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dimanche 13 décembre 2020

Tom Petty : Epilogue

 



Le soufflet est déjà retombé, ramenant le rock dans l’underground qu’il ne quittera plus. On a pourtant cru à un nouvel âge d’or, les whites stripes et autres libertines réinventant l’héritage seventies avec brio. Up the braket succédait à is this it , elephant redonnait vie au blues rock nourri par l’énergie stoogienne. On pouvait de nouveau découvrir un chef d’œuvre régulièrement en suivant les évolutions de ce cher rock n roll moderne.

Puis les strokes se sont noyés dans un éléctro rock vaseux , les libertines ont subi les frasques d’un Pete Doherty en plein bad trip de junkie , et les Whites stripes se sont séparés à cause des crises d’angoisse de Meg White. En à peine une décennie, ce qui apparaissait comme une résurrection inespérée est retourné dans son tombeau, et le mainstream est parti se réchauffer dans une nouvelle médiocrité.

On a ainsi sacralisé les foo fighters , les critiques faisant semblant de ne pas remarquer que Dave Grohl resservait sans cesse la même soupe fade. Les foo fighters sont l’équivalent moderne du groupe de hard rock toto , vaste blague radiophonique dont le nom annonçait la couleur. Comme les blagues de Toto, la musique des foo fighters était plus dramatique que comique , elle ramenait le rock au vide entamé dans les eighties , sans espoir de sursaut.

Alors ceux qui pensaient encore que le mot rock n roll avait un sens se sont réfugiés auprès de leurs vieilles idoles. En cette année 2012 , les vieilles reliques écrasaient bien souvent la concurrence , d’autant que le nouveau millénaire semble leur avoir donné une nouvelle jeunesse. Devenu un dieu vivant, Dylan déclamait ses Odyssées rock avec la voie éraillée d’un Homère folk rock sur tempest. La même année, Neil Young a ré enfourché son cheval fou, pour livrer un psychedelic pills plus intrépide que Sitting Bull lançant sa charge mortelle sur les armées de Custer. 

Troisième pilier de cette trinité folk rock , Tom Petty sort hypnotic eyes en 2014. Après le passage de Petty dans mudcrutch , la musique des heartbreakers s’est durcie. Le chanteur a toutefois retenu la leçon de mojo , et ne se perd plus dans ses références blues. Le blues de ses Heartbreakers fait grandir son mojo sur un riff poisseux, tout en sachant arrondir ses angles sur les refrains. Power drunk est un modèle du genre, sa guitare rappelant le temps glorieux du rock seventies, avant que la slide de Campbell n’emmène le refrain sur les terres de la country folk.

Le bourdonnement de guitare de american dream plan b annonçait déjà l’énergie d’un folk rock tendu comme une jam du crazy horse. Quand Petty laisse ainsi ses guitares hurler, ce sont ses influences anglaises qui remontent. Cette série de charges binaires, ses solos tonitruants retombant dans un refrain power pop , c’est un tunnel temporel nous ramenant à l’époque où Londres commençait à swinguer.

Petty est comme les grands blues rockers anglais, il ne sait jouer la musique de ses modèle qu’en l’adaptant à ses refrains pop. Seule exception à cette règle, burn out town joue le jungle beat du grand hook , avec un feeling capable de faire swinguer tous les bayous de Louisiane.

Voilà sans doute pourquoi , à l’heure où les jeunes loups disparaissent déjà , des groupes comme Tom Petty and the Heartbreakers vivent un second âge d’or. Ces musiciens n’imitent personne, ils ne rendent hommage à aucun passé glorifié, ils se contentent de s’approprier la musique qui les fit grandir.

Et , si la relève tarde à venir , les riffs d’hypnotic eyes raisonneront encore longtemps dans les enceintes des vrais rockers. Tant que nos vieilles gloires pourront accoucher de célébrations pareilles, le rock pourra garder espoir.

Nous voilà arrivé au dernier acte de notre récit, en 2016, année de sortie du second album des Heart… Heu de Mudcrutch pardon. Mon lapsus a au moins le mérite de montrer que, en produisant mudcrutch de façon plus soignée, Petty a créé une espèce de frelaté de l’énergie de ses premiers disques. Cette suite de ballades radiophoniques me fait plus précisément penser au spleen radiophonique de straight into darkness , mais son énergie larvée semble remplacée par une certaine nonchalance contemplative.

Le résultat n’est pas foncièrement mauvais , la plupart de ces ballades sont d’ailleurs sympathiques , mais on est loin de la ferveur folk rock du premier volet. Mudcrutch , c’était la réunion d’une bande de vieux gamins , rejouant la musique de leur début sans calcul. Plongé dans une production plus soignée , le groupe évoque vaguement , suggère des images sans les imposer. Beautiful blues rappelle vaguement l’époque où le grateful dead flirtait avec la country , sans que sa mélodie n’atteigne le niveau de ces « beautés américaines ». Un peu plus loin, un harmonica bluesy pleure la disparition des grands rockers sudistes.

L’ensemble est beau , dans le sens où il forme un fond sonore agréable et pas trop envahissant, mais ne parvient pas à créer un réel enthousiasme. Mudcrutch est un cheval qu’il faut chevaucher à crue, et dont il faut accepter les emballements de bête folle. Pour rendre hommage au « bon vieux temps du rock n roll » , il n’existe qu’une méthode valable : envoyer la sauce sans se poser de question.

A la sortie de mudcrutch deux , nombreux sont ceux qui se mirent à espérer un troisième volet plus direct , où qui partirent se consoler avec le dernier disque des Heartbreakers. L’avenir de Tom Petty paraissait encore radieux, mais le cœur de ce rocker s’arrêta de battre quelques mois plus tard.

Encore plein de projets, le chanteur souhaitait notamment jouer l’intégralité de wildflowers dans une série de concerts exceptionnels. Sorti en 1994 , ce disque restera son plus grand chef d’œuvre , celui qui doit rester dans les mémoires de tous les mélomanes. Et nous l’écoutons désormais le cœur brisé par la disparition de son auteur.          


Tom Petty 8



La guitare entame un boogie montant progressivement en puissance, la batterie trépigne avant de s’emballer dans un rythme revisitant la grange de ZZ top. Sur le refrain, le clavier siffle de façon mélodieuse, il transforme ce boogie rock en power pop énergisante.

Saving grace , le titre qui ouvre highway companion , célèbre les retrouvailles de Jeff Lyne et Tom Petty. Responsable du grandiose full moon fever , le producteur sait mieux que quiconque comment habiller les mélodies de son protégé . Les deux hommes reproduisent donc les mélodies électros acoustiques qui firent le charme de leurs albums précédents.

Lyne retrouve la profondeur de ses grandes années, et transforme chaque titre en tube. Flirting with time renoue avec l’énergie juvénile de runnin down a dream , à tel point qu’on le croirait issu du même moule lunaire. Ces rocks, c’est les Byrds chantant leurs harmonies devant un crazy horse qui tente d’imiter les Beatles.

Débarrassé de la gravité de ses albums précédents, Petty écrit une grande comptine boogie rock , repart à l’assaut des radios avec un efficacité digne d’un Chuck Berry pop. Highway companion redonne vie à ses riffs, moteurs rutilants qui se sont un peu grippés sur les albums précédents. Petty n’essaie plus de nous faire pleurer sur un quelconque paradis perdu, il nous invite à nous laisser emporter par ses guitares sauvages.

 Sur la première partie de highway companion , l’électrique a pris le pas sur l’acoustique , le rock écrase la folk. Si big weekend fait encore penser à Dylan, son swing rugueux flirte surtout avec la rusticité de son band. On regrette presque que night driver ressuscite les arpèges de yer so bad , que la sérénité venue de la fièvre de la pleine lune brise une tension qu’on avait perdue depuis hard promise.

Mais ces mélodies portent l’optimisme des grandes ballades Pettyenne , elles sont le cœur de la musique des Heartbreakers. C’est d’ailleurs sur cette légéreté plus apaisée que se referme le disque, le tonnerre rock du début laissant place à une beauté qui nous apprend de nouveau à voler. 

Qui d’autre que Petty pouvait évoquer le rythme paysan de out on the weekend , le titre qui ouvre harvest de Neil Young , sans passer pour un plouc rétrograde ? Sur this old town , il décrasse la mélodie terreuse du loner , la fait briller pour l’imposer sur les radios américaines.

L’album se referme sur ankle deep et golden rose , deux titres où l’acoustique et l’électrique se réconcilient dans un slow accéléré. Plus que l’inventaire d’un passé indépassable, highway companion est le dernier volet d’une trilogie qui définit une nouvelle perfection folk rock.

