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jeudi 7 novembre 2019

Robert Wyatt Different every time : epilogue

Déjà mis à l’écart sur third , Robert Wyatt est presque ignoré sur fourth , comme si ses collègues le prenait désormais pour un simple exécutant. Aussi déçu par la direction de plus en plus élitiste que prend son groupe, que blessé dans son orgueil par cette mise à l’écart, Wyatt claque la porte en 1971. Il entame ensuite une période de dépression, et ne doit l’échec de sa tentative de suicide qu’à la bienveillance de voisins vigilants.
Matching Mole


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La blessure liée à sa mise à l’écart ne guérira jamais totalement, mais elle cicatrise suffisamment pour lui permettre de reprendre les concerts. Il effectue donc quelques performance en solo, accompagné de musiciens locaux, avant de rejoindre son vieil ami David Aellen pour renforcer temporairement le vaisseau gong. Progressivement, la muse revient le visiter, le poussant à chercher de nouveaux musiciens, pour donner vie à des idées qu’il n’aurait jamais pu construire avec soft machine.

La formation est annoncée en même temps que son nom : Matching molle , qui montre que Wyatt n’a toujours pas fait le deuil de son ancien groupe. Robert Wyatt, David Sinclair, Bill Mccornik et Phil Myer commence donc à jamer sur « moon in june » et « beware of darkness » de George Harrison. Si ces titres montrent bien l’attachement à la pop du batteur , les improvisations emmènent progressivement le groupe vers des sentiers moins balisés, et représentent les premières notes de sa seconde vie artistique.


De ses instrumentaux naissent rapidement un matériel hétéroclite , montrant les hésitations d’un Wyatt écartelé entre son amour de la pop et ses ambitions expérimentales. L’homme le résumera très bien en affirmant que, parfois, il se met à chanter de petites ritournelles pop au piano, et commence à penser qu’il s’agit de sa véritable vocation. Puis il reprend la batterie, et retrouve son gout pour les rythmiques alambiquées, les structures atypiques , et devient l’homme qui interdit à David Sinclair de renouer avec les chemins balisés par caravan.

Si son talent d’architecte fait de « matching mole » un grand disque , il montre encore une formation en rodage, suivant les hésitations de son leader sans réellement savoir où il s’embarque. Sur les titres les plus pop, la voix de Wyatt prend trop de place, et réduit ses collègues au rang de groupe d’accompagnement.

L’instrumental « instant pusssy » semble flirter avec l’élitisme virtuose que Wyatt a fui chez soft machine. Puis vient « part of the dance » , où les musiciens parviennent enfin à faire copuler l’agressivité électronique de « volume two » , la liberté portée par ce jazz qui reste tout de même la véritable inspiration de Wyatt , et l’efficacité d’un groupe de pop virtuose . Le batteur résumera ce son par la formule « concerto pour groupe , et on a pas encore trouvé meilleure formule pour qualifier cette musique expérimentale, aux apparences parfois décousues, mais dont le charme ne cesse de se dévoiler à chaque écoute.

Alors que soft machine développe une musique de plus en plus « classique », gommant progressivement toute trace d’expérimentation, dans l’espoir d’atteindre le niveau des grands virtuoses jazz, matching molle devient rapidement le nouveau tôlier de la scène Canterburienne. Le groupe commence à se souder lors de sa première tournée de 1972, ses concerts rodant une machine qui s’apprête à sortir son chef d’œuvre en novembre 1972.

Little red record


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Si les traumatismes de Robert Wyatt ont engendré les défauts du premier disque, ils guideront aussi le processus qui mènera à la naissance de ce little red record. Ayant besoin de se rassurer sur ses capacités de musicien, Wyatt a dirigé les séances du premier album de la façon la plus autoritaire, à tel point que le groupe hésitait à poser son nom sur un album qu’il n’a pas composé. Conscient de cet excès d’autoritarisme, le luttin batteur ne veut pas reproduire sur ses collègues ce qu’il a subit à la fin de soft machine. Il se place donc en retrait, laissant ses collègues composer la quasi-totalité du nouvel album, afin de prouver que matching molle est désormais un groupe solide et soudé.

