Rubriques

Affichage des articles dont le libellé est LIVRES. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est LIVRES. Afficher tous les articles

dimanche 3 octobre 2021

Parce que nous sommes du soleil : "YES" par Aymeric Leroy

 



« Au delà de l'originalité que constitue l'abandon total des carcans pop au profit de formes systématiquement longues, « Close to the edge » se singularise, musicalement, par l'utilisation et l'appropriation d'éléments de vocabulaire encore largement inusités en rock à l'époque, principalement apportés par Steve Howe et Rick Wakeman ».
(p.110)

Né en 73, Aymeric Leroy s'est très vite penché sur le rock progressif. On pourra même dire qu'il est tombé dedans à l'instar d'Obélix dans la marmite de potion (rock) magique. Auteur de nombreux écrits chez l'éditeur Le mot et le reste, il est également reconnu comme un spécialiste de ce qu'on a appelé « L'école de Canterbury » (à tel point d'avoir crée un site de référence malheureusement plus mis à jour) soit une des plus raffinées franges du rock progressif britannique qui emprunte également aux influences jazz et à l'avant-garde et dont un certain Robert Wyatt, légende vivante, fait partie.

Notre auteur se penche ici sur le groupe de rock progressif anglais, YES.
Et pour le fan du groupe que je suis, autant dire que c'est à proprement parler un vrai régal. Toutefois sachons faire preuve d'objectivité un peu : si le livre se révèle véritablement passionnant et riche de bout en bout il n'est pas parfait. Bien sûr on chipotera toujours sur des détails ça et là mais bon, autant dévoiler le tout franco non ? Surtout qu'ici il y a très nettement plus de positif que de négatif au point que je recommande d'emblée l'ouvrage à tous passionné du groupe avant même que la chronique ait débuté !

Déjà la richesse de l'ouvrage surprend agréablement.

Leroy s'est plus que documenté, cite ses sources, allant même jusqu'à interviewer longuement en 2009, Jon Anderson le mythique chanteur de l'entité bicéphale aux multiples batailles d'égos, batailles que l'écrivain, humblement et sans juger ni blâmer évoque régulièrement au sein des 347 pages que compte ce gros ouvrage. 

Car oui, l'histoire de YES n'a pas été à proprement parler un long fleuve tranquille et n'importe quel fan un peu au courant vous en parlera, ça se ressent même depuis la genèse et l'écoute finale d'une bonne poignée d'albums. YES ça aurait pu s'appeler par moment « LOVE & HATE », voire même « NO » pour reprendre la boutade initiale d'un Anderson qui créera le temps d'un album avec d'anciens membres du groupe alors, le « Anderson Bruford Wakeman Howe » en 1989, entité crée en réaction avec le YES du moment des 80's (où Anderson était d'ailleurs lui-même dedans 2 albums avant!). Album que Leroy n'oublie nullement de même que la tournée des disques solos de chacun des membres en 75 après l'indépassable météore de granite noir taillé façon monolithe insurpassable Kubrickien qu'est l'album « Relayer », sorti en novembre 74.

Presque tout est évoqué : l'avant YES par le biais des parcours et de la rencontre de ses deux créateurs initiaux, Chris Squire (basse) et Jon Anderson (chant) ainsi que leur vision musicale ; l'intégralité de la discographie jusqu'à une date très récente (« Heaven and Earth » (2014) est ainsi cité et l'on évoque même la version « alternative » de « Fly from here » (2011) à paraître en 2016 dans le livre et qui ne sortira finalement en fait qu'en 2018) avec à chaque fois donc plusieurs pages sur la création de chaque album sans oublier les périodes de parenthèses du groupe et même un chapitre final sur les albums live que ce soit purement audio ou visuel, des compléments annexes, un récapitulatif chronologique des diverses périodes. Et comme souvent avec les livres de cet éditeur, de belles photos des pochettes et des photos des membres du groupe à telle et telle période.

Sans compter que les paroles (qu'on a souvent jugées purement ésotériques) de Jon sont amplement décortiquées, de même que l'aspect purement technique de la musique, et ce, en restant toujours clair et sans jamais perdre son lecteur dans un jargon trop compliqué (surtout pour la grande majorité de passionnés non musiciens qui liront l'ouvrage), bref, on touche tout bonnement au sublime et je ne peux que saluer une nouvelle fois tout le travail de Leroy, véritablement « roy » en ce royaume (1).

