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mardi 1 juin 2021

Transatlantic : The Whirlwind

 


Ils reviennent enfin !

Le départ en solo de Neal Morse avait mis fin aux activités de Transatlantic pendant sept ans. On ne peut pas dire que ce temps a particulièrement réussi à chacun des membres de ce collectif. Perdu dans des décors de plus en plus sombres et brutaux, Dream theater perdait peu à peu le lyrisme fascinant de ses débuts, les Flowers kings sont à l’arrêt depuis 2007 et on ne peut pas dire que les expérimentations de Neal Morse laissèrent un souvenir impérissable. Dans le même temps, la réussite impressionnante de bridge accross forever laissait penser que Transatlantic avait déjà tout dit, qu’il valait mieux une fin brutale qu’un combat de trop.

Cette troupe d’élite se lance pourtant un nouveau défi sur the whirlwind , réinventer le format du rock. Les longues pièces musicales étaient déjà une tradition à l’époque de Mike Oldfield , mais le format vinyle en limitait la durée. Rares sont les virtuoses ayant profité du grand espace proposé par le cd pour étaler leur virtuosité sur une bonne heure. C’est précisément la mission que se donne Transatlantic sur cet album , qui ne contient qu’une longue épopée musicale de 77 minutes.

De grandes incantations sur fond d’orgue épique annoncent le décollage de ce nouveau monument aérien. La batterie de Mike Portnoy ouvre ensuite la voie à un dialogue grandiloquent entre la guitare et le clavier. Passé cette mise en bouche digne d’un péplum, le synthétiseur s’agite dans un déchainement aigu digne de Keith Emerson. Pour contrebalancer cette hystérie stridente, guitare et basse creusent le sillon d’un hard rock délicat.

Ce déchainement se pose progressivement sur une mélodie atmosphérique qui sert de fil conducteur à cette épopée musicale. La voix baigne ensuite dans une mélodie digne des plus belles heures des Flowers kings. Les rois des fleurs n’avaient malheureusement pas une brute aussi virtuose que Mike Portnoy pour propulser leurs rêveries dans la stratosphère. Moulinant comme un damné sur cet intermède pop, il lui donne le charisme vertigineux des grandes ascensions progressives. Au bout de cette escalade, le solo de Roine Stolt décolle avec la majesté d’un faucon perché au sommet de la plus haute montagne. A intervalle régulier, un riff gracieux lance un intermède semblant annoncer le retour triomphal d’un puissant souverain.

Un intermède funky permet d’apporter un peu de légèreté à ce décor grandiloquent. Le swing de cette basse dansante attire vite la valse effrénée d’un clavier hyperactif et d’une basse abrupte. Entrant dans cette danse folle, la guitare fait le lien entre les univers cosmiques du space rock et la verve rythmique du hard blues. Après cette fiesta, des cordes baroques ramènent le groupe vers des méditations plus apaisées. L’accalmie ne dure pas, la batterie se mettant rapidement à cogner comme un cœur angoissé. Elle entretient ainsi une tension mélodique qui se repose progressivement sur un tapis psychédélique. Le battement faussement inquiet de Portnoy guide alors une improvisation heavy , où l’on croit entendre Led Zeppelin perdu dans les décors mythologiques de Genesis.

Soudain, un boogie délicat emporte notre dirigeable vers des rêves plus insouciants. Au détour de cette fête féerique, la mélodie atmosphérique qui constitue le thème principal de cette grande fresque annonce une escale reposante. On pourrait encore écrire des pages sur le solo que Stolt glisse dans ce cinquième acte, sa guitare est une lyre tutoyant les anges. Sans temps mort, les parties suivantes s’enchainent avec une fluidité qui laisse rêveur. Out of the night est un blues atmosphérique qui n’aurait pas fait tache sur le premier album de Spock’s beard.

 Jamais prise en défaut, la symbiose de nos musiciens d’élite crée une tension dramatique irrésistible. The Whirlwind nous embarque dans un zeppelin somptueux, nous laissant admirer les paysages qui défilent derrière ses vitres. Ce qui place Transatlantic au-dessus de la masse hurlante ou bêlante du néo prog , c’est son obsession pour la mélodie. Même dans les envolées les plus débridées, the whirlwind entretient le charisme rêveur d’une mélodie épique. L’alliance puissante d’une batterie sismique et d’une basse grasse est un réacteur qui accélère la progression de ce vaisseau, sans en abimer la sublime carcasse. Les décors défilent alors comme un océan de couleur, les notes semblent se percuter et s’assembler comme des paysages défilant à toute vitesse. A ce défilé éblouissant succède une rythmique imposante comme une chaine de montagne, impressionnant sommet neigeux où la frappe de Portnoy déclenche des avalanches heavy rock.

The whirlwind est un tour du monde en une heure dix , un film dont le scénario grandiose permet aux héros de voyager des plaines d’Ecosse au sommet du Kilimandjaro. Jamais le rock progressif n’avait tenté d’étaler sa virtuosité sur une symphonie d’une telle longueur. Ce grand espace semble décupler la profondeur de ces méditations, rehausser la hauteur de ces sommets vertigineux.

Passer des mois à écouter cet album en boucle ne suffit pas pour en saisir toutes les finesses, une vie humaine n’y suffirait pas non plus. Chaque écoute est une nouvelle découverte, une nouvelle parcelle de ce décor foisonnant se dévoilant à l’imparfaite oreille de l’auditeur. The whirlwind est un peu plus qu’un album de rock, c’est la grandeur de l’âme humaine accessible à tous. Cette définition rejoint d’ailleurs celle d’une époque où le rock dépassait systématiquement ses limites.  

Nous achevons donc ce voyage en compagnie de Roine Stolt avec cet album. Par la suite , les Flower kings sortiront 5 autres albums de très haute tenue. Roine enregistrera également un très bon album avec le leader de Yes et un nouveau disque de Transatlantic est paru cette année. 

Si ces albums sont tous très honorables, ils ne réinventent plus une musique déjà largement décrite sur les chroniques précédentes. Si le rock progressif a plus que jamais besoin  de Roine Stolt , c'est justement grâce à cette capacité à inventer tant de fresques avec ces mêmes éléments . Arrêter ce dossier ici me donne aussi la liberté de revenir ponctuellement sur une œuvre monumentale qui se construit encore à l'heure où j'écris ces lignes.                     

flower kings : flower power

 


Nous sommes en 1999, quelques mois après la sortie de stardust we are, et un nouveau double album des Flower kings débarque dans les bacs des disquaires. Beaucoup pourraient trouver ce rythme trop soutenu, mais cette productivité montre simplement que Roine Stolt a gardé les habitudes de ses jeunes années. Quand le guitariste commença sa carrière, il n’était pas rare de voir les grands groupes sortir deux disques à quelques mois d’intervalle. La concurrence était rude et, pour ne pas tomber dans l’oubli, il fallait sans cesse renouveler sa musique.

Le titre Flower power est bien sûr un clin d’œil à ces années bénites, plus précisément au mouvement hippie, dont le groupe a toujours défendu les idéaux. Ce titre est aussi la déclaration de foi d’un groupe qui , pour oublier la pression liée à son nouveau statut, continue plus que jamais à faire vivre l’héritage des seventies. Flower power s’ouvre donc sur garden of dream , qui bat le record du titre le plus long de l’histoire du rock progressif. Cette distinction ne lui sera reprise qu’en 2009 , lorsque Transatlantic sortira l’épique the whirlwind. Tourné vers un psychédélisme plus virulent que celui de stardust we are, garden of dream s’ouvre sur une procession robotique digne d’Emerson Lake and Palmer.

Des arpèges font progressivement pleuvoir leurs notes délicates sur ce rideau d’acier. Cette ambiance de plus en plus bucolique laisse le chant fredonner une folk sublimée par un synthétiseur plus mélodieux. En arrière-plan, quelques effets sonores rappellent les grands délires de Pink floyd. Les synthétiseurs sonnent de plus en plus comme le chant de visiteurs venus d’un autre monde, les sons se répondent dans une débauche planante aussi riche que complexe. Ce n’est pas encore cette fois ci que l’impressionnante virtuosité des Flower kings sera prise en défaut.

