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samedi 24 avril 2021

Patti Smith : épilogue

En 2006 , le CBGB annonce sa fermeture. Le lieu qui vit le Punk naitre et grandir, le QG où Iggy Pop côtoyait Blondie , les Ramones et autres icones destroy, ce lieu mythique disparait à cause de basses préoccupations financières. C’est aussi dans cette salle que Patti rencontra Tom Verlaine , qui influença largement le son de Horses. Les gérants du CBGB invitent donc la prêtresse punk à bénir une dernière fois leur temple. Arrivée sur scène dans la tenue qu’elle portait sur la pochette de son premier album, Patti Smith passe en revue tous ses classiques. Au bout de quelques minutes, le guitariste de Television la rejoint pour jouer rock n roll nigger , qui devient l’hymne de tous ceux qui commencèrent leur parcours dans cette salle. Avant le dernier titre, Patti lit une liste de tous les héros ayant fait de ce lieu le centre du monde.

Parmi ces noms, on trouve des figures aussi incontournables que Lester Bang ou les Ramones. Pour celle qui a survécu à cette histoire, le 21e siècle devient le temps des hommages. C’est ainsi que la chanteuse est introduite au rock n roll hall of fame par le chanteur de Rage against the machine. Dans son discours d’introduction, Patti exprime toute sa gratitude envers une musique qui lui a ouvert toutes les portes. Peu de temps après cette grand-messe nostalgique, Twelve débarque dans les bacs des disquaires.

Twelve fait renaitre une vieille question : A quoi servent les albums de reprises ?

Parmi eux, seul Pin up de Bowie fut reconnu comme un chef d’œuvre, grâce à l’énorme popularité d’un Ziggy Stardust, dont il représente le dernier tour de piste. Voilà peut-être la seule utilité de ce genre d’albums, satisfaire le besoin de souvenirs de fans attachés à leur passé. Celui qui produit un album de reprises est comme un restaurateur de voitures de collection, la moindre originalité de sa part ne peut être vue que comme une erreur grave.

Partant de ce principe, twelve ne pouvait qu’être un album de seconde zone, le genre de relique écoutée une fois avant de prendre la poussière sur les étagères. La set list ressemble à la réserve d’un vieux juke box , les Doors y côtoient Dylan et autres Stones, dans un mélange de rock et de bluegrass. Si cette musique parvient à atteindre un semblant de lyrisme, c’est uniquement en se rapprochant des versions originales. Twelve dilue la puissance de ses chefs-d’œuvre dans une douceur sensée apporter un peu d’originalité, repeint le temple rock d’une couleur hideuse.

Comble de l’ironie , Patti parvient à rater le titre qui lui convenait le mieux. Issu de l’honteusement sous-estimé Street Legal , Changin of the guard est vidé de tout charisme illuminé par celle qui en fit sa marque de fabrique. En oubliant ses chœurs gospels, Patti vide le titre de toute sa puissance symbolique, renie la ferveur religieuse qui value à Dylan les foudres de la critique. A l’image de ce monument Dylanien, twelve semble vider tous ses modèles de leurs substances.

White Rabbit s’embourbe dans une mélodie soporifique, douceur apathique qui l’empêche de retrouver ses sommets psychédéliques. Soul Kitchen , quant à lui , perd toute sa virilité menaçante , renie son mojo bluesy et ses emportements rageurs. On découvre ensuite un intrus à cette sélection, qui n’est autre que smell like teen spirit. Avec son riff pompé sur godzilla (du Blue oyster cult) , l’original était déjà une des créations les moins intéressantes de Nirvana, il est ici dénaturé au point de devenir méconnaissable. En voulant lui rendre hommage , Patti Smith a accentué ce qui rendait parfois Kurt insupportable , elle surjoue ses gémissements de chanteur suicidaire.

Comme dit plus haut , un album de reprises est condamné à être médiocre ou acceptable et il n’est acceptable que quand il reproduit ses modèles de la manière la plus fidèle. Dans le cas de Twelve , on retrouve un peu d’énergie quand Patti oublie son attirail bluegrass. Gimme shelter permet ainsi à Lenny Kaye de se transformer en Keith Richard acceptable. L’autre bonne surprise se situe dans Helpless , où la simplicité folk de Neil Young fait renaitre le charisme passionné de Patti.

Ces quelques fulgurances ne comblent pas la faiblesse de Twelve , qui est aussi celle de tout album de reprises. Reconnaitre une quelconque valeur à ce genre de disque, c’est avouer que les originaux ne sont que de vulgaires brouillons que l’on peut transformer au fil du temps. Partant de ce constat, Twelve ne peut qu’apparaitre comme une soupe particulièrement fade.

Je ne m’attarderais pas sur Banga , dernier disque renouant avec la production tapageuse de Dream of life . Je préfère garder la grandeur d’une œuvre qui, dans le rock comme ailleurs, n’a pas d’équivalent. Patti Smith a initié le punk sans jamais s’y conformer, a flirté avec la pop pour lui donner au moins deux de ses plus grands albums. On écoute ses premiers disques comme on entre en religion. La singulière originalité de son œuvre interdit toute tiédeur, on ne peut que la détester ou l’admirer toute sa vie. C’est désormais à vous de choisir votre camp.                

Patti Smith 10


Le deuil passé, Patti Smith surprend tout le monde avec la sortie de l’album Gun Ho. Plus brut et rageur, le disque séduit une nouvelle génération, qui redécouvre déjà le rock à travers les riffs de Jack White. Le succès permet à Patti de quitter son label, pour signer un contrat avec Columbia en 2004. Elle se concentre ensuite sur son œuvre picturale, exposant ses tableaux au centre Andy Warhol. Il faudra attendre plusieurs mois pour que la chanteuse devenue peintre ne sorte un nouvel album. Premier album pour Columbia, Trampin est marqué par un début de millénaire troublé.

Bien au chaud dans son opulence consumériste, l’occident était loin d’imaginer qu’une attaque sanguinaire puisse encore avoir lieu sur son sol. La guerre était jusque-là un malheur lointain, le péché d’un impérialisme américain contre lequel toute une jeunesse a manifesté. L’occident voulait sortir de cette histoire, oublier les luttes de civilisation en envoyant ses soldats combattre loin de son sol. Le 11 septembre 2001 replongea de force l’occident dans le bain glacé d’une histoire qui sera toujours tragique.

Le peuple réclama vite vengeance contre cette barbarie, on lui répondit comme l’Amérique a toujours répondu à ses angoisses, en allant montrer ses muscles à l’étranger. Pour se faire , Bush tente de convaincre les Nations Unies de l’aider à combattre en Irak. Flairant le délire d’un pays toujours prompt à jouer le gendarme du monde, la France et la Russie refusent de participer à la mascarade. Du côté de la population, le fils Bush affirme que Ben Laden se cacherait dans l’ombre de Saddam, qu’il faut renverser le dictateur au nom des droits de l’homme. Hier ce fut le Vietnam, aujourd’hui c’est l’Irak , hier on redoutait les rouges , aujourd’hui ce sont les barbus , définissez l’ennemi et vous pourrez justifier l’injustifiable.