Bon, évidemment la perfection n'existe pas en ce bas monde (2).

Et s'il est évident que Leroy se concentre grandement sur l'âge d'or du groupe, les années 70 bien sûr, il est un peu dommageable que passé cette décennie magique, on ait l'impression que l'auteur ne veut pas forcément s'attarder sur pas mal d'albums qui viennent, réduisant et l'analyse, et les anecdotes musicales. 

Qu'un « Fragile » ou « Close to the edge » (reconnu comme l'un des meilleurs albums de rock progressif, à juste titre) aient 10 et 12 pages recto-verso (soit 20 à 24 pages), c'est normal bien sûr. Vu la richesse inépuisable de ces disques et leur inscription à ce titre plus qu'historique dans le paysage rock de l'époque comme d'aujourd'hui, c'est bien sûr même essentiel je pense. Que l'auteur ne laisse que 2 pauvres pages sur « The Ladder » (1999) et « Magnification » (2001) me semble bien triste. Non pas qu'il faille juger dans la qualité de rendement du nombre de pages par rapport à tel ou tel disque attention, mais plus dans le statut accordé finalement au ressenti de tels disques surtout quand Leroy juge avec sincérité ce dernier, je cite, « l'un des meilleurs albums réalisés par Yes après son âge d'or » (p. 310). Ce que j'approuve également personnellement.

Alors bon ? Oui, cela pourrait passer pour un brin de chipotage à première vue. Cela l'est moins si l'on resitue le contexte de la subjectivité qui nous est tous propre. Pour ma part, je n'ai ni grandi dans les 50's, 60's ou 70's et j'appartiens à une décennie de plus de celle de Leroy. J'ai grandi dans les 90's avec non seulement l'apport culturel de l'époque mais aussi celui que m'a apporté mon popa (Pink Floyd, c'est lui qui m'a fait découvrir). J'ai donc découvert YES aussi bien dans leurs 70's que leur dernière période, le tout côte à côte alors que naissait l'Internet et ses fantastiques possibilités de liberté (du moins à l'époque, et ce même si les premiers modems étaient franchement limités). Et de même que j'allais pas mal emprunter en médiathèque (aussi bien en disque qu'en films ou BDs), j'en profitais aussi avec le net (3).

J'ai donc pu découvrir YES de chaque côté selon une même chronologie étalée et mise à plat et non dans une évolution assidue et suivie où j'aurais par exemple acheté chaque vinyle le jour de sa sortie. Du coup bien sûr avec le recul j'ai bien vu que les albums des 80's et surtout 90's et 2000/2010 de YES n'avaient bien évidemment pas tout le potentiel des 70's, leurs auteurs eux-même ont changé, vieilli, se sont adapté ou pas. C'est normal d'ailleurs. Mais quand même. Il est donc dommage après coup de voir la portion de qualité rédactionnelle de l'auteur se limiter à ce stade sous prétexte que la musique aurait moins de force dans ces périodes (le comparatif entre l'âge d'or de Yes et ce qui a suivi est évident, pas besoin d'avoir fait bac+15, merci) quand bien même on y trouve pourtant de fort belles choses qu'il serait bête de passer à côté.

Un autre détail qui a son importance, la restitution des critiques de l'époque, c'est à dire l'approche des journalistes musicaux et parfois du public de tel ou tel album au moment de sa sortie (ce que l'on peut judicieusement apercevoir dans les livrets des éditions deluxe des remastérisations des albums de King Crimson tiens). Cela est parfois mentionné vite fait (surtout pour des albums qui peuvent par exemple être "problématiques" (notez les guillemets) au sein des 70's dorés comme « Tormato » et « Tales from topographic oceans »), le reste du temps on en sait pas plus si ce n'est par le biais des charts musicaux US et UK. 

Or je n'aurais pas dit non de temps en temps à un retour du Melody maker (4) sur « Close to the edge », à celui de Best ou Rock & Folk (5) sur un « Going for the one », voire du NME (4) sur « 90125 ». Je demande pas grand chose hein, une petite coupure de presse, une citation de quelques lignes... la somme de travail de l'auteur est déjà énorme et passionnante comme ça hein, mais on aime bien toujours en avoir plus à ce stade.

