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jeudi 4 novembre 2021

BLOCKHEADS :This world is dead (2013)



This world is dead", sorti en 2013, est le cinquième album des nancéens de Blockheads, sans doute leur meilleur enregistrement à ce jour.Le groupe, formé en 1989, est d’ailleurs incontestablement la meilleure formation française du genre et l'une des meilleures de la scène grindcore actuelle.
On pense d’emblée aux leaders incontestés que sont Napalm Death, Brutal Truth et Discordance Axis mais on sent que le groupe a aussi écouté des groupes de power-violence tels Capitalist Casualties, Coche Bomba ou Drop Dead.
De plus l'alternance des voix, qui rappelle le grind punk de Extreme Noise Terror ou Disrupt, donne au tempo une impression d'être encore davantage accéléré.
Techniquement tout est bien en place, c'est efficace, ça arrache sans être trop bourrin. Les changements de rythme sont exécutés avec maestria.
C’est évidemment ultra rapide mais le groupe sait aussi ralentir (rarement) pour mieux accélérer.
Vingt-cinq titres sous forme d'artillerie lourde, pas le temps de respirer, « This world is dead » est un bloc compact, aucune chance d'en réchapper. Rarement une telle vitesse d'exécution a été atteinte. Une rapidité inouïe qui ne faiblit quasiment pas (sauf sur le dernier titre d’un autre calibre, plus lent et pesant). Un rouleau compresseur (et là le terme n'est ni galvaudé ni exagéré ni survendu). La batterie est d’ailleurs complètement en feu.
Une déflagration et un degré d'intensité qu’on pourraient définir comme étant une sorte de Napalm Death en survoltage.


Évidemment plus que difficile de sortir des morceaux plus que d'autres du lot. Disons qu'au fil des écoutes les titres qui m'ont le plus marqués par leur agressivité implacable, là où les missiles atteignent leur cible sont « Deindividualized » qui ouvre le bal, « Bastards », « This world is dead », « All these dreams », « Take your pills », puis à un degré moindre « Poisoned yields », « Crisis is killing the weak », « Follow the bombs ».
L'album est dans la lignée du précédent, « Shapes of misery », avec les mêmes recettes mais mieux exécuté et mieux produit. Il faut dire que le groupe fait maintenant partie de l’ « écurie » Relapse records le label phare américain du métal extrême, le spécialiste reconnu, notamment du death brutal et du grindcore, et qui est depuis plus de vingt-cinq ans ce que fut Earache records dans les années 80 et 90, à savoir LA référence en la matière. Et de fait Blockheads bénéficie d'une bonne production qui met en avant la qualité d’exécution. (On est ici heureusement très loin du grindcore pathétique et infâme d’un Anal cunt et d'autres groupes du même calibre).
Quant aux thématiques abordées Blockheads reprend à son compte celles propres au genre telles qu’elles ont été définies par Napalm Death sur les deux premiers albums du groupe et qui étaient d’ailleurs largement inspirées des préoccupations anarcho-punk dont les fondateurs du grind étaient proches : religion, surarmement, nucléaire, aliénation, déshumanisation, inégalités sociales, rapports de domination, consumériste, pillage et destruction de la planète, environnementalisme, anticapitalisme, dénonciation des multinationales...
« This world is dead » est donc l'album de la maturité pour Blockheads mais surtout il s’affirme désormais comme une des références du genre. Un classique. J'avais vu le groupe en concert en 2008 en première partie de Brutal Truth et la progression en cinq ans est plus qu’évidente.
Et pour finir une bonne nouvelle : un nouvel album est enfin prévu pour très bientôt sur Lixiviat et également sur Bones Brigades (retour aux sources donc)

mercredi 3 novembre 2021

CONDENSE : Air (1993)


Pour ma toute dernière chronique sur le rock français des années 90 voici “Air” le premier (mini) album 6 titres sorti en 1993 pour les lyonnais de Condense, groupe qui officie entre post hardcore, noise, presque math-core sur certains morceaux. Un des premiers groupes français à avoir sévi dans ce style là, qui commençait alors à être en vogue, avec Portobello Bones, Tantrum et Prohibition, parmi d'autres. Du bon rock "alternatif" qui rappelle parfois Jesus Lizard (et aussi Fugazi sur certains passages) et qui fait globalement preuve d’originalité musicale ; beaucoup de tensions et d’énergie mais toujours maîtrisées, contenues, un son propre au groupe : guitares stridentes, riffs répétitifs, hypnotiques, ciselés qui procèdent par petites touches, une voix hurlée et déjantée qui accroche bien, quasi hallucinée par moment (bon là encore l’accent laisse un peu à désirer, problème récurrent des groupes français chantant en anglais ), D’ailleurs sur l’ensemble de l’enregistrement c’est le chant qui donne le piquant à l’ensemble, le petit grain de folie.
Et des tempos modérés ni rapides, ni lents qui caractérise l'atmosphère et le charme spécifiques, si particuliers à Condense. “Air” est donc un disque prometteur et ce format de 18 minutes pour six morceaux est idéal car si “Genuflex” et “Placebo” les deux albums enregistrés ensuite sont plutôt bons, il y a malgré tout quelques longueurs et quelques temps faibles (même si les compositions de "Genuflex" sont un ton au-dessus, plus abouties, plus diversifiées, plus ambitieuses).
Difficile de dégager un titre, les morceaux bien que tous intéressants ont une structure musicale un peu similaire, toutefois l’excellent “Zorlac” qui clôture l’album en beauté sort du lot et reste mon préféré pour son alternance d’ambiances et de contrastes et le fait qu’il s’écarte un peu du reste des autres compositions.
“Snakes” qui ouvre l’album a pour lui de mettre en quelques secondes seulement l’auditeur directement dans l’ambiance !
Quant à "Am I sick" son refrain nous accroche immédiatement.

Un bon album bien construit donc et qui se démarque du rock alternatif traditionnel de l'époque.
Condense fait donc partie de ces bons groupes français des années 90 qui ont beaucoup tourné à l’époque, dont la durée de vie fut assez courte (1990-1996 soit 6 ans pour nos lyonnais), et qui ont certes pu se forger, avec persévérance, une belle petite réputation mais qui auraient pu – auraient dû – avoir plus de considération (concernant Condense difficile toutefois à cette époque de percer quand on produit ce type de musique, encore plus qu’aujourd’hui je pense, quand les labels et les tourneurs manquaient souvent de professionnalisme ou quand les groupes eux-mêmes choisissaient délibérément de rester dans des structures plus modestes ou dans un circuit parallèle).
Mais ces concerts et tournées à répétition ont fini par provoqué une certaine usure et lassitude, chez eux comme chez beaucoup d'autres.
Moins connu et renommé que les ténors tels Noir Désir, Mano Negra, Berurier Noir voire les Thugs, Condense fait donc partie avec Dazibao, Skippies, Sloy, Kill the thrill, Dirty Hands et beaucoup d’autres encore...des groupes ne manquant pas de qualité, avec un potentiel qui n'avait rien à envier aux meilleurs groupes américains du genre mais qui n’ont pas eu la carrière qu’ils méritaient et qui pour la plupart d’entre eux sont, 25 ans après leur “apogée”, (re)tombés dans l’anonymat hormis pour ceux qui ont eu la chance de les connaître et de les suivre dans ces années là.
Ces groupes ont ouvert la voie et montré qu'une scène rock française diversifiée et de qualité pouvait sévir dans l'hexagone.
Mais comme je dis toujours il n’est jamais trop tard de rattraper un “oubli” !



mercredi 27 octobre 2021

The Who : live at Leeds (1970)