Les observateurs les plus snobs se réjouiront de cette complexité , mais quelque chose cloche dans ce décor aux apparences idylliques . Ce quelques chose est symbolisé par les sifflements de ces synthétiseurs si Emersonnien. A force de s’imprégner de ses modèles historiques, le groupe de Roine Stolt finit par copier leurs travers. Le bruitisme de ce clavier glacial représente exactement ce que certains détestaient à la grande époque du rock progressif , c’est-à-dire une complexité froide et sans âme. Rien ici ne renoue avec les mélodies charmeuses de stardust we are, l’inventivité du groupe devient un handicap qui le pousse à surcharger ses titres de fioritures absconses.

On a ici l’impression que ces musiciens ont réuni leurs reliques les plus sacrées,  les ont sauvagement explosées, avant de mêler les débris dans une nouvelle construction sonore. On a déjà parlé de ce clavier Emersonnien , qui est malheureusement le véritable fil conducteur de flower power. Il n’est pas le seul à pâtir d’une parenté trop flagrante, certaines parties de guitare semblant tout droit sorti du mur de Pink floyd.

Il y a du King crimson dans ces instrumentaux paranoïaques, du Genesis dans le lyrisme de ces chœurs dramatiques, et je ne parle même pas de ces grandes explosions symphoniques dignes de Yes. Les Flower kings sont un groupe encore jeune, ils n’ont pas fini de revendiquer leur héritage. Sur ce flower power, ils donnent malheureusement l’impression de se cacher derrière leurs héros.

Les notes explosent finement, comme les bulles du topographic ocean de Yes , une mélodie baroque ressuscite le charisme moyenâgeux de Gentle giant , alors que la noirceur de certains passages atmosphériques flirte avec la galaxie de starless. On reste d’ailleurs dans l’univers de King Crimson lorsqu’une envolée assourdissante pousse le baromètre sonore dans le rouge.

Comme le montre cet inventaire, Flower power est un disque qu’on ne peut apprécier qu’avec l’académisme austère d’un historien du progressisme rock. La multiplicité de références trop voyantes, la surcharge d'envolées trop lourdes, l’ennui de mélodies trop chargées , et d'effets sonores parfois absurdes, tout cela noie chaque parcelle de beauté dans une cacophonie symphonique.

Il est vrai que ce n’est pas encore avec un tel album que la virtuosité du groupe sera prise en défaut, cette complexité froide parvenant parfois à susciter une certaine admiration. Mais le rock progressif ne doit pas se noyer dans ce genre de déferlements virtuoses, ses titres ne doivent pas avoir pour objectif de jouer un maximum de notes sur des titres interminables. Si certains verront dans ce disque un nouvel aboutissement, la suite prouvera qu’il marque en réalité le début d’une quête de renouveau longue et erratique.       


                                           

lundi 31 mai 2021

The flower kings : Paradox hotel

 


Stardust we are est le point d’orgue et la malédiction de la carrière des Flower kings. Après avoir atteint un tel sommet, le groupe de Roine Stolt n’a cessé de tourner autour de ce monument indépassable. Il accentua l’agressivité de ses envolées sur the rainmaker , célébra la splendeur de ses mélodies dans les songes atmosphériques d’Adam and Eve. Le groupe n’a ainsi cessé de courir après la perfection de ce troisième album. Même le plus original sum of no evil était foisonnant comme un classique de Yes , cette référence qui suivra Roine Stolt tout au long de sa carrière.

Parfois erratique mais souvent passionnante, la quête de renouveau des Flowers kings leur offre aujourd’hui le rôle de maitre incontesté du traditionalisme progressif. Toujours est-il que, quand les suédois annoncent un nouveau double album de plus de deux heures, les fans sont effrayés par l’ampleur du projet. Le double album était déjà une exception à l’époque du vinyle, alors qu’il ne pouvait à l’époque trop dépasser l’heure de musique. Il s’agissait d’ailleurs souvent d’albums live, rares étant les musiciens assez inspirés pour produire une œuvre cohérente d’une durée aussi longue. A moins de penser que les artistes actuels sont des génies dépassant les limites des bénites sixties /seventies , on ne peut qu’en déduire qu’un exploit comme stardust we are ne se réalise pas tous les jours.   

Il est vrai que le groupe de Roine Stolt a eu besoin de deux ans pour finaliser ce paradox hotel , ce qui calme un peu nos appréhensions. Inutile de maintenir un suspense aussi intenable : paradox hotel est une réussite comme on en rencontre peu. L’affaire commence sur check in , où une sorte de responsable de la nasa annonce le décollage de cette nouvelle fusée progressive. Cet effet sonore passé, le piano installe une mélodie chaleureuse typique de la virtuosité rêveuse du groupe. Plus puissante que sur le disque précèdent, la batterie martèle un rythme hypnotique, autour duquel synthé mélodieux et guitare aérienne dressent un décor que nous ne connaissons que trop bien.

 Si Adam and Eve misait sur une musique très douce sur la plupart de ses pistes, le jeu plus démonstratif du nouveau batteur désinhibe une instrumentation plus énergique. Pas de chœurs solennels ou d’orgue grandiloquent ici, mais le plaisir communicatif de musiciens déchainant de nouveaux torrents yessiens. Pour faire bonne mesure, Roine Stolt vient régulièrement poser sa voix de vieux sage scandinave sur des accalmies plus épurées. Paradox hotel montre un groupe plus cohérent, on ne retrouve pas ici les grands écarts rythmiques de l’album précédent. Les allers venues entre un space rock contemplatif et un heavy rock grandiloquent pouvait marcher sur un disque d’une heure , pas sur un pavé deux fois plus long.

Dans un souci de cohérence, les Flower kings ont troqué les contemplations cosmiques d’Adam and Eve contre un rock symphonique plus nerveux. Les solos se font alors plus véloces, le lion qui poussa ses premiers cris sur retropolis reprend possession de ses terres. Pour ce paradox hotel , les Flower kings firent le choix de l’accessibilité , la production plus crue accentuant la vivacité de pièces qui ne manquent pas de rebondissements. Cette production allégée permet surtout à des ballades telles que jealousy de gagner en intensité, alors que les excentricités rock telles que hit me with s’épanouissent dans des territoires d’une profondeur rare.

Au bout du compte, le premier disque s’écoute sans ennui. On aura d’ailleurs bien du mal à trouver une baisse de régime dans ce premier feu d’artifice. Vient alors l’angoisse de celui qui plonge une nouvelle fois dans l’inconnu. Faut-il vraiment gâcher un si bon moment en prenant le risque d’être déçu par une seconde partie moins éclatante ?

Prenant son courage à deux mains, l’auditeur consciencieux finit tout de même par incérer le second disque dans le lecteur cd. Roine Stolt sait le rassurer d’entrée de jeu, minor giant step accueillant l’auditeur sur une fresque délicieusement yessienne. Il est vrai que notre guitariste n’est pas Jon Anderson, mais il compense ses limites vocales par un chant plus émotif. Ce procédé est connu depuis la sortie de the sum of no evil , mais on se laisse facilement séduire par la beauté de cette vieille formule. Porté par une impressionnante intensité mélodique , cet hôtel paradox voit les Flower kings retrouver la gaieté de leurs jeunes années.

Porté par cette convivialité, Roine Stolt atteint une grâce que David Gilmour semble avoir perdu depuis le début de sa carrière solo. Si paradox hotel subit aujourd’hui les foudres de certains fans , ceux-ci devraient essayer de l’écouter en oubliant le nom de ses auteurs. Débarrassés d’un fanatisme les poussant vers une sévérité exagérée, ils comprendraient alors le tour de force que constitue cet album. Car force est de constater que ce pavé sonore a la légèreté et l’incroyable cohérence des grandes réussites.

Nous n’irons tout de même pas jusqu’à dire que cette œuvre est aussi impressionnante que stardust we are, elle manque un peu d’originalité pour cela. Cette limite n’empêche pas cet humble hotel paradox d’avoir des allures de palace.           

samedi 29 mai 2021

Flower kings : Adam and Eve

 


Le clavier chante dans un écho gracieux, une voix familière décrit de nouveaux mondes merveilleux. Sorti en 2004, Adam and Eve est un des disques les plus atmosphériques des Flowers kings. Alors que l’opus précédent devait sa beauté à une débauche de notes lumineuses, Adam and Eve est plus apaisé. Tenant le premier rôle, le synthétiseur arrondit les angles d’instrumentaux souvent très mesurés. Pour donner une colonne vertébrale solide à ce géant de coton, la batterie dirige la marche sur un rythme puissant sans être agressif.                                  