Voilà, voilà, quelques points de détails qui ne changent pas vraiment la donne, à savoir que cet ouvrage se lit comme un roman et s'avère donc indispensable pour tout fana du groupe.

Amis lecteurs intéressés, vous savez ce qu'il vous reste à faire...


======

(1) Oui bon, j'ai pas pu m'en empêcher, pardon.

(2) Si, si. Toi là au fond d'ailleurs, range moi cet énième « Hot Rats » ou « Dark side of the moon » qui dépasse de ton sac, même si nous savons qu'ils sont parfaits. :)

(3) Mais qui ne l'a pas fait à vrai dire ? Et qui ne le fait pas encore aujourd'hui hein ?

(4) Magasines musicaux de la sainte Albion. Le NME exista de 1952 à mars 2018 pour sa version papier. Le site internet existe encore aussi. Plus ancien, le Melody Maker exista de 1926 à 2000, signant par sa fin également la fin d'une certaine époque musicale notamment une partie des mouvements musicaux nés dans les années 90 qui ne passèrent pas vraiment les années 2000 comme le grunge et la britpop (qui ont survécu plus ou moins d'une certaine manière) et surtout le shoegaze qui a toute mon affection. Une partie des journalistes du MM trouva cependant refuge chez le NME.

(5) Magasines musicaux français du coup. Best exista de 68 à 2000. Rock & Folk, lancé en 66 est toujours parmi nous.


mercredi 4 août 2021

Philippe GONIN : "Magma : décryptage d'un mythe et d'une musique"


Voici un ouvrage absolument incontournable pour décrypter et comprendre le mythe et l'énigme Magma, ses influences complexes et variées, la multitude de musiciens (le plus souvent très talentueux - on peut citer notamment Jannick Top et Didier Lockwood) qui ont accompagné Christian Vander le batteur-leader-compositeur depuis le lancement de la formation en 1969 et son univers si particulier. Un groupe unique, tellement à part, qu'il créera sa propre langue, le kobaïen et sera même à l'origine d'un style musical, le zeuhl, mélange d'influences qu'on peut sommairement définir comme se situant entre le jazz rock, le rock progressif, l'opéra wagnérien et la musique moderne du début du XXeme siècle...
Philippe Gonin signe un ouvrage très documenté, qui perce en partie le mystère Magma jusqu'à livrer quelques "secrets" (notamment sur la création des deux trilogies, clés de voute de l'oeuvre de Magma) sur un groupe qui tout en étant rigoureux et cartésien sait aussi manier à merveille la démesure et l'extravagance.

La première partie est consacrée à un survol de l'historique du groupe, ses débuts à une époque où le rock français était proche du néant hormis quelques rares formations telles Variations, Ange et deux ou trois groupes pop/rock comme Martin Circus, ses influences musicales (Carf Off, Bartok, Stravinsky, Wagner, le gospel et le rythm'n'blues, Pharoah Sanders et bien sûr John Coltrane, saxophoniste dont Christian Vander grand fan devant l'éternel ne s'est jamais remis du décès en 1967) et vocales (avec l'importance accordée par Magma aux choeurs, notamment féminins), sa cosmogonie (dont le fameux logo n'est que la partie la plus visible), son univers, sans oublier le côté spirituel de l'œuvre ...

La seconde partie est une analyse détaillée des albums y compris (mais davantage survolés) ceux d'Offering et les albums solo de Christian Vander ("Les cygnes et les corbeaux notamment").
L'auteur évoque l'instabilité chronique du groupe, la main mise de Christian Vander sur Magma, son apogée entre 1973 et 1976 (avec les albums "Mekanïk Destruktïw Kommandöh", "Köhntarkösz" et "Üdü Ẁüdü" - également le live 75 avec la présence de Didier Lockwood), son (relatif) déclin, sa mise en sommeil entre le milieu des années 1980 et 1992 et sa résurrection avec les albums "K.A" et "Ëmëhntëhtt-Rê". Mais aussi ses zones d'ombres notamment l'accusation qui sème le trouble au début des années 70, celle de véhiculer une idéologie fasciste, accusation qui ne sera jamais véritablement démentie (mais qui semble infondée). Quelques concerts seront perturbés mais cela nuira surtout à l'image du groupe. Si j'évoque ce thème, loin d'être central dans le livre, c'est qu'en découvrant Magma au début des années 80 ces soupçons d'idéologie sulfureuse collaient encore à la formation et m'avait un peu refroidi et détourné - provisoirement - du groupe (bizarrement on peut faire le rapprochement avec les accusations portées contre Blue Oyster Cult à la même époque et pour des motifs souvent similaires).

