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mardi 1 juin 2021

BLISS BLOOD (INTERVIEW) : Deuxième partie



Pour ma première interview j'ai choisi de donner la parole à Bliss Blood, dont le parcours est à la fois étonnant et atypique. Artiste complète qui fut pendant environ 10 ans la chanteuse de Pain Teens, l'un des plus intéressants groupes de noise rock des années 80 et 90, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ici en chroniquant il y a quelques semaines l'excellent "Destroy me, lover".
Le groupe de Scott Ayers et Bliss Blood sortira finalement six albums entre 1988 et 1995.
Partie ensuite à New York, elle a bifurqué vers une toute autre voie, d'abord avec The Moonlighters, du jazz rétro très influencé par les années 20/30 et qu'elle qualifie volontiers de "swing hawaïen" et où elle joue également de l'ukulele, puis ensuite en duo avec le guitariste Al Steet davantage tourné vers le blues flamenco très intimiste.
Elle a également participé à d'autres projets, notamment avec le groupe Exit 13.
Au delà de l'intérêt musical des groupes auxquelles elle a participé, c'est son parcours et la diversité des styles musicaux abordés qui fascinent.
Un parcours insolite, plus que surprenant, que j'avais envie de partager et de faire découvrir à travers cette interview que Bliss Blood nous a accordée avec beaucoup de gentillesse et d'amitié et ainsi de revenir sur l'ensemble de sa carrière.
En espérant que Bliss Blood puisse rapidement s'investir dans de nouveaux projets musicaux...
Du Texas vers New York, du noise rock vers le jazz...
En route...



DEUXIEME PARTIE :

* Ensuite, tu es donc partie pour New York et tu t'es lancée dans le jazz. Comment as-tu eu cette passion pour ce style musical ? L'aimais tu déjà avant ? Où est-ce arrivé à ce moment-là ?

J'avais toujours aimé la musique des années 1920, et avant de déménager à New York, j'ai acquis une grande collection de jazz vocal des années 1920 et 30 grâce à mon travail, donc j'avais une importante discothèque dans laquelle puiser. J'ai appris le ukulélé pour pouvoir jouer en solo ici à New York, et très peu de temps après avoir commencé à jouer en live, j'ai rencontré Andrew Hall et Henry Bogdan qui ont formé les Moonlighters avec moi. J'ai également engagé ma colocataire Daria Klotz pour jouer du ukulélé et chanter. Le principal plaisir de ce projet pour moi a été d'apprendre à écrire de la musique dans ce style classique de Tin Pan Alley, et j'ai commencé à écrire plus de 30 chansons qui s'accordaient bien avec les anciens morceaux de reprise. Après qu'Henry et Daria soient partis, Mike Neer s'est joint à la steel guitar et Carla Murray à la guitare et au chant, nous avons donc eu une deuxième incarnation des Moonlighters, et je pense que c'était la programmation classique, parce que Mike et moi avons collaboré et écrit de très bonnes chansons. Nous avons joué à des mariages pendant environ 10 ans, et c'était une excellente façon de gagner sa vie tout en prenant beaucoup de plaisir.


* C'est un cheminement étonnant, une évolution surprenante mais d'une grande originalité. Venant du noise rock expérimental et ensuite jouer du jazz ? Était-ce une idée que tu avais déjà en tête ?

Eh bien, j'incorporais déjà des idées de jazz sur "Beast of Dreams" et même plus tôt avec une reprise de "You're Blase" de Peggy Lee. New York est la ville du jazz, du moins l'était à l'époque. J'avais comme rêve d'être une chanteuse genre Billie Holiday, mais les choses ne se sont pas vraiment déroulées de cette façon. Ensuite je suis un peu revenue à cette idée avec la musique que j'ai jouée avec Al Street, mais je suppose que j'ai aussi également du rock and roll dans mes veines.


