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samedi 16 octobre 2021

Petit orchestre pour maxi son : Yes - Time and a word (1970)

 



« L'alternative consistant à recourir au mellotron n'ayant pas été jugée convaincante, il est décidé d'enregistrer Time And A Word avec le renfort d'un orchestre. L'idée est en vogue sur la scène progressive depuis le « Days of future passed » des Moody Blues, suivi d'expériences inégalement convaincantes de Deep Purple, The Nice, Procol Harum et bientôt Barclay James Harvest ou Pink Floyd. YES n'ignore cependant pas qu'à moins d'un succès phénoménal, la possibilité de se produire sur scène en configuration orchestrale se limitera à un concert exceptionnel dans une salle londonienne. »


(Yes, Aymeric Leroy, éditions Le mot et le reste, p.33,34)


Encore un album dénigré dans la discographie de YES que je ne découvre qu'à rebours et il est flamboyant ma parole ce disque ! Dites les fans, il se passe quoi dans vos têtes, parfois ? ...Dit lui-même un fan qui avait d'ailleurs jamais vraiment eu le temps de se pencher sur le disque. Ahlàlà... :)

YES avec un orchestre symphonique, quelle bonne idée !
Non franchement, je le dis sans ironie, appréciant d'autant plus l'album « Magnification » de 2001 où le groupe se remettait à l'exercice du rock prog plus ou moins symphonique avec un certain bonheur et la fabuleuse et passionnante tournée live qui suivit (les fans comprendront si je leur dis que « Gates of delirium » avec un orchestre de musique classique... mamma mia. Érection, quoi).

Ici, toutes les potentialités envisagées ne sont pas forcément obtenues, l'orchestre ne faisant pas forcément pleinement corps avec le groupe (disparaissant parfois sur 2,3 morceaux ou apparaissant à intervalles sur d'autres) mais, et c'est tout aussi intéressant, souligne les notes et construit régulièrement une ambiance.

On est donc à la fois dans un travail d'arrangement qui charpente de solides mélodies (chose qu'on a alors plutôt dans la pop baroque) mais également la prise en compte d'un univers sonore dont cette fois YES prend pleinement conscience et choisit de commencer à pousser de plus en plus dans les registres élevés de son potentiel.

Et ici, chaque composition a constamment un petit quelque chose qui dénote les progrès d'un groupe qui a choisi de constamment revoir sa copie et ne pas s’asseoir simplement sur des lauriers qu'il n'a d'ailleurs pas encore. Oui, en plus du prétexte de l'orchestre symphonique, YES expérimente, s'amuse sur chaque piste avec un bonheur plus que palpable. Pas de coup de mou au milieu d'album ici et le groupe (1) semble uni pour parer au mieux un exercice d'emblée casse-gueule qui à l'époque devait passer crème mais qu'on juge avec plus de recul aujourd'hui, disposant sur chaque compositions de petites trouvailles sonores, d'agencements de notes, d'idées à foison...

Sacré mélanges jouissifs.

De l'ouverture à l'orgue comme un bruit de réacteur au décollage suivi de l'attaque des violons d'emblée sur « No opportunity necessary, no experience required » (avec cette basse fabuleuse de Squire qui zigzague majestueusement déjà comme un serpent) au rock aux influences hard-rock (écoutez bien, l'orgue de Kaye sonne presque comme issu de Deep Purple) de « Then » qui, dès que les violons surgissent semble se changer en ballade pop survitaminée. L'ouverture magique et planante de « Everydays » avec ses petites notes de cordes de violons pincées en suspension comme les ailes d'un papillon (2) avant qu'un riff violent ne déboule pied au plancher à 2mn25 (3) et change la donne. Les petits bruits de percussion sur « Sweet dreams » vers la fin de la chanson. Le développement en progression à l'orgue avec les violons qui ouvre « The prophet » et ses changements de tempos qui augurent des grands titres épiques à venir qui changeront régulièrement de climats sans oublier les cuivres délicieux qui l'ornent...

Comme sur l'album précédent, on retrouve deux reprises ici (4), faisant partie des meilleurs titres de l'album sans cette fois que les autres compositions n'aient particulièrement à en rougir. Cela souligne la qualité et l’homogénéisation obtenue par un groupe qui, tout en se cherchant, choisit cette fois d'aller clairement de l'avant, bien conscient de leur potentiel monstrueux à explorer de bout en bout. Sans compter le petit hit bien senti qui sera l'un des deux singles (5) et qui donne son titre à l'album, « Time and a word ».