L'auteur, guitariste, mais aussi maître de conférences à l'université de Bourgogne, spécialisé dans le rock et notamment dans la création insiste de fait beaucoup sur l'aspect technique, la description des œuvres et le processus de composition et c'est là sans doute l'intérêt majeur de l'ouvrage que de montrer comment un tel groupe compose (essentiellement Vander même si d'autres musiciens ont apporté leur pierre à l'édifice), comment les morceaux prennent forme et comment les nouveaux titres sont joués pendant des mois voire des années en concert, dans différentes versions, avant d'être enregistrés (ou pas) en studio, une fois jugé définitivement aboutis par Vander.
Dans un registre similaire l'auteur aborde une autre particularité de Magma à savoir le fait que certains morceaux peuvent être abandonnés plusieurs décennies durant avant d'être enregistrés en studio. L'album "K.A", paru en 2002, est à la base une composition datant de la première partie des années 70, laissée de côté puisqu' étant jugée non satisfaisante puis reprise, améliorée et finalement réenregistrée dans une nouvelle version !
Pour corser le tout Magma incorpore également parfois des morceaux ou des passages existants déjà en tant que tels et ayant déjà été enregistrés en studio dans de nouveaux titres...
L'exigence de Vander dans ce long processus créatif est bien sûr analysée, décryptée et décortiquée avec minutie par Philippe Gonin.
Juste dommage que la création et le rôle du label Seventh records soient abordés un peu rapidement.

"Magma : décryptage d'un mythe et d'une musique" est assurément un ouvrage indispensable sur l'un des groupes les plus fascinants de la galaxie jazz / rock.
Et si l'auteur est fan du groupe il n'en oublie pas de garder de son esprit critique et une certaine objectivité.
(Encore un excellent bouquin paru aux Éditions "Le mot et le reste" dont il convient de saluer le travail remarquable effectué dans le domaine des ouvrages liés à la musique et notamment au rock). 

