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vendredi 1 octobre 2021

Un petit goût de jazz : David Crosby - Skytrails (2017)

 



Dès les premières notes de synthé, on sent qu'il va être bien cet dernier et inédit final album de Steely Dan.

Il fallait bien ça alors pour se consoler de la perte de Walter Becker, co-fondateur avec Donald Fagen d'un des meilleurs groupes de jazz-rock qui soit.

Et puis s'élève la voix de David Crosby. 

76 ans au compteur cette année-là et pourtant toujours ce timbre doux, fluet et presque chuchoté.

Oops ! Ce n'est donc pas un album de Steely Dan.

Mais le premier titre, She's got to be somewhere est trompeur. De fait c'est un peu tout l'album qui sera ça et là sous le signe du jazz, le vieux sage reprenant même le Amelia de Joni Mitchell (un hommage à l'aviatrice Amelia Earhart), originellement issu d'Hejira dans une configuration apaisée et minimaliste (voix, piano, une petite guitare en fond, c'est tout et c'est efficace). Joni, l'amie de tous ces trajets et chemins musicaux qui a souvent croisé la route de David Crosby comme de Graham Nash et Neil Young (pour la minute people du jour, elle est sortie d'ailleurs avec les deux premiers, voilà on peut refermer la page ragots). Il n'y avait que Crosby pour lui rendre si bien hommage (même si l'album River, the joni letters d'Herbie Hancock en 2008 s'avère là aussi une superbe oeuvre).

Du reste, on a du bon folk-rock et du folk tout court, bien mené, parfois sans surprises ou pas autant qu'on aurait espéré comme sur le retour, Croz en 2014. Cela dit, qui peut encore se vanter, passé les soixante-dix ans de faire encore de la musique élégante, soignée et classe là où beaucoup ont baissé les bras ? Depuis 2014, des gens comme Linda Perhacs et David Crosby démontrent que les miracles existent encore (Oui Neil Young, on sait, on ne t'oublie pas mais c'est différent, toi tu as toujours été là, et heureusement d'ailleurs).

Et puis il y a Capitol sur ce disque, presque 7mn où le vieux lion se réveille pour pousser une gueulante vis à vis de la politique américaine et du fait que le vote ne sert finalement à rien quand on voit le résultat avec Trump. Charge jouissivement salée et méchamment réjouissante.


(...) They come for the power for power they stay

And they will do anything to keep it that way
They will ignore the constitution
And hide behind the scenes
Anything to stay a part of the machine
And you think to yourself
This is where it happens
They run the whole damned thing from here
Money to burn
Filling up their pockets
Where no one can see
And no one can hear
And the votes are just pieces of paper
And they sneer at the people who voted
And they laugh as the votes were not counted
And the will of people was noted
And completely ignored (...)


Depuis son retour en grâce en 2014, l'artiste a livré des disques à doses régulières (là où auparavant on devait attendre un disque par décennie suivant l'état physique du musicien) et surtout de bons disques qui, s'ils ne sont pas des révolutions sonores en l'état, font plaisir du point de vue mélodique, témoignant d'une créativité plus que florissante. Et Skytrails ne démérite pas, il fait lui aussi plaisir.

mercredi 29 septembre 2021

Un retour inespéré : David Crosby - CROZ (2014)

 


En 2014, il nous revenait de loin le père Crosby.

A 73 ans alors, il aura donc quasiment tout connu dans sa vie.
La perte de proches, une addiction à la cocaïne, un fils abandonné et placé en orphelinat qu'il ne retrouvera que bien plus tard dans les années 90... Citons aussi pour celui qui fut l'un des amants de Joni Mitchell et un musicien exemplaire avec Stephen Stills, Graham Nash et Neil Young (d'où Crosby, Stills and Nash -- CSN-- ainsi que la seconde mouture Crosby, Stills, Nash and Young, --CSNY), un diabète dangereux ainsi qu'une passion trop prononcée pour les armes à feu à un moment de sa vie qui l'emmènera directement passer quelques années en prison.

En 2014, David Crosby, "Croz" pour les intimes est donc un vieux sage qui se faisait plaisir et nous sortait un album venu de nul part au moment où on ne l'attendait plus.