Quand je parle des Who j'ai l'impression qu'il faut en fait parler de deux groupes distincts, celui de studio (et de l'excellente pop anglaise, des années 60, mélodique, énergique et avec des tubes en vrac) et celui de scène, sauvage, très rock, furieux, ravageur à souhait...Cette impression se renforce si l'on écoute un "best of" studio des Who, période 1965-1970, qu'on enchaîne immédiatement avec ce "Live at Leeds" et qu'on compare. Etonnant. Deux Who pour le prix d'un donc. Et les versions de "My Generation" ou "Magic bus" sont là pour le prouver, qui n'ont plus grand chose à voir.
En live The Who c'est de l'énergie ultime et sans frein, du blues rock crasseux, emmené par trois excellents musiciens et un très bon chanteur. Un rock fiévreux qui contraste avec leur image de Mod. Et des shows furieux où Pete Townshend et Keith Moon avaient l'habitude de faire quelques dégâts de matériels, les fameuses guitares cassées contre les amplis, laissant la scène digne d'un champ de bataille. 
Voici ce qu'en dit Lily Brett parlant des concerts des Who alors qu'elle s'apprête à interviewer le groupe à la fin des années 60 (voir Lily Brett "Lola Bensky" éditions poche p. 37) :
"... Ils étaient aussi connus pour terminer leur programme par une orgie de destruction apocalyptique, fracassant guitares, baguettes de batteries et amplis jusqu'à ce que la scène soit jonchée de débris d'équipements..."
It's only Rock'n'roll mais là c'est saupoudré d'un zeste de chaos qui n'est pas pour me déplaire. 
Sur cet album on est assez proche du Led Zeppelin des débuts entre blues rock crade, hard rock mais les années 67/68 semblent déjà loin, et dès l'entame du premier morceau Keith Moon annonce la couleur avec une batterie de feu.
Le son est brut, crade, gras ; la production minimaliste contribue à mettre en lumière le côté furieux du groupe, Daltrey chante comme un bluesman déjanté, la guitare de Townshend n'a rien à voir avec celle des albums studio..., une guitare électrifiée comme jamais. Quant à la rythmique elle est tout simplement grandiose!
Ce live a été enregistré dans une petite salle, avec seulement 2000 spectateurs privilégiés (mais ils ne le savaient pas encore les veinards), afin de mieux capter l'énergie dévastatrice du groupe « on stage » .
Pour la première face, qui sonne vraiment hard blues à l'image de la reprise de Johnny Kidd and the Pirates "Shakin' all over", mes préférences vont à « Subsitute » l'un de mes moreaux préférés du groupe, le seul titre presque "léger" du disque et « Young man blues » qui ouvre l'album, et donne le la avec son riff très hard et Daltrey qui rappelle Plant !
« Summertimes blues » est très bonne reprise certes mais peut-être le titre le moins indispensable du live (j'aimerais bien savoir ce que Eddie Cochran aurait penser de cette version).
Mais que dire de la seconde face : l'extase !! Un déluge décibels qui vous électrise.
« Magic bus » qui clôt l'album est bonifié par rapport à sa version studio, sans être trop long, jamais ennuyeux, plein de petites trouvailles ici ou là, c'est enlevé, nerveux, endiablé mais jamais pompeux (comme parfois peuvent l'être en live Led Zeppelin ou Deep purple lors d'expérimentations techniques un peu longues et ennuyeuses, et pourtant j'apprécie ces groupes).
Mais que dire de « My generation » la pièce de choix de ce live ; certes le titre peut – en théorie – paraître long (14 minutes) mais quelle claque, une version époustouflante qui démarre d'une manière proche de la version studio de 1965 mais qui monte en puissance et s'avère au final apocalyptique, l'apothéose de l'album, une fougue rarement égalée à l'époque en concert (à part le MC5 dans un autre registre) et on voit finalement pas le quart d'heure passé (il faut dire que le groupe en profite pour greffer rapidement quelques passages d'autres titres que je vous laisse découvrir).
Ici on sent la sueur, on sent que les musiciens jouent avec leur tripes, l'authenticité crève les yeux et les oreilles.
"Live at Leeds" est sans contestation possible l'un des meilleurs albums live de l'histoire du rock, là où la furie rock est captée magistralement. Je pense aussi que le groupe était alors vraiment à son apogée, et puis on a beau dire c'était une autre époque, exubérante où concerts rimaient souvent avec démesure...
Excellent donc mais avec juste un petit bémol : dommage en effet que sur les six titres présents on ait trois reprises (au demeurant très réussies, reprises de titres blues ou rock'n'roll 50's ou 60's) et seulement trois morceaux standards originaux (j'aurais aimé entendre d'autres classiques du groupe par exemple « I can' t explain », même si cela peut paraître anecdotique.
Toutefois quand on connaît la richesse qualitative et quantitative du répertoire des Who, bien étoffé en tubes et classiques, c'est un peu étonnant.
Malgré tout un sommet musical et un album qui doit être écouté comme étant l'essence même du rock et de ce qu'il ne devrait jamais cesser d'être.

mercredi 13 octobre 2021

RIOT GRRRLS - Partie 1 : "Quand les filles ont pris le pouvoir" (documentaire)

Alors que Mathilde Carton vient de sortir aux excellentes Éditions Le Mot et le Reste un nouvel ouvrage sur les Riot Grrrls*, bouquin dont j'aurais sans doute l'occasion de parler prochainement, un petit retour sur un reportage sur le même thème produit par Arte en 2014 et diffusé sur cette chaîne n'est pas inutile.
"Quand les filles ont pris le pouvoir" est donc un documentaire réalisé par Sonia Gonzalez sur le mouvement Riot Grrrls, mouvement né à la toute fin des années 80 et au début des années 90 à Olympia (État de Washington) petite ville universitaire américaine, située non loin de Seattle et qui a eu une influence importante tant sur un plan politique, social, féministe que culturel et musical.
Le documentaire montre les débuts du mouvement (qu'on a qualifié de façon un peu réductrice de punk féminin), les obstacles qu'il a rencontrés, le rôle joué par les fanzines, le machisme de la scène punk hardcore de l'époque (à de rares exceptions comme Fugazi et d’autres groupes de Washington DC), le courage dont ont dû parfois faire preuve les musiciennes, sans oublier l’aspect délibérément provocateur et le non conformisme du mouvement, l'esprit ouvertement « Do it yourself », le côté « amateur » ouvertement assumé...
A l'époque dans l'univers du punk (au sens large) peu de filles officiaient en tant que groupes.
Raincoats et Slits, formations de la fin des seventies et du début des eighties, n'ayant pas fait énormément d'émules même si certaines chanteuses avaient tiré leur épingle du jeu (Siouxie Sioux et Poly Styrene – de X Ray Spex - notamment).
Et puis les filles ne se retrouvaient pas forcément dans les textes des groupes masculins y compris ceux politisés, elles voulaient écrire des chansons qui parlent de leurs problèmes et de leurs préoccupations avec leurs mots à elles, aborder des thèmes qui ne sont jamais évoqués (viol, inceste, menstruations, violences machistes...).
On retrouve dans ce documentaire pas mal d'images d'archives des plus intéressantes, entrecoupées d'interviews réalisées dans les années 2010, notamment de Kathleen Hanna (Bikini Kill), Allison Wolfe (Bratmobile) et Becca Abbee (Excuse 17), chanteuses de quelques-uns des principaux groupes de l’âge d’or des Riot Grrrls.
Évidemment, dans un format de 52 minutes, impossible d'aborder toutes les problématiques et thématiques d'un mouvement de contre-culture aussi riche.
Ça reste un peu trop scolaire, pédagogique, le ton académique du commentaire est parfois un peu irritant. C'est parfois aussi un peu trop sage. Du Arte « pur jus » pourrait-on dire (heureusement les scènes de concert mettent un peu de piment et de piquant !!).
Mais le tout reste plus qu’intéressant, notamment pour quelqu'un qui ne connaîtrait rien sur le sujet. Et le documentaire cerne bien malgré tout, et c'est là le principal, l'essentiel du mouvement.
Autre petit bémol : il est un peu dommage que le documentaire accrédite la thèse "fumeuse", très à la mode depuis quelques années, d’une possible filiation entre les Riot Grrrls et des artistes comme Beyoncé, les Spice Girls...
Heureusement sans toutefois trop s'attarder ce point ! Ouf !!
Malgré tout un documentaire à voir car l'histoire des Riot Grrrls demeure toujours trop méconnue (et il reste encore beaucoup de choses à faire bouger en 2021 pour la reconnaissance du rock féminin !)

