johnny Winter » est un album unique dans la carrière du texan, il ne retrouvera jamais cette sensibilité, cette classe dans la violence comme dans la douceur. « I’ll drown my own tears » donne d’ailleurs l’impression que Johnny rend hommage à cette Ella Fitzgerald qui fut à l’origine de sa vocation musicale.

Sur la pochette , son visage apparait d’ailleurs dans un décor lugubre , comme le visage d’Ella chantant le blues de Pete Kelly. Ce second album, c’est le blues d’un gamin qui a réalisé son rêve, et jette un dernier regard attendri sur le rétroviseur. Quelques mois avant la sortie de l’album, Columbia annonce à son poulain qu’il est à l’affiche du festival de Woodstock.

Arrivé sur le site, Johnny marche sur les décombres de ce qui devait être un guichet. Le festival devait être payant mais, débordés par la foule, les organisateurs n’ont pas pu faire payer les spectateurs. Quant au cachet des musiciens présents ce soir-là , il est si dérisoire que Johnny préfère penser à autre chose. L’enthousiasme de sa direction pour ce festival l’avait intrigué, et il avait décalé ses concerts pour assister aux premières performances.

Tout était fou à Woodstock , la foule , le manque totale de sanitaire, de nourriture , de boisson , l’organisation anarchique. Malgré la chaleur , il faudra attendre le deuxième jour pour que le site soit ravitaillé en eau et nourriture , et les concerts ne sont pas mieux organisés. Placé en ouverture, le pauvre Ritchie Haven fut renvoyé sur scène plusieurs fois pour occuper les spectateurs en attendant le groupe suivant. Heureusement, sa prestation fut grandiose , trois heures de folk mystique fascinante. Quand il acheva sa prestation sur « freedom » , il reçut une ovation unanime d’un public qui n’était pas encore descendu de ses sommets mélodieux. La suite fut un peu moins passionnante, les délires mystiques de ravi shankar ouvrant la voie aux miaulements prétentieux de Joan Baez. Le lendemain, country Joe dut tenir la scène équipée d’une simple guitare sèche, le chanteur de country joe and the fish redevint ainsi un chanteur folk moyennement convaincant. Heureusement, la provocation puérile de son « Fuck » repris par la foule sauva les apparences.

Le clown mexicain Santana vint ensuite plaquer ses solos interminables sur des rythmes cubains, et fut acclamé par les hippies, pour qui la moindre note exotique est signe de génie musical. On saura par la suite que, totalement sous l’emprise du LSD , le type n’a fait que délirer au milieu de percussions qu’il ne semblait pas entendre. Le salut vint enfin de Canned Heat , qui ramena tout le monde sur les rives magnifiques du boogie blues. Canned heat était le nouveau Butterfield blues band, il jouait le blues avec une justesse qui devenait de plus en plus rare.

Ce n’était décidément pas la soirée de la génération psychédélique et, après Santana et Country joe , ce fut au tour du Grateful dead de se perdre dans ses improvisations. Le groupe ne parvint pas à trouver son rythme, chacun moulinait dans le vide, et son rock planant devenait une sous folk soporifique. Il fallut toute la puissance du rock direct de Creedence cleawater revival pour réveiller des spectateurs assommés par les accords ronflant du dead.

La suite fut heureusement un feu d’artifice, qui atteignit son apogée lors du passage du Band. Ce soir-là, le groupe de Bob Dylan a atteint le sommet de sa splendeur bluegrass rock. Johnny passait juste après eux, ce qui était plus facile que de réveiller une foule assommée par les catastrophes psychédéliques précédentes. Arrivé sur scène, Johnny put étaler toute la puissance de son blues joué avec l’énergie du rock. Très bluesy , la première partie culmine sur un « be careful with the fool » qui atteint des sommets de groove nonchalant.