Dans ces moments, on attend ensuite que les artistes viennent soigner les plaies morales d’une Amérique en deuil. Et des géants de cette trempe il n’en reste plus des milliers. Conscience prolétarienne de l’Amérique, Bruce Springsteen sort the rising en 2002, disque où son romantisme se pare d’une beauté tragique. Patti répond au drame deux ans plus tard , d’une manière plus révoltée.

Trampin marque le retour à un rock plus énergique, le deuil est passé et la chanteuse veut plus que jamais apporter de l’espoir. Avec ce disque, Patti encourage l’insoumission, incite à l’activisme et célèbre les mouvements d’émancipation comme autant de lueurs d’espoir. Seule exception à la règle, radio Bagdhad exprime sa honte d’appartenir au pays qui répand le chaos au Vietnam. Ayant retrouvé sa révolte, Patti proclame Bagdhad « centre du monde », s’emporte pour tous ces innocents plongés en enfer. Trampin réinvente une nouvelle fois le mysticisme d’Horses , redonne au rock son rôle de cri d’insoumission.

Du côté de la musique, le blues de jubilee cotoie de douces méditations telles que peaceable kingdom ou Trampin, radio Baghdad nourrit sa fureur aux sources du Détroit de la grande époque. La noirceur des précédents albums laisse place à une succession de célébration de révolte, de célébration de prières. L’Amérique vacille , mais Patti veut croire qu’elle n’est pas perdue , qu’il existe encore de grandes lueurs d’espoir. Trampin est un grand disque parce qu’il revient à ce qui fit toujours la grandeur de son auteur : un rock révolté et lyrique , accessible sans renouer avec les canons sirupeux de la pop.

Les improvisations montent de nouveau dans des transes où se réinventent ses totems incontournables , le souvenir des Doors côtoie le feeling d’un Lenny Kaye qui sonne toujours comme une version destroy des Yardbirds. Trampin est un grand album de rock et c’est une réponse classieuse au trouble de son époque. Si l’époque fait les grands hommes, trampin montre qu’elle influence aussi les grandes œuvres.        

Patti Smith 9

 


Pour oublier ses peines , Patti Smith se lance rapidement dans la tournée de promotion de son dernier album. Sur scène, elle retrouve la transe de ses jeunes années, la disparition de Fred semble progressivement tuer la femme mature pour faire renaitre la jeune fille. La marraine du punk parle de ses disparus à un public compatissant , lui avoue le regain de jeunesse que lui apporte la fin de son deuil. C’est aussi l’époque où on lui demande quelle fut sa place dans le rock seventies. Avec le recul, on peut dire que le Patti Smith group fut une version lyrique du MC5, un Velvet underground enragé. Son free jazz fut certes proche de Television , qui sortit son Marquee moon la même année que Horses , mais Tom Verlaine n’avait pas cette rage révoltée.

Peu de temps après sa tournée, Bob Dylan appelle Patti pour lui proposer de rejoindre sa tournée paradise lost. Après la sortie de l’impressionnant Oh mercy , le grand Bob vit un nouvel âge d’or artistique. Il invitât le gratin du rock moderne à participer à l’enregistrement de under the red sky, avant de renouer avec ses racines blues. De ce retour aux sources naquirent deux albums, time go wrong et as good as I’ve been to you , où sa voix a le charisme des grands pionniers. On a aussi pu le voir dans l’émission MTV unplugged , où sa prestation anecdotique eut au moins le mérite de montrer qu’il restait le plus grand artiste de son époque. Si Patti n’est pas emballé par son invitation, elle finit par céder aux demandes du Zim.

Patti Smith effectue donc les premières parties de la tournée paradise lost , avant de rejoindre Bob sur scène le temps de quelques titres. Artistes véritables dans un monde de plus en plus artificiel, le duo symbolise tout ce que l’époque cherche à détruire. Patti et Bob sont parmi les ultimes gardiens d’une flamme allumée lors des merveilleuses sixties, et qui ne renaitra sans doute plus, celle d’une pop intelligente et ambitieuse. Devenue une institution respectable, Patti Smith n’en est pas moins restée une femme révoltée. Le système médiatique s’en rend compte lorsque le magazine Q lui décerne un « inspiration award ». Lors d’un long discours, elle affirme que les médias ne doivent pas servir les artistes , qui ne sont pas non plus fait pour se mettre au service des médias. La seule cause que cette secte dégénérée devrait toujours servir, c’est le peuple.

Nous étions en 1995, et Patti avait déjà compris que l’art était vérolé par le petit milieu des gens de lettres , hommes de spectacles , et autres sous races d’artistes. Le phénomène ne fera que s’accentuer par la suite, cette noblesse cachant ensuite ses privilèges et son entre-soi derrière le masque d’une vertu faite de bien-pensance nauséabonde et de militantisme bourgeois. En affirmant son mépris vis-à-vis de ce cirque mondain, Patti Smith réaffirmait son indépendance vis-à-vis d’un milieu médiatique dont elle s’est toujours méfiée. En parallèle de ce retour sous les projecteurs, elle avoue son admiration pour le dalai lama, rêve toujours d’un monde en paix.

Révolte et idéalisme, indépendance et passion, l’auteur de Horses revient aux sentiments qui firent sa grandeur. Ces sentiments influencent l’enregistrement d’un album justement nommé Peace and noise , qui sort en 1997. Ce disque est dans la droite lignée de Gone again, Jeff Buckley ayant rejoint le rang de ses fantômes quelques mois plus tôt, alors que Willam Burroughs vient de succomber à une crise cardiaque. Ceux qui refusent de reconnaître l’influence de la littérature sur une partie du rock devrait relire junkie et le festin nu, une bonne partie de la noirceur de Lou Reed est annoncée dans ces lignes troublantes. Ces disparitions inspirent à Patti une phrase qui pourrait aussi être le mot d’ordre de nombreux rockers : Souviens toi que tu vas mourir.

La tristesse cohabite avec un certain optimisme, les figures du dalai lama , de mère Thérésa ou de Jésus défilant sur un blues apaisé , ou dans des prières méditatives. Le tragique de la petite histoire de Patti côtoie la tristesse d’un monde violent. Peace and noise s’indigne rageusement du sort réservé au Tibet envahi, rend hommage à ses martyrs avec la colère froide d’un blues rock torturé, prie pour la paix sur le slow blue pole , salue son passé sur don’t say nothing.

Peace and noise est l’album où la tristesse devient nostalgie, où le drame enfante l’espoir. Patti prend désormais ces disparitions avec philosophie, célèbre la vie qu’elle a eue après avoir regretté celle qu’elle n’aura plus. Pour le reste du monde, elle veut garder l’optimisme de la jeune fille utopiste qui admirait le dalai lama. Ce doux optimisme exige encore une production sobre et intimiste, oblige souvent la guitare à murmurer derrière un piano nostalgique où une mélodie douce heureuse. On remarque néanmoins que, quand les six cordes peuvent enfin s’épanouir dans un rock gorgé de blues, la sobriété de sa production illumine son feeling mystico blues. Pour clôturer une prière aussi lumineuse que ce Peace and noise , la guitare rugit rageusement sur le hard blues dead singing. Ce titre, c’est la révolte d’une femme qui sent que le bout du chemin est proche, alors qu’elle a encore tant à dire.