* Concernant les Moonlighters c'est du jazz mais assez rétro, très 20/30 avec des influences de la musique folk traditionnelle hawaïenne aussi ? Et c'est principalement basé sur des guitares ? Mais toi comment définirais-tu le style musical des Moonlighters ? (3)

Nous l'avons appelé "Hawaiian Swing". J'aimais le swing, et Henry aimait la musique de "steel guitar" hawaïenne, alors nous l'avons fusionnée dans une version moderne de musiciens hawaïens classiques comme Sol Ho'opii et Andy Iona. À l'époque, beaucoup de gens s'intéressaient au jazz à cause d'une série PBS de Ken Burns intitulée Jazz qui a été diffusée chaque semaine pendant plusieurs mois et qui a instruit le public sur le jazz, afin que les gens soient davantage prêts pour notre vision du jazz.


* Avec les Moonlighters, tu composes la musique en plus des paroles ?

Oui, parfois j'écrivais la musique et les paroles et parfois je collaborais sur une composition d'un autre membre du groupe en ajoutant des paroles.


* Y a-t-il eu une évolution des textes et des thèmes abordés entre Pain Teens et les groupes suivants ?

Il y a une mélancolie chez les Moonlighters qui, je suppose, n'est qu'une partie essentielle de ma personnalité.
(...) Le morceau "Blue and Black-Eyed" qui figure sur le premier CD des Moonlighters raconte l'histoire d'une prostituée du vieux New York qui se suicide. Si tu écoutes les paroles, tu verras un fil de blues qui passe par là, ce qui, je pense, est une expression américaine de l'inégalité fondamentale de la vie ici.


* Tu joues du ukulélé, un instrument relativement inconnu ? Comment as-tu eu ta passion pour cet instrument de musique ? (4)

Ce n'est pas du tout inconnu ! Ici, c'est énorme et continue d'être "redécouvert" tous les deux ans environ. Mon père jouait du ukulélé quand j'étais enfant et j'aurais aimé qu'il m'ait appris à ce moment-là. J'ai dû le reprendre après des années d'apprentissage sans succès à la guitare, avec l'idée de la facilité de jeu, et c'était populaire dans les années 1920, lorsque la musique dans laquelle j'évoluais a été diffusée pour la première fois auprès du public blanc et est devenue courante après avoir été une partie importante de la culture des noirs américains depuis des décennies, du ragtime jusqu'au blues.




* Ensuite, tu as formé un duo avec le guitariste Al Street pour des albums blues folk plus intimistes avec toujours un petit côté jazzy. J'ai même ressenti quelques passages reggae et surtout flamenco avec bien sûr une guitare avec beaucoup d'influences "hispaniques" ?

Al Street est un guitariste très polyvalent et qui adorait les défis stylistiques. C'est un grand fan de guitare espagnole et en particulier de Paco de Lucia (...). Nous avons aussi fait des choses se rapprochant du style psychédélique de Syd Barrett mais également des musiques de films noirs français, du reggae, du flamenco, ainsi que de la musique traditionnelle de l'ancien Punjab indien.


* En tout cas Unspun et Evanescent sont de magnifiques albums ...

Merci beaucoup.


* Tu sembles particulièrement à l'aise et épanouie dans ce format : voix / guitare ?

J'aime la liberté de rester simple et de pouvoir travailler simplement avec une autre personne. Mozart a appelé la guitare "The Little Orchestra" et elle est vraiment polyvalente.



* Y a-t-il un fil conducteur entre les trois projets ou est-ce arrivé naturellement ?

Moi, je suppose !


* Un mot sur le public : celui des Moonlighters et ton duo avec Al Street doit être très différent de celui de Pain Teens. Cela ne t'as t-il pas fait une impression étrange de passer du public rock au jazz / blues ?

Je pense que les gens du jazz à New York ont ​​été très rebutés par mon nom de scène : Bliss Blood (5). Ils ont trouvé ça dégueulasse, je pense. Dommage. En ce qui concerne le public, le public de Pain Teens est à des années lumières de moi maintenant. Mais certains d'entre eux aiment néanmoins la musique que j'ai jouée ensuite, car au départ il faut déjà être assez ouvert d'esprit musicalement pour apprécier les Pain Teens !


* New York est l'une des villes les plus créatives et les plus musicales, est-ce la ville idéale pour un musicien ?