De cette manière, il obtient une œuvre plus homogène, et plus concise. Les taupes n’ont pas perdu leurs capacités à expérimenter, et continuent de nourrir leurs expérimentations de sonorités résolument jazz rock, mais elles le font à travers une musique plus travaillée.

La voix répond enfin aux instrumentaux sans les masquer, ce sera la seule fois où celle-ci trouve une telle harmonie avec les musiciens qui l’accompagne. Pourtant, ce qui fera grand bruit à la sortie de l’album , c’est cette pochette singeant les affiches de propagande communiste , et les propos d’un Wyatt qui préfére : « être envahi par les chinois plutôt que de se voir imposer l’Europe ».

Dans ses textes, les pro communistes verront un manifeste en faveur de leur idéologie, alors que les anti communistes se délecteront de ces exagérations perçues comme une parodie de la nouvelle religion fondée par Marx.

Ces visions opposées auront au moins le mérite de prouver que la musique est bien plus sérieuse que la politique. Wyatt prenant soin de noyer ses déclarations dans une cacophonie de voix burlesques, comme si il se moquait de ses propres convictions.

Résultat, on retiendra surtout que, alors que son ancien groupe est en pleine déchéance , Wyatt a su rester au sommet de son art . Trop peu cité , son petit album rouge fait clairement partie des disques qui définissent cette époque où le jazz et l’expérimentation avaient aussi un potentiel commercial.

Little red record n’est pas encore sorti lorsque , lassé par le manque de succès et les difficultés financières , Robert Wyatt décide brutalement de mettre fin à matching molle. Ses collègues sont abasourdis, d’autant que les derniers concerts du groupe avait obtenu l’éloge de la critique, et que le succès semblait enfin à portée.

Wyatt , lui , voit plutôt dans ces chroniques la preuve de fidélité de journalistes qui l’ont toujours soutenu. La raison de cette fin brutale est toutefois plus profonde, et vient directement du processus plus démocratique qui a mené à la création de little red record.

Si ce processus a permis à la formation de s’affirmer en tant que groupe, elle a largement frustré son leader, qui avait de nouveau l’impression de ne pas pouvoir réaliser ses ambitions artistiques. Le batteur veut désormais être reconnu en tant que chanteur, et affine sa voix en participant à divers concerts d’Hatfield and the north et Kevin Ayer.

Après ces performances , il accompagne sa compagne Alfie à Venise , où elle travaille sur la réalisation d’un film. C’est là-bas qu’il écrit les premières paroles d’un disque qui prendra réellement forme après son accident.

La scène se passe lors de la soirée de promotion de flying teapot , le dernier album de gong. Après avoir noyé ses névroses dans l’alcool et différentes substances , Wyatt s’enferme dans la salle de bain en galante compagnie. Lorsqu’il est sur le point d’être surpris, le lutin barbu a la mauvaise idée de tenter de s’enfuir en descendant par la gouttière, qui cède rapidement. Résultat, une chute de quatre étages à laquelle il ne survit que grâce à la décontraction liée à son état d’ébriété.

Devenue paraplégique, il parvient à se soigner grâce à l’aide financière de divers artistes , avant qu’un Dave Mason en pleine gloire Floydienne ne lui propose ses services pour l’enregistrement de son prochain disque solo. Averti du projet, Mick Oldfield se joint rapidement à l’achèvement d’une grande œuvre que l’artiste avait démarré avant son accident.