Et quand je dis qu'on ne l'attendait plus, c'est bien parce que visiblement plus personne ne misait sur le vieux cheval, public comme producteurs et musiciens. Mais l'avantage d'avoir sa vie derrière soi c'est qu'en plus de l'expérience, on a plus rien à perdre. Alors David Crosby qui a toujours sa voix d'ange (sans doute moins puissante qu'hier, elle semble chuchoter, apportant une magie qui ne s'est jamais perdue en cours de route) prend sa guitare, et se met à composer avec ce fils retrouvé qui a maintenant une femme et une fille. Une expérience intimiste en famille qui prend encore plus de sens vu que c'est Django Crosby, un autre rejeton de l'honorable sage qui s'occupe des photos (la pochette et une dans le volet dépliant du cd). Et même composé avec les moyens du bord (guitare et pro-tools) on peut toutefois compter sur un coup de main de Mark Knopfler (Dire Straits) ainsi que Wynston Marsalis pour enrober le tout de notes plus que gracieuses.

Et la magie opère.
Si je vous dis qu'il s'agissait pour moi de l'un des plus beaux et meilleurs albums de 2014, me croyez-vous ?

Avec Croz, on est de retour dans les 70's, presque.
Certes, ce n'est plus le chef d'oeuvre de folk-rock de 1971, If I could only remember my name (dans mes albums préférés et indispensables...) mais c'est quand même d'un bon niveau.
Très bon niveau même puisque presque rien n'est à jeter. Tout au plus aurais-je un peu de mal avec la composition un peu "rock-fm", "dangerous night" mais c'est de qualité.

De quoi parle Croz ? 

Du temps qui passe et de ce qu'on a vu filer sans y faire attention dans What's broken. Du fait que les gens vous oublient mais que la vie continue avec Holding on to nothing où Marsalis glisse quelques notes merveilleuses en clair-obscur. Du fait que plus que jamais la radio (d'où le titre éponyme enlevé et énergique, Radio) permet aux gens de découvrir de belles choses.

Slice of time (probablement mon titre préféré de l'album) revient sur ce temps qui s'enfuit et où parfois les photos peuvent être les rares preuves de "ce qui a été". Set that baggage down nous ramène directement au temps de Crosby, Stills, Nash & Young, semi-rock basé tant sur les arpèges de guitares que le mélange harmonieux des voix propre aux 70's avec cette touche qui rappelle aussi le premier album de Crosby. Dire qu'en 71, le musicien contemplait les dernières illusions hippies brûler sur fond de coucher de soleil en se demandant quel était son nom, état des lieux plus que paumé. Son nom, dorénavant il l'a retrouvé, il peut le prononcer ici. 

If she called raconte l'histoire de cette prostituée que Crosby, alors en voyage en Belgique en hiver, aperçoit en face de l'autre côté du café où il est, dans la rue. Les paroles décrivent très bien cette attente qui tourne au vide, le fait que personne ne passe, la brûlure du froid qui s'impose, un bus qui passe et éclabousse un homme là-bas et la jeune fille qui un instant sourit. Pas besoin d'en faire des masses, Crosby chante juste accompagné de sa guitare et d'un autre guitariste et comme l'ensemble du disque, c'est beau, mélancolique mais jamais déprimant car résolument tourné vers une énergie intérieure et le besoin d'aller de l'avant.

Un disque que l'on réécoute régulièrement comme on cultiverait son petit jardin secret...

jeudi 6 mai 2021

David Crosby: If I could only remember my name

C’était une époque bénie, la camisole qu’est le dogme catholique ou chrétien relâchait son étreinte sur l’occident, sans qu’aucune prétendue loi divine ne vienne la remplacer. Après qu’Elvis eut libéré les corps, le rock se mit à libérer les âmes. Pris dans un trip génial, Mike Bloomfield enregistra le riff d’east west. Jusque-là, le guitariste reproduisait les complaintes des damnés de l’Amérique, les cris de douleur des grands misérables noirs. Le LSD faisait décoller ses complaintes trop réalistes, ouvrait les portes d’un nouvel éden.