Si le temps joue contre elle, Peace and noise montre que la route de Patti est encore loin d’être terminée.               

lundi 19 avril 2021

Patti Smith 8



Quelques mois après la sortie de dream of life , en 1989, Robert meurt du sida. La maladie le rongeait depuis plusieurs mois, le fringuant jeune homme de just kids étant devenu un vieillard épuisé. Pleurer un mort, c’est avant tout pleurer une partie de son passé, chaque disparu emporte avec lui une période de nos vies qui ne reviendra plus. Robert était le compagnon de misère, celui qui avait sorti Patti de sa vie de vagabond, lui permettant ainsi de conquérir le monde. Un mort partant rarement seul, Richard rejoint bientôt Robert dans le rang des fantômes chers à Patti Smith. Claviériste de son groupe, le musicien emporte avec lui le souvenir de cette enragée mystique que Patti n’est plus depuis la fin du Patti Smith group.

Alors que la chanteuse fait progressivement le deuil de ses deux amis, Fred Sonic Smith apparait de plus en plus fatigué. Cet épuisement n’alarme pas sa femme, qui poursuit avec lui la vie de famille paisible qu’elle s’est choisie. En 1994, une autre disparition bouleverse le couple, celle de Kurt Cobain. Ils n’ont pas rencontré ce jeune homme torturé, qui apportât au rock un de ses derniers âges d’or , mais ils sentent qu’il existe un lien entre sa musique et la leur. Kurt était un descendant du brasier de Détroit, alors que sa musique trouvait sa force dans tout ce que la génération proto punk de Patti a initié. Quand l’ange blond du grunge s’est donné la mort, Patti et Fred ont perdu un fils spirituel.

C’est aussi à cette époque que Patti renoue avec le cirque médiatique. La poésie a pour elle largement pris le pas sur la musique, la papesse punk affirmant qu’elle souhaite désormais être reconnue comme écrivain. Elle accepte finalement de reprendre le micro, pour enregistrer un inédit sensé booster les ventes d’une compilation, dont les profits seront reversés à une association de lutte contre le sida. Quelques jours plus tard, Fred Sonic Smith meurt à l’hôpital de Détroit. Epuisé par la quête d’un succès qui ne vint jamais, le plus grand guitariste de Détroit a succombé à un infarctus.

Après deux mois de deuil, sa veuve réapparait progressivement lors de quelques cérémonies publiques. Patti revient ensuite enfin à la musique, et réserve le studio electric ladyland , où elle entame l’enregistrement de gone again. Sorti en 1996, cet album sera résolument nostalgique. Plongé dans le studio où tout a commencé, Patti renoue avec un lyrisme tragique, qui manquait à ses productions plus pop. Les fantômes côtoient les vétérans revenus la soutenir, le morceau titre et « summer cannibals ayant été écrit avec Fred Smith , alors que John Cale et Tom Verlaine participent aux chœurs de « beneath the southern cross » et « fireflies », la sœur de Fred tient quant à elle la mandoline sur Rain. Alors que la troupe dirigée par Patti s’agrandit, la production est plus brute que sur ses précédents albums, Patti n’allait pas entrer dans son cimetière avec un attirail de popstar.

Le morceau titre est une ouverture saisissant, un blues d’apaches rendant hommage aux braves tombés au combat. Il symbolise un album où la rage côtoie la tristesse, une œuvre se révoltant contre l’injustice de la mort et pour survivre à ses drames. Cette tristesse rageuse semble régénérer l’inspiration de Patti , qui fait danser ses fantômes sur un blues rock illuminé , ravive le feu de son rock mystique en leur honneur. En plus d’avoir perdu un ami et un mari, la chanteuse a aussi perdu un fils spirituel, le grondement stoogien de about a boy rendant hommage à Kurt Cobain. Gone again est un album où la petite histoire de Patti rencontre la grande histoire du rock, où elle semble autant mettre des mots sur les douleurs d’une musique orpheline, que sur ses propres blessures.

Au-delà de ses textes, la musique convoque ses propres icônes. Gone Again rappelle le blues de shaman de Jim Morrison , Fireflies flirte avec la folie divine d’un John Coltrane en pleine méditation free jazz , et le souvenir des Stooges nourrit la noirceur de about a boy. Comme si la mort harcelait la chanteuse, Jeff Buckley effectue sa dernière prestation dans les chœurs de beneath the southern cross , il mourra noyé à peine un an plus tard. Summer of cannibals apporte un peu de lumière à cette noirceur endeuillée. Propulsé par un riff heavy blues digne des passages les plus puissants de horses , le titre ressemble à une lueur d’espoir au milieu de ce mouroir aussi étouffant que fascinant.  

Gone again est l’album d’une chanteuse qui prit le micro avec l’urgence d’un naufragé se jetant sur sa bouée. Traumatisée par une série de disparitions soudaines , Patti comble le vide laissé par ces disparus avec sa musique la plus pure , la plus poignante aussi. Un chroniqueur avait affirmé que l’on reconnaissait les grandes chansons de Lou Reed à la faible intensité de sa voix, le génie n’ayant pas besoin de hurler pour se faire entendre. C’est pourquoi, perdu dans ses textes les plus approximatifs, le grand méchant Lou avait tendance à hausser le ton, alors que les perles de « blue mask » ou « cosney island babie » semblent chuchotées avec une douceur enivrante.

Grâce à gone again , ce constat se vérifie aussi pour Patti , les complainte telles que « fireflies » ou « raven » étant murmurées telles des prières. La douleur a fait naitre une Patti Smith mature, elle a donné à gone again la profondeur d’un Dylan rescapé de son arrêt cardiaque. Il y’a d’ailleurs un lien profond entre gone again et time out of mind , le disque que Dylan enregistrera après avoir échappé à la mort. Tout deux sont les œuvres d’artistes qui, voyant la grande faucheuse approcher, exorcisent leurs angoisses dans les profondeurs d’un blues poignant.

         

vendredi 16 avril 2021

Patti Smith 7

 


Dans le rock , les adieux ne sont jamais définitifs , ceux de Patti Smith ne feront pas exception à la règle. Le retour est d’abord discret, et commence par une courte reformation du Patti Smith group. Patti souhaitait profiter de la popularité de son groupe pour aider l’orchestre symphonique de Détroit, en lui reversant tous les bénéfices de la soirée. L’opération est un succès, qui montre que la papesse punk se considère toujours comme une ambassadrice de l’art. Elle sent aussi que ses musiciens espèrent une reformation plus longue, chose qu’elle refuse radicalement. Sa dernière déclaration publique sera donc l’annonce de la fin, définitive cette fois, du Patti Smith group.