Ils étaient une bande de jeunes avides de gloire. Mudcrutch est un épisode obscur de l’odyssée des Heartbreakers, c’est une première formation qui n’a laissé aucune trace. Après tout, son noyau dur était le même que celui des Heartbreakers, il se composait de Benmont Tench , Mike Campbell , et Tom Petty.

Ces musiciens s’étant épanouis sous le nom de Tom Petty and the heartbreaker, à une époque où leur mélodie ont rencontré les eighties , il paraissait inutile de revenir en arrière. Et voilà bien le problème ! Les clips et les superproductions des années 80 ont donné une image tronquée de la musique de Tom Petty.

Pour ceux qui se contentent des apparences , notre homme était au folk rock ce que Freddy Mercury était au hard blues , une icône artificielle. Voilà pourquoi Petty, Campbell et Tench ont récupéré les musiciens qu’ils ont laissés derrière eux à la fin des seventies. Une fois en studio, ces vieux routards ont vite retrouvé la simplicité de leur début . Le rock est un art collectif, et même le musicien le plus doué ne sonnera jamais aussi bien qu’avec son groupe. Keith Richard a beau être bon en solo, il n’atteindra jamais le génie des stones, et je ne parle même pas de Springsteen sans son E street band , ou Townshend sans les who. 

Dans le studio où ce jeune groupe de vieux se retrouve, il n’y a ni producteur ni cabine susceptible d’isoler les musiciens. Les instruments sont simplement disposés au milieu de la pièce, comme si ils attendaient que leur propriétaire leur donne vie. C’est Petty qui entame ces retrouvailles, ses arpège flirtant avec le folk des Pogues. 

Là-dessus, les chœurs s’harmonisent comme une bande de marins légèrement avinés. Dans un break tout s’emballe, les solos prennent des allures  de typhons sonores, avant que les chœurs reprennent un refrain d’aventurier sorti du déluge. Le second titre est plus proche de ce à quoi Petty nous a habitué. 

Servi par une production plus crue, Scare easy a un petit air de « déjà vue » , comme diraient ces chers Crosby Still Nash and Young. Sans producteur pour maquiller sa musique, Petty montre son véritable visage. Mudcrutch plonge dans un océan de références , mais ne s’y noie pas . La simplicité de sa méthode d’enregistrement permet à ses souvenirs de s’exprimer.

Le musicien se fait ainsi fan, et ses accords rendent hommage à ses pères spirituels. Orphan of the storm a le charme du band jouant sa dernière valse devant les caméras de Scorcese. Mudcrutch prend ensuite la voie du rock n roll des origines, salue Chuck Berry en ressuscitant son immortel rock binaire ( six day on the road).

On est ensuite transporté sur les routes de Californie, terre promise où ces musiciens allaient rencontrer leur destin. Crystal River est proche des mélodies hippies, qui illuminaient encore le paysage quand Petty découvrit le rêve californien.

Entre joie de jouer et hommages nostalgiques, ce premier disque de Mudcrutch  permet de rétablir la vérité sur son auteur. Fils de Chuck Berry et des Byrds , Petty a su se faire une place au sommet en maquillant ses influences. Maintenant que l’Amérique est à ses pieds, il n’a plus aucune raison de cacher sa véritable nature.

Dans le même temps, il nous fait redécouvrir le plaisir simple d’écouter une musique sans fioritures , servie par des musiciens honnêtes. 

L’harmonica chante la mélodie du bayou , la guitare imite le rythme des trains traversant la Floride , et les solos saluent Taj Mahall et John Lee Hooker. Ce feeling, c’est l’énergie sacrée qui donne sa force au rock , on le nomme mojo. C’est aussi ce titre que Tom Petty a choisi pour l’album qu’il sort en 2010.

Encore marqué par l’expérience Mudcructh, Petty a décidé d’enregistrer le dernier disque des Heartbreakers de la même façon. La formule aurait pu marcher, si il n’avait pas voulu garder le son des albums précédents.

Les mélodies des Heartbreakers ont besoin d’une production soignée, c’est un habillage qui permet à leurs ballades de ne pas s’endormir. Sans producteur pour mettre de l’ordre dans ses emportements rock, Petty ne sonne jamais réellement heavy , et ses ballades deviennent des chansonnettes soporifiques.

On le voit particulièrement sur first flash freedom , slow endormi entre le feeling du blues et la douceur de la pop. Si le titre suivant contient quelques bons moments, son feeling souffre du même malaise. Incapable de choisir entre le son des Heartbreakers et la simplicité qu’il souhaite leur apporter , Petty laisse les claviers briser l’énergie de son boogie blues.

Pas assez soigné pour sonner comme un grand disque des Heartbreakers , et trop produit pour se rapprocher des bluesmen auxquels il veut rendre hommage, mojo est l’échec d’un musicien qui apprend qu’on ne s’improvise pas producteur. S'il produira encore ses derniers disques , mojo permet à Petty de savoir ce qu’il ne faut pas faire. 

           

mardi 8 décembre 2020

Tom Petty 7

 


Sorti en 1999, echo est un disque de deuil. Quelques mois plus tôt, la femme de Petty l’a quitté, et notre homme n’a plus écrit une ligne. Il faudra toute la persévérance de ses fidèles Heartbreakers pour le ramener en studio. Influencé par ce drame, echo va perdre toute la légèreté qui fait le sel du rock Pettyen.

Sur la plupart des titres , le chant de Petty sonne comme un miaulement de chat blessé , les mélodies ont la noirceur des oraisons funèbres. Il y’a bien quelques exceptions, où les guitares tentent de s’élever au-dessus de cette marée noire. Mais même un rock aussi tendu que free girl now n’exprime rien d’autre que le désespoir poignant de l’homme abandonné. Il est difficile de juger une telle œuvre car, si cette déprime nous parait étouffante, cela prouve que Petty a atteint son objectif artistique.

Comme « tonight the night » , « blood on the track » , ou « nebraska , la valeur d’un disque comme echo ne se mesure qu’à sa capacité à émouvoir l’auditeur. J’ai déjà cité, dans une précédente chronique, cette phrase de Hugo : «  La nostalgie est la joie des gens tristes ». Elle colle aussi parfaitement à ce disque.

De room at the top à one more day one more night , echo est un mouroir fait d’émotions contradictoires. Tonnerres électriques gorgés de colère bienveillante, les rock expriment la révolte contre un être que son auteur ne parvient pas à détester. Si il semble lui dire bon vent sur « free girl now » , les trémolos dans sa voix montrent qu’il ne parvient pas encore à passer à autre chose. Alors les souvenirs défilent devant ses yeux, doudous dont l’ombre s’efface déjà, et qui apportent un réconfort encore plus blessant que le mal dont il souffre.

Alors forcément, on a droit à une grande suite d’accords larmoyants, à une batterie dansant un slow mélancolique. Le morceau titre est un symbole de cette tension dramatique, ses notes s’évaporent comme le souvenir d’un amour qui n’est plus.

Si ce disque n’aidera pas son auteur à percer au-delà de son Amérique natale, si les rockers les plus indécrottables ne retiendront que les quelques coups de sang de ses Heartbreakers, echo contient des titres qui figurent parmi les plus intenses de leur auteur. Un tel spleen est parfois dur à digérer, l’album aurait sans doute été plus efficace si Petty avait fait preuve de plus de concision.

La nostalgie est un sentiment aussi irrésistible qu’éphémère, et la gravité du propos finit par faire naitre l’ennui. Il aurait sans doute fallu, pour éviter cette impression, que les titres les plus enjoués soient chantés avec une voix moins écorchée , que les rock deviennent des éclaircies au milieu de son cimetière sentimental. Œuvre aussi poignante qu’imparfaite, echo fait partie de ces grands projets dont on a dû mal à critiquer l’échec.

Aussi éparpillés soient-ils, les moments de grâce de ce disque font partie des fulgurances qui sont la marque des grands artistes. Au bout du compte, Petty n’a peut-être jamais autant mérité son titre de looser sublime qu’ici.

Sorti en 2002 , the last DJ approfondit le sillon nostalgique de son prédécesseur, mais ce n’est déjà plus la même nostalgie. Echo était trop personnel, et la voix encore écorchée de son auteur rendait son œuvre indigeste. The last dj montre plutôt un artiste qui s’interroge face à un monde en pleine décadence. Alors il fait l’éloge de l’époque qu’il a connue, prône le retour à cette « dreamville » disparue.

Sur le morceau titre , il rend hommage à ces grands explorateurs faisant découvrir leurs découvertes au monde entier. C’était avant que les présentateurs de radio ne deviennent de simples marionnettes, diffusant ce qu’on leur demande de diffuser. C’était aussi avant la horde d’hydrocéphales junkies, poussant leurs boutons en secouant la tête comme des crétins.