Puis Johnny se recula , laissant son frère Edgard prendre la direction d’une seconde partie de concert plus rock. Quand les dernière notes de « Johnny Be Good » s’éteignent, Martin Scorcese vient de filmer la naissance d’une des plus grandes fratries de l’histoire du rock.

L’album Johnny Winter sort quelques mois après ce triomphe, et son succès permet à Johnny de jouer dans la cour des grands. C’est ainsi que les tous jeunes musiciens de Led Zeppelin ont la mauvaise idée d’inviter le texan à effectuer la première partie de leur concert, dans sa ville natale. Une bonne partie de la ville était venue célébrer le retour de son fils prodigue. Sachant pour qui il ouvrait , Johnny gratifia les spectateurs d’une prestation très rock , tendue et puissante. Cet épisode trop peu raconté est un des grands moments de l’histoire du rock, une rencontre aussi historique que le passage de Hendrix en première partie d’Eric Clapton.

Ce soir là au Texas , le progrès musical changeait de visage , il renouait avec une certaine retenue , se focalisait de nouveau sur le rythme. Quand Johnny acheva sa prestation sur une version de highway 61 revisited boostée aux hormones , ses hôtes durent regretter de l’avoir invité.

La plus grande férocité de sa prestation n’était pas un simple calcul , elle correspondait à un virage musical profond. Ce virage, c’est second Winter qui allait l’incarner. Sorti en 1969, la même année que le premier Led zeppelin , second Winter représente tout ce que les descendants de Jimmy Page détruiront. Ce n’est pas pour rien que le disque fait cohabiter « highway 61 revisited 61 » et « Johnny be good » , il se place dans la lignée de cette légèreté irrésistible. En compagnie de son frère Edgard et d’un groupe plus fourni, Johnny combat le hard rock sur son propre terrain, sans reproduire ses travers.

Les solos sont rapides et courts , comme si la guitare se dépêchait de renouer avec le rythme qui fait l’essence de son mojo. C’est que Uncle John Turner est particulièrement en forme, il ressemble à un John Bonham ayant troqué sa folie bestiale pour une rigueur métronomique. Huste down in texas annonce d’ailleurs les déchainements heavy de Deep purple , tout en atteignant une efficacité rugueuse dont le groupe de Ritchie Blackmore ne pourrait même pas rêver

Le hard rock a pourtant déjà gagné la bataille , les mômes sont devenus accros à ses effets de manche dès que Jimmy Page a commencé à balancer ses solos pachydermiques. Mais toute une arrière garde a décidé de défendre le bastion du heavy blues jusqu’à la fin. Cette fin d’années soixante voit ainsi débarquer dans les bacs crickelwood green et sssh de ten years after , le premier album de taste, et bien sûr let it bleed des Stones. Second Winter est un des plus grands épisodes de cette résistance désespérée. Si ce disque avait éclipsé le premier album de Led zeppelin, le heavy metal n’aurait sans doute jamais existé, et le hard blues n’aurait pas servi à désigner tout et n’importe quoi.

Malgré le fait qu’il représente déjà la fin d’une époque, second Winter obtient un grand succès , mais son auteur  veut ralentir le rythme infernal de ses tournées. La pause qu’il s’autorise lui permet de monter un nouveau groupe , et de préparer la suite de sa brillante discographie. Mis au chômage technique, son frère Edgard en profite pour enregistrer son premier album solo.

Plus progressiste que son frère, Edgard a le regard tournée vers l’Angleterre , il s’émerveille devant ces groupes tentant de créer un rock « adulte ». Les anglais ont déjà abandonné le blues puriste , ils se servent désormais de la musique symphonique et jazz pour élargir le spectre musical du rock. Dans sa progression, la première face d’entrance s’inscrit dans le sillon de la génération de Yes.