Loin de ses bavardages habituels , la guitare souligne les passages les plus enjoués , ponctue ces discours charmeurs de quelques notes nébuleuses. Vient ensuite, le temps de l’intermède plus terre à terre placé au milieu de love suprem, un blues mélodieux entretenu par le dialogue nostalgique de la guitare et du synthétiseur. L’ombre de musique plus terrestre plane régulièrement au-dessus des fresques paradisiaques de cet Adam and Eve. Au détour d’un nuage symphonique, une guitare slide joue la country d’un paradis perdu. Puis viennent ces grandes envolées lyriques, lointains échos de la nostalgie de dark side of the moon.

Dans ses meilleurs moments, une chorale céleste retrouve le charisme poignant de the great gig in the sky. L’ombre du Floyd s’impose encore quand un synthé bucolique chante un folk d’un autre monde. Cosmic circus est un poème musical digne de wish you where here, un intermède de trois minutes que l’on voudrait prolonger à l’infini. Vient ensuite le rythme martial de vampire view , riff sombre semblant annoncer l’assaut des cavaliers de l’apocalypse.

Il y a du Genesis dans cette tension dramatique, Roine Stolt prenant une voix de chanteur d’opéra rock que n’aurait pas renié Peter Gabriel. Lors de ces huit minutes, le rythme passe alternativement d’une marche militaire à une douce lamentation symphonique, les instruments décollent ensuite sous l’influence d’un orgue solennel. Le rock s’élève ensuite au-dessus de cette ascension angélique, guitare et basse terminant le bal dans un déchainement hard rock. Le piano de day go by ramène un peu de calme, sa mélodie baroque ouvrant la voie à une nouvelle symphonie paradisiaque.

Cette contemplation sera de courte durée, une débauche électrique s’empressant de nous ramener sur les rives plus terre à terre de l’acid rock. Cette puissance plus simple ouvre la voie à des récits plus triviaux. C’est ainsi que Adam and Eve nous compte le péché originel avec une gouaille Rabelaisienne, la brutalité de son rock semblant exprimer la violence de ce coït interdit. Ceux qui affirment que Roine Stolt ne sait pas jouer de riffs devraient écouter ce déluge, le dialogue guitare synthé ressemble à un tonitruant croisement entre Birth Control et Deep Purple.

Starlight man est plus quelconque, sa mélodie pop ressassant les vieilles recettes de stardust we are . Le riff clôturant cet intermède est toutefois assez lumineux pour que cette bluette ne laisse pas un mauvais souvenir. Roine Stolt ouvre ensuite timeline sur un tempo digne des grandes heures de Chicago. Synthé et violons emportent progressivement ce mojo tranchant vers des contrées plus lunaires. Le blues a toujours fait partie de l’ADN du rock progressif, les musiciens de Pink floyd ayant d’abord choisi son charisme sophistiqué pour faire oublier leur passé de mauvais bluesmen. On ne s’étonnera donc pas de voir ce qui était au départ un blues aussi bien exécuté que quelconque décoller naturellement grâce à une série de solos Gilmouriens.

Timeline se clot sur un déluge où guitare heavy et clavier paranoïaques réaffirment que le heavy métal n’a pas le monopole de la puissance sonore. Adam and Eve se termine avec un driver seat dans la plus pure tradition du progressisme des années 70. Dans cette lignée traditionnelle, blade of gain referme le rideau sur une pop aussi anecdotique que sympathique.

Sans être révolutionnaire, Adam and Eve est assez varié pour compter parmi les belles réussites des Flower kings. Si il n’invente pas la poudre , le groupe continue de donner vie à une certaine idée de la grandeur musicale.           

The flower kings : unfold the future

2002 marque un nouveau tournant pour la scène progressive. Voulant se libérer de toutes limites, Neil Morse claque la porte de Spock’s beard pour démarrer une carrière solo. Avec cette émancipation, c’est la survie du rock progressif qui est menacée. L’aventure solitaire de Neil Morse met aussi fin aux activités de Transatlantic , figure de proue d’un traditionalisme progressif qui commençait à peine à renaitre. Pendant ce temps, Porcupine tree sort un autre album majeur de l’histoire du progressisme musical, le troublant in absentia.

Ce dernier marque un tournant, non seulement dans la carrière de Porcupine tree mais aussi dans l’histoire de sa musique. Avec un concept flirtant clairement avec la noirceur des chamanes du heavy metal , in absentia déclenche un véritable raz de marée plombé. Derrière ce succès, la nation des métalleux se lève comme un seul homme pour achever un rock progressif gémissant comme une bête blessée. Opeth a déjà sorti le très populaire blackwater park sous la direction de Steven Wilson , Dream theater durcit ses compositions sur l’agressif six degree of inner turbulence, et une relève tout aussi agressive s’apprête à grossir le rang de ces barbares.

Avec in absentia et sa participation à l’album le plus connu d’Opeth , Steven Wilson devenait le chef de file de la révolte métal progressive , courant dont Porcupine tree deviendra la figure de proue pendant quelques années. De son côté, le camp traditionaliste parait à bout de souffle, coincé entre des figures de plus en plus inconnues et le déclin de ses chefs de files.

Voilà pourquoi unfold the futur, sorti quelques mois seulement après in absentia, est un album important. Dernière forteresse assiégée de toute part, le groupe gomme les égarements agressifs de the rainmaker, pour s’imposer comme le dernier rempart face à l’hégémonie métallique. L’introduction monte lentement, les notes de clavier virevoltant comme des lucioles illuminant un premier solo, qui annonce une grande transe psychédélique. On retrouve ici les envolées intenses et progressives des premiers albums du groupe, on se délecte de nouveau de ses intermèdes lumineux et mélodieux. Les grandes fêtes instrumentales, où les notes sautillent comme une horde de lutins euphoriques, s’apaisent dans des mélopées délicieusement légères.

Le premier cd de ce double album élargit donc le décor planté par stardust we are. Si l’effet de surprise n’est plus au rendez-vous , il faut avouer que truth will set you free contient assez de rebondissements pour être comparé aux grandes fresques du groupe. Ayant retrouvé toute sa légèreté, la batterie passe d’une partie explosive à un instrumental rêveur, sans briser l’unité de ce voyage de trente minutes. Nous assistons à une première partie où les Flower kings se rassurent après le fiasco que fut the rainmaker. 

Oui , le groupe sait toujours construire de grandes pièces épiques , oui ses pastilles pop ont encore la beauté légère que le rock grand public a perdu. A ce titre, ses mélodies courtes et improvisations montrent que l’on peut encore créer des enchainements originaux et accessibles en 2002. En ce qui concerne cette première partie, l’objectivité n’est plus permise.

Il est vrai que quelques petits écueils noircissent un tableau que l’on attendait de revoir avec impatience. Quelques débordements instrumentaux virent parfois au chaos bruitiste, laissant ainsi entrevoir la naissance d’une effervescence free jazz encore mal assumée. Pourtant, dans l’ensemble , cette introduction mêle énergie rock , timides teintes jazzy , et sucreries acid rock avec assez de virtuosité pour marquer les esprits.

Le rock saturnien  de monkey business s’imprime dans des esprits encore marqués par la splendeur symphonique de the truth will set you free . Pour éviter de nous lasser de cette splendeur, black and white s’ouvre sur des chœurs un peu plats. Les expérimentations des musiciens apportent ensuite assez d’énergie pour transformer ce mauvais départ en intermède aussi anecdotique qu’agréable.

Issu des scéances de bridge accross forever , silent inferno côtoie les plus hauts sommets du chef d’œuvre de Transatlantic. La face traditionnelle de unfold the future se clôture ensuite sur la beauté plus épurée de the naviguator et vox humana. Si ce premier disque permet au groupe de retrouver ses racines , le second le voit s’élever vers d’autres horizons.

Alors que l’époque semble vouée à l’esbroufe agressive d’un heavy métal triomphant, les Flowers kings préfèrent se ressourcer dans les eaux cuivrées du jazz. Les cuivres, très présents, donnent à des titres très variés la chaleur de leur souffle swinguant. Les Flower kings groovent comme James Brown perdu dans des galaxies floydiennes, swinguent comme Chuck Berry sous acide , inventent le mojo de l’espace dans un blues cosmique. Le rock progressif entre dans une nouvelle impasse, et unfold the futur voit les Flower kings lui proposer plusieurs portes de sortie.