Bref, c’était une époque où John Peel et les autres DJ célèbres étaient les chercheurs guidant le peuple sur le chemin de la culture musicale. La guitare tisse la fresque qui fait entrer ces grands hommes au panthéon du rock, le riff d’introduction sonne comme les cloches d’un paradis perdu. Pour chanter les louanges de ces grands hommes, Petty prend la voix grandiloquente d’un Dylan en plein délire mystique.

Le morceau titre annonce la première facette de cet album, il montre la beauté d’un monde qui n’existe déjà plus. Ce qui fait la beauté de ballades comme « dreamville » , ou « when money became king » , c’est ce mélange de tristesse et d’émerveillement devant ce passé glorieux. Après avoir déploré sa perte, Petty lance ses piques électriques sur les coupables de la décadence moderne.

Il y’a d’abord « Joe », symbole d’hommes d’affaires dont la cupidité a tué la poule aux œufs d’or qu’était l’industrie du disque. Sur ce titre, les guitares partent dans un blues rageur, le rythme binaire lance ses poignards massacrant ce capitalisme écœurant. Le blues n’est pas seulement un cri de désespoir, c’est aussi une force qui juge les grands criminels de son époque. De ce point de vue, les cris rageurs de Petty n’ont rien à envier au charisme viril des grands vagabonds du Mississipi.

Après ce coup de colère, Petty ne peut que constater la laideur du monde moderne. Lost Children est marqué par un refrain amer, avant que les Heartbreakers ne partent dans des envolées hard blues. A travers ces envolées, le groupe tente de montrer la voie à ceux qui voudraient rallumer la flamme du rock n roll.

Après tout, comme il le chante sur un folk à la sensibilité proche de Neil Young, on ne peut empêcher le soleil de briller. Cette époque, qui n’est déjà plus la sienne, Petty va devoir apprendre à l’accepter.

Loin de se morfondre, the last DJ est un disque plein d’espoir, qui offre quelques moments de légèreté bienvenue. On pense notamment à « the man who love woman » , où Petty renoue avec la douceur d’un Dylan en pleine période country. Si echo montrait un homme ne pouvant plus voir la beauté du monde, the last dj le replonge dans un passé dont il regrette les merveilles. Il trouve, dans cet émerveillement, la révolte et l’énergie capables de revitaliser sa musique.

Malgré la gravité de certains titres , the last dj est un des disques les plus optimistes de Tom Petty. Grâce à lui , les Heartbreakers sont prêt à conquérir le 21e siècle.              




samedi 5 décembre 2020

Tom Petty 6


 

Novembre 1994.

Quelques semaines plus tôt , Rick Rubin a donné refuge à un Johnny Cash en exil , et vient de sortir le premier volume de ses american recording. Une figure telle que Cash est essentiel, elle est le phare qui permet au rock de ne pas se perdre dans ses périples expérimentaux. Les American recording permettent à une nouvelle génération de découvrir ce rock , de vénérer ce dernier mohican , qui a la country dans le sang et le blues dans le cœur.

Si le premier album des american recording est le sweetheart of the rodeo (des byrds) des nineties, wildflowers est son harvest. Sans doute influencé par la réussite de Cash, Petty a lui aussi confié son retour à la terre à Rick Rubin. Après s’être fait une réputation en surfant sur le succès du heavy metal , Rubin devient le maitre d’œuvre d’un rock qui rêve d’authenticité. Conscient que son rôle demande une certaine modestie, il ne surcharge pas la fresque de son protégé. Il a vite compris que cette musique a besoin de respirer, que des bluettes telles que wildflowers sont de gracieux canaris, qui ne supporteraient aucune cage. Une telle musique a besoin d’espaces, les riffs de you wreck me ou cabin down bellow galopent comme des chevaux sauvages.

L’album en lui-même ressemble à une chevauchée dans l’histoire de la musique américaine, on y croise les ombres des grands voyageurs qui ont fertilisé son sol. Servi par des guitares bourdonnant comme une armée de frelons, honey bee ressuscite le blues libidineux des grands bluesmen campagnards. Petty revient alors sur ses terres natales , celles des bayous de Floride , où le grand Dr John façonna son mojo surréaliste.  

Plongés dans ce bain de jouvence, les solos réveillent le fantôme des seventies, époque où le blues pouvait se durcir sans se renier. Les ballades, elles, revisitent l’ambiance bucolique de broken arrow , la grange où Neil Young produisit son best-seller country. Le morceau titre flirte d’ailleurs avec les mélodies désespérées du loner, pendant que fade on my rappelle les comptines de after the gold rush.

Comme harvest avant lui , Wildflowers éblouit surtout quand le country rock devient une grande symphonie paysanne. Placés à la fin de l’album, crawling back to you et wake up time sonnent un peu comme son « a day in the life ». Si la fresque pop de sergent pepper ouvrait la voie à une nouvelle ère musicale, la patine des deux symphonies Pettyenne redonne vie aux vieux meubles de la pop.

Si wildfolwers est officiellement un album solo, Benmont Tench et Mike Campbell viennent défendre le rock flamboyant des heartbreakers. Des titres comme a higher place ressuscitent d’ailleurs l’énergie tubesque de hard promise, alors que les guitares saluent le crazy horse sur fade on me. Attiré par ces mélodies lyriques, Ringo Starr pose ses beats de batteur le plus sous-estimé du monde sur hard to find a friend.

Contrairement à l’époque où ce cher Ringo faisait partie de l’orchestre des cœurs solitaires, le rock n’est plus un jeune homme plein de projet. Assis sur le banc de ses souvenirs, c’est un vieux dévoilant ses secrets avec nostalgie. A défaut de briller par leur avant gardisme , les œuvres telles que wildflowers atteignent une certaine forme de perfection traditionnelle, elles représentent le champ du cygne d’une grandeur qui se raréfie.

L’éclectisme de wildflower est rendu cohérent par l’authenticité de ses mélodies , c’est un grand travail d’artisanat musical. Pendant ces 60 minutes, Petty passe en revue ses coups de foudre musicaux, retrace le chemin de ses inspirations, tel un vieillard retraçant le parcours de sa vie. Si Petty a encore de beaux jours devant lui, wildflower restera sa plus grande œuvre, l’aboutissement d’un parcours exemplaire.

« Mickey est jeune chauffeur de taxi New Yorkais. Il rencontre la séduisante Hape et tombe immédiatement amoureux. Francis , son frère , a une aventure avec Heather , l’ex fiancée de Mickey . Les deux frères entrent alors en compétition. »

La plupart des gens ne grandissent jamais. Leur corps s’allongent et expriment de nouveaux besoins, mais leur culture ne murit pas. Ce que vous avez lu entre guillemets, et qui est le scénario du film she’s the one, en est la preuve flagrante. C’est une intrigue de film Disney , auquel on ajoute une espèce de voyeurisme malsain. Les comédies romantiques ne sont d’ailleurs que des films Disney pour adulte, auxquels on ajoute le faux réalisme abrutissant de la télé réalité.

She’s the one fait partie de ces films au manichéisme écœurant, ces ganaches indigestes qui nourrissent la frustration des spectateurs. Avec eux, le cinéma ne cherche plus à émouvoir, faire rêver ou réfléchir, il montre au spectateur une fausse réalité qu’il présente comme un modèle. Comme beaucoup de films commerciaux américains, she’s the one est plus proche de la réalité par la bassesse de ses personnages , que par l’ennui mortel de son monde fantasmé.

Mais les responsables de cette pantalonnade eurent au moins la bonne idée de demander à Petty d’en faire la bande son. L’amuuuur , Petty connait , cela fait plus de dix ans qu’il le chante , sans tomber dans la niaiserie que vendent les producteurs qui demandent son aide. Sans être un chef d’œuvre, la bande son de she’s the one contient assez de beauté pour donner un peu d’éclat à un film si terne.               

Alors bien sûr , en se basant sur un tel modèle , Tom Petty et ses Heartbreakers tombent parfois dans le tas de guimauve. Certains titres acoustiques sont plombés par la nostalgie soporifique, qui fait parait-il le sel de ces comédies romantiques. Le bien nommé « asshole » imite d’ailleurs les harmonies vocales de Crosby Still and Nash , sans parvenir à faire décoller sa chorale amorphe. On pourrait aussi être agacé par les rimes cucul, et le rythme mielleux de walls.

Mais , quand les guitares électriques se lâchent, sur des titres comme supernatural radio , les heartbreakers rajeunissent de quinze ans. Revenant à ses mélodies électro acoustiques, California et angel dreams reprennent les choses là où full moon fever les a laissées. Ce miracle n’est pas dû au film que cette musique colore,  elle montre au contraire que Petty dépasse de loin son modèle. Disque moyen, la bande son de she’s the one contient assez de perles pour décupler la popularité de son auteur.