C'est en fait assez terrible. Il n'y a pas de radio qui diffuse de la musique d'artistes locaux. Pas beaucoup de promotion ou d'avis dans la presse écrite locale. Puis tout a changé avec internet et nous sommes vraiment tombés chacun dans un petit trou noir individuel bien obscur. Ces dernières années, je ne faisais que de petits concerts dans des restaurants et je faisais des travaux annexes comme vendre des disques au marché aux puces et donner des cours de ukulélé pour couvrir les factures.
Il y a 30 000 musiciens à New York, donc la concurrence est écrasante, et pourtant la plupart des gens ne s'intéressent qu'à la musique grand public. Personne ne s'intéresse au blues, c'est comme la peinture rupestre pour eux ou quelque chose comme ça. J'ai réalisé que je suis une artiste de niche, et comme je suis plus âgée maintenant personne n'est vraiment très intéressé, du moins en ce moment.



* Lorsque tu as commencé Pain Teens, il y avait peu de filles dans les groupes. As-tu été confrontée au sexisme et au machisme ? Et dans le jazz et le blues, est-ce différent ? Encore une fois j'ai l'impression qu'il y a peu de femmes, ou est-ce que ça évolue comme dans le rock où l'on voit de plus en plus de filles ?

Être une femme sur la scène musicale est toujours un défi. Il y a toujours du sexisme. J'aimais être féministe et me défendre, être la personne qui va réclamer l'argent au propriétaire du club. C'est la même chose dans tous les genres, rock, jazz, blues, probablement aussi dans la musique classique, reggae, rap, peu importe. Mais il semble que les gens commencent à être plus inclusifs ces temps-ci, en particulier les jeunes qui acceptent tout le monde comme étant leur égal. C'est encourageant, et puis nous devons remercier tous nos prédécesseurs, pères et sœurs, sur les épaules desquels nous nous tenons et nous nous dressons aujourd'hui, car ils nous ont tous défendus et ont aidé à changer la mentalité chauvine.


* As-tu suivi l'évolution du mouvement Riot Grrls au début des années 90 et qu'en as-tu pensé ?

Nous avons été présentés aux Riot Grrrls lorsque nous avons joué à Olympia dans l'Etat du Washington, (ville dont est originaire Bikini Kill les pionnières du mouvement) en 1992 avec Bikini Kill à l'affiche. Nous avons ainsi rencontré Kathleen Hanna (la chanteuse), qui était une "dure à cuire". Nous leur avons suggéré de changer l'ordre de passage avec nous, et nous avons donc ouvert pour eux, car nous pensions que la plupart des gens du public seraient là pour les voir eux (...). Nous avions raison, mais Bikini Kill pouvait à peine jouer une chanson sans être obligé de s'arrêter. C'était leur tout début et le groupe manquait encore de confiance. Ensuite le groupe s'est amélioré et le mouvement Riot Grrrls a commencé ! Je n'ai jamais vraiment acheté des disques de ce genre de musique mais j'étais en quelque sorte une sœur aînée pour cette scène. Je suis heureuse qu'elles se battent pour le bon combat, mais j'étais un peu au-delà de cette musique punk primitive à ce moment-là. Au fil du temps, je les ai suivis dans les médias, même si j'étais dans la scène jazz ici. Mais toujours fière des féministes du monde entier !



* Que fais-tu musicalement maintenant, parce que je pense que ton duo avec Al Street est terminé ?

Rien. Peut-être un jour...


* Donc pas de projets en cours ?

Non, même si j'adorerais faire une revue rétrospective à la Tom Waits de ma musique un jour, si c'était possible. J'adorerais avoir un ensemble original qui puisse reconstruire de manière cool la musique de l'ensemble des différentes parties de ma carrière.


* Comment vis-tu cette période de Covid, sans concert, pas facile pour un musicien ?

Heureusement, j'étais en grève des loyers contre mon propriétaire depuis plusieurs années avant le COVID, alors j'avais de l'argent à la banque. Sinon, je ne sais pas ce que j'aurais fait. Maintenant, je vends des disques au marché aux puces le week-end, et je vends des disques en ligne sur Discogs.



