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jeudi 14 octobre 2021

Nouvelle rock : au delà du blues 2

 


De retour chez lui , Albert posa sa guitare contre le mur . Il lui fallut plusieurs minutes pour trouver un espace qui ne soit pas envahi par les feuilles de brouillon, les vieux livres écornés, les vinyles laissés à terre après une cruelle déception. Il s’assit face à l’instrument, se servit un verre de cidre (le seul alcool qu’il supportait) et la phrase du vieux tournait en boucle dans sa tête. Quelle était cette révélation qui pouvait « ne pas lui plaire » ? Albert ne croyait pas à cette histoire de diable ayant donné à Johnson son talent. Une sous culture s’impose d’abord en s’attaquant aux totems du grand public, le catholicisme en fit largement partie à l’époque. En se décrivant comme disciple du diable, le bluesmen se forgeait une légende de marginal condamné à l’ostracisme. Ce rejet redouté par la plupart des hommes était ainsi la base de son art, ses accords sublimaient la solitude qui effrayait la plupart des hommes.

N’en pouvant plus , Albert se décida à empoigner l’objet soit disant maudit , et se mit à plaquer quelques accords. « doumdoumdoum ! doumdoumdoumdoum ! doumdoumdoumdoumdoumdoumdoum ! ». Il répétait cet enchainement quatre fois puis, à la cinquième, il s’effondra soudainement. Albert reprit conscience allongé au milieu d’une rue , plongé dans une nuit illuminée par les éclairages d’une salle de concert. La devanture annonçait fièrement « tonight the king of the blues ! The incredible BB King ! » Que faisait-il donc là ? Devant une salle vantant les mérites d’une vieille icone fatiguée. Le gros BB n’avait plus rien produit d’intéressant depuis son fameux live at Regal de 1964. C’est à ce moment qu’il vit une phrase plus discrète écrite au rouge vif : exclusivement ce 21 novembre 1964.

Le Regal n’a donc pas changé sa devanture depuis cinq ans ? Il lui semblait pourtant que ce haut lieu tournait encore aujourd’hui. Il arrêtât la première personne qui passait, agité par un mauvais pressentiment le poussant à la panique.

-Quel jour sommes-nous ?

- Le 21 novembre 1964. Mais vous ne pensez pas qu’il y a des façons plus aimables d’aborder une femme ? 

Albert ne prit pas le temps de répondre à cette preuve du narcissisme féminin et courut dans la salle. La guichetière eut à peine le temps de l’interpeller que notre homme était déjà entré dans ce lieu historique. Les cuivres venaient d’ouvrir le bal , donnant au groupe de BB l’ampleur d’un big bang de jazz. Si Duke Ellinghton et Count Basie jouèrent le blues avant lui, c’est bien BB qui représentait l’avenir de cette musique. Enfant d’une époque où les vieux jazzmen croisaient les pionniers du nouveau blues, le beau BB avait su s’inspirer de la grandiloquence spectaculaire des jazzmen. Enchainant les poses dramatiques et les grimaces grandiloquentes, BB se prenait pour le Sinatra d’un nouveau swing.

On ne put pourtant dire que le jazz était vraiment représenté ce soir-là , BB s’emmitouflait dans ses cuivres avec la fierté d’un chasseur couvert de ses peaux de bêtes. Le jazz populaire était mort, il savait qu’il était en partie responsable de ce meurtre. D’ailleurs, quand il partait dans ses fameux solos , les cuivres se taisaient. Une époque s’élevait sur les cendres de la civilisation l’ayant précédé, une autre ère s’annonçant à travers ces nouvelles constructions. Des années plus tard, BB King avouera qu’il ne savait pas jouer de riff. Son truc, c’était ces phrases flamboyantes, ce phrasé si particulier laissant chaque note respirer. C’était spectaculaire sans être tapageur, puissant sans être agressif.

BB ne cherchait pas à aligner un maximum de notes , mais à aligner les bonnes notes. En laissant les cuivres jouer le rôle de la guitare rythmique , il illumine les espaces que ses limites de soliste ne peuvent remplir. Quand il sent que son moment est venu, il prolonge l’intensité d’un swing cuivré dans de courtes phrases tranchantes. Ces chorus-là, cette classe sachant mettre en valeur un accord comme un bon écrivain sait glorifier un décor ou un détail essentiel à son histoire, c’est tout ce que ses disciples tenteront de reproduire. C’est donc pour ça que le vieux considérait le rock anglais comme un blasphème !

BB ne tentait pas d’épater la galerie lors de solos interminables, il ne faisait pas de la guitare un instrument à sa gloire. Le King savait exactement quand sa digression avait atteint son apogée, quand il fallait développer et quand il fallait se taire. Cette voix tourmentée par un désespoir virile, ces solos aussi sobres qu’impressionnants, c’était le blues dans ce qu’il avait de plus pur. Cette pureté ouvrit la voie à une nouvelle génération. Cette nouvelle vague ne sera ni meilleure ni moins bonne, elle s’inspirait de ce modèle sans suivre le même chemin. Avec BB King , le blues devint une vieille bécane que chaque musicien pouvait emmener plus loin.

Quand il en arriva à cette conclusion , Albert se réveilla au milieu de son appartement. Face à lui, sa guitare était posée comme s'il ne l’avait jamais touché. Sur son mur, on pouvait désormais lire cette phrase « On constate la robustesse d’un arbre grâce à la profondeur de ses racines ».