Il faut désormais accepter que le rock ne soit plus la préoccupation majeure des années 90. Alors, si les poubelles de la culture pop sont friandes de rock , il ne faut hésiter à les gaver. Après tout, le rock marquera bien plus les spectateurs que les histoires cucul d’un quelconque Mickey pour adulte.              

Tom Petty 5


Nous sommes en 1988 et , pour se détendre de ses séances d’écriture, George Harrison part déjeuner avec Jeff Lynne et Roy Orbinson. Pour Harrison, la fin des Beatles fut une libération, elle le délivrait du silence imposé par le génie du duo Lennon Mccartney. Il sera d’ailleurs le premier Beatles à trouver le succès en solo, et un disque comme all things must past vaut bien tous les essais de ses ex collègues.

Après quelques discussions sans intérêt, Harrison ne tarde pas à parler de ses difficultés à ses illustres convives. Il ne sait pas dans quel studio enregistrer la face B de son prochain 45 tours, le studio où il a ses habitudes étant malheureusement réservé. Jeff Lynne lui conseille alors de contacter Bob Dylan, qui pourra lui faire bénéficier de son studio à Malibu.

Après ce diner, Harrison se rend compte qu’il a laissé sa guitare chez son ami Tom Petty. En la récupérant, il lui propose de participer à l’enregistrement de son nouveau titre. Une fois en studio, Lynne, Orbinson et Dylan viennent assister aux enregistrements. Ils finissent par poser leurs instruments sur le titre de leurs collègues et , cette collaboration transformant un titre anecdotique en tube en puissance , une complicité se crée entre les musiciens. Ils décident alors de poursuivre les enregistrements , et parviennent vite à réunir de quoi produire un album commun.

C’est ainsi que fut produit travelin wilsbury volume 1, premier album d’un groupe composé de Tom Petty , Bob Dylan , George Harrison , et Roy Orbinson. Ce genre de réunion n’est pas une nouveauté, d’ex musiciens d’Emerson Lake et Palmer, de King Crimson, et de Yes , se sont déjà réunis sous le nom d’Asia (1981).

Ce qui est intéressant dans ce premier disque des traveling wilsbury , c’est qu’il annonce la renaissance de certains de ses protagonistes , alors que d’autres rajeunissent de quelques années. Sur Tweeter and the monkey man, Bob Dylan prend le ton de prédicateur blues folk , qui sera celui de son dernier âge d’or. Envoyé aux radios pour faire monter la sauce, Handle with care permet à Petty de toucher du doigt le génie des Beatles.

Sur end of the line, la légèreté d’un Dylan ressuscitant sa période country rejoint la splendeur pop perdue après le duo Lennon Mccartney. Si je voulais être sarcastique, je dirais que la présence d’un Lynne obnubilé par l’héritage Beatlesien est largement responsable du succès de ce disque. Dernier génie de la musique populaire, les Beatles sont un symbole dont on ne fera jamais réellement le deuil, et le public s’accroche à chacune de leurs évocations.

Mais la production de Lynne permet surtout à ces fortes personnalités de s’épanouir sans briser l’osmose de l’album. Et, aussi anecdotique soit-elle, cette agréable réussite a tout de même permis à ses protagonistes de trouver un nouveau souffle.

A peine un an après la sortie du disque, Dylan sort Oh Mercy, qui reste à ce jour un de ses meilleurs albums. De son coté, Petty demande à Jeff Lynne de s’occuper de la production de son premier album solo.

Full Moon fever s’ouvre sur ce qui ressemble à un portrait de l’Américain moderne.

« She’s a good girl , love her mama

Love Jesus and america too

She’s a good girl crazy about Elvis

Love Scorcese… »

 

Ces premières phrases sont aussi essentielles que celles des grands romans, elles sont le témoin d’une époque et d’une culture. Partagée entre le traditionalisme, et une culture pop diffusant son hégémonie sur le monde, l’Amérique s’est tout de suite reconnue dans ces quelques mots, et dans cette musique.

A l’image de son pays , Petty se sert de la modernité pour dépoussiérer ses vieux totems. Dans ce cadre, Jeff Lynne est une aide indispensable. Le producteur remet de l’ordre dans le bazar laissé par let me up , il offre à son ami une production d’une propreté irréprochable. Les instruments semblent flotter dans un somptueux nuage sonore, qui donne à leurs accords une profondeur impressionnante.

Sans les heartbreakers , Petty retourne dans les bras des Byrds , auquel il rend hommage à travers une reprise de « feel a whole lot better ». Le ton plus Byrdsien de ce disque est aussi en partie dû à Jeff Lynne. En incitant son ami à composer sur une guitare acoustique, il l’a obligé à se concentrer sur ses mélodies.

Perle parmi  les perles , yer so bad sonne presque comme une chanson folk , et même son solo n’ose abandonner la splendeur d’une rythmique délicieusement douce. En le rapprochant de ses modèles , Jeff Lynne a aussi permis à Petty de faire redécouvrir la grandeur d’une pop légère.

Séduit par la pureté d’une production claire comme de l’eau de roche, l’Amérique redécouvre la musique qui fit danser les hippies. Elle redécouvre aussi ce rock n roll qu’elle ne peut abandonner. Runnin down a dream ressuscite l’énergie sacrée des grands riffs, c’est Chuck Berry tentant d’imiter Fleetwood Mac, la chaleur de la Californie gommant l’agressivité de son blues urbain. 

Et, quand ce feeling enlace une mélodie acoustique, ça donne une rencontre historique entre la tradition et la modernité. Symbole de cette symbiose, won’t back down sera bientôt repris en cœur dans les stades.

Full Moon fever ravira les bons garçons, qui aiment Elvis, et les Byrds aussi. Il ravira les bons garçons fous de rock. Qui aiment les riffs, et les belles mélodies aussi.

Le succès de Full Moon Fever met son auteur dans une situation délicate. Il ne veut pas abandonner son groupe, qu’il considère encore comme le meilleur qu’il ait connu. Mais il ne peut lâcher ce son , qui transforme ses meilleurs titres en hymnes de stades.

Frustrés par son départ brutal, les Heartbreakers auraient pu commencer une carrière solo, et leurs calculs égoïstes auraient sans doute détruit le groupe. Les heartbreakers se seraient alors retrouvés dans la même situation que les stones, après la sortie des albums solos de Ron Wood , Keith Richard , et Mick Jagger.

Chacun aurait gardé ses meilleures idées pour sa propre carrière, et le collectif auraient dû accommoder les restes. Heureusement, le groupe de Mike Campbell n’est pas tombé dans ce piège, mais garde une vision artistique assez éloignée de celle de son leader. Le ratage de let me up n’a pas dissuadé les heartbreakers de partir vers une musique plus directe, ils souhaitent encore renouer avec la simplicité de leurs premières heures.

Résultat, quand Petty fait entrer Jeff Lynne dans le studio, la tension est palpable. Pour les collègues de Tom, Jeff Lynne est la source de tous leurs maux, celui dont la production a enfoncé un let me up déjà décrié. Heureusement, quand le groupe commence à jouer, la musique adoucit les mœurs.

Il faut dire que les titres d’into the great wide open leur rendent aussi hommage. Petty y exprime  la joie de jouer avec de tels mercenaires, conte son histoire sans oublier les clichés éternels. On est donc embarqué, sur le morceau titre, au côté d’un rocker luttant pour diffuser le rock n roll.

Le ventre vide, mais nourri par l’énergie du rock n roll, notre homme gravit les marches qui le mènent au succès. Après ce mythe immortel, servi par une très belle mélodie, Petty affirme à ses amis que leur histoire n’est pas finie. Les rides ont beau marquer leurs fiers visages , le temps a beau alourdir leurs mouvements , les heatbreakers apprennent encore à voler vers d’autres horizons.

Ayant trouvé un compromis avec Jeff Lynne, les Heartbreakers n’hésitent pas à « faire du bruit ». A l’image de make some noise , learning to fly montre l’entrain d’un groupe pour lequel un bon riff vaut plus qu’un long discours.

Si Full moon fever était addictif dès la première écoute, into the great wide open est plus complexe. Jeff Lynne a pris ses aises, dotant l’album d’une production plus riche. Into the great wide open tire son charme de l’affrontement qui oppose sa production, mélodieuse et raffinée, à la spontanéité de rockers intenables.

Learning to fly montre d’abord les mérites du producteur, qui transforme les arpèges en rideau cristallin. Cette grâce sublime les mélodies, donne aux ballades une résonance poignante. Quand les guitaristes décident de revenir à des riffs plus virulents, la production parvient à faire rentrer cette énergie dans le rang des mélodies Pettyennes.