Seul le temps dira si les nombreuses qualités de ce disque suffisent à en faire un classique. Une chose est sure, si toute la scène progressive n’a pas basculé du coté obscur de la modernité, c’est en grande partie grâce à unfold the future. En trouvant un nouveau terrain de jeu, les Flower kings sauvèrent leur peau ainsi que la scène qu’ils représentent.               


The flower kings : the rainmaker

Dans la pénombre, un homme au regard inquiétant trône au milieu d’une ruelle sombre. Comme agitées par une force malfaisante, les flaques d’eau qui l’entourent sont parcourues par un tourbillon sphérique. Space revolver montrait un timide rapprochement avec le métal progressif, the rainmaker semble revendiquer ce rapprochement dès le décor sombre de sa pochette. En ouverture de l’album, une voix démoniaque psalmodie une messe satanique. Les synthés sifflent ensuite tels des gorgones hystériques, invoquant un riff tonnant avec la puissance d’un orage annonçant le déluge.

Autant le dire tout de suite, le riff de last minute on earth est le pire raté de l’histoire des Flower kings. Revenant ponctuellement dans le morceau, ce piétinement lourdaud détruit toute harmonie, broie la mélodie sous sa finesse pachydermique. Roine Stolt se contente ici de caricaturer ce que les hordes métalleuses font de plus vulgaire et gras. Alors, bien sûr, il essaie d’atténuer cette violence gratuite dans ses intermèdes planants, mais ces deux parties semblent séparées par une frontière infranchissable.

La violence trop exacerbée des envolées métalliques font clairement tâche entre les nuages space rock. Les débordements ont beau finir par s’apaiser, Roine Stolt emmenant sa fresque mal tissée vers une grande méditation spirituelle, un dernier coup de canon heavy ruine tous ses efforts. En dehors d’un riff que l’on espère ne plus retrouver ensuite, le problème de cet album est aussi contenu dans les sifflements robotiques du clavier. Seul road to ruin parvient à maintenir ces serpents à sonnettes suffisamment  à distance pour préserver la chaleur de ses solos, c’est d’ailleurs le seul titre honorable de cette catastrophe.

Sur le titre suivant, le synthé perpétue son travail de sape, son souffle glacial rendant le swing de road to sanctuary particulièrement irritant. Alors qu’on aurait préféré l’oublier, le riff de last minute on earth se glisse entre les notes polaires de cette mascarade funky. Ce riff semble malheureusement servir de fil conducteur à un disque qui, se voulant plus sombre et agressif, ne parvient qu’à être lourdaud et insupportable.

On signalera tout de même que, quand Roine Stolt prend de nouveau le temps de tisser ses tapis lumineux à coups de solos nuageux, il parvient encore à nous éblouir. Ces fulgurances seraient honorables si elles ne se noyaient pas dans un océan de médiocrité pompeuse. Les trois dernières minutes de road to sanctuary ont la beauté d’une terre promise, mais le souvenir des horreurs qu’il fallut endurer pour l’atteindre nous gâche un peu la beauté du paysage.    

Au final , cette seconde pièce maitresse souffre de la même lèpre que last minute on earth , ces différentes parties sont trop opposées pour former un tout cohérent. The rainmaker est un géant sans colonne vertébrale, un titan rendu obèse par l’accumulation de grandiloquence grasse. Le morceau titre s’embarque dans un boléro indigeste, le synthétiseur brisant sa solennité de son sifflement insupportable. On touche le fond quand une électro de fête foraine tente de ménager un intermède planant, rapidement brisé par une percussion qui dut déclencher quelques crises cardiaques.

Cacophonie pathétique, la dernière partie du morceau titre voit le chanteur hausser le ton pour masquer l’absurdité de notes envoyées avec la cohérence de rafales tirées par un tueur fou. Derrière cette incohérence, c’est la mélodie que l’on assassine, the rainmaker étant le premier album des Flower kings à ne laisser aucune trace dans l’esprit de ses auditeurs. City of angel semble vouloir renouer avec les sommets introspectifs de stardust we are , mais les sifflements insupportables du synthé empêchent une nouvelle fois toute rêverie cosmique.

La batterie s’emballe ensuite sans raisons apparentes, détruisant définitivement tout espoir de se laisser emporter vers de nouvelles contrées. Le constat est cruel mais implacable, les trois pièces maitresses de l’album ne sont que des soufflets refusant de prendre forme.

Du coté des pastilles sonores plus ou moins courtes qui les entourent, le constat est aussi catastrophique. Le sentimentalisme gluant d’Elaine endormirait un troupeau de suricates sous speed, et ce n’est pas le free jazz soporifique qui clôture le morceau qui sortira ces mammifères hyperactifs de leur léthargie. Thru the wall et sword of god sont du même fond de tonneau, ces deux derniers titres parvenant à plomber un album qui ne volait déjà pas très haut. 

Le mage de carnaval du début ouvre ensuite la dernière partie sur des grognements bestiaux. On retrouve encore avec effroi le riff qui ouvrit last minute on earth. Sur sword of god , Roine Stolt ne chante plus , il hurle pour tenter d’insuffler un semblant de lyrisme à ce sous hard rock. Vous l’aurez compris, les quatre derniers titres sont un condensé de tout ce qui rendait le reste de l’album insipide.

The rainmaker est une sorte de navet musical, où le heavy rock grassouillet laisse soudainement place au lyrisme ampoulé d’une pop faussement soignée, sans que l’on comprenne ce qui motive ce changement brusque de décor. En voulant encore moderniser leur musique, les Flower kings on fait de ce rainmaker un amas de mauvaises idées.

Les oasis de beauté étant trop rares et éphémères pour sauver cet album , on se consolera en se jetant sur le second album de Transatlantic , qui sort quelques jours seulement après cette mascarade.            

samedi 22 mai 2021

The Flower Kings : Space Revolver

 


Le public pleurait comme une femme laissée sur le quai par un amant indélicat, la belle Angleterre voyait ses quatre plus fameux enfants s’émanciper de son amour maternelle. Alors bien sûr, les fils prodigues la consolent en lui expliquant l’importance de leur nouvelle mission. Les Beatles arrêtent surtout les concerts  parce qu’ils ne supportent plus une hystérie qui n’aura jamais d’équivalent. Peu de temps avant cette annonce, ils goutèrent à la sérénité des studios modernes, dont ils admirèrent les possibilités infinies. Pour prendre conscience de l’importance de cette découverte, il faut avoir lu «  en studio avec les Beatles » , le livre où Geoff Emerick raconte la folie créative des quatres de Liverpool.

De cette effervescence nait d’abord Revolver, foisonnement sonore à travers lequel la pop psychédélique pousse ses premiers cris. Space revolver est bien sur un clin d’œil à l’album des Beatles. Il est vrai que la situation des Flowers kings à l’époque est loin de l’hystérie qui entourait le groupe de Paul Maccartney , mais space revolver représente un tournant dans la carrière des suédois.

Cantonnée jusque-là dans le registre d’une pop atmosphérique majestueuse, la tribu de Roine Stolt avait atteint un premier aboutissement avec l’album stardust we are. Répéter une formule aussi aboutie, c’était prendre le risque de lasser un auditoire gavé de splendeur par l’impressionnante créativité des Flower kings. Alors , influencé par l’expérience Transatlantic , Roine Stolt décide de laisser plus d'espaces à ses musiciens. Le synthé remplace donc la chaleur des précédents albums par une froideur robotique , iceberg musical semblant cacher une agression à venir.

Dans son écho, le bassiste Jonas Reingold guide les solos sur les terres inquiétantes explorées par Ayreon et autres Tool. Dans ces conditions, le synthé accentue le tranchant d’envolées plus tendues. Cette agressivité est contrebalancée par des mélodies qui n’ont jamais été aussi soignées . Reingold n’est pas qu’une brute voué au culte de la puissance électrique, c’est aussi un virtuose dont les touches jazzy illuminent une power pop bouillonante.

Roine Stolt n’a pas abandonné ses ambitions populaires, elles s’expriment encore dans des refrains disséminés comme autant de sucreries sonores. La guitare hurle ainsi à travers le rideau soyeux de mélodies irrésistibles, la fraicheur d’un rock FM léger vient réconforter des tympans secoués par une série d’éruptions free jazz. Ces influences opposées donnent à space revolver un aspect plus hétéroclite que stardust we are , mais c’est justement ce foisonnement qui fait son charme.