De retour à Détroit , elle finit par travailler sur un album en duo avec Fred Smith. Le couple se voit alors comme les John Lennon et Yoko Ono de Détroit, ceux qui viendront rallumer une flamme que le MC5 n’a pu préserver. Mais la musique n’est plus la préoccupation principale du duo, qui laisse les sessions s’éterniser pour donner la priorité à sa famille. Cloitrés dans une ex motor city devenue une ville fantôme, Patti Smith et Fred Smith disparaissent totalement des radars médiatiques. Le meurtre de John Lennon par un sombre inconnu ne fera que renforcer son choix. A l’heure où les musiciens de leur génération se cachent derrière leur garde du corps,  le couple vit une vie de famille des plus banales.

La stabilité n’étant jamais bénéfique aux artistes, les sessions de leur album ne donnent rien de concluant,  et Jimmy Lovine est appelé à la rescousse. L’idée de duo est alors abandonnée, Dream of life sera juste le grand retour de Patti Smith. L’album sort enfin en 1988, et exprime autant l’assagissement de son auteur que la profondeur des changements intervenus durant son exil. Les années 80 ont vu le rock abdiquer face à une pop triomphante, les guitares ronronnent désormais pour s’attirer les faveurs de médias de plus en plus puissants.

MTV vient de naitre, amplifiant un culte de la superficialité qui ne fait que s’accentuer. Sur la jeune chaine, on peut voir Bowie chanter son hymne de foire produit par Neil Rodgers, Springsteen danser de manière ridicule en compagnie de Courtney Cox, ou Dire Straight réclamer « son MTV ». Pour accéder au succès, les rockers doivent sonner plus propre, moins violent.. En un mot comme en mille : Moins rock !

Si on ne peut que s’incliner quand ce procédé dévitalisant accouche de disques aussi sompteux que « brother in arms » ou joshua tree, il faut reconnaitre que cette standardisation de la musique nuit gravement à l’inventivité des rockers. Produit par la même personne que l’irrésistible Ester , Dream of life est malheureusement un symbole de cette mort lente du rock. On ne peut pas reprocher à Patti, alors qu’elle vient de dépasser la quarantaine, de ne plus hurler comme un communard mystique sur sa barricade. En revanche, on peut regretter que sa fougue utopiste ait laissé place à un mélange de moralisme démagogique et de sentimentalisme gluant.

Symbole de cet idéalisme émasculé, people have the power se traine comme l’idéalisme hippie agonisant à Altamont. La batterie est robotique et froide comme une boite à rythme, les synthés dégoulinent de solennité surfaite, pendant que la guitare ne peut que balbutier un riff amorphe. Résultat, quand Patti chante « people have the power » ce qui se voulait une affirmation sonne comme une demande désespérée. Des slows comme « goin under » jouent ensuite la carte de la variété rock. Ce piano ultra clean, ces chœurs suintant de bons sentiments, et une guitare se lançant dans un solo sans énergie, on retrouvait déjà tout ça sur quelques albums de Renaud.  

Le rock n’a pas réussi à se débarrasser de ce que la majorité nomme la beauté. Pour cela, il aurait fallu passer en boucle des disques comme « trout mask replica » , rendre le peuple fou à grands coups de « absolutely free » , inonder le monde de mélodies loufoques , de riffs délirants et autres folies avant gardistes. Gavée de cette pop exigeante, la masse aurait compris que c’est à elle de se mettre au niveau des artistes, et que cette hiérarchie doit toujours rester immuable.

Quand le grand public devient le roi fainéant de la pop, cela donne des disques comme dream of life, qui lui sert la soupe avec une soumission vulgaire. Alors on cherche dans cette production indigeste quelques traces de sincérité artistique, on attend cet oasis comme un bédouin perdu en plein désert.

Quelques mirages rassurant se dessinent alors, comme ce up down there , dont la fougue sonne comme un lointain cousin de rock n roll nigger. Si le titre reste trop tiède pour provoquer des cris d’extase, il montre au moins que Patti peut accoucher d’un rock mature sans se noyer dans un populisme stérile. Du coté des ballades par contre, la grandiloquence de la production détruit tout début de lyrisme authentique.

Pour la plupart des auditeurs, dream of life sera un disque agréable , le genre de musique qu’on écoute avec plaisir , avant de l’oublier dès que l’album se termine. C’est malheureusement aussi le genre de musique d’ambiance dont l’époque raffole. De ce point de vue, même si son travail est artistiquement honteux, Jimmy Lovine a fait ce que l’on attendait d’un producteur moderne. En noyant totalement son lyrisme solennel, il a fait de Patti Smith une pop star. A une époque qui considère que plus rien n’est sacré, la papesse du punk produisait son born in the Usa.

Si l’on constate aujourd’hui que ce dream of life n’a pas trop mal vieilli, c’est avant tout grâce au vide de sa musique. Une œuvre ne peut vieillir que si son propos est rendu caduc par l’inexorable marche du changement. Dream of life chuchote trop faiblement pour perturber les codes d’une quelconque époque, c’est un souffle si timide que l’on finit vite par ne plus l’entendre.

Et c’est bien là que se situe le comble de l’ironie :

Patti Smith a produit une œuvre sans âme !          

Patti Simth 6

 


Waves est le dernier chapitre de l’aventure du Patti Smith group. Les musiciens sentaient bien que quelque chose était en train de disparaître, mais ils refusaient d’y croire. A peine les derniers concerts de la tournée Easter terminés, Patti partit s’isoler à Détroit. Là, Fred Smith la garde comme un trésor inaccessible, allant jusqu’à empêcher ses amis de la voir. Il n’est pas impossible que cet isolement soit voulu par une chanteuse pour qui le rock devient une obligation. Patti Smith est un personnage excessif, elle connaît le prix à payer pour vivre comme elle l’entend. Elle a toujours agi sur le coup d’une révélation, et celle-ci se nomme désormais Fred Smith.

Rêvant d’une vie de famille apaisée, celle qui se disait « général du rock n roll » parle désormais de « laisser la place aux jeunes générations ». La seule nouvelle qu’elle reçoit du monde du rock ne fait rien pour arranger son abdication. Un soir au CBGB, Sid Vicious s’est montré particulièrement agressif envers la petite amie de son frère, l’obligeant à s’interposer pour tenter de calmer les choses. Sid n’est pas du genre à faire des phrases, il a plutôt l’habitude d’assommer ses contradicteurs d’un coup de cannette de bières. Le frangin s’en titre donc avec quelques points de sutures, mais l’accident confirme une décision que Patti semblait préparer depuis quelques jours.

Elle programme donc l’enregistrement de ce qui doit être son dernier album, qui sera produit par Todd Rundgren. Après s’être fait connaitre grâce à un tube de the Nazz , Todd a produit des disques pour des groupes tels  que les New york dolls ou Grand funk railroad. Mais il s’est surtout révélé en solo, lorsqu’il sortit « sometin / anything » et le lumineux «  A wizard a true star ». En plein âge d’or progressif, Todd Rundgren prouva que l’on pouvait créer une œuvre ambitieuse sans tomber dans l’intellectualisme abscons de certains prog rockers anglais. Ses disques charmaient immédiatement l’oreille, avant de dévoiler toute leur richesse au fil des écoutes. Et puis il y a leur production flamboyante, du grand spectacle, où l’extravagance de Todd atteint des sommets pyrotechniques.