* J'ai vu qu'avec The Moonlighters vous aviez joué plusieurs fois en Allemagne ? As-tu déjà joué en France avec l'un de tes groupes ?

Nous avons fait quatre tournées en Allemagne, nous avions à Tübingen un agent qui s'occupait des réservations pour les tournées et qui était très gentil avec nous. Nous avons fait des spectacles énormes, mais surtout dans de petits clubs folkloriques et des restaurants dans le sud et le centre de l'Allemagne. Je dois dire que nous avons adoré Munich, le meilleur endroit, les gens y ont fait un "mosh pit" pour les Moonlighters !




* Es-tu toujours en contact avec des groupes de la scène noise rock, suis-tu toujours leur activité ou as-tu rompu les liens ?

Nous sommes toujours en contact grâce à Facebook. Des gens que je n'aurais jamais pensé revoir ou que je connaissais à peine sont maintenant en contact. C'est amusant, et je suis heureuse que cela existe pour tout le monde, malgré le côté négatif des réseaux sociaux.


* Veux-tu dire un mot sur la situation politique aux USA ?

Espérons que ça s'améliore. Nous devons cesser de gaspiller nos deniers publics dans le complexe militaro-industriel et le réinvestir pour faire de notre pays un meilleur endroit où vivre, et aider les habitants des pays du Sud à avoir une vie meilleure. Supprimons le financement des combustibles fossiles et de la police !


* As-tu quelque chose à ajouter ? Ou une question que j'aurais peut-être oubliée ?

Je voudrais juste vous dire merci beaucoup pour l'intérêt que vous portez à ma carrière. C'est passé bien trop vite! Mais je suis reconnaissante envers toutes les personnes sympas que j'ai pu rencontrer, divertir, et pour tous les bons moments sympas que j'ai pu avoir, et je souhaite qu'il en soit de même pour vous.


(3) du jazz plutôt joyeux alors que Pain Teens évoluait dans un style plus sombre
(4) j'avoue que je me suis trompé de mot dans ma question, je voulais plutôt dire méconnu, peu utilisé y compris dans le jazz...tant pis !
(5) On peut traduire Bliss Blood par "sang de béatitude"


Vous pouvez retrouver Bliss Blood sur Bandcamp :

Interview réalisée par mail en avril et mai 2021. 
Merci à JeHanne pour le coup de main pour les problèmes de traduction et la relecture


lundi 24 mai 2021

BLISS BLOOD (Interview) : première partie



Pour ma première interview j'ai choisi de donner la parole à Bliss Blood, dont le parcours est à la fois étonnant et atypique. Artiste complète qui fut pendant environ 10 ans la chanteuse de Pain Teens, l'un des plus intéressants groupes de noise rock des années 80 et 90, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ici en chroniquant il y a quelques semaines l'excellent "Destroy me, lover".
Le groupe de Scott Ayers et Bliss Blood sortira finalement six albums entre 1988 et 1995.
Partie ensuite à New York, elle a bifurqué vers une toute autre voie, d'abord avec The Moonlighters, du jazz rétro très influencé par les années 20/30 et qu'elle qualifie volontiers de "swing hawaïen" et où elle joue également de l'ukulele, puis ensuite en duo avec le guitariste Al Steet davantage tourné vers le blues flamenco très intimiste.
Elle a également participé à d'autres projets, notamment avec le groupe Exit 13.
Au delà de l'intérêt musical des groupes auxquelles elle a participé, c'est son parcours et la diversité des styles musicaux abordés qui fascinent.
Un parcours insolite, plus que surprenant, que j'avais envie de partager et de faire découvrir à travers cette interview que Bliss Blood nous a accordé avec beaucoup de gentillesse et d'amitié et ainsi de revenir sur sa l'ensemble de sa carrière. 
En espérant que Bliss Blood puisse rapidement s'investir dans de nouveaux projets musicaux... 
Du Texas vers New York, du noise rock vers le jazz...
En route...


PREMIERE PARTIE :


* Peux-tu nous parler de ton parcours et de tes activités avant Pain Teens ?