Rock Bottom

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Chaque époque exprime le génie humain d’une façon différente, la renaissance le fit dans l’architecture et la peinture, Leonard de Vinci et Michel Ange étant le symbole de l’âge d’or de l’occident. Les années 50 le feront via le cinéma, l’âge d’or d’hollywood nourrissant les rêves de millions de jeunes se prenant pour John Wayne et Henry Fonda. Les années 60-70 , elles, marqueront l’âge d’or de la musique , sergent pepper , pet sounds et rock bottom s’affirmant comme les descendants de l’œuvre sublimant le plafond de la chapelle Sixtine.

L’Angleterre est donc devenue la nouvelle Italie, le rock un nouvel art majeur. « Pour comprendre un peuple il faut écouter sa musique » , comme le disait si bien Platon , des années avant que la paix ne permette aux musiciens de s’épanouir. Vous vous demandez sans doute pourquoi je commence cette chronique par une introduction que certain pourrait trouver trop pompeuse.

Et bien tout simplement parce que, à force de chercher à transcender le rock , les musiciens progressifs réussissent parfois à produire une œuvre qui dépasse ce simple qualificatif, et c’est largement le cas ici. La force de rock botom, c’est d’abord que son auteur a toujours pris plaisir à jouer sur les dissonances , à se jouer de la vision que l’on peut avoir de la beauté musicale.

Sa voix, qu’il qualifie lui-même d’androgyne, ne dévoilait sa beauté qu’après plusieurs écoutes attentives. Après l’avoir travaillé à la fin de matching molle , il l’a transcende ici grâce à une sensibilité d’une pureté incroyable, comme si l’homme nous invitait à explorer sa psyché tourmentée.

Rock Bottom est un disque introspectif, comme pouvait l’être rubycon, ou les grands disques ambiant, un album qui définit un paysage sonore enivrant et immersif. Autrefois partisan d’une musique foisonnante et parfois bruitiste, Wyatt apprend à alléger ses compositions, à ménager les espaces , laissant l’esprit de l’auditeur vagabonder entre ses espaces magnifiques.

Rock bottom , c’est le calme d’atmosphères apaisantes, entretenues par les claviers luxuriants mis en place par le duo Mason/ Wyatt , avant que le calme ne soit rompu par une complainte bouleversante, portée par des trompettes semblant annoncer une apocalypse tragique. Wyatt n’avouera qu’à demi-mot la portée autobiographique de ce disque, il a sans doute raison.

Dans rock bottom , ses sentiments deviennent universels , l’homme se servant de sa douleur pour produire une musique capable de réparer les âmes, pendant que la musique vibre comme une ode à l’innocence. Ce n’est plus du jazz, ce n’est plus du rock, ce n’est même pas réellement de l’ambiant. Ces étiquettes sont trop réductrices pour parfaitement résumer cet édifice sonore, où les instruments se complètent dans une symphonie apaisante.

Innocence est le maitre mot de ce disque, tant celle-ci permet à Wyatt de dévoiler ses sentiments sans tomber dans l’exhibitionnisme vulgaire. Comme pour relativiser l’exploit, le lutin virtuose achève son catharsis musical par un rire enfantin de génie espiègle.

Le résultat est au-delà des mots, et on l’écoutera sans doute aussi longtemps qu’il restera une étincelle d’humanité dans un monde transformé en cloaque numérique.

dimanche 3 novembre 2019

Robert Wyatt : Different every time : Partie 2 , grandeur et décadence


Quand le premier album sort enfin, Soft Machine est officiellement séparé, usé par une tournée de trois mois qui a eu raison de sa témérité. Grâce à la persévérance de son producteur américain , son premier album finit tout de même par sortir, et le groupe qui se croyait libre de tout engagement se retrouve contraint de produire le second disque prévu par son contrat. Heureusement, soft machine a continué à composer pendant sa période d’inactivité, et dispose déjà d’un matériel conséquent. Avant les premières sessions, Hugh Hopper annonce qu’il s’en ira si « le groupe produit encore de la pop » , ouvrant ainsi un conflit entre les influences pop de Wyatt et les ambitions jazz des autres membres du groupe.