mercredi 21 juillet 2021

Richard Neville : Hippie hippie shake


Nous avons déjà longuement abordé et évoqué sur Rock In Progress, à travers certaines chroniques, notamment celles de Benjamin, le mouvement hippie des années 60, ses rêves, son apogée, ses utopies, ses limites, son déclin et ses désillusions...
"Hippie Hippie Shake" est un ouvrage incontournable pour qui s'intéresse à cette période et pour mieux la comprendre 
au delà de l'aspect purement musical, l'auteur s'attachant à différents aspects de la contre-culture.
Richard Neville a été l'un des fondateurs de la revue OZ, d'abord en Australie puis à Londres, revue underground de contre culture à la fois satirique, provocatrice, corrosive et politique ; OZ a indéniablement marqué les années 60 et influencé le mouvement culturel et éditorial de l'époque. A travers « Hippie Hippie Shake » l'auteur nous entraîne dans un voyage passionnant au cœur de la contre-culture des années 60.
Tous les sujets phares de l'époque sont abordés : la drogue, le sexe et la libération sexuelle, la pornographie, l'homosexualité, le féminisme, la musique, le mouvement hippie, le flower power, la violence et la non violence, les arts, la contre culture en général, la politique, la presse, la censure, la répression policière, la justice, les droits des minorité, les Black Panthers, Mai 68, la mode, les routards, le psychédélisme.....
Richard Neville évoque aussi les espoirs du mouvement, les débats, les échecs, les déceptions, les désillusions et avec le recul les défaites mais aussi les avancées qui en ont découlé.
Car si le livre est aussi intéressant , c'est qu'en plus d'avoir, de l'intérieur, une vision du mouvement underground et de livrer de croustillantes anecdotes, l'auteur fait preuve d'humour, d'(auto)dérision et d'(auto)critique ; ici nulle apologie béate, Richard Neville portant un regard lucide et n'hésitant pas à développer certains sujets qui fâchent. Et surtout beaucoup de passages sont drôles et truculents, ce qui ajoute au piment du livre.
La récupération du mouvement (notamment concernant la mode, le design et bien sur la musique) est évoquée.
La musique est largement présente : on y croise les Doors, Jefferson Airplane, MC5, les Who, John Lennon (présenté à son avantage) et les Beatles, les Rolling Stones (avec au passage une petite pique contre Mike Jagger), Bob Dylan, Eric Clapton et Cream, Mike Farren, Pink Fairies et beaucoup d'autres rassurez vous, ainsi qu'un passage intéressant sur le festival de l'Isle de Wight.
Cependant la majorité du livre tourne autour de la répression subie par Oz, numéro après numéro, ses démêlées avec la justice jusqu'au procès pour obscénité, traité là aussi avec un humour irrésistible, puis l'emprisonnement des principaux rédacteurs (on peut y voir un portrait politique, social et moral de la Grande Bretagne de la fin des années 60, si conservatrice !)
C'est drôle mais aussi parfois trash (voir les nombreux passages consacrés au « Living theater » troupe d'artistes « no limit » et celui concernant les salons « érotiques » d'Amsterdam et Copenhague) .
On y croise des personnages hauts en couleur (prophètes, junkies, groupies, politiciens, routards hallucinés....) certains bien déjantés.
On y croise aussi les leaders du mouvement Yippies (Parti international de la jeunesse, mouvement anti-autoritaire très actif contre la guerre du Viet-Nam) Abbie Hoffmann et Jerry Rubin...qui deviendra dans les années 80 un reaganien pur et dur !!
Les débats internes à la contre-culture et au mouvement hippie sont également abordés notamment celui opposants les partisans de la non violence à ceux favorables à la lutte armée.
En lisant ce livre on voit également les contradictions du mouvement underground mais aussi le fait que celui ci n'était pas homogène ; déjà une élite « branchée » tournant autour de la mode et de l'édition apparaît clairement (les futures bobo en quelque sorte) et d'ailleurs il est clair que les jeunes qui faisaient partis du mouvement hippie ou du mouvement underground étaient majoritairement issus des classes moyennes ou aisées (d'où par définition un mouvement inter-classiste) et nombre d'entre eux deviendront ceux qu'on appelle familièrement les anciens soixante-huitards et qu'on croise encore de nos jours régulièrement dans la presse ou sur les plateaux télé. L'hédonisme individualiste de certains protagonistes de cette contre-culture apparaît déjà nettement dans certains passages du livre.
Mais à l'époque le mouvement était encore fort, plein d'espoir, avec une envie folle de changer le monde, de briser les carcans et les nombreuses avancées dans plusieurs domaines montrent que tout n'a pas été qu'échec même si une grande partie de cette génération sombrera dans la folie, la drogue, le suicide...ou finira par se renier.
Une vraie mine d'or pour ceux qui s'intéressent à cette période, un livre passionnant. 