J'ai grandi dans la plus grande ville du Nebraska, Omaha, une ville de 500 000 habitants à l'époque. Tu sais mes parents étaient ce qu'on peut appeler des travailleurs complaisants, typiques de la communauté chrétienne du Midwest des années 50. Vers l'âge de 13 ans, j'ai commencé à me rebeller et j'ai refusé d'aller à l'église. Quand j'avais 17 ans, nous avons déménagé à Houston, au Texas, au cours de ma dernière année de lycée. Mes amis du Nebraska m'ont manqué et j'ai été déçue. Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai déménagé pour aller dans la maison d'un copain pendant environ un an, puis j'ai obtenu mon propre appartement. J'ai eu une série d'emplois horribles avant d'aller à l'université pendant deux ans, puis j'ai été obligée d'abandonner parce que mes parents refusaient de contribuer à mes études. J'ai eu plusieurs boulots d'employée de bureau plus terribles les uns que les autres, puis j'ai quitté ce monde et j'ai commencé à travailler dans un magasin de disques et à faire de la musique avec Pain Teens.


* A cette époque, quels étaient tes goûts musicaux, tes chanteurs/chanteuses préférés ?

J'aimais la musique New Wave comme Siouxsie and the Banshees, Nina Hagen, The Cure et des trucs plus étranges comme The Birthday Party, Throbbing Gristle, D.A.F., Einsturzende Neubauten. J'aimais aussi Bessie Smith et Janis Joplin, les débuts du jazz et du blues des années 1920.


* Comment s'est créé Pain Teens ?

Scott Ayers était un de mes amis de classe d'anthropologie à l'Université de Houston. Je suis allée écouter son groupe Alien Labor jouer sur le campus, et il m'a fait écouter un enregistrement de musique expérimentale sur un petit magnétophone. Cela m'a rappelé 'My Life In the Bush of Ghosts' d'Eno et David Byrne. Nous ne nous sommes pas vus pendant quelques années après la fin de cette année scolaire. A l'époque j'écrivais des critiques pour un magazine de musique local gratuit et j'entendais son autre groupe Naked Amerika à la radio universitaire. Je suis donc allée écouter sa formation (..) et aussi raviver notre amitié. Il s'est avéré qu'aucun de ses autres membres du groupe n'était vraiment intéressé par sa musique expérimentale, alors j'ai décidé de rejoindre les Pain Teens. Il avait donc enregistré pas mal de choses pendant plusieurs années avant que je ne rejoigne le groupe, et beaucoup de ces premiers enregistrements ont ensuite été publiés sur nos démos ou repris en tant que nouvelles compositions de Pain Teens. Des chansons comme Symptoms, Shock Treatment, qui ont fait partie des albums Born in Blood et Case Histories, ont été extraites de ces premiers enregistrements.



* Le groupe s'est formé au Texas. Vu de France c'est un état qui n'est pas particulièrement réputé pour ses groupes de rock comparé à la Californie, New York, Detroit ou Seattle ? Qu'en est-il réellement ? (1)

À l'époque, il y avait quelques groupes célèbres du Texas des années 1960, comme Red Krayola, The 13th Floor Elevators, et puis une ère nouvelle avec des groupes punks comme The Dicks, les Big Boys, M.D.C, puis la vague suivante était emmenée par The Butthole Surfers. Les Surfers étaient les plus fameux et les plus connus quand sommes arrivés. Ils ont été à l'origine d'une nouvelle scène punk rock psychédélique qui était unique au Texas à l'époque, de nombreux groupes comme Ed Hall (qui a commencé à San Francisco et a déménagé à Austin), Crust, Lithium Xmas, Non-Dairy Creamers, Drain, Cherubs, Evil Mother, Angkor Wat, John Boy, ont été engendrés par eux. Houston avait beaucoup de grands groupes comme Culturcide, The Party Owls, Keel Haul, Sugar Shack, Dead Horse, Ms.Carriage and the Casual Tease, The Introverts, Really Red, Grindin' Teeth, Rusted Shut, The Mike Gunn, Bayou Pigs, Turmoil in the Toybox, Sprawl, au moment où nous construisions cette scène à la fin des années 1980 et au début des années 1990.
Les scènes de Californie, de New York et du Royaume-Uni étaient les plus influentes, quelques groupes comme les Stooges et MC5 de Detroit, mais Seattle n'était pas vraiment sur la carte jusqu'aux années où Pain Teens a commencé à se produire. Je suppose que quelques groupes comme Melvins avaient commencé à "explorer" et "défricher" le coin, mais personne ne s'en souciait vraiment jusqu'à ce que Sub Pop et K records commencent à sortir des trucs.