« Comme le souligne à juste titre Bill Bruford à sa sortie, Time and a Word constitue « un grand pas en avant » pour Yes. Les progrès sont conséquents sur plusieurs points. L'assise rythmique gagne en puissance et en précision, et n'a plus à rougir de la comparaison avec celle de King Crimson. L'ampleur symphonique à laquelle aspirait Yes trouve une incarnation tangible, à défaut d'être tout à fait la bonne. Enfin, Jon Anderson assume de mieux en mieux son identité vocale aux antipodes de la virilité obligée du rock. Malgré la concurrence de l'orchestre, Peter Banks et Tony Kaye ne déméritent pas forcément quand on les laisse s'exprimer, mais rétrospectivement, ils constituent bien une entrave au plein épanouissement de Yes et à la concrétisation des rêves formulés par Anderson et Chris Squire au moment de leur rencontre. »

(Yes, Aymeric Leroy, éditions Le mot et le reste, p.39)

Que ne serait l'histoire d'un groupe si elle ne contenait pas à chaque fois ses moments de tempête cela dit ?

Yes n'échappe pas à la règle, bien évidemment et il me semble opportun d'en parler un peu sans toutefois qu'il y ait besoin de trop s'étaler.

Il semblerait visiblement qu'en premier lieu le manque d'implication et d'envie de Peter Banks dans la fabrication de « Time and a word » lui ait coûté un peu préjudice. Son caractère visiblement de cochon aussi même si l'anecdote serait à prendre avec des pincettes : Au producteur Tony Colton lui demandant de jouer plus puissant et bourrin, je cite « comme Jimmy Page » (6), Banks n'appréciant visiblement pas des masses la musique de Led Zeppelin, lui aurait balancé sa guitare électrique en pleine gueule. Bonjour l'ambiance. Un Banks qui se serait plaint constamment d'être sous-mixé face aux cordes des étudiants du Royal College of Music de l'orchestre alors que c'est plus ou moins grâce au même Colton que Squire finit par trouver son « son de basse » qui sera sa marque principale.

Jon Anderson, plus pragmatique, avouera (et c'est en soit d'après Aymeric la réponse la plus convaincante même si je suppose de mon côté aussi que comme indiqué précédemment, Banks ne devait parfois pas être facile à vivre, et ça, ça joue au sein d'un groupe) que le guitariste était d'une autre école, « de l'école Pete Townshend », ne rejouant jamais deux fois les mêmes notes au sein des morceaux en live. Ce qui en l'état pouvait satisfaire Yes sur plusieurs titres mais pas forcément la nouvelle configuration de morceaux plus longs et plus complexes qui se dessinait (7). Or Yes va se mettre à rechercher un guitariste capable et désireux de rejouer les mêmes notes, souvent avec une parfaite exactitude, sans problème.

Ce qui n'est visiblement pas le cas de Banks.

Première victime collatérale d'un groupe qui recherche un certain idéal musical. Et il y en aura d'autres dans la longue histoire du groupe, quitte à ce que ses fondateurs se perdent en chemin et leur musique avec eux.

Cela mis à part le constat est plus que positif et l'on peut reconnaître sans mal que « Time and a word » en plus d'être un excellent disque de rock (et aussi rock prog) est aussi également le premier grand disque de YES. Son utilisation de l'orchestre utilisée non constamment mais dans ses arrangements saillants et parfois minimalistes à quelque chose de moderne en fin de compte puisque cela s'est redécouvert aussi d'une certaine manière avec le trip-hop à la fin des années 90 (réécoutez le travail de Craig Armstrong (8) sur les passages orchestraux ajoutés avec modération sur l'album « Protection » de Massive Attack) et même le renouveau du rock psyché et pop des années 2010 (je pense au premier album de Temples en 2014 par exemple). Bref, de nos jours on redécouvre « Time and a word » avec un certain œil ébahi devant tous ses trésors mélodiques et ce n'est que justice. 

Du temps et un mot (traduction très littérale du titre je vous l'accorde) ? 

Le premier a certainement joué à la longue sur le second au final et c'est pas plus mal.


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(1) Dans sa première mouture alors, rappelons le : Jon Anderson au chant, Chris Squire à la basse, Bill Bruford à la batterie, Peter Banks à la guitare et Tony Kaye à l'orgue.

(2) Celui qui ornerai cette jolie madame nue qu'on voit sur la pochette ?