Bikini Kill

PS : Une reconnaissance du mouvement 30 ans après c'est bien, évidemment, et loin de moi l'idée de vouloir laisser les Riot Grrrls dans un underground poussiéreux, mais on se demande où donc étaient à l'époque tous ces gens (médias, universitaires...) qui encensent aujourd'hui ce mouvement musical féministe.
C'est malheureusement typique des "spécialistes" de la culture qui sont complètement passés à côté d'un mouvement (qu'ils ont parfois même violemment dénigré et c’est le cas pour les Riot Grrrls) et qui essaient, depuis quelques années, tant bien que mal de rattraper le coup !
A l’époque, pour refuser toute récupération et toute déformation de leurs idées les Riot Grrrls avaient décidé, dans leur large majorité, de boycotter tout média mainstream et ont fait preuve d’une solide intégrité, pas toujours facile à gérer.
Et de ce point de vue-là le documentaire de Sonia Gonzalez a le mérite de rappeler quelques principes originels de base du mouvement.
Bikini Kill s'est reformé en 2019 et à chacun de leur concert les billets s'arrachent à une vitesse folle... D’une certaine manière on peut dire que les Riot Grrrls ont gagné leur pari. Être crédibles en tant que groupes de rock féministes engagés.
(Le documentaire chroniqué est disponible sur YouTube)

Ci dessous vous trouverez le lien d'une interview de la réalisatrice - je précise que je ne partage pas tous les points de vue de Sonia Gonzalez - mais elle a le mérite de bien montrer le rôle qu'ont eu les Riot Grrrls.
https://thefifthsense.i-d.co/fr/article/de-beyonce-aux-spice-girls-ce-que-la-pop-doit-aux-riot-grrrl/

Signalons également pour ceux intéressés par le mouvement Riot Grrrls le très bon bouquin de Manon Labry "Riot Grrrls : chronique d'une révolution punk féministe", (éditions La découverte) pas forcément toujours très objectif mais néanmoins incontournable et un style qui fait mouche. Et cet essai est parfaitement complémentaire du livre de Mathilde Carton.

* Mathilde Carton : "Riot Grrrl Revolution style" (éditions Le mot et le reste )


(A suivre...)


vendredi 1 octobre 2021

TREPONEM PAL : Aggravation (1991)

 


Voici encore l'un des groupes les plus marquants du rock français des années 90, un groupe phare du rock/métal industriel, alors en plein essor en cette fin des 80s et au début des 90s avec Ministry, Nine Inch Nails, Young Gods... Alors que ce style musical débute sa période faste, Treponem Pal en est l'un des fers de lance avec les groupes nommés ci-dessus.
En effet après un premier album déjà très prometteur Treponem Pal élève le niveau d'un cran avec son second album « Aggravation ».
Les rythmes sont répétitifs, lourds, hypnotiques et martèlent l'auditeur sans relâche.
Et le chanteur de hurler comme un dément, ravageur, comme possédé par une fièvre obsédante.
C'est froid, sombre, pesant même quand le rythme s'accélère un peu (mais toutefois moins sombre que Kill the Thrill l'autre grand groupe français du genre).
Petite séquence culturelle : Treponem Pal est le nom de la bactérie responsable de la syphilis chez l'homme.
Petite séquence provocation : Treponem Pal est le groupe qui fit scandale à "Nulle Part Ailleurs" en 1996 en proposant le strip tease d'une fille en direct pendant que le groupe jouait live un morceau de l'album « Higher » leur 4e disque, fille qui s'avéra finalement être une transexuelle ; ce passage fera les choux gras des Guignols de l'info pendant des mois et le fameux mot de la marionnette d'Alain de Greef, alors directeur des programmes de Canal + : « juste une p'tite s'touquette ».
Ceux qui ont vu le groupe live à l'époque se souviennent sûrement du charisme et de la présence scénique phénoménale du chanteur leader Marco Neves dont la carrure en imposait !
Les deux premiers albums du groupe sont très bruts, quasiment pas de samples, proches du Godflesh des débuts, ce n'est qu'à partir d' « Excess and overdrive » leur troisième (et sans doute le meilleur album) que Treponem Pal va prendre un léger virage moins sombre et incorporer quelques samples et machines pour colorer un peu la noirceur et apporter quelques variations sonores qui vont quelque peu changer l'atmosphère musicale (tout en gardant un socle rock/métal industriel), « Higher » ayant même ensuite quelques apports « dub » et « electro ».

Là sur Aggravation on est plus dans le décor d'une aciérie de la Ruhr que du soleil californien !
« Rest is a war » est une bonne mise en matière avec son côté angoissant mais « What does it mean ? », le titre fort qui alterne passages rapides et passages sabbathiens, est l'archétypique d'un morceau de Treponem Pal avec une guitare qui a rarement été aussi tranchante et aiguisée (sans doute une guitare à scie cordes ?).
Sur « Love » le mot industriel prend tout son sens, c'est lourd (sauf un passage où ça s'accélère), puissant, avec un bruit de machines stridentes en arrière fond sonore : hypnotique !
« Sweet coma », plus rapide dans sa deuxième partie, incorpore des éléments de thrash metal tendance Voivod (les deux groupes ont d'ailleurs pas mal de points communs évidents).
« Tv matic » est le seul morceau hyper rapide qui penche nettement vers le hardcore bien énervé. Une tuerie.
Bien sûr l'album a connu avant tout une certaine renommée grâce à l'excellente reprise de « Radioactivity » (Kraftwerk), proche dans l'esprit de l'original mais les guitares remplaçant les machines électroniques. Une réussite, car reprendre ce must des années 70 était un sacré pari.
« You got what you deserve » avec sa basse bulldozer finit l'album en fanfare, sans aucune fausse note, et vous achève pour de bon.
Suite à ce disque le groupe fera en 1992 la première partie de la tournée américaine de Ministry alors à son zénith de popularité.
En conclusion encore un très bon album d'un groupe un peu tombé dans l'oubli aujourd'hui même s'il s'est reformé depuis et qu'il tourne encore régulièrement ; néanmoins Treponem Pal a réussi la prouesse de sortir quatre albums de grande qualité entre 1989 et 1997.

jeudi 23 septembre 2021

MAROUSSE : L'heure H (1996)

 