* Au début les premiers albums sont plutôt du noise rock expérimental ?

C'était un projet de studio que Scott a réalisé en solo pendant plusieurs années avec une bande 4 pistes et des cassettes. Il a tout joué, fait les overdubs et mixé. C'était intentionnellement très primitif et biaisé, afin de pouvoir provoquer et déranger quelques pans de la société ; et pour pouvoir ainsi se moquer de toute l'hypocrisie.
Quand je me suis jointe au groupe, nous avons fait plus d'enregistrements expérimentaux (Count Magnus, Innsmouth) qui ont été inspirés par mes auteurs d'horreur préférés du début du XXe siècle, H.P. Lovecraft et M.R. James. Scott est vraiment entré dans Lovecraft et a fait un tas de morceaux inspirés de ses histoires : Brown Jenkin, Mindless Piping, etc.
Au fil du temps, parce que je suis avant tout une chanteuse, nous avons commencé à ajouter des pistes vocales, puis le moment est venu de jouer en live. Pour notre première représentation, nous avons joué avec des bandes d'accompagnement. Scott portait un masque d'Halloween Michael Meyers et je portais un voile noir sur mon visage. C'était dans un espace artistique, donc c'était le premier concert parfait. Perry Webb et Dan Workman de Culturcide étaient les têtes d'affiche, Dan jouait de la guitare solo tandis que Perry dessinait d'énormes figures symétriques en utilisant les deux mains (...). C'était un super premier concert.
Mais ensuite, nous voulions jouer au club punk rock, The Axiom, nous avons donc dû composer une musique plus adaptée à cet environnement. Nous avons invité les amis de Scott, Bart Enoch et David Parker à jouer de la batterie et Steve Cook à jouer de la basse. Plus tard, nous avons remplacé Steve par Kirk Carr et avons également ajouté Ralf Armin de Ms. Carriage à la guitare pendant environ un an.


* Vous avez enregistré "Death Row Eyes", un single, sur Sub Pop. Que retiens-tu de cette expérience sur un label important (celui de Nirvana notamment) de l'époque ?

C'était un enregistrement inutilisé d'une chanson que nous jouions en live. Sub Pop faisait un "Singles Club", où vous vous abonniez et obteniez un single 7'' différent chaque mois. C'était vraiment cool d'être inclus là-dedans, je suppose parce que nous avions joué à Seattle et que les gens là-bas savaient qui nous étions. Le meilleur aspect de tout ça fût de collaborer avec l'artiste pop anglais bizarre Edwin Pouncey, mieux connu sous le nom de Savage Pencil. Il était extrêmement cool et est venu nous voir lorsque nous avons joué à Londres en 1991. Comme Steven Severin de Siouxsie and the Banshees, et John Peel, qui nous avait déjà envoyé une carte postale de fan quand il a reçu l'album Case Histories via le réseau de distribution radio Rockpool, qui à l'époque envoyait des albums aux stations de radio des États-Unis et à la BBC, une aide considérable dans la promotion de notre musique.
Je ne me souviens pas vraiment de Sub Pop, je pense qu'ils nous ont payé une somme forfaitaire et environ 50 exemplaires du disque. Je ne sais pas combien de singles ont été pressés au total, mais c'était plutôt chouette.




* J'ai découvert Pain Teens dans les années 90 avec "Destroy Me, Lover", le cinquième album vraiment différent, plus "classique", un peu plus pop rock. C'est mon préféré. Cette évolution a été faite délibérément ou est-ce une évolution logique ?