Malgré cet affrontement, qui donne à into the great wide open un charme moins évident, le disque se vend par palettes. Après avoir trouvé une nouvelle voie Petty ressuscite un groupe qu’il ne quittera jamais très longtemps.

      

dimanche 29 novembre 2020

Tom Petty 4


 Cher Tom Petty,

 

Avant tout je te parle en tant qu’admirateur. Tu as su dépoussiéré le son des Byrds , et entretenir la flamme d’un rock dans lequel on me refusait d’entrer. Les journaux jugent souvent les artistes de manière caricaturale et , si ils vous considèrent comme mon fils spirituel , c’est qu’ils refusent d’accepter que je suis incapable d’écrire des tubes tels que refugee.

 

L’année prochaine, j’effectue une grande tournée avec le grateful dead , bien que le fait de devenir un vestige des sixties ne m’enchante pas. Entre temps, 1986 étant une année relativement calme, j’ai demandé à mon manager de vous inviter à ma prochaine série de concerts . L’invitation devrait vous parvenir prochainement, mais j’ai préféré prendre les devants.

 

Je serais réellement honoré de vous compter parmi nous lors de cette tournée , dont Roger Mcguin effectuera l’ouverture.

 

A bientôt j’espère

 

Bob Dylan.

 

Tom Petty n’en croyait pas ses yeux, et courut demander à son manager de confirmer sa présence à ce concert. Il est vrai que Dylan n’est plus en état de grâce, mais il ne l’a jamais réellement été. Déifié dans les années 60, ses ventes n’ont jamais atteint les mêmes sommets que celles des beatles ou des stones. Le barde s’était mis au rock trop tard, et les quatre garçons dans le vent avaient déjà conquis le monde.

 

En plus de ne pas obtenir le succès promis aux rockstars , Dylan a dû subir le puritanisme de son public folk. Cet échec restera un des fils rouge de sa carrière, et il ne cessera jamais réellement de chercher à être accepter en tant que rocker. Du band à Mark Knopfer , en passant par Mike Bloomfield , Dylan a croisé le fer avec les plus fines lames de son époque. Je ne parle même pas de Ronnie Wood , dont la rigueur rythmique illumine le rock mystique de shot of love.

 

Vomie par la critique, sa période born again lui a permis de former un des plus grands groupes de scène de l’histoire du rock. Je conseille d’ailleurs à ceux qui douteraient encore de la valeur de cette période de réécouter cette trilogie, et de jeter une oreille au live trouble no more.

 

Quelques mois avant d’envoyer sa demande à Petty, Dylan avait rendu hommage à Elvis, en emmenant ses musiciens jouer à Budokan. En entendant le résultat, la critique ne sut que se moquer de cet has been rendant hommage à la dépouille encore chaude du roi d’un rock , qu’elle trouvait daté. Pour elle, il fallait vite achever ces icones mourantes, faire disparaitre toute trace du passé. Le rock dépérissait depuis la seconde partie des seventies, et ces vieilles statues représentaient le bouc émissaire idéal.

 

Après avoir jeté des disques aussi réussis que sa trilogie mystique et son dernier live, la critique voulut l’achever en s’attaquant à empire burlesque. Elle avait enfin de quoi râler, ce disque-là était le premier qu’elle pouvait démonter sans faire preuve de mauvaise foi. Avec cet album , Dylan devenait la caricature que ses détracteurs avait dessiné , un vieux rocker fatigué tentant de se mettre à la page.

 

Après avoir sorti un tel étron synthétique, le Zim avait besoin de retrouver le plaisir de jouer. C’est ainsi que, alors que leur leader venait tout juste de se remettre de sa blessure à la main, les heartbreakers devinrent le nouveau band de Dylan.

 

Si aucun live officiel ne fut enregistré, le coffret bootleg Dylan and friends retrace bien cette magnifique tournée. On observe alors que, postés derrière son illustre leader, les heartbreakers donnent aux classiques de Dylan l’énergie rock qui leur a parfois manquée. Loin de chercher à rivaliser avec Hendrix, les heartbreakers parviennent tout de même à rendre « all along the watchtower » à son père légitime. La simplicité d’un rock rythmique et mélodieux a remplacé les salves psychédéliques du voodoo child , donnant ainsi à ce classique sa version définitive.

 

Petty et Dylan partagent les mêmes influences et, si master of war semble reproduire le country rock des premiers titres de Petty, c’est parce que ce classique est issu du même moule campagnard. Les deux hommes partagent les mêmes références , perpétuent la même tradition. Pendant les instrumentaux, Dylan et Petty s’échangent les regards complices de deux hommes réunis par une admiration réciproque.

 

Et , quand Dylan laisse la scène à ses fils spirituels , son public redécouvre ce qu’est le rock n roll. Une reprise de Chuck Berry donne le ton d’une prestation particulièrement nerveuse, les refrains pop deviennent les petits-fils des tubes immortels des années 50.

 

Après cette prestation, Dylan touchera le fond sur l’album down in the groove, avant de revenir à une musique plus vivante. La tournée Dylan/Petty fut une somptueuse éclaircie pour deux carrières qui semblaient se ternir. Les heartbreakers ont sorti la tête de l’eau quelques instants, avant de se noyer dans l’ambiance austère de leur studio.

 

Pour conserver l’énergie accumulée lors de leur dernière tournée, les heartbreakers ont décidé d’enregistrer dans les conditions du live. Cette technique est pernicieuse, des groupes comme les who s’y cassèrent les dents pendant des années. Reproduire l’énergie d’un concert sans public, c’est comme essayer de faire démarrer un moteur sans carburant. Dans les conditions du live, si l’énergie brute est le seul but des musiciens, la spontanéité mène souvent au fiasco.

 

Comme souvent, let me up commençait bien, le riff de jamin me rappelant les grands moments de come and get it. Mais runaway train montre déjà vite que la sobriété revendiquée par le groupe cache mal son manque d’inspiration. Sympathique lors des premières secondes , la mélodie de cette ballade part vite dans une répétition insupportable.

 

Pris dans les sifflements de clavier, qui avait déjà pourri l’album précèdent, les arpèges s’endorment dans un slow monotone. Noyées dans une production trop brouillonne, les mélodies retombent comme de mauvais soufflets pop. Privée d’écho , et surjouant sa nostalgie entre deux riffs incohérents ,  la voix de Petty finit aussi par agacer.

 

Et ce n’est pas l’air oriental de It all work out , qui va faire oublier l’ennui mortel que provoque let me up. Cet album est aussi celui où Tom Petty a le plus écrit avec Mike Campbell, ce qui ne fait que confirmer l’impression d’essoufflement que donne let me up. Le duo de compositeurs frôle d’ailleurs l’impardonnable avec l’insipide rythmique disco de my life your word.

 

Les heartbreakers sont pour Tom Petty ce que le E street band est pour Springsteen. Leur présence inspire leur leader, leur jeu donne une certaine couleur à sa musique, mais ils ne peuvent palier à un manque d’inspiration de leur figure de proue. On ne peut s’empêcher, en entendant le désastreux let me up, de penser que Mike Campbell a voulu enfiler un costume trop grand pour lui.

 

C’est la seule explication plausible à ce désastre, jusqu’à ce que la guimauve all mixed up sorte de nos enceintes. A côté de ce titre, le clavier de southern accent faisait preuve d’une discrétion exemplaire. Il faut donc se rendre à l’évidence, les Heartbreakers sont lessivés, leur pop rock n’inspire plus leur égérie blonde. Il était temps pour Tom Petty de changer d’air, de quitter ce groupe qui avait déjà tant donné.                       

jeudi 26 novembre 2020

Tom Petty 3



 1985 commençait pourtant bien, le succès ayant permis à Petty de monter son propre studio. Cette tradition, instaurée par Hendrix, permet surtout aux gros groupes de ne plus se préoccuper des disponibilités des studios. Galvanisé par cette acquisition, Petty voulait produire son album concept. Popularisé avec le grandiose sergent Pepper , l’album concept a connu son âge d’or dans les années 70, grâce aux Who , aux Pretty Things , à Lou Reed etc…

Le concept permet surtout au groupe de centrer ses compositions autour d’une trame narrative, elle lui impose de trouver une méthode capable de relier ses compositions. Les Who avaient suivi l’exemple de l’opéra, en composant une ouverture, un entracte , et une fin. Les Beatles, eux, préférèrent ouvrir et fermer leur album culte sur la fanfare du sergent poivre. Ce qui rend l’exercice du concept album compliqué, c’est que la musique doit être aussi cohérente que l’idée qui préside à sa création.