Voyant au départ le projet comme une obligation contractuelle, le trio répète 17 titres, qu’il compte lancer comme une aumône à sa maison de disque. Mais, au fil des répétitions, le projet se densifie, les sessions s’allongent, et ce qui devait être un travail bâclé se transforme en disque foisonnant  où le gang atteint le sommet de sa cohésion.

Seule ombre au tableau, la production est un peu brouillonne, et donne un écrin un peu rudimentaire à ces perles. Mais la perfection des titres rachète largement l’amateurisme des producteurs, et tout ce que le premier disque avait annoncé se réalise dans nos oreilles ébahies.

Volume two


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Mélange de dadaïsme et d’intellectualisme musical, l’école de canterbury nait réellement avec ce disque. De caravan à Khan , sans oublier hatfield and the north , tous vont broder leurs œuvres autour de cette base rutilante. Volume two est le seul disque de soft machine qui réussit ce pari fou, marier la spontanéité et l’avant-garde, la légèreté pop, et la sophistication jazz. The soft machine (l’album) était encore trop brut, les stridences de son orgue rapprochant le groupe d’un psychédélisme aussi violent qu’aventureux.Third , lui, est un chef d’œuvre. Mais il n’auraît pu naitre si le groupe n’avait pas tourner le dos à la pop, au grand dam de Robert Wyatt.

 Le lutin batteur est le véritable maitre d’œuvre de ce volume two , réarrangeant les instrumentaux écrits par Hugh Hopper , tout en écrivant toute la prose absurde qui parcourt ce disque.

Plus que jamais au centre des mélodies de la machine molle, sa voix aère des instrumentaux alambiqués. Ceux-ci sont compressés sur des pièces de deux/trois minutes, qui s’enchainent comme les pièces d’un fabuleux puzzle. Encouragé par le collège libertaire de la pataphysique, Wyatt libère ses textes de toute logique, ses exubérances vocales se mariant à une musique extrêmement riche, dans une perfection jazz pop que seul Frank Zappa parviendra à approcher.       

Les années précédentes ont consacré la pop, 1968 marque le début de l’avènement du free jazz. Chacun en donnera sa version, instrumentale et envoutante chez Zappa (hot rats) , atmosphérique et électrique chez Miles Davis (bitch brew) , sans oublier la symphonie grandiose de King Crimson (in the court of the crimson king).

En plus de lancer toute une scène , volume two est passé avant tout ces chefs-d’œuvre. De là à dire qu’il les a influencé il n’y a qu’un pas, que nous éviterons de franchir. Si Zappa a en effet côtoyé la machine molle , c’était à l’époque où sa musique n’était encore qu’un rock pyché expérimental. Quant à Miles Davis , il ne se mit à métisser son jazz qu’après avoir été époustouflé par un show de Jimi Hendrix.

En revanche, volume two était le pavé dans la mare, un signal envoyé à tout ceux qui étaient restés bloqués dans le blues rock sixties. Le jazz et la pop ont conçu un enfant, voici ses premiers cris.   


Le succès semble proche, les maisons de disques commencent à voir un réel potentiel commercial dans ce groupe pop/ Jazz, et se pressent pour offrir un contrat à l’ex coqueluche de l’underground anglais. Si elles encouragent le groupe à retourner en studios , celui-ci veut désormais obtenir une liberté totale. Enrichi par une autre tournée en compagnie de Hendrix, le groupe décide de financer lui-même les sessions de son troisième disque.

Parallèlement, le duo Hopper/ Ratlehedge a pris le pouvoir, écartant définitivement les compositions pop de Wyatt. Déjà complexé par le talent de ses collègues, et doutant de ses propres capacités, le lutin anglais parvient juste à glisser une composition. En plus d’être une des compositions les plus réussies de ce disque, Moon in june représente l’adieu du groupe à la pop. Un adieu qui sera confirmé par le départ de Wyatt après la sortie de fourth.