Quand Patti rejoint le producteur, elle lui annonce d’emblée que ce disque sera son dernier. Pour ce chant du cygne, Todd déploie toute la splendeur de son excentricité sonore. Pour donner plus d’impact à la déclaration ouvrant l’album, il fait sonner la batterie comme un cœur en pleine transe amoureuse. Ce « Frederick » , c’est bien sûr Fred Sonic Smith , à qui elle crie son amour devant une chorale grandiloquente. Waves marque l’avènement d’un mysticisme plus apaisé, la chanteuse ne part plus en transe, elle médite.

Cette pop est toujours faite pour conquérir les charts , dancing barefoot s’élevant dans un refrain que n’aurait pas renié le Tom Petty de Damn the torpedoes. Plus mélodieuse, la guitare semble chasser sur les terres des Heartbreakers. La reprise de « So you want to be rock n roll star » enfonce le clou , tant elle semble calquée sur la version qu’en fit le grand Tom.

Arrive ensuite la Patti Smith plus expérimentale, celle qui se fit connaitre en faisant du rock un temple, une religion, une secte. Hymn est une déclamation telle que Jim Morrison aurait rêvé d’en produire, la voix de Patti Smith se mariant parfaitement à la mélodie d’une harpe antique, dans une déclamation que l’on croirait sortie de la grande Athènes. Revenge prend la suite sur un blues méditatif, mojo de moine tibétain atteignant le nirvana. Les chorus de six cordes ne sont plus des détonations, mais des apothéoses, ils brillent telles des cierges flamboyant au fond d’une imposante cathédrale. On retrouve ensuite le clavier délirant de « A wizard a true star » en ouverture de « Citizen ship » , avant que le titre ne se pose sur une alternance solennelle de slows monacaux et de fièvre heavy blues. Dans ses moments les plus intenses, le titre sonne comme du Led Zeppelin illuminé, comme Jimmy Page propulsé par un orgue monacal.

Waves est l’album de la démesure, ses titres offrent à la pop une dimension qu’elle n’a jamais eu, qu’elle n’aura plus jamais. Seven way to goin est lancé sur une introduction qui semble rendre hommage aux grands pharaons, avant que le groupe ne construise sa grande pyramide à grands coups de free jazz grandiloquent. Ce titre, c’est Coltrane rencontrant la grandiloquence illuminée d’un Patti Smith group en pleine agonie. Patti clôt ensuite l’épopée de sa troupe sur une grandiloquente bluette pop , qui restera sans doute un de ses plus beaux titres. La mélodie de Broken flag a encore l’air de monter au ciel, la sobre introduction au piano s’achevant dans une symphonie de chœurs célestes sur fond de percussions solennelles. Avec cette procession, c’est les seventies que Patti enterre, décennie superbe où elle sut donner un peu de grandeur aux grognements nihilistes du mouvement punk.

Et qu’importe si Waves semble ensuite en faire un peu trop, son auteur se prenant ensuite pour un membre du Vatican en pleine conversation avec le pape. Cet égo trip ne dure que quelques minutes , ce n’est pas ça qui va détruire la grandeur d’un album globalement fascinant. Le public ne s’y trompera pas, Waves dépassant rapidement les ventes de Easter, emportant ainsi Patti Smith dans un cercle infernal. Pressée par ses managers, elle enchaine les concerts, les interviews sans intérêt, subit la pression d’un public de plus en plus hystérique.

Après avoir failli être kidnappée après un concert en Italie, Patti ouvre le concert suivant en transformant sa phrase la plus connue :

« Jesus die for somebody sins why not mine. »

Le symbole de l’anarchisme punk devenait ainsi la phrase la plus anti rock qui soit, elle exprimait le virage d’une femme voulant désormais se consacrer à autre chose qu’à la vie égoïste de rockstar. Après le concert, elle largue une nouvelle fois son groupe pour partir fonder une famille avec Fred Smith.

L’histoire musicale de Patti Smith s’arrête donc là … Pour l’instant.             

    

Patti Smith 5

 


C’est une vague, c’est un torrent, que dis-je , c’est un tsunami ! Les premières secousses vinrent de deux disques merveilleusement minimalistes , deux hurlements juvéniles faisant taire la prétention hard / prog. Qu’on se le dise tout de suite, l’âge d’or du hard rock et du prog est désormais enterré, et ce n’est pas avec les honneurs. En 1975, la bête gesticulait encore un peu, quelques somptueuses pièces montées faisant croire à certains que l’époque était encore vouée à cette pâtisserie indigeste. Sauf que le rock n’en peux plus de tout ce faste, il est malade de s’être gavé de toutes ces sucreries, le punk lui permet enfin de les vomir copieusement.

Nevermind the bollocks et Ramones instaurent une nouvelle ère, celle de la débrouille minimaliste, de la colère en trois accords, et des cris de révolte sur fond de musique directe. Pour les anglais, la révolte sera aussi politique que musicale, Johnny Rotten risquant sa peau en crachant copieusement sur la reine d’Angleterre, avant que Clash ne réinvente le rock gauchiste. Coté yankee, on vénère la défonce, on fait de la stupidité profonde le modèle à atteindre. Les Ramones représentaient parfaitement leur musique, sur laquelle personne n’aurait misé un clou. Qui aurait pu imaginer que ces quatre paumés au regard vide deviendraient les sauveurs d’un rock en pleine perdition ?

Et pourtant, la sauce commence à prendre, et les fanzines saluent les exploits des maitres de la décadence. Cette époque traverse Patti Smith comme un fil haute tension relié à son cerveau en surchauffe. Ses transes deviennent de plus en plus violentes , elle se cogne la tête contre les claviers ou assomme son guitariste à coup de six cordes. Le public de ces prestations déchaînées en redemande, la presse compare ces excentricités à celles d’un Iggy Pop en pleine fureur stoogienne. Le public croit à un simple gimmick, mais la prêtresse exprime juste sa rage de s’être faite dévalisée par une bande de faux frères New Yorkais. Cette fureur, c’est la hargne d’une papesse se faisant ayatollah, ce genre d’excès ne peut que mal finir.

D’autant que l’époque semble s’acharner sur les rockstars . Johnny Rotten fut poignardé, Zappa fut jeté au sol par un mari jaloux, sans compter les départs tragiques de Jim Morrison , Jimi Hendrix et Janis Joplin. C’est bien simple, quand un rocker de cette génération n’a pas frôlé la mort, c’est qu’il manque de finir ses jours en prison. A ce titre on peut citer Keith Richard, éternel hors la loi qui ne dut sa liberté qu’à la persévérance de Mick Jagger. Le constat que l’on peut faire aujourd’hui, c’est que les rockers les plus adulés sont tous mort de mort tragique. Le public charge ces musiciens de vivre tout ce que son manque de talent lui interdit de vivre , si il meurt dans ce combat la masse lui offre la postérité en guise de panthéon.

