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jeudi 11 mars 2021

Nouvelle rock détroit 4

 

Arrivé au studio Elektra , Alain fut accueilli par John Cale . L’homme avait un air maussade, et lui expliqua rapidement que le responsable du label était parti après avoir entendu l’album des Stooges. Alain n’était pas étonné de cette réaction, la puissance sonore des Stooges devait autant l’effrayer que la révolte anarchiste du MC5.

A : Je peux tout de même écouter le disque ?

JC : Bien sur. Les Stooges le réécoute en ce moment. Je ne sais pas si c’est « ce qui se vend » , mais je suis convaincu qu’on a réussi de grandes choses sur ce disque.

Les deux hommes arrivèrent alors à une salle d’où sortait un bruit assourdissant. En entrant dans la pièce, Alain vit les trois stooges , assis sur un tapis oriental ,  écoutant leur disque avec un grand sourire. Il comprit vite pourquoi le producteur avait fui les lieux, sa déception était plus due à John Cale qu’à son trio de sauvages. Pour Holzman, Cale était le véritable musicien du velvet, celui qui mettait les poèmes décadents de Lou Reed en musique. C’était aussi stupide que de penser que, dans les Beatles , McCartney était le chanteur pop et Lennon le rocker. Sauf qu’Holzman y croyait dur comme fer, pour lui Cale était le responsable de la beauté subversive du premier velvet.

Il ne pouvait croire que le Velvet se nourrissait de l’opposition entre John Cale, qui était au contraire l’expérimentateur, et Lou Reed. Il suffit d’écouter le troisième album du Velvet, sorti en cette année 1969, pour se rendre compte que Lou était plus pop que son ex partenaire. Après avoir viré Cale, Lou lance le velvet sur la route d’une folk aux mélodies pop , et pale blue eyes était en quelque sorte son Penny Lane.

Bref , en voulant arrondir les angles , le patron d’Elektra avait mis ses sauvages entre les mains d’un savant fou, qui ne pouvait qu’abuser de la liberté qu’il lui offrait. Fasciné par la puissance de ce trio, qui semblait accentuer sur un album ce que son ex groupe avait initié sur « white light/ white heat », Cale s’était appliqué à lui offrir la production la plus crue possible. Au lieu de diminuer le tranchant de ses musiciens, Cale avait tout fait pour le renforcer. Dans la grotte hostile qu’est sa production, la guitare de Ron Asheton lance des rugissements qui font trembler les murs du studio.

Comme pour passer le relais à ces nouveaux rebelles, John Cale pose son violon sur la transe chamanique we will fall. Loin d’être un simple caprice expérimental du producteur, ce titre permet à John Cale de placer les Stooges dans la lignée du plus grand album du Velvet, le déchirant white light white heat. La voix cynique et désespérée de Lou Reed laissait ainsi place à la colère froide d’Iggy. A l’écoute de ce brulot, il paraissait évident que cette révolte allait se propager en dehors des murs de Détroit, le passé ne pouvait survivre à une telle charge avant gardiste.

Une fois les dernières notes de ce premier manifeste stoogien éteintes, Alain vint se présenter aux héros du jour.                                                            

« Bonjour… Je suis celui que va écrire votre histoire. ».

Iggy , qui l’avait d’abord regardé avec l’œil torve d’un crocodile faisant le mort pour attirer sa proie, ce leva soudain d’un bon. Tel un alligator attrapant la jambe d’une gazelle, l’iguane lui sera la main avec une rapidité qui le fit sursauter. A partir de là Alain découvrit un homme au regard vif et pétillant d’intelligence. Si sa révolte était sincère, Iggy était loin de se résumer au nihilisme qu’exprimaient ses textes. Fils de professeur, Iggy profitât de se retrouver face à un journaliste pour parler de littérature.

L’homme venait de lire l’idiot, et lui tint tout un discours sur le génie télépathique de Dostoïevski. Il était impressionné par le réalisme avec lequel l’épileptique russe décrivait l’état d’esprit de ses personnages , donnant ainsi l’impression au lecteur de lire dans leurs âmes. La bêtise supposée du personnage principal était un révélateur, il abolissait la méfiance de ses interlocuteurs. Placé face à un interlocuteur d’apparence si faible , chacun effeuillait son âme comme un artichaut , laissant apparaître les morceaux les moins glorieux de sa personnalité.

Alain lui répliquait que, selon lui , crime et châtiment allait encore plus loin. Le livre nous montrait la torture d’un assassin vivant dans la peur de la sanction. Progressivement, la souffrance provoquée par cette épée de Damoclès devient si insupportable, que le personnage principal semble désirer son châtiment. Les deux hommes voyaient le géant russe comme un peintre des esprits , un homme pour qui la conscience humaine semblait être un livre ouvert. De cette conversation, Alain devait aussi retenir qu’Iggy lui avait dit que son premier album se nommerait l’idiot. Il admettait que ce titre collait plus au rock n roll qu’il voulait défendre que « crime et châtiment ».