Si revolver voyait les Beatles explorer les capacité sans limites des studios, space revolver montre un groupe s’immergent avec plaisir dans ses influences. Cet album est une main de métal dans un gant de velours , une œuvre furieusement moderne drapée dans la grandeur éternelle du jazz et d’une pop aventureuse. Ce disque fait partie des œuvres qui semblent réconcilier les rockers progressifs et les métalleux avides de grandes compositions épiques. Un disque comme celui-ci construit un pont entre deux mondes que l’on croyait irréconciliables. 

Ce pont ne va pas tarder à être renforcé par le virage heavy de Porcupine tree , avant que Steven Wilson n’entérine le rapprochement en produisant les death métalleux d’Opeth. Rock et metal progressif s’assemblent donc pour le meilleur et pour le pire, chaque groupe semblant piocher dans ces deux mondes comme dans une grotte pleine de trésors. Si les passages pop montrent que les Flower kings restent profondément attachés à une musique plus apaisée, Space revolver montre qu’ils ont eux aussi aboli toute les frontières.

Une musique marginalisée trouvait un nouveau souffle dans la popularité de chorus rageurs, et un métal arrivé à maturité pouvait puiser dans la grandeur des grands aventuriers rock pour soigner sa postérité.  

 

             

vendredi 21 mai 2021

Transatlantic : stpme

 


C’est un nouveau torrent progressif qui déferle sur le monde. Formé en 1992 , Dream Theater atteint un premier sommet avec images and words. La puissance des chorus métallique permet à ces musiciens d’initier les sauvages du heavy métal à un nouvel univers, où la théâtralité de Rush rencontre les méditations atmosphériques de Pink Floyd. Les esprits chagrins verront dans cette puissance sonore la preuve définitive que le métal a pris le pas sur le rock , qui ne peut plus se faire entendre sans hurler aussi fort que lui. Ce serait vite oublier que le groupe de John Petrucci n’est jamais aussi bon que lorsqu’il ralentit la cadence, laissant ainsi ses harmonies épiques entretenir le charisme grandiloquent de son chanteur.

Pour ce groupe, le heavy métal est une couleur qu’il ajoute à la grande palette du rock progressif. Il lui permet d’aborder des mondes plus sombres, de mettre au point des envolées plus agressives. Ce mélange d’agressivité froide et de lyrisme homérique toucha au sublime sur metropolis part 1 , point d’orgue de l’incontournable images and words. Motivé par la réussite que constitue ce titre, Dream Theater décide d’en faire la base d’un grand album conceptuel. Le groupe écrit donc l’histoire d’un homme hanté par les souvenirs de sa vie antérieure, histoire qui devient le fil conducteur de l’album metropolis part 2.

En plus de réaliser le concept de « film pour les oreilles », que Lou Reed inventa sur Berlin, metropolis part 2 réinvente la définition du concept album cher au rock progressif. Plongé dans les angoisses de son personnage principale, James Labrie joue cet opéra métal/rock avec la justesse d’Al Pacino dans le parrain. Fort d’une notoriété qui n’est désormais plus à faire, le batteur Mike Portnoy cherche désormais à faire émerger une nouvelle scène.

Il contacte donc Neal Morse , leader d’un groupe vénéré dans l’underground progressif. Spock’s Beard élargit le champ du space rock progressif , ses deux premiers albums lui ayant valu une certaine notoriété dans le petit milieu du progressisme traditionnel. Portnoy et Morse se découvrent vite une passion commune pour les Flower kings, qui les incite à offrir le rôle de guitariste de leur groupe à Roine Stolt. Pour compléter cette réunion de la crème du rock progressif moderne, Pete Trewavas de Marillion est choisi comme bassiste. Faire jouer les meilleurs musiciens de leur catégorie est une vieille tradition dans le jazz, elle reste toutefois moins développée dans le rock.

Quand un tel groupe voit le jour, il est souvent rongé par les querelles d’égo de ses membres, quand cette union ne relève pas simplement d’un coup commercial. Nous avons déjà parlé d’Asia , dont le rock FM n’a pas apporté grand-chose au petit monde de la pop, mais j’aurais pu aussi citer le duo Coverdale/ Page , des traveling wilsbury sympathique sans atteindre le niveau des précédentes œuvres de ses membres …                                                                       

Alors bien sûr , on trouve quelques grandioses exceptions , comme Déjà vue de CSNY , Beck Bogert Appice , Blind Faith… Mais ces groupes n’ont souvent duré que le temps d’un album, les égos des musiciens ne leur permettant pas de cohabiter plus longtemps. Et puis il y’a l’éternel sentimentalisme d’un public voyant toute infidélité à son groupe comme une trahison. Qui écoute encore les albums solos de Pete Towshend , de Roger Daltrey , où les daubes pop de Mick Jagger ? Même quand les albums solos des grandes gloires du rock sont bons , ils ne sont vus que comme une façon de patienter avant le retour du groupe de leur auteur. C’est pour cette raison que, malgré une œuvre plus qu’honorable, on suppliera toujours Robert Plant d’accepter une reformation de Led Zeppelin.

Le monde du rock progressif est un peu plus ouvert, de grandes figures telles que Robert Wyatt ou Peter Gabriel ayant réussi à s’épanouir en dehors de leurs groupes respectifs. On peut aussi citer cette grande famille que fut la scène de Canterbury, où les musiciens passèrent d’un groupe à l’autre sans choquer les fans. Pour cela il faut une scène unie et créative, et c’est précisément ce que Mike Portnoy tente de ressusciter à travers Transatlantic.

A la rythmique , le duo Portnoy / Treawavas tourne à plein régime. Le batteur abandonne les élans démonstratifs de Dream Theater , sa frappe dense et fluide suffisant à apporter une certaine puissance et un cadre solide aux évolutions harmoniques du groupe. Transatlantic , c’est l’union de la puissance d’une rythmique à l’américaine , de la finesse d’arrangements dignes des grands dandys anglais , et de refrains fédérateurs hérités des années 80.

Habitué à diriger les enregistrements de Spock’s beard , Neal Morse compose et arrange les trois premières compositions de l’album , qui représentent plus de la moitié de la durée de cette oeuvre. Loin de devenir un tribute band de Spock’s beard , chaque musicien s’épanouit pleinement dans les arrangements proposés par le claviériste. La batterie délimite les espaces dans lesquelles évoluent les harmonies , c’est un rail souple et solide doublé d’un moteur tournant à plein régime. Plus discret qu’avec ses Flower king , Roine Stolt disperse quelques notes s’élevant avec majesté au milieu des nuages colorés dessinés par le clavier de Neil. Il place aussi « my new word » , un voyage de seize minutes dont la splendeur culmine sur des chœurs charmeurs.

Jouées par une telle formation, les compositions de Transatlantic atteignent la perfection de progressisme au charme immédiat. C’est bien cet objectif qui réunit le duo Stolt /Morse derrière la frappe titanesque de Mike Portnoy , faire redécouvrir la beauté d’une musique exigeante à un monde corrompu par la pop la plus mercantile. Pour atteindre ses objectifs Transatlantic ne cache pas des racines toujours plongées dans les terres merveilleuses de la pop des années 60/70. Cette influence est d’ailleurs revendiquée sur la reprise de « In Held In I » , titre écrit par les pionniers Procol Harum. Sur cette reprise, Neil Morse triture fiévreusement ses claviers , convoque le génie de ces maestros rock à coup de processions symphoniques. L’auditeur a vite l’impression que Martin Fisher a pris place derrière cette union de nouveaux virtuoses pour réinventer sa composition.

Si le désir de faire connaitre le duo Stolt / Morse se ressent dans un album très marqué par leurs préoccupations progressives et pop, l'inspiration de ces géants est assez forte pour qu’on ne résume pas ce disque à une simple opération de communication. En voulant sortir des musiciens qu’il admire de leur relatif anonymat, Mike Portnoy a déclenché une nouvelle avalanche progressive.