Or, les Heartbreakers n’y parviennent pas, et se perdent dans leurs tentatives narratives. Certains titres sont bons, la plupart semblent accrocheurs, mais ils semblent partir dans tous les sens. Pour supporter la pression des tournées incessantes, Petty s’est mis à la cocaïne, ce qui ne l’aide pas à mettre de l’ordre dans son puzzle conceptuel. Pousser à bout par ses échecs successifs, le chanteur frappe le mur avec une telle rage , que l’on entend ses os prendre la forme de la poudre qu’il se met dans le nez.

A l’hôpital , ses médecins se montrent pessimistes , il ne pourra sans doute plus jamais jouer de la guitare. Pressés par les délais, les Heartbreakers décident de compiler les titres précédemment enregistrés, et d’en faire l’album southern accent. Nous sommes alors en 1985 et, si southern accent n’est pas un concept album, il s’inscrit tout de même dans une série d’œuvres témoignant du marasme de l’époque.

Le rock est mort l’année précédente, en 1984, quand Springsteen a sorti l’insupportable Born in the U.S.A. Sa plume était pourtant toujours à son meilleurs niveau, le texte du morceau titre était d’ailleurs là pour en témoigner. Réduit à un simple hymne patriotique par un vieux cow boy Tatcherophile , born in the USA pointait le sort pitoyable que l’Amérique réservait à ses soldats envoyés, et revenus, du Vietnam. Mais le boss aurait dû se douter qu’enrober dans un tel soufflet pop , sa protest song ne pouvait que passer pour une vieille ganache réac.

La forme influence malheureusement la compréhension du fond , et cette musique aurait pu illustrer la connerie guerrière d’un Rambo. Ajoutez à cela le clip de De Palma, où l’ex grand rocker danse ridiculement en compagnie de Courtney Cox, et vous assistez à la transformation du rock en produit de consommation. Et bien southern accent est le born in the usa de Tom Petty.

Les choses commençaient pourtant bien , rebel renouant avec le lyrisme rock de damn the torpedoes. Puis le clavier s’est mis à la page , ses sifflements agaçants flirtant parfois avec la beauferie tapageuse d’un Van Halen. Autrefois présent sans être envahissant, le synthé noie désormais des guitares qui, de toute façon n’ont pas l’air très enthousiasmés par ce qu’elles jouent. Sorte de relique d’une ambition abandonnée, les cuivres de the best of everything semblent porteurs d’une trame musicale prometteuse , d’une mélodie qui aurait pu donner un peu de cohésion à cet album sans tête. Finalement, il est placé en fin d’album, comme l’aveu d’impuissance d’un groupe qui n’a pas su être à la hauteur de son ambition.

Si il se vend bien aux Etats Unis, southern accent marque déjà la fin de l’âge d’or des heartbreakers, grands rockers étouffés par la superficialité de leur époque.

 Alors que Tom Petty commence une rééducation qui durera plusieurs mois, MCA comble le vide en sortant son premier album live. Paru la même année que southern accent (1985), et composé de prestations récentes, pack up the plantation est un live historique. Tels les Rolling stones , les Heartbreakers compensèrent leur panne créative par une énergie scénique décuplée. Il faut dire que, en 10 ans, le groupe s'est créé un répertoire truffé de perles, qu’il regroupe dans un grand best of scénique. Seul gimmick dans un show assez sobre, le drapeau sudiste rappelle les origines que notre rocker revendique sur son dernier album. A la droite de ce drapeau, deux choristes sont prêtes à enrober les mélodies de Petty dans un écho gospel. De l’autre côté du symbole sudiste, des cuivres discrets ajoutent un peu de chaleur au rock des Heartbreakers. 

Sur Breakdown , les choristes n’oseront tenir leur rôle d’échos fervents , intimidés par la formidable symphonie vocale à laquelle ils assistent. Le riff se dandinait comme Keith Richard sur le riff de Brown Sugar , la voix angélique de Petty entamait les premiers vers de son blues sentimental. Alors que le chanteur venait à peine de finir le premier couplet de son blues, la foule se met à chanter dans un chœur si parfait , que les musiciens se contentèrent de l’accompagner.

A la fin du premier couplet, Tom gratifie la foule d’un «  vous allez me faire perdre mon boulot» admiratif. Le public donne ensuite à la voix de Petty l’écho formidable qui marque les grandes communions musicales. A la fin d’une grande improvisation, les chœurs finissent par reprendre le contrôle, et guide la mélodie vers une coda finale, qui fait progressivement retomber la pression. Le moment que je viens de décrire est aussi important que Hendrix brûlant sa guitare à la fin du star splanged banner, c’est le genre d’événement qui donne au rock des allures de force sacrée.

Les interventions de cuivres, plus mesurées que sur southern accent , enrichissent les vieux classiques et réhabilitent les derniers ratés. Sur american girl , ils enlacent le riff sur un mojo stonien en diable. Le blues funky de nothin to me est ensuite rehaussé par un riff plus hargneux, qui part dans une sorte de réadaptation bluesy du groove de Sly Stone.

Lors de leur passage en Californie , les Heartbreakers reçurent la visite de Stevie Nicks , qui vient poser sa voix sur insider et needles and pins. La Grace Slick moderne participe à une version de insider , qui ferait pâlir les plus belles mélodies de Rumour. Il faut l’entendre, portée par un piano mélancolique, et montant dans un crescendo digne des Mamas and the papas. Quand elle accompagne ensuite Petty dans une lumineuse reprise du tube sixties Needles and Pins , on comprend que Insider fut écrit pour sa voix de cantatrice hippie. Avec ces deux titres, Petty a rapproché sa muse de ce « rêve Californien », dans lequel son lyrisme s’épanouit.

Du rock mal dégrossi des premiers disques, aux réhabilitations du désastre southern accent , pack up the plantation déploie l’intensité des live historiques. Plus qu’un simple bouche trou sensé faire patienter les fans, pack up the plantation est LE live des années 80.                       

 

Tom Petty 2




Que se passe t-il ici ?!

Le responsable de MCA prononça cette phrase sur le ton désespéré d’un chef d’entreprise qui voit s’envoler ses bénéfices. La location d’un studio est payante, et ce même si le groupe qui l’occupe refuse d’enregistrer le moindre accord.

Amusé par la panique de ce cochon capitaliste, Petty a le sourire narquois de celui qui sait que son interlocuteur ne peut que céder.

J’en ai assez que vous m’exploitiez, assez que mes disques soient vendus à des prix indécents à des gosses dont les parents travaillent à l’usine. Mon père travaillait dans les mêmes usines, et je sais ce que c’est de devoir économiser des mois pour obtenir un disque. Le succès de Damn the torpedoes doit désormais changer les choses, et j’exige que mon contrat soit révisé, et le prix de mes albums diminué. 

Le responsable semble presque se rassurer , il a déjà réussi à raisonner ce genre de rockers rouges. Pas plus tard qu’en 1979 , une bande de punks anglais avait demandé à ce que leur double album soit vendu  au prix du simple. Et bien Columbia avait simplement baissé les royalties de ces utopistes , et avait ainsi limité les pertes. Quant à Neil Young , qui avait produit un album de rockabilly pour dégoûter sa maison de disque , celle-ci l’a attaqué en justice pour « non-respect de la marque Neil Young ».

Le loner en a encore pour quelques jours avant de se remettre de cette bravade. Les maisons de disques ont toujours traité les artistes comme des salariés et , si les contrats qu’il signe restent plus libres que la plupart des cdi , notre responsable est convaincu qu’on pourra un jour soumettre les musiciens à la même servitude que les autres salariés.  

Notre responsable, comme ses semblables , rêve du jour où les goûts musicaux seront standardisés , où les musiciens seront les travailleurs à la chaine d’une musique sans âme. Que l’on puisse attaquer Neil Young pour non-respect de la « marque » qui porterait son nom est d’ailleurs symptomatique de ce corporatisme sordide. Regonflé par ces malsaines pensées , notre bureaucrate bedonnant lance sa diatribe de sous Machiavel bouffi. 

Écoute-moi bien petit prétentieux ! Ce n’est pas avec ton petit succès que tu deviendras le roi de cette boite ! Tu crois être le seul à savoir écrire des chansons ? A l’époque où Bowie, et Springsteen sont au sommet ! Mais tu vas couler si tu ne te bouges pas pauvre fou !

Là, voyant que son discours ne produit aucun effet sur un musicien qui le regarde avec un mélange d’amusement et de pitié, notre responsable prend un ton hystérique.

Tu sais comment les européens te considèrent ? Comme un sous Springsteen ! Et ce statut c’est encore à nous que tu le dois. Sinon tu trainerais encore dans les bars crasseux avec ta bande de bras cassés. Tu ne vas pas te retourner contre le label qui t’a tout donné ? Contre ceux qui t’on fait connaitre le meilleur producteur de l’époque ? Ne gâche pas tes chances gamin. 