Cet enchaînement de titres sublimés par des chœurs mélodieux et les larmoiements de violons et de piano rappelle d’ailleurs la somptuosité rêveuse du groupe de Steve Howe. Cette grande fresque pop sera d’ailleurs largement pillée par Todd Rundgren, qui en tirera la splendeur de son album Todd.
                                                                   
La cohérence des premiers titres est irréprochable, et pourrait donner des leçons aux plus grands virtuoses anglais. N’allez toutefois pas croire que les deux parties du disque sont comme deux pièces clairement délimitées. Progressivement, la symphonie se durcit, s’épure, jusqu’à exploser dans le brasier funk blues de « back in the blues. La seconde partie arrive ensuite comme une apothéose déchirante, le rock revenu à ses instincts primaires.

Alors que son frère semble se battre pour préserver un rock sobre et épuré, son frère signe un premier album aventureux et moderne. Johnny et Edgard deviennent alors les symboles du combat qui déchire les rockers en cette fin sixties début seventies.    
              
                                                                                                                                                                 

samedi 15 août 2020

Johnny Winter 2

Live at Bill Graham's Fillmore West 1969: Bloomfield, Gravenites ...


«  A une époque où tout fout le camp, dans un enfer où les gosses délirent sur des mélodies gluantes, Johnny Winter crée un oasis pour les derniers hommes sensés. Le rock n roll est comme les héros de ces saloperies de comics. Il peut se faire massacrer, torturer par des psychopathes meurtriers, recouvrir des pires immondices imaginables, il se relèvera toujours pour botter les fesses de ceux qui l’ont outragés. Le premier album de Johnny Winter ne représente rien d’autre que ce retour salutaire. C’est bien simple , depuis que Mike Bloomfield s’est mis à délirer sur east west , Johnny Winter est le dernier homme qui permet au rock de garder un peu de dignité. »

L’intéressé jubilait, un tel éloge réussit presque à faire rougir sa peau d’albinos. Il partageait en partie l’avis de son admirateur, mais aurait aimé pouvoir nuancer sa critique de Bloomfield. Le premier album du Butterfield blues band réussissait l’exploit d’apporter le Chicago blues aux masses.  Bloomfield et Paul Butterfield avaient jammé avec les grands prophètes du blues, et les avaient tant impressionnés qu’Howlin Wolf leur légua son groupe. On ne mesure pas l’ampleur du séisme déclenché par ce premier disque, le nombre de petits frères qu’il eut ensuite au pays et en Angleterre. Clapton, Canned Heat , et même Creedence clearwater revival , tous perpétuaient le swing électrique de ce premier disque.

Ce swing , Le Butterfield blues band l’a dans le sang , et il n’a pas disparu avec les expérimentations d’east west. La première face de l’album était d’ailleurs trempée dans le même mojo sacré que le premier album. Si la seconde face était plus aventureuse, le message donné aux autres musiciens restait clair : « Emmenez le truc où vous voulez mais n’oubliez pas votre swing en route ! »

Et ce swing , Bloomfield ne l’a jamais perdu , ses fils spirituels étaient d’ailleurs là pour le prouver. Un peu plus tôt , dans un disquaire du coin , Johnny avait pu écouter Happy trail de quicksilver messenger service , et le premier grateful dead. Ces deux disques étaient dans la droite lignée de ce que Bloomfield a engagé sur east west. Ce mojo là était plus mystique, ses échos devenaient hypnotiques, mais on était loin du saccage décrit par certains. Il s’agissait juste d’une génération se réappropriant le blues, pour remplacer le spleen des grands bluesmen par les rêves d’évasion de la jeunesse hippie. Si il défendait une vision beaucoup plus pure du blues, Johnny trouvait cette réappropriation saine.

