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samedi 16 octobre 2021

Nouvelle rock : au dela du blues 4

 


Le lendemain quelqu’un glissa un vinyle sous la porte de l’appartement d’Albert. Il le ramassa et remarqua qu’une lettre dépassait de la pochette. « Prêt pour le prochain voyage ? Joue les cinq enchainements en écoutant ce disque. Signé le parrain de Robert Johnson. » Il était déjà trop tard pour que notre ami espère rattraper son mystérieux bienfaiteur. L’album déposé sous sa porte n’était autre que East west , le second disque du Paul Butterfield blues band. Découragé par les critiques du vieux, Albert était passé à côté de cette œuvre détestée par les puristes. Il avait pourtant adoré le premier essai du groupe , œuvre fondatrice annonçant le renouveau du blues américain (pléonasme ?). Les journalistes n’ayant pas peur du pléonasme, ils baptisèrent le mouvement blues rock, cette dénomination ne désignant rien de moins qu’une résurrection du rock n roll après les bouses pop du gros Elvis.  

Albert posa donc « East west » sur la platine, prit le temps d’apprécier le riff de Walkin blues , avant de jouer ses cinq accords. Cette fois, il ne s’effondra pas, c’est le monde autour de lui qui parut se dissoudre. Les murs ondulaient comme les ventres de danseuses orientales, les formes semblaient fondre et se mélanger dans une danse hypnotique. Au bout de quelques minutes, notre ami ne put reconnaitre aucune forme familière, il avait l’impression d’entrer dans une nouvelle galaxie. Cette transe se termina brutalement, laissant notre ami perdu dans une salle de répétition. Face à lui, un guitariste le regardait avec inquiétude.

-           On a bien cru qu’on allait te perdre !

Tu as avalé une de ces nouvelles pilules qui font fureur ici en Californie et ça t’a fait un sacré effet. Après quelques secondes, tu t’es mis à répéter « boumboum boumboum boumboumboumboum »… Puis plus rien.  Tu es resté muet pendant dix bonnes minutes, les yeux éclatés comme ceux d’un poisson sorti de l’eau.

Albert regardait son interlocuteur avec fascination. Ces cernes creusées par l’insomnie, cette coiffure en brosse épaisse comme un nid de pigeon, ce ne pouvait être que Mike Bloomfield. Le guitariste lui raconta comment il l’avait récupéré en plein trip dans une rue de Califronie. « Au tout début, tu hurlais que le blues était mort à cause du LSD. » Voyant le sourire narquois qui se dessinait sur le visage d’Albert au moment où il lui rapportait ses propos, Mike se sentit obligé de justifier ses dernières expérimentations.  

-          Tu sais , je suis réellement né dans un quartier noir nommé Juvetown… A l’époque, tous les apprentis bluesmen d’Amérique allaient là-bas, c’était un lieu sacré. Je devais avoir seize ans quand j’ai commencé à jouer dans ces bars et encore aujourd’hui je pense que c’était mes meilleurs concerts… Loin de nous considérer comme une armée de blancs-becs venus les piller, les anciens du quartier nous ont accueillis comme une bénédiction. J’ai improvisé des nuits entières avec les musiciens d’Howlin Wolf , certains jouent d’ailleurs sur le  premier album du Paul Butterfield blues band…On était le meilleur groupe de blues de l’époque ! Et puis le LSD est arrivé, propagé à une vitesse folle par des types bizarres parcourant l’Amérique dans un van coloré. J’ai gobé mon premier LSD dans cette salle, j’avais apporté un enregistreur et ma guitare au cas où le trip m’inspirerait. »

Albert remarqua vite que Mike parlait comme il jouait, laissant résonner les passages les plus importants quelques secondes pour leur donner plus d’écho. Après s’être servi un verre de jack, le guitariste continua son récit.   

-          Le lendemain, je me suis réveillé sans me souvenir de ce que j’avais fait la veille. J’ai donc pris mon enregistreur pour écouter les bandes et l’intégralité de East west y était… »

-          Beaucoup de puristes te maudissent à cause de ce titre.

-          Mais ils auraient voulu quoi ? Tu sais que les premiers puristes du blues traitaient ceux qui jouaient de la guitare électrique de traitres ? Pour eux le blues devait rester une musique acoustique.

-          Un peu comme ce que Dylan subit depuis la sortie de Higway 61 revisited .

-          Et qui joue de la guitare sur ce disque ? Encore moi ! Je suis le diable qui éloigne toute les musiques traditionnelles de leurs saintes authenticités ! Et je vais te dire un truc sur tous les crétins qui crachent sur Dylan ou le menacent de mort, ils seront les premiers à retourner leur veste dans quelques années. Ces fous ignorent que le grand Bob admire autant les Stones et Elvis que Kerouac et Woody Guthrie , ils ont tellement de mépris pour le rock qu’ils refusent de reconnaître que Dylan est avant tout un rocker complexé.

-          Tu exagères un peu là.

-          Mais c’est lui qui me l’a avoué ! Il rêve d’avoir le charisme du King ou de Mick Jagger. Mais il ne l’a pas … Alors il fait autrement. Et c’est justement son génie. Dylan a greffé un cerveau au rock n roll et je suis fier qu’il l’ait fait devant mes riffs.

-          Je ne vois toujours pas en quoi ça justifie ton virage psychédélique.

-          Les Beatles et Dylan ont montré que toutes les parcelles du rock sont condamnées à évoluer. Regarde le vieux Muddy Waters , il enregistre sans cesse avec de jeunes gloires du rock moderne, je ne te donne pas 1 an pour qu’il sorte un album plus novateur que ceux de ses fils spirituels. Pour l’instant, il prend le pouls de l’époque, mais je suis sûr qu’il prépare un gros coup.  

-          Donc tu te réjouis de la mort du blues ?

-          Pas de sa mort mais de sa résurrection. Tout ce qui n’évolue pas disparaît.

A ce moment, des cris se firent entendre à travers la porte.

-          Tu m’excuseras, je vais défendre ma « trahison » face à un public moins sectaire.

Le public qui vit Bloomfield jouer ce soir-là fut composé de ce qui deviendra la crème du rock californien. Quicksilver messenger service , Jefferson airplane , Grateful dead , Big brother and the holding company , tous trouvèrent leur vocation lors de cette performance historique. Ce soir-là , l’évidence sauta aux yeux d’Albert. Le titre East west n’est pas un reniement de l’héritage blues, il en est le prolongement.

Au moment où il arriva à cette conclusion, les formes se brouillèrent de nouveau autour de lui. Quand ce nouveau trip fut passé, la chaine hifi de son appartement jouait la mélodie acide qu’il avait entendue quelques secondes plus tôt. Sur le mur, on pouvait lire une nouvelle citation : « Sans remise en cause de la norme le progrès est impossible. » Franck Zappa.