Derrière cet imposant dirigeable, des groupes comme big big train , mangala valis, et autres anekdoten tenteront d’égaler la splendeur irrésistible de ces figures de proue. Si le rock progressif reste relativement impopulaire comparé à une escroquerie telle que radiohead , il atteint un nouvel âge d’or créatif dans le petit monde de l’underground rock.           

lundi 17 mai 2021

The Flower Kings : Stardust we are

 


Et les flowers kings inventèrent le triple album , une œuvre monumentale de plus de deux heures. Alors forcément, quand l’objet sort en 1997, on l’aborde avec une certaine méfiance. La perfection est une anguille qui ne cesse de glisser entre les mains de l’artiste, rares sont ceux qui parvinrent à la maintenir sous leur étreinte plus d’une trentaine de minutes. Cette poussière d’étoile dont parle le titre, n’est-ce pas de la poudre aux yeux pour éblouir les observateurs impressionnables ? Le groupe le plus fascinant du rock progressif moderne ne se perd t’il pas dans un délire mégalomane ? 

Comme pour accentuer les inquiétudes, stardust we are est annoncé comme un concept album centré autour de réflexions spirituelles de Roine Stolt. La première partie de l’album s’ouvre sur un sifflement martien, signal stellaire faisant pleuvoir les notes comme autant de météorites frappant un sol lunaire. On a l’impression d’entendre Yes perdu au milieu de la face cachée de la lune, son exubérance symphonique se diffusant dans l’écho du cosmos. La guitare devient le centre d’une danse héliocentrique folle, ce soleil rayonnant au milieu de constellations qui se croisent et se percutent. Les instruments déchainent une explosion de splendeurs célestes. Le feu d’artifice cosmique vire progressivement au théâtre spatial, grâce à une voix réinventant le charisme grandiloquent de Peter Gabriel.

Une telle entrée en matière donne le ton d’une première partie très aventureuse. Roine Stolt n’oublie pas pour autant de caresser les oreilles néophytes dans le sens du poil. C’est ainsi que des bluettes telles que « room with a view » permet aux tympans sensibles de se reposer sur un nuage cotonneux. Just this once démarre ensuite en fanfare, un clavier schizophrène dialoguant avec une guitare au lyrisme rageur. Progressivement, les contraires s’harmonisent, le toucher mélodieux de Stolt emportant ces claviers nerveux sur des terres plus apaisées. Le titre s’emporte alors dans de grandes envolées enthousiastes, les notes se succèdent avec la frénésie lumineuses des grandes fresques Yessiennes. 

Puis tout se calme, les comètes de cette galaxie se mettent à flotter majestueusement, l’auditeur se laissant bercer par ce slow cosmique. Comparé à cette procession, church of your heart semble renouer avec la grandiloquence un peu niaise du rock FM. Pourtant, le charme opère vite, l’orgue et une guitare aérienne permettant à l’auditeur de ne pas quitter les sommets stratosphériques des premiers titres. On se surprend alors à fredonner ce refrain de Beatles space rock , profitant ainsi d’une bonne chanson pour se détendre entre deux explorations.

Poor Mr Rain ordinary guitar perpétue ensuite ce rythme apaisé, ses arpèges chantant une folk mélodieuse, blues automnale gracieux et tranquillisant. The man who walk with king renoue ensuite avec les accents baroques des grands troubadours rock. Après une ouverture rappelant les fêtes royales de la renaissance, le toucher de Roine Stolt redonne un peu de lyrisme aérien à cette fresque poussiéreuse. Entre voyage dans le temps et méditations spirituelles , the man who would be king est un monument d’intensité compilé dans un format pop ( à peine 5 minutes).

Circus bringstone marque un nouveau déchainement des éléments, les décors sonores se succédant encore avec autant de rapidité que de fluidité. Le festival progressif a déjà durée plus d’une heure. Ces splendeurs nous ont pourtant enivrés au point de nous jeter sur le second disque comme un alcoolique en manque de boisson.

C’est un univers plus pop qui s’ouvre alors à nous, l’orgue ecclésiastique de pipe of peace ouvrant ce festival populaire. Populaire, cette seconde partie l’est dans le sens le plus noble du terme. Entre relent floydien et chant charmeur, cette seconde partie sait soigner ses mélodies en les rendant le plus accessible possible. Les petites trouvailles instrumentales et l’harmonie parfaite de ballades telles que different people et kingdom of lies montrent que l’on peut encore produire une musique exigeante et populaire.

Alors , bien sûr , cette suite est moins folle que les premières minutes , et les auditeurs les plus exigeants pourraient voir dans ces chœurs et refrains une relative baisse de régime. Pour fermer le claque merde de ces infâmes salisseurs de mémoire , les Flower kings referment leur symphonie sur le monumental « stardust we are » , qui regroupe tout ce que le groupe fait de mieux. Dans un défilé d’une incroyable cohérence, chacun des décors que nous avons visités vient nous saluer une dernière fois. La production somptueuse permet à cette dernière fresque de se dévoiler un peu plus à chaque écoute. On redécouvre ainsi des détails ratés lors de notre première contemplation, des subtilités cachées derrière le rideau lumineux de cette harmonie.

Arrivé au bout de notre long voyage, le périple parait presque trop court. Seul le temps pourra dire si stardust we are est un chef d’œuvre, il est néanmoins certain qu'il s’agit d’un très bon album.               

The Flower Kings : Retropolis


Il n’aura fallu que six mois pour que les Flower kings donnent un successeur à back in the word of adventure. Conçu au départ comme un concept album, Retropolis est en réalité fait de titres composés à diverses époques. Cette sélection, qui s’étend de la fin des seventies à aujourd’hui, permet de voir la sincérité d’un homme resté fidèle à l’inventivité des seventies. Autre surprise, Retropolis est en grande partie instrumental, ce qui ne l’empêche pas de brasser large. Concernant l’orientation des titres, cet album confirme les préoccupations pop et progressives de son prédécesseur.

L’opus s’ouvre sur retropolis, titre le plus ambitieux de l’œuvre, dont la durée dépasse les dix  minutes. Comme souvent avec les Flowers kings, le mellotron plante le décor , qui parait plus inquiétant qu'à l’accoutumé. Des violons tendus font monter une pression explosant dans un solo plombé, guitare et clavier entrent ensuite dans un dialogue angoissé. Si cette intensité doit être comparée à King Crimson, on pense plus facilement au groupe tonitruant de Red qu’à la cour du roi cramoisi.

A mi parcours, des gargouillements robotiques introduisent une inquiétante marche militaire. La tension monte de nouveau pour exploser dans un solo de guitare rageur. Dans un final grandiloquent, guitare et orchestre s’affrontent dans une bataille épique, avant que la harpe ne gémisse comme les derniers combattants au milieu des corps de leurs camarades. Retropolis est une grande pièce, où l’angoisse glaçante d’expérimentations électroniques introduit des symphonies stellaires chers aux fils de Robert Fripp. 

Pour réussir une telle union de deux mondes, il faut des musiciens en parfaite osmose. Là encore on ne peut que saluer la régularité d’un Roine Stolt qui sut toujours bien s’entourer. Je vous défie de différencier à l’oreille les titres écrits dans les seventies des nouvelles compositions. Les titres plus courts parviennent enfin à faire cohabiter rock FM et symphonie progressive, l’ambition est aussi présente sur les titres les plus progressifs que sur les mélodies pop.

Seconde et dernière composition purement progressive,  there is no more to this word montre une union plus apaisée entre la modernité électronique et la chaleur progressive. Portée par des chœurs rêveurs, sa progression se montre progressive , ses envolées se font plus lyriques que puissantes. On retrouve ses accords de guitares, explosant comme des bulles de savon, sans troubler la forêt bucolique et moderne érigée par les autres musiciens. Retropolis représente la solennité du progressisme des Flower kings , there is no more to this word montre une beauté plus légère.

Cet album est centré sur une opposition incontournable depuis les années 80, celle du progressisme et du désir d’être entendu par le plus grand nombre. C’est ainsi que la beauté immédiate de tubes comme « back home » laisse place à la complexité progressive de titres plus travaillés, sans que l’on ait l’impression de changer de monde. La solennité tendue des premières minutes refait régulièrement surface , son angoisse moderne servant de fil conducteur à un album dont l’ambiance rappelle parfois vaguement la dystopie robotique de brain salad surgery (d’ELP). Au milieu de ce fond robotique, un titre comme the melting pot peint un décor épique digne de grands péplums rock tel que shéerazade , le classique du groupe Renaissance.