dimanche 9 mai 2021

Aymeric Leroy : Rock progressif



Alors que le premier album de King Crimson « In the court of the Crimson King » est sorti il y a 50 ans (1), je ne peux que conseiller cet excellent livre sur le rock progressif, une véritable « bible », qui offre un panorama complet du style, une étude quasi exhaustive sur le sujet. On commence bien sûr par les pionniers/précurseurs indirects tels Pink Floyd, Beatles, Procul Harum, Moody Blues, ceux qui ont influencé les débuts du rock progressif, qu'ils soient des groupes ou artistes jazz, rock, pop, jazz rock ou psychédélique (voire même venant du classique).
Le premier King Crimson, sorti en 1969 et considéré comme le véritable premier album du genre, a eu pour conséquence une transformation de la musique de la fin des années 60 et du débuts des années 70 avec des morceaux plus longs, plus élaborés, l'apparition de nouveaux instruments, de nouvelles perspectives musicales...pour un genre iconoclaste et varié.
Ce livre est donc indispensable pour tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin au rock prog' ou ceux qui veulent connaître (ou approfondir leurs connaissances) de ce genre musical unique et tellement riche. Il s'adresse d'ailleurs autant aux fans qu'à ceux qui n'en ont qu'une vision superficielle.
C'est plus ou moins classé chronologiquement mais l'auteur regroupe aussi par sous-genres (Zeuhl, école de Canterbury...) et nous propose également un tour d'horizon par pays (Italie, France, Scandinavie...)....pour remonter jusqu'à 2010 environ, date de sortie du bouquin.
Aymeric Leroy ne se contente pas des groupes purement prog il parle aussi de groupes plus ou moins assimilés comme Jethro Tull, Magma, Pink Floyd, Gong, Soft machine, Ange, des groupes plus jazz rock sans oublier le hard progressif (Rush, Dream Theater...), le néo prog (Marillion, IQ...) et les groupes plus récents (Mars Volta, TransAtlantic...).  
C'est complet, clair, intéressant , pas prise de tête, pas redondant et surtout écrit par un auteur passionné du genre et surtout un vrai grand connaisseur du rock progressif et qui est considéré comme une référence sur le sujet ; cette histoire du rock progressif se caractérise par son côté vivant, concret et surtout passionnant.
Au delà de la vision complète d'ensemble, l'auteur raconte des anecdotes sur les groupes et sur les albums clés.
Il aborde bien sur les influences, les musiciens, les groupes, les interractions entre eux, les enregistrements d'album , les compositions et leur particularité technique, l'apogée du genre puis la période creuse, le déclin et enfin le (léger) renouveau entamé au milieu des années 80.
Les groupes connus y ont bien sur leur place (King Crimson, Yes, ELP, Genesis, Van der Graaf Generator, Caravan...) mais aussi les groupes moins connus (Anglagard...) ou quasiment inconnus comme les français de Tiemko.
A l'heure où l'on « fête » les 50 ans du progressif il serait dommage de passer à côté de cette véritable bible.
A noter que cet ouvrage est publié chez le très bon éditeur le Mot et le reste qui a sorti de très nombreux livres sur la musique, tous très intéressants (citons Magma, Pink Floyd , King Crimson l'école de Canterbury pour rester plus ou moins dans le même sujet, certains ayant d'ailleurs Aymeric Leroy pour auteur).

(1) chronique initialement parue sur Sens Critique en 2019 à l'occasion des 50 ans du premier album de King Crimson 

jeudi 26 novembre 2020

LIVRE : James Young : Nico - the end


Une fois n'est pas coutume sur Rock In Progress une chronique bouquin et plus précisément sur Nico.

Le livre sorti en 1993 n’a été traduit en français qu’il y a seulement 2 ou 3 ans. 
Peut-être que le nom de Nico ne signifie t-il plus grand-chose même aux amateurs de musique pop, surtout aux plus jeunes ; en tout cas elle ne fait plus recette, comme tombée dans l’oubli. 
« Nico – the end » a donc été écrit en 1993 par James Young le pianiste du groupe qui a accompagné Nico lors de sa longue et même interminable dernière tournée, tournée qui est le véritable fil rouge du livre. 


Et James Young montre indéniablement un talent d’écrivain assez incroyable, maniant l’humour et l’autodérision avec brio. 
Nico (de son vrai nom Christa Päffgen) est, pour ceux qui ne le saurait pas, une ex actrice, mannequin, égérie et muse de la Factory d’Andy Warhol, chanteuse du Velvet Underground (notamment sur le premier album – celui à la banane – où elle participe à quelques titres), un mythe des années 60/70. Mais Nico à l’orée des années 80 est tout simplement devenu has been, une icône déchue car tombée dans la drogue et la déchéance, une artiste qui ne fait plus recette à l’aube des eighties. 
Un bouquin à la fois triste (la déchéance, la came), et drôle (la façon dont l’auteur parle de ce groupe de « bras cassés » qui semble plus proche des pieds nickelés que d’un vrai groupe de rock professionnel). Une bande de zonards/marginaux /junkies, accompagnant l’ancienne diva ne pensant plus qu’à se payer sa dose. Une descente aux enfers très rock’n’roll. 
Le récit de l’intérieur d’une tournée chaotique d’une ex star de la pop. 