L'heure H (ami lecteur, saurais tu retrouver le jeu de mot qui se cache dans le titre !!??) est le deuxième album de Marousse, sorti en 1996 et dont la chanteuse, Marina, est à la fois la sœur d'un membre de la Mano Negra et également la cousine de Manu Chao chanteur et leader emblématique de ce même groupe d'où une proximité quasi naturelle avec la "Main Noire".
Le groupe propose de fait un cocktail mélangeant du rock alternatif, du ska, du punk et de la salsa : autant dire que c'est festif (aussi bien la musique que les textes d'ailleurs) et c'est assez représentatif d'un certain rock français des années 90 ; parfois un zeste de pop mais pas trop et une très belle ballade. Marousse se rapproche aussi un peu de Superbus, en mieux, avec le côté pop commercial en moins et surtout une excellente section cuivres qui donne une autre dimension.
La voix est bien en place, tout à fait accrocheuse voire même délicieuse et elle apporte incontestablement un plus aux compositions.
L'heure H est un bon album, sans grande prétention artistique mais c'est une belle réussite avec pleins de bons titres qui font mouche : "Ma planète" (totalement irrésistible avec son tempo plus rapide, presque punk), "Le Tour", "L'heure H", "Tous les chevaux" (et son sublime refrain) , "Les Vestes de survet" (assez marrante et qui finit l'album en apothéose), "La voyante" avec une pointe d'électro...
Sur « Hey Jack » on a plus d'influences reggae ; de même que sur « Alamer », reggae/salsa, où prédominent des cuivres bien en place, ambiance "Made in Caraïbes" assurée !
« Grand loustic » est un formidable hommage aux "anciens" et notamment au grand père de Marina, anarchiste espagnol, une belle ballade (la seule), pleine de poésie, nostalgique et très émouvante.
Juste un petit bémol sur deux ou trois titres sur lesquels j'accroche moins notamment « Moulin rouge ». Mais sur 14 morceaux le ratio est plus que positif. 
Et puis tout en évoluant dans un cadre musical que j'ai défini plus haut le groupe sait varier les morceaux et de fait les titres sont suffisamment différents les uns des autres pour apporter une diversité bienvenue et pour alterner les ambiances, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas avec d'autres groupes dont l'univers est assez proche de Marousse. 
Bref on ne s'ennuie pas une seconde ! Et franchement il n'y a pas mieux pour commencer la journée avec la pêche et la banane.
A tous les fans de la Mano Negra, mais de manière plus générale à tous ceux qui comme moi ont grandi avec le rock alternatif festif des nineties, vous pouvez sans hésiter aller jeter une oreille sur cet album qui devrait vous plaire ; et plus généralement "L'heure H" un album vraiment sympa à écouter pour les adeptes de la "fusion" rock/ska/salsa.
Et encore un album français de bonne facture qui aurait dû largement davantage cartonner. Le monde du rock est parfois bien cruel !

jeudi 2 septembre 2021

SLOY : Plug (1995)

 


Après les Thugs, Skippies, Kill the Thrill, Davy Jones Locker, et sans doute avant encore quelques autres très bientôt, je continue mon tour d'horizon de groupes de rock français des années 90, disparus trop tôt, n'ayant pas eu la reconnaissance suffisante et demeurant trop méconnus à mon goût. Voici un autre "spécimen" des plus intéressants ; Sloy est un trio de Béziers émigré à Rennes, jouant une musique entre pop rock énergique, noise, et rock alternatif (voire même une touche post-punk sur certains titres et notamment pour le son de guitare) ; vraiment original et avec un côté délibérément loufoque qui rend le groupe irrésistiblement sympathique.
C'est vif, frais, spontané et vocalement assez délirant. Avec un côté déstructuré qui donne une vraie touche particulière au groupe.
« Plug » est le premier de leurs trois albums, le groupe ayant juste sorti précédemment un maxi EP 4 titres « Fuse » en 1994.
Premier album et coup de maître ; déjà le disque est produit par Steve Albini, l'un des producteurs phares du rock alternatif des années 90 (Nirvana, Pixies, PJ Harvey, les Thugs*...).
Ensuite Sloy se distingue par une certaine originalité, un style propre dans ses compositions qui en font un groupe définitivement à part. Et les diverses influences - voir plus loin - sont tellement bien digérées que le mélange se transforme en cocktail explosif.
John Peel himself, grand manitou du rock en Grande Bretagne et animateur radio sur la BBC, avait fait l'éloge de "Plug", invitant même la formation à participer à une de ses fameuses "Sessions". A l'époque Sloy n'est que le septième artiste ou groupe français à y être convié. 

« First animal », sorte de noise expérimental qui débute l'album, est déroutant et peut désarçonner l'auditeur non averti.
Puis vient « Pop » le « tube », le délire, un titre excellent qu'on peut passer en boucle, une voix hallucinante de folie, épileptique, désarticulée, sorte de croisement improbable entre Devo (ou Talking Heads) et Jesus Lizard, bruitiste et farfelu à la fois. Un titre assez extraordinaire qui survole l'album et qui accroche sans être commercial (et qui vaut à lui seul l'écoute de Plug), une envie irrépressible de sauter en l'air. Je pense même que c'est l'un des morceaux les plus jouissisf et fous de l'Histoire du Rock français, ni plus ni moins...
Avec « Game », « My Flies », et le très réussi « Bad news » on est dans un registre noise rock, plus brut, plus expérimental.
« Exactly », « Many things (to wear) » et surtout « Old faces » (presque punk celui-là) sont les meilleurs titres après « Pop » et ils montrent le potentiel indiscutable du groupe.
Sloy sortira encore deux bons albums ("Planet of tubes" et "Electrelite") avant de tirer sa révérence à la fin des 90's.
A noter que le groupe a joué trois fois en live à l'émission « Nulle Part Ailleurs » sur Canal +, qui en ce temps-là avait une programmation musicale des plus excitante.
En tout cas Sloy reste l'un des groupes français les plus passionnants des années 90. Et un groupe qui musicalement sort du lot.
Soulignons également que depuis quelques années, deux ex musiciens de la formation, Armand Gonzalez (chanteur-guitariste) et Virginie Peitavi (bassiste) se sont retrouvés autour du groupe 69, projet davantage minimaliste et expérimental, pour plusieurs albums des plus intéressants.

*Même si les Thugs gardent une impression mitigée de l'enregistrement et de la production réalisée sur "Strike".