A la fin de cette discussion, alors qu’Alain s’apprêtait à rentrer dans son appartement pourri, les Stooges lui donnèrent rendez-vous dans une semaine. Iggy voulait qu’il les suive sur leur tournée.

Nous passerons rapidement sur les 7 jours qui séparèrent la scène à laquelle nous venons d’assister et le départ en tournée, en reproduisant simplement le « journal rock » de notre chroniqueur.

Lundi 28 février : Je reviens de l’usine que Sinclair m’avait fait quitter, je pensais gagner quelques dollars en travaillant pendant quelques jours. Arrivé là-bas, on m’apprit que je n’étais plus le bienvenue et un DRH obèse me tendit le chèque de départ.

J’avais complétement oublié que c’était aujourd’hui que ces esclavagistes payaient le labeur du mois …

Passage chez un disquaire local, où je dilapidais déjà la moitié de ma paie. Au programme Kick out the jams , le premier Stooges , et le dernier velvet.

J’écoute en boucle kick out the jams , les murs tremblent comme le tsar Nicolas II voyant arriver la libération bolchevique. N’en pouvant plus, les voisins appellent les cognes … Bande de social traitre !

Mardi 01 mars : relecture du dernier Rolling Stones, Lester Bang a vraiment déconné. Son article est une bavure digne d’un flic paumé dans un quartier noir de Détroit. Au bout du compte, utiliser sa prose pour attaquer le MC5 revient à tuer un moustique au lance flamme. Ils ne s’en relèveront malheureusement pas. 

Je passe le reste de la journée à écouter le premier Stooges sous les tambourinements rageurs d’esclaves trop domestiqués.

Mercredi 02 mars : Alice Cooper fait la une de tous les magazines … Cette sorcière pathétique aurait lancé un poulet dans son public hystérique. Une fois dans la fosse le pauvre animal s’est fait désosser par cette tribu lamentable. Pour une fois que j’éprouvais de la compassion pour un poulet….

Jeudi 03 mars : « un autre jour sans rien à faire » comme dirait l’autre.                                                      

Vendredi 4 mars : Bang s’excuse déjà de sa chronique sur le MC5 … Il n’avait sans doute pas eu le temps d’écouter l’album correctement. Sa repentance ne sert à rien tant sa prose n’est jamais aussi bonne que quand il plante sa plume dans le cœur de ses cibles. Le voilà qui se retrouve dans la position du pauvre assassin du prince Ferdinand d’Autriche… Malheureusement, aucune foule ne viendra le lyncher.

Samedi 5 mars : Iggy a laissé une lettre sous ma porte , le groupe décolle dans une heure. Les voisins vont être contents , je suis sorti en laissant tournée le premier album des Stooges !.     

Alain embarquait donc avec le plus grand groupe de Détroit, horde barbare prenant d’assaut New York. Il lisait encore le dernier Rolling stones , où un sombre inconnu annonçait déjà la mort du MC5. Kick out the jams ne se vendait pas et le groupe était largué en pleine campagne par un John Sinclair envoyé en prison pour un motif ridicule. Drogué et miné par le manque de succès, le five fut tout de même récupéré par Atlantic, et prépare un album de rockabilly. En apprenant la nouvelle John Sinclair aurait affirmé « Je pensais qu’ils étaient les nouveaux Mao, mais ce sont juste les fils d’Elvis ». L’histoire du MC5 semblait s’achever sur cette phrase, et leur futur album ne changerait rien au calvaire de ce groupe condamné.

Iggy interrompit notre journaliste en pleine lecture, en lui tendant une cassette et un walkman. Il lui expliqua que les Stooges avaient profité de leur semaine de repos pour enregistrer le second album souhaité par le label. Ils avaient produit le disque seuls, John Cale étant parti enregistrer le dernier étron glacé de Nico en Angleterre. Le chanteur était si enthousiaste, qu’Alain n’osa lui expliquer que les maisons de disques mettaient souvent la pression aux groupes dont elles souhaitaient se débarrasser, pour qu’ils enregistrent rapidement les trois disques prévus par leur contrat.

Il mit en route la cassette, et se prit un cri de guerre d’une violence inédite.

LOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOORD !

Le premier mot de Tv Eyes ressemblait au hurlement rageur d’un kamikaze lancé à toute vitesse sur un navire de guerre yankee. Iggy ne chantait plus, il hurlait sous la chaleur du free rock de son groupe. Le parallèle entre le rock de Détroit et le free jazz n’a jamais été aussi évident que sur fun house. Le free était lui aussi une fureur mettant fin à une ère déclinante, celle des géants du bop. Archie Sheep , Albert Ayler , Ornett Coleman , ces titans étranglaient le souvenir des contemporains de Lester Young avec leurs étaux cuivrés. La victime de la rage électrique de fun house était encore la légèreté sixties, Babylone poussiéreuse ensevelie par son éruption incandescente.

Les Stooges étaient meilleurs que le MC5 car leur rage n’était pas au service d’une quelconque cause, leur seul parti était le chaos. Fun house était le cratère engloutissant les traces d’un passé révolu, un big bang qui commence à accoucher d’un mouvement dont on ne connaît pas encore le nom.           

mardi 2 février 2021

THE STOOGES : The Stooges (1969)


On connaît l'histoire : 1967, Iggy Pop, accompagné des frères Asheton et de Dave Alexander, embauché car il avait une voiture, forment les Stooges.
Detroit et ses environs : 1968/69 avec MC5 les Stooges se font remarquer par des prestations scéniques hallucinantes et des plus sauvages.

Si les Stooges et les MC5 qui viennent tous deux de la même région (le Michigan, à l'époque fleuron de l’industrie l’automobile américaine), ont tourné ensemble, sapprécient et ont une vision proche de la musique, ils ont toutefois une approche « philosophique » totalement différente: politisée, rebelle et revendicative pour les MC5 dont les appels à la révolte inquiètent les autorités en ces temps agités de contestation alors les Stooges sont davantage dans l’autodestruction et le mal de vivre, le nihilisme et le désarroi.
Mais les deux sont en rupture totale avec le mouvement hippie, non violent et pleins d’utopies « enfumées », tant sur le plan musical qu'autour des thèmes abordés.

Pour canaliser l’énergie et la fougue bordélique de ces "fous furieux" qui composent le groupe et pour mettre un peu d’ordre, Elektra, le label, fait appel à John Cale du Velvet Underground pour produire leur premier album qui sort en 1969.
Une vraie bombe pour l'époque car même si le rock était en pleine évolution le degré d'intensité et de violence dépasse tout ce qui avait pu être produire jusque là.
Dès les premiers accords de « 1969 » le ton est donné, sorte de Stones en plus "destroy", plus cradingue et hystérique, à la rythmique saccadée et au chant sauvage.
Des textes bruts, qui suinte le chaos, l’ennui et le désenchantement mais loin du spleen poétique d’un Jim Morrison par exemple.

Des riffs qui sont de plomb, tranchants, sans concession.
Un album où le mot d'urgence prend toute sa signification, le quatuor enchaîne les morceaux comme si sa vie en dépendait.
Le fameux son « stoogien » incisif, reptilien, qui s’infiltre, se faufile en vous, pour ne plus vous lâcher est bel et bien là, véritable marque de fabrique.
Ce premier album des Stooges est un missile qui va propulser le groupe dans le top 10 des artistes qui ont marqués l'Histoire du Rock (et ce en seulement 2 ou 3 albums selon que l'on compte ou pas Raw power).

Plusieurs classiques sont déjà présents et non des moindres: « 1969 », « I wanna be your dog » (déjà vraiment punk celle-là), « No fun » (et sa guitare garage déglinguée et dévastatrice ), « Little doll » (peut-être ma préférée et qui pourtant ne figure pas parmi des classiques des Stooges) et à un degré moindre « Not Right ».
C'est crade, brut, du rock qui vient du cœur, du fond des tripes, sans artifices.

Pour moi il n'y a qu'un seul titre un peu déroutant (comme dans chaque album des Stooges d'ailleurs) : « We will fall » aux accents trop psychédéliques par rapport au reste du disque.
Je préfère néanmoins légèrement l'album suivant « Fun House », au son encore plus crade, aux rythmes plus tranchés et avec l'apport incroyable d'un saxophone sur la deuxième face, plus expérimental et avant-gardiste aussi qui mélange avec bonheur rock ultra violent et free jazz halluciné. Et ce « Fun house » reste pour moi le chef d’œuvre du groupe au-delà de l’aspect original de ce premier opus.

Mais c’est ce premier album éponyme qui a consacré à jamais The Stooges comme pionniers du punk, du hard et plus globalement du rock « sale » (avec MC5 que l'on doit associer), un album et un groupe qui ont marqué des générations de musiciens et de fans.
Un classique indémodable, un album référence, un disque culte. Un disque qui représente l'essence même du rock tel qu'il ne devrait jamais cesser d'être.