Patti passe à deux doigts d’entrer dans ce mausolée morbide lorsque, oubliant totalement la réalité, elle tombe d’une scène de plusieurs mètres de haut. La chanteuse se blesse grièvement à la tête, mais s’en sort après quelques jours d’hospitalisation. A son retour, elle refuse de rejouer Gloria sur scène, comme si cet accident avait tourné une page de sa vie. Après quelques concerts, elle plaque de nouveau son groupe pour rejoindre Fred Sonic Smith à Détroit. Là-bas, pendant que son mari enregistre des bandes qui ne seront pas publiées, elle écrit un nouveau recueil de poèmes. Ce voyage marque un tournant pour elle, qui sent sa fureur s’éteindre sous une certaine quiétude. Elle sait qu’elle a trouvé l’homme de sa vie, ce qui l’oblige à renier un peu la jeune femme hargneuse qu’elle fut.

Elle rêve aussi de gloire et ne rejette plus une pop qu’elle souhaite conquérir. De retour à New York , elle choisit Jimmy Lovine comme producteur de son prochain album. Ce choix n’est pas innocent, le producteur étant surtout connu pour avoir participé au « rock n roll » de John Lennon et au « born to run » de Springsteen. Easter sera l’occasion pour le producteur de créer un son qui fera les grandes heures de Tom Petty. Il est un des rares hommes de sa profession capable de changer le son de ses protégés sans le dénaturer, il construit un bolide rutilant avant d’en offrir les clefs au groupe.

Dans cet écrin, une déclaration de guerre telle que « till victory » devient un hymne de stade, because the night flirte avec le romantisme de born to run. En lui écrivant ce titre, Bruce Springsteen a montré que les deux artistes partageaient le même lyrisme enragé. Patti se voulait la fille de Rimbaud, Bruce s’est toujours considéré comme la voix des prolos, la voix du peuple et celle du rêve se rejoignaient le temps de trois trop courtes minutes.

A une époque où tout semblait encore l’inciter à se rapprocher d’une vague punk qu’elle initia, Patti à fait le choix de prendre le train de la pop en marche. C’est sans doute pour cela que, alors que les Sex pistols sont sur le point de vivre une déroute fatale, que les Ramones ne parviennent pas à obtenir autre chose qu’un succès d’estime, Patti Smith atteint le sommet des charts.

Seule ombre au tableau, « rock n roll nigger » est taxé de racisme par certains journalistes imbéciles. Seul titre à renouer avec une violence plus crue, rock n roll nigger est aussi le titre le plus fort de l’album. Dans un rugissement anarchiste, la chanteuse fait d’une injure ignoble le cri de ralliement de tous les hommes libres. Le « nègre rock n roll » devient celui qui « veut être en dehors de la société » , le rebelle sans autre cause que sa propre liberté. En hurlant qu’elle veut en être, en répétant le terme « nègre » comme un cri de guerre, elle le vide de sa connotation raciale. « Baby is a rock n roll nigger » veut juste dire que blanc, noir , jaune , toute l’humanité devrait hurler son refrain comme une déclaration de guerre à la connerie. En plus d’un des meilleurs textes anti raciste de la pop , Patti signe ici l’un des plus grands morceaux de rock n roll de tous les temps.

Les chiens peuvent aboyer, la caravane de Patti passe en grande pompe. Propulsé au sommet des ventes par le single because the night , Easter lui permet d’accéder aux joies d’une richesse bien méritée . L’ayant croisé en manteau de fourrure, Andy Warhol dira tout le mal qu’il pense de celle qui est enfin sortie de la misère de l’artiste maudit. Le publicitaire n’a sans doute pas apprécié que quelqu’un puisse avoir un égo comparable au sien, sans être passé par son usine bidon. Qu’importe ces réflexions et scandales, elles sont le lot de tout véritable artiste sorti de son égout.

Avec Easter , Patti Smith quittait déjà les fantômes des seventies , elle annonçait la grandiloquence de la décennie suivante. Easter est aussi un album pop accessible sans être trop aseptisé , c’est le symbole d’une culture populaire exigeante qui va progressivement dégénérer ensuite.                    

samedi 10 avril 2021

Dossier Patti Smith 4


La sortie de Horses montre cette éternelle incompatibilité entre l’art véritable et le capitalisme moderne. Si Horses obtint un succès honorable, ce ne fut pas le raz de marée que déclenchera plus tard nervermind the bollocks et autres pavés punk. Suivant comme à son habitude le troupeau, la critique préfère ne pas se mouiller. Blasphème ultime, la plupart de ces plumitifs refusent de prendre réellement position, se contentant d’une tiédeur censée protéger leur crédibilité. De toute façon, le monde du rock ne semble pas avoir besoin d’une telle illuminée. Les critiques américains sont encore trop occupés à vomir un hard rock qu’ils n’ont jamais supporté, alors que les anglais sont trop fascinés par le bouillonnement musical de leur pays pour se aller voir ce qui ce passe chez leur voisins. Cachée derrière le paravent de son insignifiance, la critique enfonce le clou de sa médiocrité par une phrase publiée dans un magazine dont je me garderais de citer le nom :

« Ce disque en ennuiera certains et passionnera les autres. »

Reste donc les concerts, sanctuaires sacrés permettant aux avant-gardistes en mal de reconnaissance de ne pas mourir de faim. Là, le Patti Smith group est une horde de communards défendant chèrement sa peau, Patti lançant ses déclamations comme un général ordonnant l’assaut. Cette métaphore guerrière, la papesse rock ne cesse de l’employer à longueur d’interview. Toute grande armée a besoin d’une cavalerie fulgurante, celle du Patti Smith groupe se nomme John Cale. A chaque fin de concert, celui-ci vient faire hurler son violon dans une reprise sauvage de my generation.

Dylan non plus n’a pas laissé tomber la révolutionnaire mystique, et il lui propose de rejoindre sa rollin thunder revue. N’ayant duré que quelques mois, la rollin thunder revue est l'un des plus beaux actes de rébellion contre la grandiloquence du show business. Voir Bob Dylan et Joan Baez quitter la routine confortable de la gloire, pour parcourir les routes dans un van miteux est un symbole grandiose. Au cours de son périple, la troupe jouait où elle le pouvait, souvent en compagnie de musiciens locaux plus ou moins connus. Malheureusement, Patti ne peut accepter cette invitation, le Horses tour n’est pas fini et elle refuse de laisser ses troupes en rase campagne.

Entre temps, sa relation avec Tom Verlaine s’est tendue , et le couple se sépare quelques jours après le début de la tournée. Quelques semaines plus tard, Patti reporte son affection sur Fred Sonic Smith , le guitariste le plus remarquable de Détroit. Quand ils se rencontrent, le MC5 a fini par se séparer à cause de leur début sulfureux. John Sinclair a fait naitre le groupe autant qu’il l’a tué, son ombre est la malédiction qui a condamné le gang. Si la révolte du hippie rouge a contribué à façonner le son du five , ses idées politiques ont attiré la censure de l’establishment américain. Lâchés trop rapidement par ses maisons de disques , privés de passages en radio et de proposition de carrière solo , ses musiciens maudits ne se sont jamais remis de leur débuts sulfureux. On ne diffuse pas impunément des idées gauchistes dans un pays où le communiste est plus haï que le pire des criminels, une nation où les rouges sont encore plus détestés et méprisés que les noirs.