Alors qu’il était dans ses pensées , un roadie vint enfin lui annoncer qu’il était temps de monter sur scène. Perdu dans ce bar, après que ses insomnies lui ait imposé une nouvelle nuit blanche, Mike Bloomfield n’en croyait pas ses yeux. Le guitariste au teint livide enchaînait les riffs à une vitesse folle, tout en réussissant à entretenir ces fameux échos, qui font la grandeur du blues. Se convulsant au rythme de ses accords, il criait ses refrains à contretemps, avec la conviction du grand Wolf au sommet de sa grandeur. Ses doigts émaciés parcouraient le manche de sa guitare avec une précision telle, qu’on avait l’impression que ses doigts étaient attirés par des aimants incrustés dans le manche.

Reprenant la tradition des grands troubadours noirs, il annonçait ses titres comme si l’idée lui était venue sur le moment. Bloomfield eu droit à un dépoussiérage du patrimoine blues, « back door man », « Hoochie coochie man » et « the hunter » retrouvant toute leur vitalité originelle entre les mains de ce virtuose au teint livide.

Après le concert, Bloomfield monte sur scène et demande une guitare. Spontanément, Johnny lui prête sa gibson , et sort de son étui une guitare blanche, qui sera immortalisée sur la pochette de captured live. Bloomfield entame spontanément le riff de catfish blues, et un dialogue s’installe entre les deux guitaristes. Après avoir rallongé ce boogie blues lors de longues minutes , Bloomfield dit simplement à Johnny de venir faire sa première partie au Fillmore le lendemain. Johnny n’eut pas besoin de répondre, les deux hommes s’étaient tout dit lors de leur passe d’armes bluesy.

Johnny Winter ne put fermer l’œil de la nuit, la pression liée à cette invitation lui interdisait tout repos. Le fillmore n’est pas une simple salle de concert , c’est un temple. A sa tête , Bill Graham annonce la musique de l’aire moderne. Par la seule force de son caractère légendaire, ce survivant de la shoah avait bâti un véritable empire , inventant ainsi le rock business. Les hippies le détestaient, et le décrivaient régulièrement comme un businessman venu profiter de la popularité du rock. Mais un homme uniquement attiré par le business n’aurait pas pu ouvrir sa salle en invitant un panel de musiciens inconnus. Les mother of invention, les allman Brother , et une bonne partie de la scène de San Francisco n’était rien avant de jouer dans sa salle. Bill leur a donné la chance qui leur permit de conquérir le monde, et les labels ont fait de sa salle un de leur terrain de chasse préféré.

Bref, c’était l’endroit où un groupe américain devait réussir, si il ne voulait pas finir sa vie dans les bars miteux. En plus, le concert que Johnny devait ouvrir promettait de devenir le plus grandiose de Bloomfield. Après quelques jours d’absence , le guitariste du Butterfield blues band avait invité Nick Gravenite. Le petit homme rondouillard était déjà une sommité dans le monde du blues , où on vantait sa voix envoutante et ses talents de songwritter. Des rumeurs annoncent d’ailleurs qu’il travaille sur des morceaux qui seront chantés par Janis Joplin.

Bref , il allait servir d’introduction au grand retour du plus grand bluesman de son temps. Il passa ainsi la nuit et la journée du lendemain à jouer le blues, jusqu’à atteindre la perfection. De cette manière, l’heure fatidique arriva vite et, en entrant dans la salle, il se sentit écrasé par l’immensité du bâtiment . Bill Graham l’accueillit en personne, lui montra comment brancher sa guitare à l’incroyable mur d’enceintes placé au fond de la scène , et essaya de le rassurer.

« Ne t’inquiète pas , tu joues sur la meilleure sonorisation de tout le pays . La seule chose que je te demande, c’est de faire au moins un rappel. Le seul qui ait essayé de refuser quand il est passé ici, c’est Mick Jagger. Je peux te dire que j’ai renvoyé ce con sur scène ! Stones ou pas , quand le public demande un rappel on lui donne ! »

Il n’osa préciser que sa position de première partie ne lui donnait pas forcément la liberté de prolonger sa prestation, et fut rassuré par l’ovation qui accueillit l’entrée de ses deux musiciens. Le groupe qui jouait sur « the progressive blues experiment » n’existait déjà plus, Johnny l’avait viré pour coller à la mode du power trio.