Tom Petty connaissait trop ce discours pour y céder, son père avait suffisamment subi ce mélange de paternalisme et de dévalorisation.

Ne m’appelez plus jamais gamin. Je vous connais assez pour savoir que c’est vous qui avez besoin de ceux que vous essayez de soumettre, et pas le contraire. Si vous pensez que ma musique vaut si peu, que votre maison de disque peut se passer de mes ventes, libre à vous de me virer. Mais je ne rejouerais pas avant d’avoir eu gain de cause.

« Soyez résolu à ne plus servir et vous voilà libre. »

Cette phrase de Bossuet résume bien la victoire que Petty obtint ce soir-là, et le label finit par céder sans diminuer ses royalties. Sorti à un prix plus abordable que ses prédécesseurs, hard promise fait un carton aux États-Unis Unis, mais ses ventes restent relativement modestes en Europe. Qu’importe , au pays du rock n roll les Heartbreakers sont désormais les rois, et hard promise acte cette prise de pouvoir.

Devenue la nouvelle égérie du rock Californien après le succès de Rumour , Stevie Nicks vient poser sa voix de « gold dust woman » sur the insider. Dans la tradition des grandes cantatrices pop , elle est le miel qui soigne le cœur de ses plus cruelles blessures.

Mais les Heartbreakers restent avant tout d’indécrottables rockers, comme le montre the waiting et king’s road. Alors que ses refrains se font de plus en plus prenants, Petty semble restreindre ses effets. Si sa voix baigne toujours dans un léger écho , qui lui permet de se poser avec une grâce angélique sur ses riffs mélodieux , les effets sonores ont disparu. 

Plus à l’aise au second plan, le claviériste abandonne aussi l’exubérance de damn the torpedoes. Arrondis par une productions très propre, les riffs redeviennent le nerf de la guerre, la guitare devient la lyre électrique donnant de la force aux refrains pop. Légèrement funky sur nightwatchman , carillonnant comme un tube de Springsteen sur the waiting , les six cordes renvoient les tacherons new wave à leurs expérimentations pompeuses.

Presque ignoré par un vieux continent qui ne comprend plus grand-chose au rock, hard promise est un disque admirable. Après avoir imposé ses conditions à sa maison de disque , Petty lui livre son disque le plus brut depuis come and get it.

Il serait temps d’expliquer à certains que l’homme qui figure sur cette pochette est , pour le rock américain , aussi important que Springsteen.

Sorti moins d’un an après hard promise , long after dark est la plus grande réussite de James Lovine. Dans sa quête de perfection sonore, le producteur a atteint une profondeur et une pureté qu’aucun de ses contemporains ne saura reproduire. Tom Petty a besoin de cette profondeur , c’est un miel qui gomme les accords trop gras , sans anesthésier ses riffs. On peut juste regretter que le très contemporain « you got lucky » soit devenu le tube du disque. 

Ces sifflements d’orgue flattaient les oreilles des amateurs de Supertramp, mais paraissent aujourd’hui terriblement datés. La production sauve tout de même les meubles, en permettant aux guitares de donner un peu de vie à cette bluette romantique. On peut se consoler en considérant que ce titre est le cheval de Troie, qui permet aux Heartbreakers d’imposer d’autres titres beaucoup plus remuants.

Ce rock énergique et mélodieux, ce folk rock Byrdsien dépoussiéré par une énergie post punk, c’est la grande histoire du rock se transformant pour survivre aux sordides eighties. Petty n’est pas à classer dans l’étagère de la new wave , mais n’est pas non plus à enterrer à côté des fossiles d’un rock dit classique.

Sa musique est contemporaine sans suivre les diktats d’une quelconque mode musicale, elle s’insère à la suite d’une histoire qu’elle ne copie pas. Ecoutez cette batterie martelant obsessionnellement son beat binaire, le boogie lancinant de stand the chance, et même les mélodies post beatles de staight into darkness et change of heart , et osez me dire que ce groupe s’inscrit dans le sillon de la new wave ou du post rock.

Et le clavier cristallin du morceau titre ne rappelle-t-il pas les grands moments de the rivers ou darkness on the edge of town ? Il n’y a pas de barrière entre long after dark et les glorieuses seventies , il représente le nouveau chapitre d’une histoire qui se perpétue. Oui les solos graisseux et les distorsions psychédéliques ont disparu, mais les Beatles , les Kinks et les Beach boys les boudaient déjà dans les sixties. Long after dark aurait dû regrouper toute sa génération derrière son panache rouge, you got lucky faisait d’ailleurs du pied aux plus modernistes de ses contemporains.

Imaginez l’effet formidable qu’aurait produit des dizaines d’albums tels que celui-ci, le rock aurait été sauvé pour au moins trente ans. Les mélodies de Tom Petty sont malheureusement les derniers morceaux de bravoure restaurant la dignité d’un rock exsangue.

Avec ce disque , James Lovine devient aux années 80 ce que George Martin était pour les sixties , un producteur construisant un modèle indépassable.

                

 

 


dimanche 22 novembre 2020

Tom Petty 1


 

Tom , je te présente Elvis.

Tom Petty n’a que 8 ans quand son père l’emmène sur le tournage d’un nanar du king. Il y a des rencontres qui marquent un destin, des personnages dont le charisme universel marque même les esprits juvéniles. C’est l’histoire qui se présente à Tom à travers ce jeune rocker, dont les déhanchements scandalisent les mères de familles, et font rêver leurs filles.

Dans une Amérique où votre couleur de peau détermine encore votre culture, vos chances de réussite, et les lieux que vous fréquentez, Elvis est le premier remède au poison ségrégationniste. Aussi discutables soient-ils, ses films initiaient la jeunesse blanche au mojo des grands martyrs noirs. Il parait qu’un homme nait deux fois, que l’esprit s’éveille souvent des années après que le corps ait quitté le placenta.

C’est donc sur ce plateau, lorsqu’il serra  la main du Dieu Elvis, que le petit Tom commença à devenir le grand Petty. Et aucun Michel Ange n’était là pour immortaliser cette grande page de la bible rock. Quelques années plus tard, Tom Petty forme ses premiers groupes. Sous l’influence de Bob Dylan et d’Elvis, Tom joue un rock teinté de country folk, le tout avec la verve des grands groupes de rythm n blues.

C’est en 1974 que Tom Petty rencontre Mike Cambell et Benmont Trench. Le voyant comme un sous Springsteen, la France ne peut comprendre l’importance de cette rencontre. Les compositeurs sont comme les baguettes de leur batteur, ils ne fonctionnent que par paires. John Lennon ne sera jamais aussi bon que quand il composait avec Paul Mccartney , et je ne parle pas des Jagger/ Richard , Perry/Tyler … 

Le mythe du génie solitaire est une escroquerie, même Dylan a eu besoin du clavier d’Al Kooper pour propulser la prose de like a rolling stone vers des sommets Baudelairiens. Le noyau dur de ce qui sera les heartbreakers se fait d’abord appeler Mudcrutch, et prend la route pour rejoindre la Californie. Ce pèlerinage n’est pas anodin, ces musiciens étant aussi de grands fans des Byrds.

Originaire de Californie, le groupe de Roger Mcguin était à la pointe du lien qui se créait entre l’Amérique et l’Angleterre. Fans des Beatles, les Byrds ont utilisé les trouvailles des fab four pour propulser le folk de Dylan au sommet des charts. Si le grand Bob leur grilla la priorité, profitant du retard de ses fans pour sortir un Mr Tambourine man électrique très proche de leur version, le premier album des Byrds a quasiment fait naître le rock Californien.

Mr Tambourine man et Sweatheart of the rodeo , voilà les deux albums qu’il faut avoir écouté pour réellement comprendre Tom Petty. Les heartbreakers sont des enfants du California sound , leur musique baigne dans ses influences anglaises , s’épanouit dans ses contrées country folk.

La terre promise se montre d’abord hostile, et Tom Petty devant galérer un an avant de décrocher son premier contrat. Au fil des concerts , il commence à se faire un nom , le public restant scotché face à ce rocker à la voix Dylanienne. Lorsqu’une maison de disque accepte enfin de les engager, mudcrutch devient the heartbreakers.

Un premier album est rapidement enregistré, et il ne passe pas inaperçu. Le premier album est essentiel, c’est la carte de visite qui décidera de l’avenir d’un groupe. Si rares sont ceux qui atteignirent la perfection dès le premier essai, un premier album raté est souvent fatal. Des Stooges aux Doors , de ACDC à Neil Young , les grands groupes ont souvent entamé leur carrière par des disques explosifs. Le premier disque doit être une déclaration de guerre, le coup de clairon annonçant l’assaut d’un groupe pour conquérir le bastion rock.