Cette biographie se concentre sur les dernières années de Nico, mais plus qu’une véritable biographie c’est davantage d’un document ou d’un livre témoignage qu’il faudrait parler. 
Tout débute à Manchester au début des années 80 lorsqu’ un manager plus que bizarre, « Docteur Demetrius » (faux docteur mais vrai filou, personnage tellement haut en couleur, loufoque et extravagant, comme il y en avait tant dans les années 70, qu’il vole presque la vedette à Nico) décide de s’occuper de la chanteuse allemande et d’organiser une tournée pour elle avec des musiciens qu’il connaît et qui sont loin d’être des pointures, plutôt des losers, 

tous plus ou moins toxico eux aussi, une tournée de plusieurs années, des concerts souvent minables dans des petites salles, devant une poignée de spectateurs, dont certains ne connaissant rien de la chanteuse, les concerts se présentant en général en deux parties, la première avec le groupe et la seconde avec Nico seule avec son harmonium.
On y côtoie ainsi tout un univers interlope, de paumés, véritable mosaïque de l’underground, monde peuplé de gens tous aussi « bizarres » les uns que les autres, chacun à leur façon, dans leur style. 
Et bien sûr Nico, junkie notoire, vaporeuse, insondable, mystérieuse, sombre, énigmatique, qui accepte ce groupe et ses concerts minables pour pouvoir se payer ses doses mais qui malgré tout possède toujours une voix sublime, grave, envoûtante comme venant d’outre-tombe. 


Un personnage unique, pas très causante (un « glaçon allemand » comme la surnomme un excellent chroniqueur de Rock In Progress). 
Il faut dire Nico est décrite par James Young comme ayant beaucoup de talent, « un talent inné » mais qu’elle « est une grande feignasse », parfois insupportable mais entière et attachante ; et aussi pleine de talent et qui avec sa voix et son harmonium est capable des plus grands miracles lors des concerts (les jours où elle est en forme) et nombre d’entre eux, pitoyables et pathétiques, sont parfois sauvés du désastre par le charisme de Nico (enfin c’est la façon dont l’auteur nous les présente le plus souvent). 
Plutôt que de raconter cela de façon triste ou façon reporter journalistique l’auteur préfère l’humour noir, l’(auto)dérision qu’il manie à merveille tel un romancier chevronné. 
C’est drôle, caustique, mordant déjanté, délirant et toujours magnifiquement raconté, avec plein d’anecdotes loufoques, désopilantes, tristes, nostalgiques, croustillantes, grinçantes et parfois trash. 


Mais que les situations racontées soient drôles, surréalistes ou tristes c’est toujours rédigé avec un humour mordant 
A travers quelques chapitres dont certains sont mémorables (celui de la tournée italienne par exemple) on y croise quelques personnages connus tels Allen Ginsberg, le poète beatnick et John Cale ancien musicien du Velvet Underground. 
Celui de l’enregistrement (chaotique) de l’album « Camera obscura » (1985) avec John Cale aux manettes est particulièrement réussi et hilarant. 

Et John Cale, celui du milieu des années 80, d’en prendre pour son grade et que James Young égratigne sans retenue à plusieurs reprises. 
Le livre s’achève en 1988 à Ibiza lorsque Nico meurt d’une hémorragie cérébrale suite à une chute de vélo. Puis son enterrement à Berlin (Nico allemande et berlinoise d'adoption n'aimait pas du tout cette ville et le livre explique pourquoi...je ne peux pas tout dévoiler). 


Le plus et le moins du livre sont en fait le même point : c’est écrit comme un roman, dans un très bon style, vif, rapide, actuel, plein d’humour et de dérision mais du coup ce style romancé nuit à l’aspect purement documentaire de l’ouvrage qui passe presque au second plan. 
Car il s’agit plus d’un livre racontant l’épopée d’un groupe rock formé de branleurs, de déjantés et de camés qu’un livre sur Nico elle-même. 
Elle est à la fois présente en tant que personnage central (avec le manager le fameux Dr Démétrius, l’auteur se mettant lui en retrait) tout en étant la plupart du temps en toile de fond du livre. Présente et absente à la fois !! 


« Nico – the end » est donc somptueux, irrésistible et assez grandiose : un véritable road-trip drôle, glaçant...et hallucinant… à lire absolument même sans être fan de Nico. 
Un des meilleurs livres « rock » jamais écrit. 
Et je laisse la conclusion à Danny Fields ancien manager des Stooges et des Ramones (excusez du peu) : 
« étourdissant, peut-être la meilleure odyssée rock jamais écrite ! On retrouve Nico en chair et en os dans ce récit génial ; je l’ai reconnue au premier coup d’oeil. James Young tenait les claviers dans la bande très à part de musiciens déjantés qui l’a accompagnée lors de son ultime tournée, et c’est un écrivain spectaculaire. Laissez-le vous transporter dans la cour vagabonde de celle qui restera à jamais la divinité de l’underground musical »