jeudi 26 août 2021

THE DOORS : The Doors (premier album) 1967


Les Doors sont un mythe, un mythe intact 50 ans après la disparition de Jim Morrison.
Il faut dire qu’en l’espace de quelques années, le groupe a sorti plusieurs albums cultissimes dont deux chefs-d’œuvre (celui-ci, le premier, l’autre étant L.A woman paru en 1971).
Une musique qu’on peut immédiatement définir comme un mélange entre pop/rock 60's assez classique , rock psychédélique (leur nom est d'ailleurs un hommage à l’ouvrage « Les portes de la perception » d’Aldous Huxley ») et rock planant, avec parfois des touches nettement blues (et d’autres influences plus discrètes) mais qui en fait est largement plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord et se place de fait au delà de ces catégories simplistes.
En effet ce premier album est un disque d’un éclectisme assez révélateur, où plusieurs facettes musicales se dévoilent et se côtoient mais sans jamais nuire à la cohérence et l'alchimie de l’ensemble.
Une guitare discrète mais efficace et un clavier stratosphérique, l’âme musicale du groupe, mais sans jamais tomber dans le pompeux ou le grandiloquent (même sur le classique "Light my fire" où il est omniprésent).
Et surtout bien sûr Jim Morrison, une gueule, un look, une attitude, une prestance, un charisme fou et bien sûr un décès prématuré et trouble à Paris qui va accroître la légende ; sans oublier ses textes poétiques voire mystiques qui restent des références en matière de paroles de chansons.
En 1967 ce premier album fait figure d'une véritable bombe qui malgré des points communs avec le psychédélisme de l’époque se démarque nettement du mouvement hippie par une sorte de mystère, une attitude et une image presque impénétrable, un côté sombre que les Doors entretiennent, et qui tranche avec l’utopie des Grateful Dead ou Jefferson Airplane par exemple des années 67-68 et qui, à l’instar d’un "Astronomy domine" de Pink Floyd, sorti à la même époque, place les Doors dans une autre dimension, dans un univers à part.
Le groupe sait aussi cultiver à la fois son côté sérieux et son côté provocateur, notamment sur scène où les frasques de son chanteur ne se comptent plus !
Quelques grands classiques qui ont traversé les années et les générations et qu’on écoute avec plaisir en 2021 sont présents sur ce premier album :
"Break on through" qui d’emblée montre que le groupe est à part, novateur et qu’il a quelque chose de différent de la pop habituelle des sixties. Un morceau qui nous tombe dessus par surprise avec son rythme vaguement "latino".
C’est rapide, nerveux et ça tranche avec les standards de la pop habituelle.
"Light my fire" et son long et magnifique passage/solo au clavier (mais celui de guitare n'est pas mal non plus) et qui montre que le rock planant peut sonner rock !
Un des titres incontournables qui ont écrit la légende du groupe.
"The end" le plus mystérieux, le plus psychanalytique des morceaux, celui qui explore des univers et contrées jusque-là inconnus, qui fouille notre âme, notre for intérieur, ici on touche presque au mysticisme...Le titre qui, de fait, classe les Doors dans le rock psychédélique car il ouvre des portes que beaucoup auront du mal à franchir...
On note également deux belles reprises, notamment "Back Door Man" de Willie Dixon, où les Doors montrent leurs influences blues qu’on retrouve sur d’autres morceaux, mais aussi "Alabama Song" de Kurt Weill, grand classique de l'opéra "populaire" de la première moitié du XXeme siècle, dans un esprit très "cabaret" qui convient parfaitement au style Morrison, ainsi que les très bons "Take it as it comes" (qui sonne davantage comme un tube pop sixties) et "Soul kitchen", titre où tout le style et toute la magie du groupe sont présents, résumés en 3 minutes 30.
Citons également "Crystal ship", une bien belle ballade, mais personnellement je trouve que ce n’est pas là où la formation excelle le plus, et le très rock "Twentieth Century Fox". La voix de Morrison, suave, grave et chaude tantôt énervée, rageuse, tantôt crooner (l’influence de Sinatra sans doute) fait le reste.
Quand on parle du premier Doors, il est indispensable d'insister sur l'époque où il est enregistré.
Cet album sort en effet en1967. Nous sommes alors à une période charnière, de transition, à la croisée des chemins, période où le pop-rock classique du milieu des années 60, avec l’âge d’or des Who, Stones, Beatles, Kinks, côtoie la montée en puissance du rock psychédélique naissant (Pink Floyd, Jefferson Airplane, Grateful Dead, Seeds…) à partir de 67/68.
Et les Doors parmi les groupes de l’époque sont parmi ceux qui s’en sortent le mieux, parmi ceux qui sentent le mieux l’évolution que connaît le rock vers de nouveaux horizons car ils apportent quelque chose de neuf, de nouveau en mêlant les deux aspects du rock (pop classique et psychédélisme novateur).
Ce mélange des plus réussi, ce sont des compositions créatrices mais aussi un son original (peut-être dû à l'absence de basse compensé par un clavier mis en avant), une ambiance et une atmosphère nouvelles, cool et électrique à la fois, allant de la folie psychédélique de "The end" qui voisine des ambiances pop rock et blues.
Il se dégage une sorte de magie de ce disque, quelque chose de quasi mystique qui vous envoûte littéralement.
Trois classiques, plusieurs autres bons morceaux qui font du premier Doors à jamais un album marquant et incontournable du Rock.
Un groupe définitivement à part et qui rentre dès 1967 à jamais dans la légende, mais réduire les Doors à l'icône Jim Morrison serait injuste et réducteur.

mercredi 4 août 2021

Philippe GONIN : "Magma : décryptage d'un mythe et d'une musique"


Voici un ouvrage absolument incontournable pour décrypter et comprendre le mythe et l'énigme Magma, ses influences complexes et variées, la multitude de musiciens (le plus souvent très talentueux - on peut citer notamment Jannick Top et Didier Lockwood) qui ont accompagné Christian Vander le batteur-leader-compositeur depuis le lancement de la formation en 1969 et son univers si particulier. Un groupe unique, tellement à part, qu'il créera sa propre langue, le kobaïen et sera même à l'origine d'un style musical, le zeuhl, mélange d'influences qu'on peut sommairement définir comme se situant entre le jazz rock, le rock progressif, l'opéra wagnérien et la musique moderne du début du XXeme siècle...
Philippe Gonin signe un ouvrage très documenté, qui perce en partie le mystère Magma jusqu'à livrer quelques "secrets" (notamment sur la création des deux trilogies, clés de voute de l'oeuvre de Magma) sur un groupe qui tout en étant rigoureux et cartésien sait aussi manier à merveille la démesure et l'extravagance.

La première partie est consacrée à un survol de l'historique du groupe, ses débuts à une époque où le rock français était proche du néant hormis quelques rares formations telles Variations, Ange et deux ou trois groupes pop/rock comme Martin Circus, ses influences musicales (Carf Off, Bartok, Stravinsky, Wagner, le gospel et le rythm'n'blues, Pharoah Sanders et bien sûr John Coltrane, saxophoniste dont Christian Vander grand fan devant l'éternel ne s'est jamais remis du décès en 1967) et vocales (avec l'importance accordée par Magma aux choeurs, notamment féminins), sa cosmogonie (dont le fameux logo n'est que la partie la plus visible), son univers, sans oublier le côté spirituel de l'œuvre ...

La seconde partie est une analyse détaillée des albums y compris (mais davantage survolés) ceux d'Offering et les albums solo de Christian Vander ("Les cygnes et les corbeaux notamment").
L'auteur évoque l'instabilité chronique du groupe, la main mise de Christian Vander sur Magma, son apogée entre 1973 et 1976 (avec les albums "Mekanïk Destruktïw Kommandöh", "Köhntarkösz" et "Üdü Ẁüdü" - également le live 75 avec la présence de Didier Lockwood), son (relatif) déclin, sa mise en sommeil entre le milieu des années 1980 et 1992 et sa résurrection avec les albums "K.A" et "Ëmëhntëhtt-Rê". Mais aussi ses zones d'ombres notamment l'accusation qui sème le trouble au début des années 70, celle de véhiculer une idéologie fasciste, accusation qui ne sera jamais véritablement démentie (mais qui semble infondée). Quelques concerts seront perturbés mais cela nuira surtout à l'image du groupe. Si j'évoque ce thème, loin d'être central dans le livre, c'est qu'en découvrant Magma au début des années 80 ces soupçons d'idéologie sulfureuse collaient encore à la formation et m'avait un peu refroidi et détourné - provisoirement - du groupe (bizarrement on peut faire le rapprochement avec les accusations portées contre Blue Oyster Cult à la même époque et pour des motifs souvent similaires).

L'auteur, guitariste, mais aussi maître de conférences à l'université de Bourgogne, spécialisé dans le rock et notamment dans la création insiste de fait beaucoup sur l'aspect technique, la description des œuvres et le processus de composition et c'est là sans doute l'intérêt majeur de l'ouvrage que de montrer comment un tel groupe compose (essentiellement Vander même si d'autres musiciens ont apporté leur pierre à l'édifice), comment les morceaux prennent forme et comment les nouveaux titres sont joués pendant des mois voire des années en concert, dans différentes versions, avant d'être enregistrés (ou pas) en studio, une fois jugé définitivement aboutis par Vander.
Dans un registre similaire l'auteur aborde une autre particularité de Magma à savoir le fait que certains morceaux peuvent être abandonnés plusieurs décennies durant avant d'être enregistrés en studio. L'album "K.A", paru en 2002, est à la base une composition datant de la première partie des années 70, laissée de côté puisqu' étant jugée non satisfaisante puis reprise, améliorée et finalement réenregistrée dans une nouvelle version !
Pour corser le tout Magma incorpore également parfois des morceaux ou des passages existants déjà en tant que tels et ayant déjà été enregistrés en studio dans de nouveaux titres...
L'exigence de Vander dans ce long processus créatif est bien sûr analysée, décryptée et décortiquée avec minutie par Philippe Gonin.
Juste dommage que la création et le rôle du label Seventh records soient abordés un peu rapidement.