Lors de l’enregistrement d’un premier album, les producteurs sont souvent trop hésitants pour imposer leurs vues, certains ne savent même pas quelle musique leur groupe joue. On se souvient par exemple de ce pauvre homme qui, pensant que les mother of invention était un groupe de rythm n blues , les emmène au studio pour produire un album « dans le vent ». Lorsqu’il entend les premières notes de Freak Out , il se précipite vers le téléphone , et annonce à ses supérieurs que ce ne sera pas tout à fait du rythm n blues.

Pas beaucoup plus à l’aise que devait l’être leur premier producteur, les heartbreakers se contentent de jouer ce qu’ils jouaient sur scène. Si leur énergie dépasse de loin le coté hippie des Byrds, Petty suit à la lettre leur plan d’attaque, en mêlant rock anglais et américain. La formule est la même, mais les ingrédients la composant ont radicalement changé.

1976 , c’est l’année de Patti Smith , des Ramones , et de Born To Run de Springsteen. Coté Anglais , Led Zeppelin a donné naissance au hard rock , qui ne cesse de déployer son armada électrique. 1976 est l’année de l’intensité , la grande crise de nerf d’une décennie qui sent déjà que sa fin est proche. Alors Tom Petty remet son héritage à jour, donnant une claque au Buffalo Springfield à travers un rock around with you épileptique.

L’auditeur a à peine le temps de respirer que Breakdown transporte ses enceintes dans les bayous qui virent naitre Petty. Un riff comme celui de Breakdown semble ressusciter tous les fantômes du blues , c’est un miracle qui se produit une poignée de fois par décennie. Mais les heartbreakers sont assez malins pour emballer cette force rugueuse dans un refrain irrésistible, comme si les Beatles collaient le refrain de baby you can drive my car sur le riff de Manish Boy.

Loin de cacher l’efficacité de son rock encore brut de pomme, cette capacité à créer des refrains mémorables souligne la cohésion d’un groupe affuté par des mois de galère. Après le blues, les heartbreakers saluent Lynyrd Skynyrd à travers le boogie Strangered in the night. Le blues se fait ensuite plus lascif sur fooled again , il nous transporte au temps béni du début des seventies. Mais c’est surtout quand il flirte avec un folk rock plus pur que Petty sonne le plus pop.

Placé au milieu de l’album, Mystery man annonce le son plus soft qui fera sa gloire. Cerise sur le gâteau californien, les heartbreakers achèvent ce premiers essai sur « american girl » , un hymne si proche des Byrds qu’on le croirait sorti de leurs tiroirs. Roger Mcguin ne s’y trompera pas lorsque, quelques mois plus tard, il reprend ce titre en concert. Tom Petty vient ainsi d’entrer dans l’histoire par la grande porte.

Galvanisé par le succès de leur premier album en Amérique , les heartbreakers enregistrent un second essai plus radical. Comme son prédécesseur, come and get it semble avoir été enregistré live. Particulièrement hargneuses, les guitares lancent des flèches rythm n blues dont le tranchant ne s’émousse pas au contact de la douceur du synthé. 

Et c’est bien la force des hearbreakers, leurs riffs chevauchent les mélodies pop du clavier comme des hussards perchés sur leurs chevaux somptueux. Benmont Tench n’entre pas en compétition avec le tranchant des riffs, comme peuvent le faire les bourrins influencés par John Lord. Il ne noie pas non plus ses collègues dans un grand chamalow sonore , son rôle est aussi modeste qu’essentiel et il ne dépassera pas le cadre qu’on lui a assigné. Son jeu est celui que tous les claviéristes devraient adopter, il donne au rock de ces collègues une couleur chaleureuse, les enveloppe dans des mélodies séduisantes.

Le travail de Benmonth Tench resplendit sur I need to know ,où ses quelques notes gracieuses suffisent à illuminer le refrain. Il faut dire aussi qu’un disque comme come and get it imposerait la discrétion au plus exubérant des claviéristes. Ceux qui se contentent de quelques paroles fleurs bleues pour ranger les heartbreakers dans le rang des groupes pour midinettes, sont sans doute les mêmes qui considéraient les Beatles comme un groupe de pop gentillette. Comme le groupe de John Lennon, les heartbreakers produisent des riffs fabuleux, leurs accents pop ne sont qu’une façon de vendre leur rock n roll.

La finesse est une puce qui irrite les beaufs, ceux qui refusent de voir ce qui se cache derrière les apparences. Ils ne comprendront pas que derrière le mince filet pop de ses refrains tubesques , Petty cache ce qui restera son disque le plus rythm n blues. Grandiose final d’un festival de riffs cinglants , my baby is a rocken roller  a un arrière-gout de satisfaction. A l’image de ce clin d’œil aux stones, come and get it montre une bande d’excités fans des Byrds s’encanaillant en flirtant avec le rythm n blues anglais.

Sorti en 1978 , come and get it devient vite disque d’or aux Etat Unis. A travers lui, le rock semble avoir choisi son avenir. Alors que les dinosaures de stades commencent à se fossiliser, alors que les gloires américaines des sixties disparaissent, Tom Petty est un des premiers représentants d’une nouvelle génération de rocker.

Ce ne sont pas les grands hommes qui font l’époque, mais l’époque qui fait les grands hommes. Alors que les vieilles gloires n’en finissent plus de mourir, alors que le rythm n blues se débat dans un dernier râle d’agonie, Petty annonce l’armistice. A bas les torpilles affirme-t-il en couverture de son troisième album, ne souillez pas la belle histoire des seventies avec des débâcles aussi lamentables que Who are you ou back and blue. Cette génération est en coma artificiel, et ce sont les hearbreakers qui vont débrancher la machine. Après un tel meurtre, Tom Petty ne pouvait que devenir le symbole des eighties naissantes.

Damn the torpedoes est d’abord le fruit de la rencontre entre les heartbreakers et James Lovine. Le producteur a commencé sa carrière en participant à l’enregistrement de born to run, le plus grand album de Springsteen. Il est ensuite devenu le fossoyeur des seventies, en contribuant largement à la naissance de ce que certains nomment le post rock. Après la séparation des Beatles, c’est avec lui que Lennon enregistre ses trois premiers albums solos. Le Beatles demandera d’ailleurs à Lovine de participer à « fame » , le tube plastique soul de David Bowie.

Sa carrière rencontre l’histoire quand il produit easter , le disque pop de Patti Smith. Grâce à lui, la prêtresse punk devient une pop star, le symbole d’une rébellion punk prenant d’assaut les radios. Fort de ce succès, Lovine coule le rock des Heartbreakers dans son moule grandiloquent. Le chant est mis en avant, les légers échos donnant à Petty le titre de Dylan des seventies.

La filiation n’a d’ailleurs jamais été aussi flagrante qu'à l’heure où le grand Bob vient de sortir Street Legal, où il vampirise le son de ses fils spirituels. Du coté des heartbreakers , le fossé séparant damn the torpedoes des deux albums précédents est vertigineux. Finis les riffs un peu gras, le grand défouloir où le rythm n blues rencontre le folk des Byrds.

Autrefois discret, le synthé ouvre l’album sur un sifflement mélodieux. Pris dans cet emballage lumineux, la guitare place ses arpèges chaleureux, ses solos décollant avec grâce à la fin des refrains. Si les heartbreakers furent un symbole des années 80, c’est qu’ils étaient plus malins que la plupart de leurs contemporains. Ici, la rythmique n’est pas laissé à un automate sans âme, l’énergie n’est pas sacrifiée sur l’autel des charts.

La batterie est plus véloce que jamais, elle est le battement qui permet aux autres de ne pas s’assoupir sur les refrains les plus pop. Chaque titre de cet album est un tube, un parfait compromis entre douceur pop et énergie rock. Avec damn the torpedoes , Tom Petty sort de l’impasse dans laquelle le rock s’était empêtré depuis la seconde moitié des seventies.

Refusant de s’enfoncer dans la même gadoue passéiste que ses ainés, Tom Petty tue le père à coup de mélodies pop rock. En plus d’annoncer officiellement le début des années 80 , damn the torpedoes place Tom Petty dans un sillon qu’il creusera seul. Alors que le pop rock va devenir plus pop que rock, que les guitares étoufferont dans une guimauve synthétique, Petty sera le seul à garder cette fraicheur. Les morts gouvernent les vivants, et l’énergie du vrai rock n roll continue de s’épanouir dans ses mélodies nostalgiques. En voulant séduire son époque, Tom Petty a produit une œuvre intemporelle.