Comme souvent, cette tendance était venue d’Angleterre, où Cream dépassait les frontières de l’acid blues lors d’improvisations interminables. Féru de Jazz , Ginger Baker était le moteur de ces explorations sans filets, et son inventivité rythmique ne tardera pas à influencer une nouvelle génération de batteur.

Et puis il y’avait eu l’experience , le trio le plus emblématique de cette fin de sixties. Johnny avait été ébloui par « are you experience » , mais il savait que cette virtuosité unique ne pourrait qu’être caricaturée. Avec ses distorsions grandiloquentes, Hendrix avait initié une vision du guitar hero bien loin de sa finesse. Tous les magazines vantaient ainsi cette puissance déchirante, et une vitesse d’exécution à faire pâlir Alvin Lee.  On commençait déjà à voir débouler des groupes comme Blue cheers , Pink fairies , dont les guitaristes avaient pris les délires des journaux un peu trop au sérieux. Hendrix parvenait à donner à chacune de ses notes un écho passionné, comme si sa guitare n’était que le moyen d’expression de son âme voodoo, et cette virtuosité ne peut que disparaître avec lui.  

Dans cette époque, il y’avait une place à prendre pour un bluesmen comme Johnny Winter , et il comptait bien en profiter. A la batterie, John Turner imprime le rythme de « I’m yours and I’m her » , premier titre d’un second album que le trio espère enregistrer au plus vite. C’est un rock réduit à l’essentiel, un riff qui suit la tradition binaire de Chuck Berry, et dont Johnny ne s’éloigne jamais longtemps. C’est le début d’un round où Johnny travaille la foule au corps , lui réapprend à apprécier l’efficacité d’un rythme simple amplifié par un riff tranchant.  
Là où les autres ne font qu’accélérer au fur et à mesure de leurs prestation, Johnny semble au contraire ralentir le tempo, il laisse progressivement plus de place au groove originel.  Long Tall sally, summertime blues , back door man, tous ces titres sont joués avec le charisme nonchalant des grands du Missisipi. Ce soir, le blues reprend le contrôle de son enfant terrible, et copule avec lui dans une grand-messe vouée au mojo. Quand il achève sa prestation sur « I ‘ll drown in my tears » , il ressemble tout à fait à ses maîtres exploités.

Après une telle prestation, alors qu’il range sa guitare, un homme rondouillard s’approche de lui backstage.

-          Je me présente, Bruce Houghton, manageur et chercheur de talent pour Columbia.
-          Vous allez enregistrer mon second disque ?
-          Tu es direct gamin ! J’aime ça. Justement, pendant que tu jouais j’ai contacté les studios d’enregistrement. Ta place est réservée, tu signeras ton contrat là-bas.
-          Vous m’emmenez ?

Après avoir rameuté son trio, Johnny partit directement en studio. L’énergie de son concert n’était pas encore retombée, et il fallait capturer ça tant que le fer était encore chaud.          

mercredi 12 août 2020

dossier johnny et edgard winter partie 1

The Progressive Blues Experiment - Wikipedia

Né albinos comme son frère Edgard , John Dawson Winter entre pour la première fois au cinéma San Antonio. A une époque où la télévision n’est pas encore dans tous les foyers, le grand écran transmet des histoires qui font rêver toute une jeunesse. Ces années 50 marquent l’âge d’or du western, et les enfants se rejoignent régulièrement pour reproduire les grandes scènes de règlement de compte à OK Coral , Rio Bravo , ou la prisonnière du désert. Les gosses singeaient les postures de John Wayne et rêvaient de devenir cet homme courageux fort et intègre.

