Rubriques

Affichage des articles dont le libellé est T2. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est T2. Afficher tous les articles

samedi 25 septembre 2021

T2 : It's all workout in bloomland

 




L’histoire de T2 est d’abord liée à celle du label Decca. Fondé en 1929, il connait son âge d’or en surfant sur la vague bop. De la fin des années 40 au milieu des années 50, Decca prospéra en publiant une série de classiques du jazz, de la musique populaire et classique. Endormi par cette routine, il ne s’inquiète pas de voir Columbia marcher sur ses plates-bandes en signant Miles Davis. Le ver du déclin était alors dans son fruit, mais la maison de disque persévéra dans son innocence coupable quelques années plus tard. Voyant Londres swinguer au rythme du blues rock, elle regarda cette vague avec la suffisance de ceux qui pensent avoir tout vu. Pour les cadres du label, la guitare était éternellement liée à Wes Montgomery , Robert Johnson et autres Django Reinhart , ces génies ont fermé la porte derrière eux.

Alors , quand les Beatles frappèrent à la porte de Dick Rowe , qui était à l’époque responsable du label , l’homme ne trouva rien de mieux à leur dire que : « Rentrez chez vous , les groupes à guitares sont finis ». La suite on la connait. Decca signa les Stones, dont le succès sembla rajeunir son image ternie. Mais le label fut traumatisé par une si impardonnable erreur de jugement, il lui fallait à tout prix faire oublier cet épisode. C’est ainsi que, après avoir produit le classique « bluesbreakers » , Decca inaugura une filiale dédiée au rock progressif. Le premier album produit par Deram fut en effet « Day of the future past » disque fondateur du mouvement de Robert Fripp.

Malgré un flair sans faille, le succès ne vint pas , et le sous label ne dut sa survie qu’au succès des Stones. Grâce à l’argent rapporté par le groupe de Mick Jagger , elle enchaina les disques cultes , ses grands albums tombant systématiquement dans les bacs à soldes. Au bout de quelques mois de ce régime, Deram décida de se diversifier en s’occupant de l’autre courant majeur de son époque : le hard rock. C’est ainsi que, en 1970, les responsables du label assistèrent à quelques concerts au café des artistes de Londres.

Le premier soir, le groupe tenant la scène ne joua que face à une dizaine de personnes. Chacun de ces spectateurs fut soufflé par la puissance de ce power trio et appela ses proches pour annoncer l’avènement d’un nouveau géant. Les power trio sont devenus très populaires après les premiers succès de Jimi Hendrix et de Cream , ils poussaient le rock dans ses derniers retranchements. Dès le second soir , la salle se remplit , et la foule continua de grossir à chaque prestation de ce groupe nommé Morning. Convaincu de tenir là la formation capable de le sortir de sa spirale d’échec, le label Deram les emmène immédiatement en studio. N’ayant pas eu le temps de composer un nouveau répertoire, le trio se contentera de jouer les titres qu’il envoie sur scène. Il en profite également pour adopter le nom de T2.

On peut rapprocher le résultat de ses séances de « Run with the devil » , l’album culte sorti par the Gun quelques mois plus tôt. Comme lui, It’s all workout in bloomland est une oeuvre à la croisée des chemins, le témoin d’une époque faite de mouvements encore mal définis. Suivant l’exemple des grandes formations de jazz , le trio étire ses improvisations pendant de fascinantes minutes. Cette virtuosité bavarde, alliée à l’intervention de cuivres solennels, a suffi à ranger T2 dans le rang du rock progressif naissant. Ce qui frappe pourtant sur cet album, c’est la puissance d’un groupe n’ayant rien à envier aux plus violents barons du heavy blues.

L’album s’ouvre sur Circle , un bombardement free rock où les roulements sanguinaires de la batterie lancent la guitare dans une course folle. On pense encore aux Gun, quand la rythmique saccadée décuple la violence d’un riff incendiaire. Ange au milieu de ce brasier démoniaque, le chanteur déploie une voix dont la douceur ne fait que souligner l’intensité de ce brasier. Suivant l’exemple de King Crimson, T2 passe du rock le plus violent aux expérimentations les plus apaisées.

JLT est une douce ballade rehaussée par le lyrisme des cuivres, un décor merveilleux et apaisé dont on ne peut se lasser. Digne héritière de celle qui nous berça sur Moonchild ( de King Crimson) , la voix évolue avec grâce au milieu de ce décor enchanté. No more horse installe ensuite un décor plus sombre, la guitare grave sonnant comme la marche d’une armée prête à venger ses ancêtres. Les solos hurlent comme des cris d’alarme, puis tout s’apaise dans un calme plein de tension. Vient ensuite la grandiloquente procession des cuivres, crescendo endeuillé ouvrant la voie à un chant éploré. La tristesse fait progressivement place à la rage, les riffs et solos plus appuyés raisonnant comme des cris de révolte face à un destin tragique.

Après une fresque aussi intense, Morning creuse le sillon de ce hard rock teinté de folk cher à Wishbone Ash et autres Uriah Heep. Enchainant les emportements rageurs et les apaisements bucoliques , T2 fait honneur à ce mélange de violences sombres et d’envolées lumineuses inventées par le mage Jimmy Page.

Sans être un immense succès « It’s all workout in bloomland » permit à T2 d’obtenir plusieurs dates au légendaire Marquee de Londres. Dans cette salle, les échos de ses riffs tonitruants ravirent les disciples de Black sabbath et Led zeppelin. La voie du succès semblait toute tracée, mais c’est à ce moment-là que le guitariste décida de claquer la porte. Ayant l’impression que ses idées ne furent pas assez prises en compte, Keith Cross fit exploser son groupe en vol au pire moment.

Incapable de lui trouver un remplaçant, T2 se sépara peu de temps après son départ, condamnant ainsi son chef d’œuvre à croupir dans les oubliettes de l’histoire.