Si je m’attarde ainsi sur les différents amants de notre poétesse, ce n’est pas seulement pour parler une nouvelle fois du MC5. Patti est aussi artiste que muse, elle rêvait autant de devenir femme d’artiste qu’artiste elle-même. Dans ce cadre, ses amants étaient autant des guides que des partenaires. Faites le test, écoutez Marquee Moon et Horses l’un après l’autre, vous remarquerez alors que leur lyrisme free jazz ont un air de famille.

Patti a une trop haute idée d’elle-même pour que cette proximité soit un hasard, sa vie irrigue son œuvre et immortalise son parcours. En s’inspirant ainsi de Tom Verlaine, elle faisait sonner Marquee Moon et Horses comme deux jumeaux nés de son amour pour l’art. Si l’on part de ce principe, on comprend mieux le virage pris sur radio éthiopia.

Son destin étant désormais lié au plus grand des libertaires prépunks, elle exige une liberté de création totale. Elle accepte tout de même d’engager le producteur Jack Douglas , à condition que celui-ci ne s’occupe que du son du disque. Douglas ne fut pas choisi au hasard, son travail pour Aerosmith ou Alice Cooper en fit le producteur idéal pour un disque qui se veut plus dur que le précédent. Avant d’entrer en studio, Patti a pris quelques leçons de guitare auprès de Fred Sonic Smith, qui lui donne un peu de ce feeling abrasif qui fit les grandes heures du MC5. La compagnie du guitariste a aussi amplifié une contradiction qui s’exprimait déjà sur Horses. C’est l’époque où elle crie son athéisme, tout en citant des passages de la bible entre un riff et une lecture de Rimbaud. Devant elle, la génération des Ramones se demande comment on peut prétendre défendre leur barricade en citant de pareilles bondieuseries.

La chanteuse sent l’antipathie que provoque ses grands prêches, mais elle ne parviendra jamais à séparer totalement son œuvre de la bible. Sans doute juge t-elle, comme Leon Bloy avant elle, que toute œuvre n’a de valeur que si elle se nourrit des récits bibliques. Bloy voyait l’art comme un hommage à dieu, Patti donne l’impression de vouloir le dépasser. Ce qui est bien plus blasphématoire que les gesticulations nihiliste de sa descendance à crêtes. Pour faire comprendre son message, elle va débarrasser son groupe de ses échos grandiloquents, jeter aux oubliettes son swing de cathédrale. La musique redescend sur terre , mais ce n’est que pour mieux souligner la transe d’une femme qui ne peut que rugir comme un croisé en pleine guerre sainte.

Radio éthiopia est un superbe paradoxe, la réussite d’une artiste qui ne peut plus être une groupie. Si Fred Smith a inspiré radio éthiopia , c’est de manière beaucoup plus marginale que Tom Verlaine avec Horses. Patti a mûri , son époque a désormais plus d’influence sur sa musique que ses histoires personnelles. Ce que radio ethiopia évoque dès les premières notes de ask the angel , c’est la puissance spectaculaire des grands barons du hard blues. Patti fait de la dévotion un blasphème, se sert de l’énergie la plus populaire pour écrire son disque le plus complexe.

La justesse est pour elle dans la contradiction, elle sait qu’il n’y’a rien de plus blasphématoire qu’une groupie de dieu devenue rockstar , ses harangues sont des flèches déchirant le dogme. Alors que le son de radio ethiopia semble flirter avec les blockbusters led zeppien , la musique crache sur leur virtuosité grandiloquente. Patti n’a jamais voulu apprendre le moindre riff, elle ne sait pas accorder sa guitare. Cette femme est la Jackson Pollock du rock, une Ornett Coleman de la guitare, elle envoie des sons rageurs qui semblent s’unir miraculeusement.

Là encore, cette inspiration sera très mal comprise, Lester Bang étant le premier à tirer sur son ex collègue. Par respect pour son amie, il ne publiera jamais sa chronique, qui tombera tout de même entre les mains d’une Patti qui en sera profondément blessée. La déception est malheureusement partagée par une grande partie du public qui, comble de l’ironie , l’accuse d’avoir cédé au pire des péchés capitaux : l’orgueil.

Subissant les leçons de moral de curés minimalistes, Patti a au bout du compte sorti un disque qui transcende ses contradictions sans les gommer. Une œuvre plus brute mais aussi riche que son premier album. Et c’est déjà un exploit que l’on peut saluer.                

lundi 5 avril 2021

Dossier Patti Smith 1

 



Comment expliquer Patti Smith en 2020 ? A une époque qui ne vénère que le pouvoir et l’argent ,  l’arrivisme et les plaisirs futiles , cette femme peut paraitre folle. Patti Smith n’a construit sa vie qu’en acceptant des années de misère, le sang du pauvre irrigant souvent la plume du poète. C’est aussi une femme forgée par deux visions du monde diamétralement opposées. Durant les premières années de sa vie, elle suit les enseignements d’une mère très pieuse , qui lui apprend ses premières prières. Encore aujourd’hui, Patti Smith considère la prière comme un des plus fabuleux dons qu’on lui ait fait. Si on ne peut pas dire qu’elle suivit le dogme catholique à la lettre, sa foi va entretenir ce mysticisme qui rendra son œuvre si particulière.

Très vite, la jeune fille mène une vie de moine, mais ses textes sacrés sont surtout les œuvres de Rimbaud et autres grands auteurs français et américains. Quand elle n’est pas enfermée dans ses lectures , la jeune fille joue les chefs de guerre avec les garçons du quartier. Ses croisades enfantines sont racontés avec passion dans just kids , montrant que la jeune fille eut vite des ambitions d’homme.

Après l’influence religieuse de la mère vint l’enseignement libertaire du père. Athée convaincu , il lui conseille de ne pas prendre trop au sérieux les bondieuseries de sa mère, et va encourager sa curiosité culturelle. La jeune fille était déjà sensible à la musique américaine, John Coltrane et Thélonious Monk tournant en boucle dans sa chambre d’adolescente. Sentant la fibre artistique de sa fille, le père de Patti l’emmène visiter le musée de Philadelphie, lui offrant ainsi sa première vocation.

Là, au milieu de ces peintures , elle comprend que l’art est une religion sans dogme , elle sent le caractère sacré de ces créations. Un artiste ne doit pas chercher la « beauté » , ne doit pas se soucier du gout de la majorité , il doit simplement être juste. Une création ne peut être appelée œuvre que si l’on sent que son créateur y a mis toute son âme, c’est au spectateur de se mettre au niveau de l’artiste et pas le contraire. Créer, c’est se différentier de l’animal, c’est rendre hommage à cette étincelle dans laquelle certains voient la preuve de l’existence de dieu.  Devant toute ces icônes sans dogme, Patti a une révélation : elle sera artiste.