"Magma : décryptage d'un mythe et d'une musique" est assurément un ouvrage indispensable sur l'un des groupes les plus fascinants de la galaxie jazz / rock.
Et si l'auteur est fan du groupe il n'en oublie pas de garder de son esprit critique et une certaine objectivité.
(Encore un excellent bouquin paru aux Éditions "Le mot et le reste" dont il convient de saluer le travail remarquable effectué dans le domaine des ouvrages liés à la musique et notamment au rock). 

mardi 27 juillet 2021

DAVY JONES LOCKER : Davy Jones Locker (1991)



Davy Jones Locker, groupe de Thionville, est une sorte d’OVNI dans la scène rock française des années 90, mais avec toutefois plusieurs bons disques à son actif, dont ce mini album (26 minutes tout de même) sorti en 1991 sur le label Go Get Organized, à la pochette assez géniale et reflétant bien le délire du groupe.

Attention ce disque est réservé à ceux qui aiment un son « garage », primaire, brut. Pas de finesse ou de mélodies veloutées ni de démonstrations instrumentales ou d’arrangements feutrés. Non rien de tout cela ici !!

Ni vraiment grunge, ni vraiment noise, ni vraiment rock industriel, ni vraiment psychédélique, pas complètement garage dans le sens traditionnel du terme…un peu tout à la fois, sorte de croisement sonique entre les Stooges et Mudhoney. Un son bien crade, bien gras qui amplifie encore la lourdeur et le côté poisseux.

Le chant est quasi hurlé, saturé (malheureusement comme pour Mudhoney la voix est le point faible, pas toujours bien en place, pas toujours très juste et même si cela peut paraître secondaire ça reste assez dommage), musique fuzz, guitares dissonantes du début à la fin du disque, distorsions garanties, batterie primaire, basse assourdissante, on navigue à vue dans un bruitisme sonore, un magma électrique qui finalement s’avère agréable et jouissif si on arrive à le dompter (mais qui ne sera que souffrance pour les autres !!). Chaotique, bordélique, un son bien « pourri », mais finalement on en revient aux bases du rock de la fin des sixties et du début des seventies remis à la sauce des 90’s.

Car le groupe s'inscrit assurément dans le revival "garage" qui commence doucement à apparaître ces années là, mais y rajoute des ingrédients typiques des 90's, à savoir du grunge et du noise rock notamment.

Le son annonce déjà ce que proposeront des groupes comme Fuzz, Boris ou Oh Sees dans les années 2000/2010, même si loin de moi l'idée de comparer cet album avec ceux des groupes précédemment cités.

Mais Davy Jones Locker nous balance quelque chose de déjà bien rugueux, râpeux, agressif, sans concession, sans limite, aucune velléité mélodique ; d’ailleurs les titres avec un semblant de refrain sont quasiment les moins bons (par exemple « Power » qui débute l’album), le groupe est plus à l’aise quand ça arrache et quand les guitares se lâchent complètement.

Difficile de sortir des titres « phare » plus que d’autres sur cet album, citons néanmoins « Slide », « White » et bien sûr « Untitled » qui clôture le disque en un feu d’artifice sonique.

Ce qui est assez jouissif c’est de savoir que ce type de rock crade, déglingué et atypique ne pourra jamais être récupéré, à l’inverse du grunge quand celui-ci se fait plus lisse, par des majors mainstream car Davy Jones Locker fait partie de ces dinosaures qui ne rentreront jamais dans les normes imposées par un certain rock aseptisé.

Le groupe sortira ensuite deux autres albums, le « green album » avec sa pochette bleue (!!) puis « Palpable », beaucoup plus expérimental et lorgnant plus vers une musique industrielle, mais un peu trop austère à mon goût.

Davy Jones Locker reste néanmoins l’un des groupes hexagonaux les plus intéressants des années 90, qui sans réellement révolutionner quoique ce soit, a apporté sa petite contribution pour montrer qu’il y avait de bons groupes français dans les nineties. Mais les lorrains ont peut-être eu le tort de ne pas apparaître au bon moment.


mercredi 21 juillet 2021

Richard Neville : Hippie hippie shake


Nous avons déjà longuement abordé et évoqué sur Rock In Progress, à travers certaines chroniques, notamment celles de Benjamin, le mouvement hippie des années 60, ses rêves, son apogée, ses utopies, ses limites, son déclin et ses désillusions...
"Hippie Hippie Shake" est un ouvrage incontournable pour qui s'intéresse à cette période et pour mieux la comprendre 
au delà de l'aspect purement musical, l'auteur s'attachant à différents aspects de la contre-culture.
Richard Neville a été l'un des fondateurs de la revue OZ, d'abord en Australie puis à Londres, revue underground de contre culture à la fois satirique, provocatrice, corrosive et politique ; OZ a indéniablement marqué les années 60 et influencé le mouvement culturel et éditorial de l'époque. A travers « Hippie Hippie Shake » l'auteur nous entraîne dans un voyage passionnant au cœur de la contre-culture des années 60.
Tous les sujets phares de l'époque sont abordés : la drogue, le sexe et la libération sexuelle, la pornographie, l'homosexualité, le féminisme, la musique, le mouvement hippie, le flower power, la violence et la non violence, les arts, la contre culture en général, la politique, la presse, la censure, la répression policière, la justice, les droits des minorité, les Black Panthers, Mai 68, la mode, les routards, le psychédélisme.....
Richard Neville évoque aussi les espoirs du mouvement, les débats, les échecs, les déceptions, les désillusions et avec le recul les défaites mais aussi les avancées qui en ont découlé.
Car si le livre est aussi intéressant , c'est qu'en plus d'avoir, de l'intérieur, une vision du mouvement underground et de livrer de croustillantes anecdotes, l'auteur fait preuve d'humour, d'(auto)dérision et d'(auto)critique ; ici nulle apologie béate, Richard Neville portant un regard lucide et n'hésitant pas à développer certains sujets qui fâchent. Et surtout beaucoup de passages sont drôles et truculents, ce qui ajoute au piment du livre.
La récupération du mouvement (notamment concernant la mode, le design et bien sur la musique) est évoquée.
La musique est largement présente : on y croise les Doors, Jefferson Airplane, MC5, les Who, John Lennon (présenté à son avantage) et les Beatles, les Rolling Stones (avec au passage une petite pique contre Mike Jagger), Bob Dylan, Eric Clapton et Cream, Mike Farren, Pink Fairies et beaucoup d'autres rassurez vous, ainsi qu'un passage intéressant sur le festival de l'Isle de Wight.
Cependant la majorité du livre tourne autour de la répression subie par Oz, numéro après numéro, ses démêlées avec la justice jusqu'au procès pour obscénité, traité là aussi avec un humour irrésistible, puis l'emprisonnement des principaux rédacteurs (on peut y voir un portrait politique, social et moral de la Grande Bretagne de la fin des années 60, si conservatrice !)
C'est drôle mais aussi parfois trash (voir les nombreux passages consacrés au « Living theater » troupe d'artistes « no limit » et celui concernant les salons « érotiques » d'Amsterdam et Copenhague) .
On y croise des personnages hauts en couleur (prophètes, junkies, groupies, politiciens, routards hallucinés....) certains bien déjantés.
On y croise aussi les leaders du mouvement Yippies (Parti international de la jeunesse, mouvement anti-autoritaire très actif contre la guerre du Viet-Nam) Abbie Hoffmann et Jerry Rubin...qui deviendra dans les années 80 un reaganien pur et dur !!
Les débats internes à la contre-culture et au mouvement hippie sont également abordés notamment celui opposants les partisans de la non violence à ceux favorables à la lutte armée.
En lisant ce livre on voit également les contradictions du mouvement underground mais aussi le fait que celui ci n'était pas homogène ; déjà une élite « branchée » tournant autour de la mode et de l'édition apparaît clairement (les futures bobo en quelque sorte) et d'ailleurs il est clair que les jeunes qui faisaient partis du mouvement hippie ou du mouvement underground étaient majoritairement issus des classes moyennes ou aisées (d'où par définition un mouvement inter-classiste) et nombre d'entre eux deviendront ceux qu'on appelle familièrement les anciens soixante-huitards et qu'on croise encore de nos jours régulièrement dans la presse ou sur les plateaux télé. L'hédonisme individualiste de certains protagonistes de cette contre-culture apparaît déjà nettement dans certains passages du livre.
Mais à l'époque le mouvement était encore fort, plein d'espoir, avec une envie folle de changer le monde, de briser les carcans et les nombreuses avancées dans plusieurs domaines montrent que tout n'a pas été qu'échec même si une grande partie de cette génération sombrera dans la folie, la drogue, le suicide...ou finira par se renier.
Une vraie mine d'or pour ceux qui s'intéressent à cette période, un livre passionnant. 