 Pourtant, John préférait voir Pete Kelly Blues, la réadaptation cinématographique d’une série télévisée à succès. Sombre histoire de clarinettiste tentant de faire survivre son groupe , au milieu des mafias et sous la prestation de syndicats corrompus , le film tranche avec les grands succès de l’époque. L’histoire se déroule à l’époque de la prohibition, et contient toute l’imagerie que l’on reliera plus tard au peuple du blues. Le héros n’est plus un gardien inflexible de l’ordre, mais un homme presque normal, qui se contente de survivre dans un environnement qui veut le détruire.

 Dans le rôle de Pete Kelly , Jack Webb singe l’air tourmenté d’un Humphrey Bogart, ce qui colle parfaitement à son rôle de musicien persécuté. Comme pour les bluesmen, la musique agit sur Pete Kelly comme un calmant, elle semble contenir une violence terrible. Derrière ses airs perdus, son regard triste, et ses mélodieux enchaînements de clarinette, Pete Kelly cache un passé terrible, que même le film n’osera dévoiler.

 Mais, plus que la poésie de cet homme seul contre tous, c’est la musique qui va marquer le jeune John. Plus précisément ce passage où, planté devant Ella Fitzgerald comme devant une divinité descendue sur terre, Pete Kelly écoute religieusement le titre qu’elle lui dédie. Comme son nom ne l’indique pas, Pete Kelly blues est un Jazz mélodieux, comme une lumière au milieu d’une scène particulièrement sombre.
 Le blues ayant pris la relève du Jazz, John passe les mois suivants à affiner son jeu de guitare. 

Pendant des heures, il se fait les dents sur les grands classiques du blues, épaulé par un frère multi instrumentiste, qui l’accompagne souvent au saxophone. Vite repérée lors de concours musicaux locaux, la fratrie sort un premier single sur un petit label. Intitulé school day blues , ce titre est le portrait d’un blues qui n’a pas encore totalement basculé dans le rock n roll. La notoriété du groupe de celui qui se fait désormais appeler Johnny Winter ne fait que grandir, mais elle reste encore cantonnée à son Texas natal.

 La vie du jeune texan va totalement basculer lorsque BB King vient jouer à Beaumont. L’homme est un dieu du blues, il fait partie des premiers bluesmen ayant flirté avec la fée électricité. D’ailleurs, BB voue un véritable culte à sa guitare électrique, et lui a dédié la chanson Lucille. Parler de BB King , c’est raconter la genèse de ce rythm n blues qui résonnera jusqu’en Angleterre. Ce n’est pas pour rien que, après la sortie de « the trill is gone », en 1969, les Stones s’empresseront d’inviter un de leur père spirituel à jouer avec eux.

 Pour l’heure, nous sommes en 1962 , et ses tubes ont surtout marqué les mordus de blues. Suite aux tubes qu’il sort à la chaîne, un nouveau label l’a récupéré, et il se prépare à fêter ça en sortant un live historique. Son heure est proche , et BB king en est conscient. Il traverse les spectateurs avec la classe grandiloquente du maître entrant dans ses appartements. Sa guitare, assortie à son smoking, est comme une partie de son corps imposant.

 Alors qu’il passe à côté des premiers rangs, une main lui attrape fermement la manche. Vaguement surpris , BB King gratifie le perturbateur d’un sourire chaleureux.
 
-          Allons gamin. Tu ne vas pas priver le public de sa dose de blues.
-          Non je vais lui offrir avec vous !

Les cheveux courts parfaitement coiffés, Johnny porte le même costume que son modèle, comme si il savait en entrant qu’il jouerait avec lui. Dans son autre main, l’albinos tient fermement sa guitare Gibson, et ses doigts semblent déjà former un accord. Ce n’est pas la première fois que Johnny interpelle ainsi un autre musicien, c’est même devenu une tradition dans les bars texans. Les musiciens blues ont compris que, si il ne veulent pas que le blues subisse le même déclin que le jazz , il faut qu’ils transmettent leur toucher aux jeunes.