Je pense qu'une partie de ce résultat est dû à la musique différente que j'ai assimilée en travaillant dans un magasin de disques pendant de nombreuses années. J'ai fait les samples sur le morceau 'Dominant Man' à partir d'un disque de jazz avec un nouveau clavier d'échantillonnage cool que Scott avait acheté. Nous aimions toutes sortes de musique et nous mélangions tout ensemble pour voir jusqu'où nous pouvions aller tout en restant bizarre. Scott a aimé cette émission de télévision "Get A Life" qui avait une chanson thème de R.E.M et il a fait RU-486 et m'a demandé de lui donner un titre et de chanter dessus. Je n'aimais vraiment pas R.E.M à l'époque, j'ai fait les paroles sur la pilule abortive et j'ai essayé de la rendre aussi féministe et subversive que possible. C'était donc en quelque sorte notre processus - rendre les choses aussi extrêmes que possible, dans n'importe quel style.


* Raconte nous l'histoire de "Story of Isaac", cette reprise incroyable, sublime et inattendue d'une chanson folk de Leonard Cohen ?

Un ami m'avait envoyé cette chanson sur une bande de mix des années auparavant. J'ai vraiment aimé l'aspect anti-chrétien et anti-maltraitance des enfants des paroles. Scott a ajouté la guitare et les effets sonores. Cela fonctionnait vraiment bien, et ma voix ressemblait beaucoup plus à celle d'un enfant qu'à celle de Leonard Cohen !


* Sur le dernier album "Beast of Dreams" il y a de nouveaux sons, des influences orientales, une nouvelle évolution, une sorte de mélange des premiers albums et de "Destroy me, lover" ?

J'étais vraiment dans le jazz à ce moment-là et j'avais même joué un concert de jazz avec un pianiste ami à moi. Je commençais à m'intéresser à la musique de films, comme Invitation. Si vous écoutez attentivement, vous pouvez entendre que Scott et moi sommes en quelque sorte séparés l'un de l'autre au niveau de l'enregistrement. Ses "bidouillages" noise ne m'incluent pas vraiment, et ma voix devient de plus en plus belle, plus celle d'une chanteuse, plus inspirée par toute la musique du monde que j'avais écoutée et collectionnée, et aussi de plus en plus obsédante. Je pense que c'était un beau final pour tous nos enregistrements musicaux.




* Pourquoi le groupe s'est-il arrêté après « Beast of dreams» ?

J'ai déménagé à New York un mois après la sortie de l'album, et personne ne s'attendait plus à ce que nous revenions en tournée ou que nous fassions de nouveaux disques. Nous étions arrivés en quelque sorte au terme de notre parcours.


* Que gardes-tu en priorité de ces 10 années d'expérience avec Pain Teens ?

C'était vraiment très amusant, j'ai appris les techniques d'enregistrement, j'ai pu voyager aux États-Unis lors de quatre tournées et faire un court voyage en Europe, (ce que j'ai aussi fait avec The Moonlighters plus tard, en tournée en Allemagne quatre fois). J'ai rejoint Scott parce qu'il était déjà établi et avait une esthétique similaire, ce qui est difficile à trouver, et je voulais être chanteuse. Je me suis bien amusée mais je travaillais dur, et travailler au magasin de disques en même temps m'a permis de participer à la construction d'une scène musicale pour notre communauté artistique à Houston, ce qui était extrêmement difficile car la ville est si étendue et avait très peu de médias publics à l'époque. Il y avait deux stations de radio, KPFT et KTRU, qui diffusaient de la musique locale et de la musique expérimentale, et quelques magazines hebdomadaires gratuits qui mentionnaient la musique locale, mais le grand public ne savait pas fondamentalement que la scène musicale underground à Houston existait même pour l'essentiel. Quelques groupes comme King's X avaient percé, mais le reste d'entre nous jouions principalement pour nos amis, c'était très underground.

                 avec Brutal Truth et Boredoms


* A cette époque, de nombreux groupes alternatifs / indépendants signaient sur de grands labels. Qu'est-ce que tu penses ? Et avez-vous été sollicités ?