Lors d’un passage du Butterfield blues band en Californie, c’est toute une génération de chanteurs folk idéalistes qui se convertit à ce blues hypnotique. Parmi eux se trouvait le groupe de Janis Joplin , le Jefferson airplane , Quicksilver messenger service , le Grateful dead … Cette génération avait adopté cette musique comme une révélation , elle lui porta la dévotion qui lui permis de sortir une série d’œuvres intemporelles. En voyant la jeunesse se dévouer à ce qui ressemble de plus en plus à une religion païenne , les partisans des vieux dogmes durent penser que cette folie ne durerait pas. Pour eux, tout homme athée se retrouve dans la situation d’une brebis égarée au bord du précipice, il subit l’angoisse de sa mort inéluctable.

Ils ne comprirent pas tout de suite que cette musique prenait la place de ce qu’il nommait dieu, elle détournait l’homme de ses angoisses existentielles. La pop fut tout et, au sommet de la grande cathédrale du rock Californien, une sainte trinité finit par s’imposer. Celle-ci devint Saint quatuor lorsque Crosby Still and Nash adoptèrent Neil Young, "déjà vue" allait devenir son évangile. Lorsque les cadres d’Atlantic virent débarquer quatre des plus grandes pointures de la pop moderne, ils leur laissèrent une liberté totale. Lors de la sortie de Déjà vu, un constat s’imposait, cette œuvre portait le soleil chaleureux du rock Californien à son Zénith. Les chœurs surpassaient la symbiose fabuleuse de the Mamas and the papas , les refrains avaient la légèreté irrésistible des plus grands tubes des Beatles , il se dégageait de ce disque une beauté sereine dont on ne peut se lasser.

Peu de temps avant son enregistrement, David Crosby a perdu sa petite amie dans un accident de la route. Quand il apprit son décès, il entamait les séances de ce qui allait être son premier album solo.

« On ne fait pas son deuil , c’est le deuil qui nous fait. » disait Léon Bloy. C’est exactement ce qui va se passer sur « If I can only remember my name ». Après avoir appris le drame, David Crosby vécut comme un homme plongé dans un océan de douleurs, s’appuyant épisodiquement sur le fond qu’il touche pour remonter à la surface. Alors, forcément, la musique se fait l’exutoire de sa douleur.                                                                               

La souffrance devient nostalgie, la légèreté hédoniste de l’ex leader des Byrds se meut en une gravité d’illuminé athée. Derrière Crosby , Neil Cassady du Jefferson Airplane et Jerry Garcia du Grateful Dead sont venus poser leurs instruments sur ses lamentations lumineuses. Du coté des chœurs, Neil Young , Joni Mitchell et Grace Slick forment une harmonie éblouissante , qui semble ramener l’auditeur au paradis perdu.

Dès l’ouverture, cette harmonie chante le slogan d’une génération magnifique « music is love ». Le refrain a la force d’une procession, la mélodie donne à la folk une ampleur mystique qu’elle n’a jamais eu. Derrière des ballades telles que laughlin ou music is love , un nouvel absolu semble se dessiner , celui d’un dévot du folk rock ayant atteint le sommet de sa transe spirituelle. Avec son mojo tout en puissance contenue, un titre comme « what are their name » semble rivaliser avec les plus beaux blues apaches du crazy horse.

Et puis il y’a la voix de David Crosby, fleuve limpide coulant au milieu d’une forêt chatoyante. Poignante sans verser dans le sentimentalisme forcé, nostalgique sans ressasser la douceur un peu niaise des Byrds , If I could only remember my name est l’œuvre d’un artiste touché par la grâce. En guise d’apothéose mystique, Crosby transforme le carillon de Vendôme en grande communion vocale.

Aujourd’hui, cet album est classé second meilleur disque de tous les temps par l’osservatore romano , qui n’est autre que le journal officiel du Vatican. Avec une telle œuvre l’homme semble vraiment « dépasser dieu comme il a dépassé le singe ». Sorti en 1971, ce disque restera un des plus grands monuments érigés par une génération pour qui la pop fut une religion sans dogme.