Si les parties les plus pop pèchent parfois par excès de conformisme musical, si leurs chœurs sont parfois enlaidis par un lyrisme trop forcé, quelques trouvailles leur évitent toujours de tomber dans le bassin fangeux du rock FM. En mêlant anciennes compositions et créations plus récentes , les Flowers kings jouent avec un enthousiasme communicatif. C’est cette énergie qui donne un supplément d’âme aux refrains un peu niais de silent sorrow et judas kiss, il permet aussi au groupe d’étaler sa virtuosité sans tomber dans une démonstration stérile. Rares sont les albums parfait de bout en bout , et Retropolis n’en fait pas partie , mais il contient cette force fédératrice qui est la marque des grands groupes.

Nous ne tenons pas ici le meilleur disque des Flower kings , mais c’est celui où tout se met enfin en place , où les jeunes espoirs atteignent un niveau que peu de leurs contemporains peuvent égaler. Plus moderne sans quitter le traditionalisme des débuts, varié sans répéter les erreurs de back in the word of adventure , Retropolis concrétise pour la première fois tous les espoirs placés en Roine Stolt.               

vendredi 14 mai 2021

The flower Kings : Back in the word of adventure

 


Le succès du premier album met à Roine Stolt une pression digne des Beatles après l’annonce de l’arrêt de leur concert. Il est vrai que la popularité du suédois n’est pas comparable à celle des quatre garçons dans le vent, mais il est déjà porté au pinacle par un public qui voit en lui l’avenir d’un progressisme prêt à renaitre de ses cendres. Pour se défaire de ce poids, Roine Stolt forme un véritable groupe, the flower kings , qui va étendre les décors esquissés sur le premier album.

Alors que les suédois travaillent sur le premier disque d’un groupe amené à devenir culte, un autre héros de la musique progressive moderne vient de trouver sa voie. Steven Wilson avait fondé Porcupine tree comme une farce, une récréation entre deux sessions de son groupe No man. No man ne trouvant pas son public, il récupère plusieurs de ses musiciens pour former le nouveau noyau dur de Porcupine tree. Ce que le guitariste considérait jusque-là comme une récréation devient son principal projet. De ce changement nait « the sky move sideway », disque dirigé par un homme qui est autant fan qu’artiste. Steven Wilson est un musicien fasciné par un âge d’or qu’il n’a pas connu, une éponge toujours en quête de reliques à absorber. « Les morts gouvernent les vivants » disait Auguste Comte, et « the skie move sideway » montre que l’avenir appartient plus que jamais aux amoureux du passé. Culminant sur deux longues suites instrumentales, le premier album de Porcupine tree s’apparente à un savant mélange entre la beauté rêveuse de Pink Floyd et le futurisme froid de Tangerine dream. 

Sorti quelques semaines plus tard,  back in the word of adventure annonce ses influences dès la pochette. Au premier plan, un roi tout droit sorti des décors genesiens semble redonner vie à la colombe présente sur le premier album d’Emerson Lake and Palmer, un soleil au trait proche du roi cramoisi éclairant la scène d’une lumière scintillante. Là où Porcupine tree trouva son originalité dans les décors froids des savants fous allemands, les Flower kings perpétuent les fresques plus chaleureuses du premier album. On regrette juste que l’irréprochable cohérence de l’album précédent ait laissé place à un grand bazar mélodique. Back in the word of adventure est une suite de peintures sonores où le sublime côtoie le banal, les musiciens semblant chercher un nouvel équilibre qu’ils ne trouvent qu’épisodiquement. 

Du coté des réussites, on trouve bien sur « big puzzle » et « word of adventure » , les deux pièces maitresses de plus de dix minutes. Ce qui frappe sur ces longues fresques , c’est la chaleur mélodique d’instrumentaux s’abreuvant aux sources d’un Genesis période « Selling england by the pound ». Véritable soleil au milieu de ces contrées nuageuses, Ulf Walander fait cohabiter son free jazz cotonneux avec l’extravagance de mélodies proches des grands dandys anglais. 

Si l’inspiration de cet album parait inégale, c’est avant tout parce que ses auteurs ne surent pas se limiter à la splendeur de « word of adventure » et « big puzzle ». Le cd incite souvent les artistes à ne plus sélectionner, comme si l’auditeur était devenu un consommateur réclamant son heure de musique. C’est ainsi que les rockers modernes produisent des doubles albums à la chaine, là ou un honnête disque d’une demi-heure aurait été bien plus réussi. Sur la plupart des titres séparant les deux grandes fresques de l’album, le groupe semble écartelé entre ses ambitions artistique et son souci de rester accessible pour le plus grand nombre.

Le résultat donne une série de minis thèmes à peine esquissés, de pastilles pop engraissées par des une production trop lourde. En refusant de choisir entre ses deux ambitions, les flower kings passent souvent pour une bande de virtuoses complexés, de calculateurs sans âme. Parfois un oasis de beauté apparait au milieu de ces tâtonnements, mais la scène s’achève trop vite pour que l’on puisse réellement en apprécier la splendeur. 

L’esprit humain est souvent pessimiste, il retient plus facilement les moments irritants que les quelques passages réussis. Résultat, ce qui aurait pu être une demi-heure lumineuse est souillé par la niaiserie de quelques égarements rock FM. Plus saturées, les envolées guitaristiques semblent parfois tenter maladroitement de séduire les fans de Dream Theater. Mis hors de son contexte, Back in the word of adventure n’est que l’essai maladroit d’un groupe cherchant son équilibre. Et puis, les premières déceptions passées, on revient vers cet album pour commencer l’inventaire de ses fulgurances. On se prend alors à apprécier le charme d’un disque qui, malgré ses imperfections, laisse entrevoir que quelque chose de grand se prépare. Certaines expérimentations auraient sans doute mérité de rester dans les placards, mais le reste ne fait que décupler les espoirs que les fans de prog placent dans le groupe.

Disque partiellement raté, back in the word of adventure ne fait que repousser la consécration de ses auteurs.                     

mercredi 12 mai 2021

Roine Stolt : the flower king

 


Cette fois on n’allait pas lui faire à l’envers ! Cela faisait plus de vingt ans que Stolt marinait dans un groupe de seconde zone. Au beau milieu de l’explosion anglaise, les petites productions d’un groupe suédois comme Kaipa étaient inaudible. En cet année 1994, Roine a déjà dépassé la quarantaine, si il ne s’infiltre pas dans la brèche ouverte par Anglagard, il n’aura pas de seconde chance. Alors il réunit un groupe de musiciens triés sur le volet, et enregistre son premier album solo dans l’urgence. Forcément, cet empressement donne à ce premier disque un coté plus brut , plus direct que la plupart de ses successeurs. 

La batterie dirige la procession avec virilité, bâtit les piliers autour desquels Stolt peut ériger son monument sonore. Comme de nombreux musiciens de sa génération , Roine a subi la pression de la pop, qui l’a obligé a développé un jeu très mélodique. Son feeling rêveur fait bien sûr penser à David Gilmour, icône de la musique planante auquel tout grand mélodiste planant est un jour comparé. On aurait pourtant tort de résumer ce premier album solo à une filiation commune à une majorité de groupes progressifs. Là où le Floyd a vite limité la complexité de ses compositions, pour accentuer sa douceur nuageuse, Roine Stolt s’épanouit pleinement dans de longues épopées aux scénarios complexes. A l’image de « fragile » de Yes , les titres les plus courts servent d’entractes entre deux fresques sonores. On écoute des pastilles telles que close your eyes ou the sound comme on ouvre un nouveau chapitre d’un grand roman, l’esprit encore marqué par les décors somptueux des pages précédentes.

Ce premier album solo confirme ce qu’Anglagard avait initié, les musiciens prenant un malin plaisir à déployer de longues compositions à tiroirs. Chaque variation est l’occasion d’inventer de nouveaux décors foisonnant, sans perdre la cohérence d’une œuvre saluant la cohésion des grands concepts albums. Pour faire passer cette inventivité débridée, la guitare maintient la douceur mélodique essentielle pour tout groupe qui ne veut pas finir dans les limbes de l’underground. Pour l’épauler dans cette tâche, le mellotron déploie ses symphonies nuageuses, modernise les douceurs enivrantes des grands poètes du son.