Lors des enregistrements , Ratlehedge et Hopper refusent de jouer sur la composition de leur batteur, qu’ils semblent désormais voir comme un frein à leurs ambitions. Toujours aussi mal produit, third est heureusement composé de titres toujours aussi brillants, et d’une inventivité qui ne laisse pas présager que la fin est proche.

Third



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Cet album me fait toujours penser à l’histoire mise en scène sur « the grand wazoo » , le chef d’œuvre de Zappa, qui relate la lutte d’une tribu virtuose contre la horde des dangereux médiocres. Cette image exprimait bien le combat entre l’élitisme et la spontanéité que le rock a toujours provoqué. Jusqu’où peut-on aller sans tomber dans la démonstration stérile ? A partir de quand dépasse t’on les frontières du rock pour partir sur les terres pernicieuses d’une musique pompeuse et sans âme ?

Ces questions ont parcouru les groupe depuis que le rock existe. C’est la lutte entre les mélodies discos de Jagger et le blues de Keith Richard, ce sont les contestations provoquées par les changements brusques de Bowie , ou par les nouvelles mélodies de led zeppelin.

Chez Soft Machine plus que chez n’importe qui , ce problème ne pouvait que finir par se poser. Dès le départ, la formation était écartelée entre les tendances de son époque et son amour pour la « grande musique » de Mingus , Coltrane …

On pourrait aussi penser que volume two , sommet de cohésion entre ses influences contradictoires , représentait un point d’orgue que le groupe ne pouvait reproduire , sous peine de tomber dans le même bain que sa descendance. Parce que la formule a fait des adeptes, qui lanceront bientôt des disques qui sont autant d’échos à cette nouvelle pop.

Pour prolonger son statut de précurseur, soft machine devait partir vers d’autres territoires, et tant pis si Wyatt devait être sacrifié sur l’autel de l’avant-garde. Usant des capacités des studios modernes, la machine molle reprend la technique du collage cher à Zappa, sur un facelift où les envies de liberté de Hopper ouvre la voie à la musique extrémement composée qu’affectionne Rattlehedge. Le groupe creuse le même sillon expérimental sur « out bloody rageous » , où les boucles rythmiques s’accélèrent , s’entrechoquent , ou s’accordent dans une nouvelle forme de symphonie jazzy.    

Entre temps, on se sera émerveillé sur ses longues pistes moelleuses, où le groupe flirte avec la douceur avant gardiste du premier king crimson. Si volume two était son chef d’œuvre pop , third donne une nouvelle définition du free jazz , soft machine accélérant le son de ses bandes , ou les inversant tel un savant fou du free jazz.

Si third est un grand disque, c’est parce qu’il se défait de ses influences , pour inventer une nouvelle définition de la musique. Après ça, soft machine pouvait se dissoudre dans un jazz de plus en plus académique. Ce sommet-là ne pouvait, de toute façon, que le tuer.  


vendredi 1 novembre 2019

Robert Wyatt different every time : Partie 1 , des Wildflowers à Soft Machine


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Comment résumer un mouvement aussi foisonnant que celui regroupé autour du terme « école de Canterbury » ? Quel personnage serait capable de nous guider dans ces terres merveilleuses, où , pendant que Londres commençait à swinguer , une poignée de merveilleux snobs donnaient au jazz la portée fascinante du blues ? Les livres de références ne sont pas légions , le pavé d’Aymeric Leroy s’imposant comme la seule bible pour les mordus d’avant gardisme jazzy. A la relecture de ce livre , un groupe s’impose , Soft Machine , bande de lutins devant leur nom à un roman secondaire de Burrough , et coqueluche de l’underground anglais.

Ils auraient aussi bien pu s’appeler junky ou festin nu, mais the soft machine (le roman) résumait bien mieux leurs influences dadaïstes, ce mélange d’élitisme culturel et de simplicité pop qui fera leur gloire. A la base de cette simplicité pop , il y a un batteur névrosé chantant comme un lutin beat , Robert Wyatt.