(3) Un brin adouci ici. Dans la version de démo qu'on peut entendre dans les bonus de l'édition « remasterised & expended » du premier album juste avant, « Everydays » cogne alors méchamment dur comme du hard rock U.S qui se serait avalé toute une armée de viets sévèrement burnés (YES ayant parlé justement un peu de la guerre dans les paroles un brin gentillettes d' « Harold Land » peu avant sans être encore dans la fureur d'un « Gates of delirium »). Ce travail vers une version définitive de la composition qui inclus la place de l'orchestre montre bien que YES a pleinement conscience de sa dimension bourrine (qu'il développe également en concert) mais oriente de plus en plus son travail vers une dimension prog et une écriture bien plus stylisée et ça c'est remarquable.

(4) «  No opportunity necessary, no experience required » est initialement écrite par Richie Havens tandis que «  Everydays » est de Stephen Stills et issue du second album du légendaire Buffalo Springfield. Une nouvelle fois je ne peux que saluer le bon goût de YES ainsi que leur intelligence dans l'art de la reprise. Il suffit d'écouter les versions originales et ce que le groupe en fait, retravaillant tout en gardant l'essence du titre de base. Monstrueusement bluffant.

(5) L'autre étant « Sweet dreams » avec en face B l'inédit (et excellent) « Dear Father » que l'on peut dorénavant écouter sans problème sur le net ou dans les éditions « remasterised & expended ». A noter qu'il existe en deux versions bonus sur les albums « remasterised & expended », à la fois sur le premier album de YES comme version de travail démo et sur la version « complète » de « Time and a word » où quelques violons se font timidement sentir. Visiblement que ce soit sur le premier ou second disque, ce titre n'aura jamais véritablement trouvé sa place, peut-être parce qu'à chaque fois le groupe ne le jugeait pas dans le climat d'ensemble ? A tort car c'est une des nombreuses pépites cachées que YES nous laisse avec le recul.

(6) Page 44 du livre d'Aymeric Leroy.

(7) Au passage si l'on remarque bien, il y a deux morceaux longs de 6 et 6mn30 sur le premier album déjà et ici 3 morceaux de 6 à presque 7mn (« Astral Traveller »). Discrètement, YES fait sa mue pour se préparer à mieux sauter.

(8) Qui reprendra d'ailleurs du King Crimson au passage. Si ça c'est pas un travail de passeur/passionné nourri d'influences quand même hein.



dimanche 10 octobre 2021

La parade enchantée : William Sheller - Les machines absurdes (2000)

 



J'ai un rapport assez personnel avec ce disque.
Ce fut mon premier William Sheller et dans une période de ma vie où je n'étais pas forcément au mieux. Autant dire qu'il est arrivé d'un coup sans crier gare, comme un ami très cher.

Après le semi-ratage (ou semi-réussite, ça dépend si l'on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide) que fut Albion, son unique disque studio des 90's qui alternait paroles en français et en anglais, il fallait se ressaisir. Ce que l'ami William fit en prenant son temps. A partir de Albion et Les machines, les livraisons studio vont se faire d'ailleurs de plus en plus réfléchies et espacées dans le temps, l'auteur prenant du recul pour ciseler une oeuvre de plus en plus maîtrisée.

Comme je le disais en ouverture, Les machines absurdes est le disque par lequel j'ai découvert l'univers de Sheller avant de partir explorer tranquillement par la suite son univers (1), je ne pouvais rêver mieux tant il est splendide de bout en bout.

Je m'en rappelle comme si c'était hier, j'étais au lycée et je devais prendre le train de banlieue direction Paris chaque matin puis ensuite à ma guise soit marcher dans une ville de Paris se réveillant péniblement, soit prendre le métro (mais pour une poignée de stations avant d'atteindre le lycée, fallait-il que je sois dans un jour vraiment flemmard). A l'arrivée dans la gare de Montparnasse, au rez de chaussée trônait l'immanquable et regretté petit Virgin megastore de la gare (2) prêt à accueillir les lèves-tôt de tous poils (et à 8h il n'y en a toujours pas des masses de magasins ouverts dans Paris) et ses petits bacs avec des disques frais à écouter au casque sur les présentoirs, côté gauche. Quand on a une journée incessante et quasi-non stop de cours, ça motive un peu quelque part.

La pochette m'attire, un mec basique qui manque de cheveux (moi dans le futur quoi) sous une lumière bleue avec des visuels qui figurent une sorte de cycle lunaire abstrait. Allez je tente.