mercredi 7 juillet 2021

JOY DIVISION : An ideal for living (1978)



Quand on parle de Joy Division on pense évidemment d’abord à « Unknown pleasures » et « Closer » leurs deux albums phare, à la fin tragique du chanteur Ian Curtis qui s'est donné la mort à 23 ans en 1980, mais on oublie bien souvent « An Ideal for Living » sorti en 1978 et qui est le premier enregistrement du groupe, le plus punk et le plus chaotique aussi, notamment de par sa production très primaire, même si certains passages annoncent déjà clairement le post-punk qui commence à pointer le bout de son nez (l’intro de « No love lost » par exemple et surtout « Leaders of the men ») et qui sont déjà précurseurs de ce que fera par exemple Killing Joke sur son premier album. Ces quatre titres déploient une énergie très différente des futurs « classiques » du groupe, albums nettement plus sophistiqués.
Pour ma part je trouve qu’il y a un bon dosage, un bon équilibre entre ce qu'on appelle le "punk 77" et ce qui va devenir le post-punk et dont cet enregistrement pose déjà quelques jalons.
Disons le tout net au risque de créer l’incompréhension c’est assurément l’enregistrement de Joy Division que je préfère mais je ne suis pas forcément objectif dans la mesure où je ne suis pas un grand fan de post-punk et encore moins de new wave (et de tout ce qui s’en rapproche, et à plus forte raison la cold wave !!) et que la suite de la carrière de Joy Division, celle qui est quasi divinisée, m’emballe moins.
« An Ideal for Living » est donc davantage rentre-dedans, on est encore 1978, le punk évolue mais n’est pas mort, quoiqu’en disent certaines mauvaises langues.
« Warsaw » (qui était d’ailleurs le nom initial du groupe avant de changer pour Joy Division) et « Failures » sont des brûlots « brut de décoffrage » alors que « No love lost » est magnifique avec sa montée progressive en puissance et son final étourdissant d’intensité.
Encore une preuve de l’esprit punk qui habite ce maxi 45 tours ?
La provocation de la pochette qui montre un enfant des jeunesses hitlériennes jouant du tambour, tandis que le titre « Warsaw » a pour thème la vie de Rudolf Hess. Autre époque où la provocation ne faisait pas toujours dans le bon goût c’est vrai.
Accusé de nazisme le groupe démentira et répondra en jouant au festival "Rock Against Racism".
Un mot sur le chant : alors qu’on a souvent dit que la voix de Ian Curtis se rapprochait de celle de Jim Morrison je trouve qu'ici elle sonne davantage comme une sorte de Lou Reed punk (voir notamment « Failures » très proto-punk, presque stoogien).
Bref, un premier maxi 45 tours passé un peu aux oubliettes et qu’il est toujours temps de (re)découvrir.


mardi 22 juin 2021

VOIVOD : Nothingface (1989)


S'il y a bien un groupe dont il est difficile de dégager un album plus qu'un autre c'est bien le cas de Voivod la formation de thrash métal canadien, l'un des pionniers du genre. Mais de mon point de vue ce "Nothingface" est dans doute le plus intéressant voire même le meilleur disque de nos amis québécois. Et c'est justement celui que je vous propose de chroniquer ! Même si objectivement le débat peut être ouvert tant le groupe a sorti quelques bons disques en plus de 35 ans de carrière.
J'avoue que bizarrement à la première écoute de ce "Nothingface" comme d'ailleurs pour l'album précédent "Dimension Hatross" j'avais été un peu déçu, j'avais eu du mal à rentrer dans l'album et n'avais pas accroché immédiatement.
Car si ici, à la base, il s'agit bien de thrash métal on part très vite vers des parties plus expérimentales à la croisée de nombreuses influences, progressives notamment et aussi parfois psychédéliques. Il faut dire qu'on s'éloigne de plus en plus du thrash métal traditionnel des débuts du groupe, notamment de "Killing technology" et qu'on pourrait qualifier cet album de métal alternatif si le terme avait existé à cette époque, ce qui n'était pas le cas et si celui-ci n'avait pas été utilisé pour tout et n'importe quoi ensuite (de Helmet à Therapy en passant par Evanescence !!) à en finir par devenir complètement galvaudé. C'est pourquoi le terme de métal expérimental me paraît plus approprié.
Après quatre albums 100% thrash métal et même si "Dimention Hatross" le prédécesseur de "Nothingface" exposait déjà quelques velléités expérimentales, Voivod prend ici un tournant, leur métal est plus mélodique, plus travaillé, plus progressif, plus technique, plus recherché, en un mot plus expérimental. De toute manière Voivod a toujours été un groupe atypique, cherchant sans cesse à créer, à innover.
La voix de Denis "Snake" Bélanger et la complexité des morceaux, leur structure peuvent certes facilement dérouter. Plusieurs écoutes sont donc nécessaires pour apprécier toutes les subtilités musicales.
Voivod a su passer avec succès du thrash métal au métal progressif de qualité sans se renier mais en évoluant au fil de ses nombreux albums, Le groupe n'a d'ailleurs aucun raté dans sa discographie malgré sa perpétuelle remise en question.
Après "Killing Technology" puis surtout "Dimension Hatross", le groupe prend donc avec "Nothingface" un léger virage progressif (et même un peu plus "atmosphérique" comme l'atteste la sublime reprise du classique de Pink Floyd période Syd Barett  "Astronomy domine" qui en est le parfait exemple, Voivod reprendra d'ailleurs également "The Nile Song" un peu plus tard).