Le voilà mon fil conducteur, le personnage capable de guider le lecteur dans les rythmes hallucinants et les mélodies rêveuses de Canterbury. L’homme entame sa carrière au sein de « the Wildflower » , qui devient rapidement le centre d’apprentissage où tout une partie du rock Canterburien fait ses premiers pas. Composé au départ de Wyatt au chant , Hugh Hopper à la basse, Brian Hopper à la guitare , et Richard Coughlan à la batterie. La formation ne tient que quelques jours, et Wyatt ne tarde pas à partir vers d’autres horizons. Le groupe voit alors défiler Richard Sinclair , le futur bassiste de Caravan , et David Aellen , qui partira rapidement en France pour créer le vaisseau gong.  Sans oublier Hugh Hopper et Wyatt qui, en compagnie de Rattlehedge, forment la première monture de soft machine.

Avant de fonder gong , Aellen a aussi passé quelques mois au sein de cette formation née des cendres des wildflowers. Comme un signe, la nouvelle formation parvient à effectuer ses premiers concerts au star club de Hambourg , la salle où les beatles ont entamé leur irrésistible ascension.  Mais l’histoire n’était pas encore prête à retenir le nom de ses musiciens qui , en plus de passer leurs nuits dans un hôtel miteux , sont rapidement poussés vers la sortie par un public qui ne comprend pas le sens de cette musique sans étiquette, et franchement avant gardiste.

Si Wyatt et Aellen ont déjà vécu ce genre de réactions intolérantes, les wild flowers ayant souvent joué sans interruption, pour éviter d’être interrompus par les huées, ces réactions poussent le groupe à se rapatrier en Angleterre. Depuis que les Beatles ont changés la face du rock, élevant le 33 tours au rang d’œuvre sérieuse, le pays est en pleine ébullition, les kinks , small faces et autres move tentant d’atteindre les mêmes sommets expérimentaux.

Le succès n’est plus le seul critère de reconnaissance, et l’underground s’épanouit au son des premiers délires planants de pink floyd , alors que Barry Miles grave son histoire dans le marbre en écrivant les lignes du international time. C’est d’ailleurs en compagnie de pink floyd que soft machine va se refaire une santé, ses relations dans le milieu underground Londonien lui permettant d’obtenir une place lors de la soirée de lancement de l’international time.

Ce soir-là , malgré la vétusté de la salle , les deux groupe livrent une prestation magique devant 2500 personnes. La présence de Mccartney revêt une portée symbolique : plus que jamais, l’histoire du rock démarre dans l’underground.

Soft Machine a enfin trouvé sa place, l’underground Londonien adoptant immédiatement cette bande de beats faisant cohabiter pop et jazz dans une musique affranchie de toutes limites. Salle fétiche de cette sous culture anglaise, l’UFO devient rapidement leur refuge, l’endroit où le groupe est libre de définir les règles de son art.
                                       
Signé sur un label , la formation de Robert Wyatt vit cette éternelle lutte frustrante entre l’artiste et le manager , l’avant-garde et le mercantilisme réactionnaire. Resté bloqué dix ans en arrière, le label tente d’abord d’imposer la sortie d’un 45 tours , en expliquant que pour sortir un album entier il faut d’abord avoir produit un tube. Quelques jours plus tard , le groupe croise la route de Donovan lors d’un concert au marquis. Auréolé du succès de son poulain, et de son travail pour Jeff Beck , le manager Mickie Most propose de s’occuper du premier album de la machine molle, à condition qu’il sélectionne les titres qui seront retenus.