Le soir vint la seconde révélation, celle qui allait définir son destin. Nous sommes au milieu des années 60 , quelques jours seulement après l’invasion triomphale des Beatles , lorsque les Stones débarquent sur les télévisions américaines. Il y’a, dans les postures lascives de Mick Jagger et le swing nonchalant de Keith Richard, une force qui semble prête à changer le monde. Les sixties sont l’âge de la révolte, une décennie où une jeunesse plus libre que jamais commence à rêver de lendemains qui chantent. L’époque forge les hommes plus que l’inverse, et Patti ne fera pas exception à la règle. Au lycée,  elle s’intéresse au mouvement des droits civiques, s’émeut devant l’invasion du Tibet par le totalitarisme chinois, suit les manifestations contre le nucléaire.

Le lycée est sa période d’initiation, le temps béni où elle parvient à rencontrer un Andy Warhol en pleine gloire , où elle assiste à son premier concert des Stones , pendant que Rimbaud reste son dieu. Nourrie par ses passions artistiques, elle obtient son diplôme sans trop de difficulté, ses professeurs ne pouvant que lui reprocher ses rêveries. C’est une autre facette d’elle qui ressort particulièrement dans just kids , cette façon de quitter le réel pour se plonger dans ses transes artistiques. Le monde n’accepte pas longtemps que l’on puisse parfois échapper à la trivialité du réel, et sa première expérience professionnelle lui réserve un bien cruel châtiment.

Patti venait d’obtenir son diplôme , dont la spécialité artistique la condamnait à démarrer sa vie professionnelle en usine. Là, le bouillonnement de son esprit devient un handicap qui ralentit son travail à la chaîne. Alertés par un rythme qui menace le bon fonctionnement de leur funeste chaîne de production, les responsables décident de régler le problème de la façon la plus rude. Il faut rappeler que pendant les sixties l’hypocrisie de DRH ayant imposé leur vocabulaire Orwellien n’a pas encore pris le pouvoir , et la violence hiérarchique s’exprime de manière plus spontanée.

C’est ainsi que deux responsables de production plongent la tête de Patti dans un toilette dont le précédent occupant avait oublié de titrer la chasse. Cette humiliation va nourrir la hargne qui caractérisera la musique de Patti, en attendant elle l’éloigne définitivement des prisons prolétariennes que sont les usines. Bien décidée à assumer son destin d’artiste, elle part pour New York avec quelques dollars et du matériel de peinture. Femme pauvre presque Bloyenne , elle passe plusieurs nuits sous les portiques du métro. Patti trouve bien un petit boulot , mais le maigre salaire payé par la librairie où elle travaille ne lui permet pas de payer un logement. La misère est pour elle le prix de la liberté, le martyr que tout homme doit vivre pour prétendre devenir artiste. Nous l’avons déjà dit, le sang du pauvre est la seule chose qui peut faire briller sa plume, et Patti en est parfaitement consciente.

L’histoire de l’art croise encore son parcours misérable, quand ses amis l’incitent à chercher un logement du coté de Greenwich village. C’est dans ce quartier populaire que les grands écrivains beat venaient admirer le swing des grands jazzmen, avant que Dylan n’y impose sa folk influencée par Woody Guthrie. On pense encore à « la femme pauvre » de Léon Bloy en suivant son parcours, Robert Mapplethorpe jouant le rôle de l’artiste la sortant de sa misère. Comme l’héroïne Bloyenne , Patti est donc recueillie par un peintre dont elle tombe amoureuse. Le couple passe des journées entières à peindre, le tourne disque passant les dernières nouveautés que leurs maigres ressources leur permirent d’acheter.

Si le mécène de Patti ne connaitra pas le triste sort de Léopold, celle-ci sera néanmoins profondément perturbée lorsque son artiste fera son coming out. La martyre mystique se console alors en partant de nouveau en exil artistique à Paris. Arrivée dans la ville lumière, elle mène une vie de saltimbanque, où elle survit en participant à de petits spectacles de rue, tout en faisant les poches des passants distraits. Mais c’est encore un drame qui met fin à son rêve parisien le 3 juillet 1969.

Le déclin de Brian Jones n’était un secret pour personne, il avait d’ailleurs été dévoilé de façon flagrante par le film one+one de Godard. Mis à l’écart par le génie du duo Richard / Jagger , Brian Jones devenait un maillon secondaire du groupe qu’il avait créé. Cela faisait plusieurs semaines qu’il compensait sa perte de contrôle sur le groupe par des excès d’alcool et de drogue le rendant incontrôlable. One + one montrait la phase finale de sa disgrâce, le retour des Stones à des racines blues qui rendaient son talent de multi instrumentiste accessoire. Brian Jones, c’était le sitar de paint it black, et les quelques touches exotiques disséminées sur les premiers albums des Stones. Sans sa curiosité et son ouverture musicale, les Stones seraient sans doute restés un groupe de vieux bluesmen au milieu d’une époque où la pop partait dans tous les sens. Le lutin blond avait aussi et surtout instauré le son stonien , basé sur deux guitares si harmonieuses , qu’il parait souvent impossible de dire qui joue quoi. Cette symbiose rythmique, Keith Richard la regrettera pendant des années, et ne la retrouvera un peu que lorsque Ron Wood remplacera le mal aimé Mick Taylor.

Brian Jones a créé les Stones, avant que sa propre créature ne lui échappe. Profondément perturbée par sa disparition brutale , Patti Smith fait un cauchemar où elle voit son père mourir. Croyant que cette vision est prémonitoire, elle retourne d’urgence à New York , où elle retrouve Robert. Devenus amis , l’ex couple s’installe au Chelsea hôtel. Le lieu fait partie de ces sanctuaires qui semblent annoncer la fin d’une époque, un mausolée morbide prédisant la fin du rêve hippie. C’est là que Dylan Thomas mourut d’un empoisonnement à l’alcool. Quelques années plus tard, un Sid Vicious en pleine transe meurtrière massacrera sa Juliette destroy dans une de ces chambres.

Quand Patti occupe un de ces appartements, le Chelsea hôtel est un lieu où la crème de la culture américaine côtoie des loosers en pleine perdition héroïnomane. C’est sans doute dans ces couloirs que Burroughs trouva la laideur inspirant les passages les plus glauques de Junkie et du Festin nu. Patti devient d’ailleurs vite proche de cet écrivain, qui lui livre quelques secrets pour poètes avertis. Le Chelsea hôtel fait partie des symboles de cette culture où la pop se met au niveau de l’art, où le rock côtoie cette littérature dont il commence à se nourrir. Patti Smith fera partie de cette histoire-là , sa musique sera l’instrument permettant à sa prose de conquérir le monde. Celle qui se dit « fille spirituelle de Rimbaud » , commence à se placer dans la lignée des grands poètes rock que sont Lou Reed et Bob Dylan.

Quelques années plus tard, elle est repérée par Gerard Malangua , qui l’intègre au poetri project , pour une performance historique à l’église Saint Marc. C’est là, dans ce symbole catholique, que la papesse du punk va réellement démarrer sa légende.