Dès la première piste, « Parade (le bel adieu) », je me suis pris une bonne baffe.
Coup de foudre.
Le mec est bon, il chante bien, il ne gueule pas, les arrangements sont magnifiques, les textes d'une poésie étonnante. Le reste du disque ne sera pas forcément du même niveau mais une chose est sûre, ce type sent l'élégance à mille kilomètres à la ronde. « Indies » et ses guitares rock corrige agréablement le tir d'Albion. « Moondawn », c'est mon second coup de foudre du disque. Une chanson lunatique, une chanson de Bretagne, de rêves brumeux, de magie. « Sunfool » marche sur les pas d'Indies avec classe. « Athis » et « Les machines absurdes » voient Sheller mêler son art à la musique électronique par petites touches tandis que « Misses Wan » est un saut vers l'Asie. « Chamberwood » qui clôt un disque presque parfait retrouve la grâce de la première piste, dans une dimension plus champêtre et baroque qui rappelle un peu l'album Ailleurs, en plus pop toutefois.

Bref, Sheller venait d'entrer brillamment dans le nouveau siècle avec un son remis à jour et utilisant avec parcimonie et maîtrise les nouvelles technologies. Un disque qu'il est beau et qu'il fait du bien.

Et dans mon cas le début d'une passion pour l'artiste qui continue encore aujourd'hui.


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(1) Sans mauvais jeu de mot fallacieux quand on sait qu'un des disques de Sheller porte ce titre et que je l'ai d'ailleurs brièvement chroniqué plus tôt.


(2) "Adieu peti ange disparu tro vite, snif..."



vendredi 8 octobre 2021

Déploiement de la magie : William Sheller - Univers (1987)

 




Une bonne partie de sa vie, William Sheller fut un musicien frustré : doté d'une culture musicale impressionnante et d'un talent non moins fabuleux mais souvent sous-utilisé ou rabaissé dans ses prétentions. 

1987 le voit pourtant commencer à faire les choses en grand, à tel point que sa musique mute véritablement, se pare de plus de couleurs qu'elle n'en avait avant. Il faut dire qu'auparavant, le musicien a pu expérimenter un peu en solo au piano mais aussi avec un quatuor à cordes belge, le quatuor Halvenaf et avec Univers il est fin prêt, le grand tournant Shellerien est en marche.

Oh bien sûr il y avait bien eu avant cela des compositions écrites pour quatuor en 85 où côté arrangements, l'ami William laisse sortir sans problème sa verve lyrique pour se faire la main mais inutile de dire que c'est le genre de chose qui passe assez inaperçu du côté du grand public.

C'est Univers donc, puis Ailleurs ensuite, qui officialisent le virage.
Ici l'artiste ose un mélange de pop et de rock avec des influences symphoniques. Par petites touches ça et là, plus concentré à d'autres moments. « Encore une heure, encore une fois », « les miroirs dans la boue », l'instrumental mélancolique « Chamber music », « Cuir de Russie » (un titre que j'ai souvent écouté plus que de raison)...

Et puis surtout deux compositions géniales et d'une verve lyrique sans pareil à écouter fort.

« Le nouveau monde » où Sheller s'engage par moments sur le terrain d'arrangements dignes d'un Vivaldi avec une fougue qui ne démérite pas et des paroles fabuleuses où sur un pied d'égalité, le cinéma et la littérature fusionnent.

« Vous...
Qui restez si bien de glace,
Souffrez que mes mots n'dépassent,
Le peu de raison que je tienne,
Quand vous laissez ma peine ...en disgrâce... »

Et puis il y a « L'empire de Toholl ».

9 minutes où William s'adonne au rock progressif à travers une fresque d'Héroïc-Fantasy qu'on jurerait issue d'un film. On passe par tous les climats sans que le morceau ne perde trop son énergie. On ne comprend d'ailleurs pas forcément tout, merci le mixage à la française (celui qui me fait toujours monter le son sur les voix des films français récent parce que bordel, on comprend rien ou bien les acteurs AR-TI-CU-LENT pas assez) mais ça fout quand même bien la patate. On comprend pas forcément où il veut en venir, ça semble presque une composition après coup crée pour se rôder sur ce qu'il va pousser encore plus loin sur l'album d'après, Ailleurs, mais ça reste un ovni plus que bienvenu. Osni, plutôt. Ce que sera l'entièreté de l'album suivant, caprice fabuleux de poésie dans une musique française souvent plus frigide.

A noter qu'on est en plein dans les années 80 et pourtant, merci William, on échappe à une production synthétique et froide qui gangrène à pas mal de niveau la musique de cette décennie. Rien que pour ça, tope-là.