Farouchement attaché à sa liberté artistique , le groupe refuse catégoriquement d’être censuré par un producteur , aussi brillant soit il . Lâché par un label qui ne supporte pas son refus , soft machine est sauvé par l’aide providentielle de Frank Zappa , qui n’hésite pas à financer la sortie de son premier 45 tours. Cette sortie permet au groupe de rester la coqueluche de l’underground anglais , et d’obtenir la première partie du Jimi Hendrix Experience lors de sa première tournée Américaine.

Auréolé du succès du tonitruant « are you experience » , et son proto hard rock ravageur , l’ange guitariste a produit un second disque plus aventureux et brillant, et revient conquérir une terre natale qui l’a rejeté à ses débuts. Si l’on cherche les prémices de cette lutte entre élitisme virtuose et sauvagerie viscérale qui qualifiera la décennie suivante, on les trouvera sans doute dans cette longue tournée américaine de 1968 , où la folie dadaïste de la machine molle laissait place au bombardements électriques de l’enfant voodoo.   

Récupéré par Chandler, soft machine profite d’une pose entre les enregistrements d’electric ladyland pour enregistrer le premier album du groupe de Robert Wyatt dans un studio record plant flambant neuf. Le peu de temps dont il dispose , et le manque d’attention d’un Tom Wilson très absent , les oblige à enregistrer dans les conditions du live. « the soft machine » sort enfin en décembre 1968, un peu trop tard pour profiter du succès de la tournée du groupe en compagnie de l’expérience. Il confirme ainsi que l’histoire de la musique est souvent à chercher dans ses plus bas-fonds.  


The soft machine



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L’arrivé du jazz dans le rock était elle écrite depuis le début ? Après tout, ces écrivains beat, vénérés par nos plus grands poètes, rock devaient le nom de leur genre littéraire aux beats de Mingus , Coltrane , et autres Miles Davis. Lou Reed définira très bien cette proximité lorsque, pour justifier la douceur cool de the bell, il dira que , pour lui , « les jazzmans jouaient un autre blues ».  Plus sarcastique, Reed ira jusqu’à confirmer ce parallèle en lançant «  un rocker c’est quelqu’un qui joue trois notes devant des milliers de personnes, un jazzmen fait le contraire ».

N’allait pas croire que je vois désormais le rock et le blues comme un sous jazz , un frelaté bruyant pour musiciens maladroits. Ces deux musiques expriment juste le même culte du feeling , cette science aujourd’hui oubliée qui visait à jouer sur les silences , à manier les sons comme autant de couleurs sonores.

Voilà pourquoi le jazz était fait pour rencontrer les idéaux du rock de ces années 60-70.  Il représentait en plus la liberté de musiciens se lançant sans filet dans des improvisations spontanées , comme si ils cherchaient leurs voies dans le dédale de leur imagination sans limites. Se libérer des conventions pour découvrir de nouvelles possibilités, le credo définit par Huxley ne pouvait que mener à mélanger les genres dans une orgie libératrice.

C’est donc l’époque qui a mené les musiciens de soft machine, qui vénéraient plus Mingus que Chuck Berry, à déployer leurs ambitions musicales et leurs tessitures cotonneuses dans un grand tonnerre électrique.
Pour faire le lien entre la fureur électrique des enfant d’Elvis, et la liberté expérimentale du jazz, l’orgue est omniprésent, et fait le lien entre les cassures rythmiques à grands coups de notes saturées.

Instrument à part entière, la voix de Wyatt annonce la prose absurde, intellectuelle, ou humoristique, qui lancera l’invasion d’une poignée de lutins jazz rock. Très présente, la batterie accentue la force de ces pastilles pop expérimentales, et permet à cette musique sans équivalent de rivaliser avec la violence du Jimi Hendrix Experience.
                                                                                                                           
Ce premier essai a les faiblesses des disques enregistrés dans l’urgence, sa matière sonore manquant encore un peu de cette sophistication qui fera la beauté de ce rock venu de Canterbury. Il a aussi la puissance fascinante de ces œuvres qui ouvrent les portes d’un nouveau territoire sonore.