Ce que les grands labels ont fait, c'est de détruire tous ces groupes alterntifs qui étaient énormes à notre époque, ou du moins d'essayer de les détruire, parce qu'ils étaient en concurrence avec ceux signés par les grands labels. Quelques-uns comme Nirvana et Pearl Jam sont devenus énormes, mais finalement la plupart d'entre eux se sont effondrés beaucoup plus tôt qu'ils ne l'auraient probablement fait. Des groupes comme Melvins ont survécu, mais Jesus Lizard, Babes In Toyland, Foetus, Godflesh, Helmet...ont juste été utilisés comme simple premières parties pour des groupes qui auraient dû ouvrir pour eux. Les majors ont ainsi réussi à détruire et à écraser les groupes alternatifs et la scène musicale indépendante que nous avions créée à l'époque où Pain Teens s'est séparé (...).


* Les textes et les pochettes participent volontiers à l'image de Pain Teens : pour les textes j'ai l'impression que les thèmes abordés sont une sorte de psychanalyse de la société et des gens comme si vous exploriez en auscultant le côté obscur caché des individus et de la société ? Une sorte d'exorcisme ? Un peu de provocation aussi ?

Oui, tu as tout à fait raison. Nous avons trouvé de la fascination dans la folie et avons essayé de découvrir les origines du côté obscur de notre culture. Pour moi, j'ai trouvé que c'est un cycle dans lequel les gens sont maltraités et le perpétuent ensuite sur les jeunes une fois qu'ils ont le pouvoir. C'est un héritage horrible de l'esclavage, de la misogynie et de tous les autres maux de l'Europe coloniale et de la religion, nous l'avons donc biaisé de toutes les manières possibles et avons essayé d'humaniser les victimes. Je recommande vivement le documentaire "Annihilate all the Brutes" de Raoul Peck si ce sujet vous intéresse davantage.



* Question classique : peux-tu nous raconter un bon souvenir ou une anecdote de concerts ou de tournées (Vous avez notamment joué avec Neurosis, Brutal Truth) ?

Mon moment préféré de nos différentes tournées a été lorsque Pain Teens a joué au Festival Tegen Tonen à Amsterdam, en février 1991. Quand nous sommes arrivés, j'ai découvert à ma grande joie que mon groupe préféré, Terminal Cheesecake, de Londres, figurait également à l'affiche! J'ai pu voir leur concert et aussi être la seule personne à écouter leur soundcheck. Ils ont joué au Paradiso et à la vieille église, dans la salle du choeur à l'étage. J'aurais aimé que Pain Teens puisse jouer là-bas, car nous avons joué dans la salle principale et c'était beaucoup trop grand (...). Terminal Cheesecake avait l'air incroyable, et ils étaient modestes et humbles. Je leur ai dit plus tard qu'ils avaient donné des coups de pied au cul, et ils ont répondu: "Non, nous sommes britanniques, nous ne pouvons pas botter le cul !!."


* Qu'as-tu fait entre Pain Teens et les Moonlighters?. Je sais que tu as enregistré un morceau (2) avec Melvins ? Comment as-tu rencontré ce groupe culte ?

Jim Thirlwell du groupe Foetus m'a dit qu'il était invité par les Melvins pour chanter sur un titre de leur album et que chaque morceau aurait un chanteur différent, tous en tant qu'invité. Je lui ai dit de leur demander si je pouvais participer, et à ma grande surprise, Buzzo (le chanteur/guitariste des Melvins) m'a appelée et on est devenu copains. Ensuite, ils m'ont envoyé un délire de 9 minutes ! Mais je pense que je me suis plutôt bien débrouillée avec ça au niveau du chant et que cela s'accordait avec l'ambiance à la fois sombre et amusante qui colle aux Melvins.

(A SUIVRE)

(1) Evidemment il y a aussi quelques groupes/artistes plus connus issus du Texas tels ZZ Top, Pantera, Janis Joplin voire At the drive in ou Dirty Rotten Imbeciles
(2) morceau " The Man With the Laughing Hand Is Dead" sur l'album "The crybaby"

Vous pouvez retrouver Bliss Blood sur Bandcamp :
https://blissblood.bandcamp.com/

Interview réalisée par mail en avril et mai 2021
Merci à JeHanne pour le coup de main concernant les "problèmes" de traduction et la relecture.