Lointain cousin du David Gilmour de confortably numb , le chant invite à se laisser immerger dans cette méditation. Pilgrim développe ensuite un décor boisé qui ne cessera d’être étendu par une nouvelle vague de progueux traditionnels. Les cuivres dansent comme une troupe de lucioles virevoltant autour de la guitare de Stolt, le jazz et le rock flirtent de nouveau dans un décor bucolique. Un piano baroque introduit ensuite le tonnerre électrique d’un orage heavy symphonique.

Nous sommes aussi à une période où le métal progressif déploie ses ailes sombres, il faut aussi savoir hausser le ton pour se faire entendre au milieu de ces barbares. Loin d’enchainer les notes avec la lourdeur nombriliste d’un John Petrucci, Roine n’est qu’un élément d’un assaut sonore incroyablement harmonieux. Le métal célèbre l’exploit individuel, le rock progressif ne peut lui fermer le clapet qu’en célébrant la communion collective. La musique c’est avant tout cela, la communion de plusieurs hommes dont l’harmonie atteint une beauté universelle. C’est ce qui fait la beauté de starless , close to the edge , super ready , toutes ces reliques du passé qui alimentent la montée lyrique des troupes de Roine Stolt.

Le riff de sound of violence crée ensuite un swing symphonique, une force à mi-chemin entre le heavy rock épique d’Uriah Heep et le space rock d’Eloy. Grâce à cette formule magique, dix minutes de virtuosité alambiquée passent aussi vite que les 5 minutes d’un tube pop. Des changements de décors aussi radicaux que le passage de pilgrim à the sound of violence se font ainsi avec l’évidence des grandes œuvres rock. Loin de se contenter de remonter le temps, Roine Stolt invente un monde dont il maitrise chaque mouvement. Ecouter un disque comme celui-ci donne l’impression d’être réfugié dans un abri au beau milieu de l’océan. Avec la sérénité de ceux qui savent que les caprices des éléments ne peuvent les atteindre, on admire chaque mouvement, on frissonne devant la hauteur de certaines vagues. Lors des accalmies, les mélodies chaleureuses nous rappellent des décors déjà rencontrés, tout en ménageant quelques délicieuses surprises.

Pour clouer ce spectacle en apothéose, humanizzimo allume un feu d’artifice sonore de plus de vingt minutes. On pense forcément au rêveries nostalgiques de shine on you crazy diamond , on a parfois l’impression de découvrir une nouvelle partie des beautés abyssales de tales of a topographic ocean.  Vous me reprocherez sans doute de faire pleuvoir les références comme autant de cotillons sur cette célébration, de me noyer dans le passé même quand je parle d’œuvres modernes.

Ces références n’empêchent pas l’impressionnante originalité de Roine Stolt, qui trouve ici l’équilibre que si peu de ses contemporains parvinrent à mettre en place. Ce premier album, c’est le cri d’une musique qui veut devenir mature sans moisir dans les musées, c’est le chant d’un rock voulant renouer avec son âge d’or artistique. Et ce n’est encore qu’un début.

                     

mardi 11 mai 2021

Roine Stolt et les ruines du rock progressif

 


Avant d’ouvrir un dossier sur Adrian Stolt , un rapide retour sur l’histoire du rock progressif s’impose. A son origine, on trouve bien sûr sergent pepper , incontournable pièce montée ayant donné au rock des ambitions artistiques. Grâce à la symphonie rock du sergent poivre, l’album n’est plus un simple enchainement de chansons, mais une œuvre dont il convient de soigner la cohérence. En guise d’apothéose, « a day in the life » marque le début des noces unissant le rock aux musiques plus élitistes. A une époque où celui-ci est une ruche lumineuse remplie d’esprits brillants , Procol harum ne tarde pas à suivre la même voie avec le tube « a whitter shade of pale », transe majestueuse inspirée par une composition de Bach. Vint ensuite les Moody blues , groupe de rythm n blues sans succès, qui voit dans ce rock symphonique un moyen de sauver sa peau. Les Moody blues seront parmi les premiers à tenter l’aventure symphonique sur un album entier, il est d’ailleurs dommage que « day of the future past » soit surtout connu pour le tube « night in white satin ».

Les rockers se rêvent en chef d’orchestre , mais la simple rigueur d’une musique classique grandiloquente ne leur suffit pas. Vieille dame fatiguée, la musique jazz rajeunit donc un peu en donnant une chaleur cuivrée à l’album qui sera jugé comme le point de départ de la vague progressive. Objectivement, ce rôle de pionnier aurait dû revenir à Colosseum , dont le premier album est sorti un mois plus tôt. Mais la pop alambiquée du groupe de Dave Greenslade n’était pas plongée dans l’univers paranoïaque et envoutant, qui séduisit tout le monde à la sortie de « in the court of the crimson king ».

La « cour du roi cramoisi » s’étend ensuite rapidement, voit s’affronter le charisme moyenâgeux de Genesis , le futurisme distopique de Emerson Lake et Palmer , et les rêveries Tolkeniennes de Yes. Cette époque représente l’âge d’or artistique du rock, celle où sa popularité fut si immense qu’il absorbait les courants l’ayant précédé. La grenouille rock se faisait plus grosse que le bœuf jazz, plus menaçante que le monstre symphonique, et la presse ne demandait qu’à crever cette bulle fabuleuse. Sous la pression de rock critics refusant que le rock deviennent une « musique sérieuse » , la popularité du mouvement décline après cinq années explosives. On trouvera encore quelques traces de sa soif d’exploration en Allemagne , où des groupes comme Tangerine dream , Can et autres Kraftwerk inventent une avant-garde plus moderne.

Du coté des géants anglophones, le déclin est rude et brutale, ceux qui contribuèrent à émanciper le rock de la pop n’ayant d’autre choix que de s’y convertir. C’est ainsi que, lâché par Peter Gabriel, Genesis dérive vers une pop de plus en plus mielleuse à cause du funeste Phil Collins. C’est l’époque où Yes sort tormatoes , où ELP se noie dans la guimauve de love beach , pendant que d’ex membres de Yes forment le collectif Asia. Nous entrons ainsi dans une ère où , rendu inaudible par le nihilisme punk , le rock progressif devient une musique underground. Certains chefs-d’œuvre sortent encore, comme les perles jazz rock de National health ou de Gilgamesh, mais ce ne sont que des petites illuminations dans un décor de plus en plus sombre.

Vint ensuite le cas Marillion, qui toucha la timbale avec le trio script for a jester tears , fugazi , misplaced childhood. Si ces disques sont d’indéniables réussites musicales, si les quelques tubes qui les composent permettent de faire renaitre un certain progressisme pop, cette musique sonne plus comme un timide compromis que comme une véritable résurrection. La production est très calée sur les canons de l’époque, le synthé lisse les emportements d’une musique qui semble réfréner ses élans virtuoses. Avec ses tenues extravagantes, le chanteur pense évoquer Peter Gabriel. Son groupe n’évoque pourtant qu’une version moins corrompue du Genesis de Phil Collins. Marillion produisait un rock progressif accessible aux fans de U2, il aura d’ailleurs une descendance aussi anecdotique que le groupe de Bono.

Le véritable renouveau intervient enfin en 1993, quand les suédois d’Anglagard publient leur premier album. Hybris reprenait la formule des grands maitres du progressisme rock , le mellotron et la flute récupérant la place volée par ces serpents infâmes que sont les synthétiseurs. Loin de verser dans le passéisme stérile, Anglagard élargissait l’univers découvert par les grands condottières rock. Ses décors mouvants baignaient dans la chaleur et la luminosité de mélodies somptueuses, les instruments décollaient soudainement avec la grâce d’une nuée de colombes. Un second album, plus sombre et entièrement instrumental, sortira en 1994. Après ces deux miracles, Anglagard pensait avoir tout dit, le groupe se sépare donc quelques jours après la sortie de son second chef d’œuvre. Une reformation éphémère eu lieu en 2012 , mais l’album qui naquit de ce retour ne retrouva pas la splendeur de deux premiers disques incontournables.

Le succès d’hybris et épilogue, comme celui de « in the court of the crimson king » avant lui, entraine dans son sillage toute une armée d'explorateurs rock. Parmi celle-ci se cache Roine Stolt , un survivant des seventies éclipsé par la popularité des géants anglais. Cette discrétion lui permet d’infiltrer ce renouveau progressif, dont il compte bien devenir une figure de proue. Cette prise de pouvoir commence par l’enregistrement de son premier album solo.