 C’est ainsi que, dans plusieurs bars américains, de jeunes blancs becs portent un grand coup à la ségrégation , en jouant le blues avec leurs modèles noirs. BB King savait que ce partage existait, il savait que le blues devait beaucoup à ces rencontres inattendues , et il invitât le jeune homme à monter sur scène. Après lui avoir demandé son nom, BB cria comme pour adouber son poulain du jour :
 -          Mesdames et Messieurs faites un triomphe à Johnny Winter !

 Il s’aperçut vite que son invité était loin d’être un rigolo , même si son toucher lui paraissait un peu rapide. Il y’a, chez beaucoup de bluesmen, un culte du silence. Une note ne se brusque pas, il faut la laisser résonner et s’épanouir dans de grands espaces vides. C’est la loi sacrée du blues , le feeling , et ce n’est pas parce que BB était passé à l’électricité qu’il l’avait oublié. Mais ce jeune-là avait quelque chose, il sonnait un peu comme Chuck Berry sans réellement s’éloigner du feeling des pionniers.

 Les titres  s’enchaînent à une vitesse folle, le toucher du jeune homme en augmente l’énergie tout en restant respectueux du groove originel. A la fin de Lucille, BB se contente de dire à Johnny « tu iras loin si tu ne te laisses pas grignoter par le succès ». Johnny aura tout le temps de comprendre cette remarque quand le succès en question viendra à lui. Après cette rencontre, Johnny parvient à jouer avec Muddy Waters et quelques gloires du Chicago blues , avant d’enregistrer son premier album pour un label local.

 Nous sommes alors à la fin des sixties, et le psychédélisme commence à produire ses premiers chefs-d’œuvre. Diffusé par les Merry Prankers , le LSD a fini entre les mains de Mike Bloomfield , qui a suivi son influence pour écrire east west. Le disque du même nom est sorti en 1966, et la scène de San Franscico a eu une révélation en écoutant Bloomfield jouer son chef d’œuvre lors d’un concert du Paul Butterfield Blues band.

 Le Grateful dead suivit cette voie sur son premier album, et fut rapidement rejoint par Quicksilver messenger service et autres country joe and the fish. Dans ce contexte, « the progressive blues experiment » ne pouvait sonner comme un disque oublié d’Howlin Wolf. L’introduction de rollin and tumbling suit donc le nouveau mojo inventé par Bloomfield. Son riff est un mantra enivrant , un tourbillon dans lequel le blues trouve une nouvelle mystique.

 Mais Johnny ne sera pas un de ces hippies réinventant le blues , cette ouverture est avant tout une feinte pour ramener tout le monde au bercail.  Nommé « tribute to muddy » sa reprise de catfish blues rétablit le mojo originel , elle est la première étape dans son entreprise de nettoyage du blues. Ses riffs décuplent le tranchant de ses modèles les plus féroces, font passer Bo Diddley et John Lee Hooker pour des musiciens de bal.

 Cette violence lacère le rêve psychédélique, montre au blues qu’il peut se réinventer sans se renier. « the progressive blues experiment » est le disque d’un homme qui a décidé de défendre férocement le bastion de la tradition, et qui décoche ses riffs comme des flèches visant les modes éphémères.
 Les fans de l’albinos diront peut être de nos jours que ce premier disque était un premier essai un peu mou, que sa  guitare parait bien polie par rapport aux dynamites qui suivront , et qu’un disque de reprises ne peut être considéré comme un classique. C’est faire preuve d’un anachronisme impardonnable.

 Comparez ce disque aux autres albums de blues de cette année-là , et vous comprendrez où réside son génie. A part du côté des anglais, aucun autre ne sort des riffs si tranchants , et ceux qui y parviennent ne le font jamais avec un tel respect pour le blues originel. Lors de la tournée de promotion, Johnny Winter passe par San Francisco, où un certain Mike Bloomfield est présent pour juger le « phénomène texan ».