Les morceaux sont innovants et mélangent plusieurs styles, les changements de rythme sont légions, donnant l'impression d'avoir plusieurs morceaux en un, le tout créant une atmosphère assez spéciale (assez futuriste/SF, science fiction dont plusieurs musiciens sont de grands fans avoués) , le tout étant souvent assez déroutant pour qui découvre Voivod.
Les titres sont d'une grande homogénéité ; étrangement le morceau qui ouvre l'album et celui qui le termine sont peut-être les moins passionnants, pour le reste difficile de ressortir une chanson plus qu'une autre, mes goûts personnels allant vers "Missing sequences", la reprise de Pink Floyd "Astronomy domine" déjà citée, le plus mélodique "Inner combustion" et enfin "Nothingface".
Mais si vous voulez un titre vraiment représentatif du style Voivod alors direction "Pre-ignition" morceau déroutant, presque hallucinant, qui surprendra l'auditeur non averti, tant on ne sait plus où donner de l'oreille !
Au début des années 90 avec "Angel rat" et "The outer limits" Voivod explorera des contrées plus mélodiques et plus "classiques" avant de revenir à des albums se rapprochant musicalement de "Nothingface" avec "Negatron", "Phobos" et "Voivod".
Nous avons là un des groupes métal les plus intéressants et créatifs des années 80/90 (mais répétons le pas forcément le plus facile à appréhender tant les morceaux peuvent parfois être complexes) et surtout Voivod a réussi à créer son propre univers, sa propre originalité et au fil des ans est devenu facilement identifiable tant par le style (certains voient en Voivod le premier groupe de métal progressif), le son mais aussi par l'atmosphère qu'il dégage (tout le long de l'album nous naviguons dans une ambiance complètement futuriste, mystérieuse). Et c'est aussi pour cela que les québécois sont régulièrement cités comme une influence majeure par maintes et maintes formations. 
Et puis n'oublions pas que Voivod a toujours eu la réputation d'être l'un des groupes les plus sympas et les plus ouverts de la scène métal.
Alors si vous ne devez écouter qu'un album de ce groupe allez jeter une oreille attentive sur le brillant "Nothingface" même si ce n'est pas le disque le plus accessible des canadiens.

mardi 8 juin 2021

KILL THE THRILL : Dig (1993)


Kill the thrill est un groupe français (plus précisément de Marseille) évoluant dans un registre entre rock industriel et noise et qui est apparu au début des années 90 avec quelques bons albums à la clé notamment « Dig », leur premier (sorti en parallèle avec un maxi quatre titres "Pit" également intéressant).
Le groupe, qui officie sous forme de trio, rappelle un peu les anglais de Godflesh ou les deux premiers albums des français de Treponem Pal avec ce côté sombre omniprésent, sombre mais jamais austère musicalement parlant ; c'est pesant, puissant, oppressant et implacable à la fois. La mélodie est volontairement absorbée par la saturation des guitares. On est assez loin de Ministry par exemple.
L'atmosphère du disque est noire , très noire même sur certains titres. Une ambiance d'usine désaffectée, laissée à l'abandon. Les guitares sont la lame tranchante d'une aciérie alors que la rythmique serait l'enclume d'une sidérurgie, le tout nous certifiant, si besoin était, que nous sommes en plein dans l'univers "rock noise industriel" qui semble sur ces huit titres n'avoir jamais aussi bien porté son nom.
Pas de batterie mais une machine/boîte à rythme qui donne le tempo, assez lent dans l'ensemble. Un son globalement (dis)tordu à souhait, sorte de vacarme auditif assez jouissif pour qui évidemment apprécie ce style musical !
Dommage que la bassiste Marilyn ne chante pas plus ; sur « Dig » elle n'officie au chant que sur l'excellent "Out Loud" (on peut l'entendre également en partie sur "I hate your world" qui je crois figure en bonus sur la réédition CD), titre qui alterne magistralement accalmies et ouragans bruitistes.


La voix, tenue principalement par Nicolas, le guitariste, est parfois un peu limite quand elle se fait plus calme, notamment sur les quelques passages qui lorgnent un peu vers le post-punk, mais elle est à la hauteur pour les parties plus hurlées.
Autre petit reproche qu'on pourrait volontiers faire : un léger manque de variété musicale (tous les morceaux sont un peu fondus dans le même moule) mais ce manque de variété peut aussi être une force puisqu'elle donne un aspect compact et une certaine homogénéité au disque.
D'ailleurs l'ambiance d'ensemble de l'album demeure assez remarquable avec ses atmosphères puissantes, ce côté oppressant et ces sonorités particulières qui placent Kill the thrill parmi les formations majeures de ce genre "noise industriel" dont l'école française n'a pas à rougir avec des groupes comme Deity Guns, Ulan Bator...(mais Kill The Thrill se place délibérément dans un registre plus "rock", moins expérimental).
Hormis "Out loud", "Blood money" et "My history" sont les deux autres morceaux phares de l'album mais on peut également citer "I will die" et "Sixth column" .
Notons que Kill the thrill sortira encore quelques bons albums, notamment "203 barriers" et qu'il n'est pas officiellement dissous même s'il n'a plus rien enregistré depuis de longues années.
Un des groupes français les plus intéressants des années 1990/2000, que j'ai eu la chance de voir plusieurs fois en concert avec Coroner, Young Gods ou Treponem Pal... Et encore un groupe injustement tombé dans l'oubli, de cette période du rock français, qui s'avère finalement plus riche qu'elle n'y paraît.

mardi 1 juin 2021

BLISS BLOOD (INTERVIEW) : Deuxième partie



Pour ma première interview j'ai choisi de donner la parole à Bliss Blood, dont le parcours est à la fois étonnant et atypique. Artiste complète qui fut pendant environ 10 ans la chanteuse de Pain Teens, l'un des plus intéressants groupes de noise rock des années 80 et 90, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ici en chroniquant il y a quelques semaines l'excellent "Destroy me, lover".
Le groupe de Scott Ayers et Bliss Blood sortira finalement six albums entre 1988 et 1995.
Partie ensuite à New York, elle a bifurqué vers une toute autre voie, d'abord avec The Moonlighters, du jazz rétro très influencé par les années 20/30 et qu'elle qualifie volontiers de "swing hawaïen" et où elle joue également de l'ukulele, puis ensuite en duo avec le guitariste Al Steet davantage tourné vers le blues flamenco très intimiste.
Elle a également participé à d'autres projets, notamment avec le groupe Exit 13.
Au delà de l'intérêt musical des groupes auxquelles elle a participé, c'est son parcours et la diversité des styles musicaux abordés qui fascinent.
Un parcours insolite, plus que surprenant, que j'avais envie de partager et de faire découvrir à travers cette interview que Bliss Blood nous a accordée avec beaucoup de gentillesse et d'amitié et ainsi de revenir sur l'ensemble de sa carrière.
En espérant que Bliss Blood puisse rapidement s'investir dans de nouveaux projets musicaux...
Du Texas vers New York, du noise rock vers le jazz...
En route...



DEUXIEME PARTIE :

* Ensuite, tu es donc partie pour New York et tu t'es lancée dans le jazz. Comment as-tu eu cette passion pour ce style musical ? L'aimais tu déjà avant ? Où est-ce arrivé à ce moment-là ?

J'avais toujours aimé la musique des années 1920, et avant de déménager à New York, j'ai acquis une grande collection de jazz vocal des années 1920 et 30 grâce à mon travail, donc j'avais une importante discothèque dans laquelle puiser. J'ai appris le ukulélé pour pouvoir jouer en solo ici à New York, et très peu de temps après avoir commencé à jouer en live, j'ai rencontré Andrew Hall et Henry Bogdan qui ont formé les Moonlighters avec moi. J'ai également engagé ma colocataire Daria Klotz pour jouer du ukulélé et chanter. Le principal plaisir de ce projet pour moi a été d'apprendre à écrire de la musique dans ce style classique de Tin Pan Alley, et j'ai commencé à écrire plus de 30 chansons qui s'accordaient bien avec les anciens morceaux de reprise. Après qu'Henry et Daria soient partis, Mike Neer s'est joint à la steel guitar et Carla Murray à la guitare et au chant, nous avons donc eu une deuxième incarnation des Moonlighters, et je pense que c'était la programmation classique, parce que Mike et moi avons collaboré et écrit de très bonnes chansons. Nous avons joué à des mariages pendant environ 10 ans, et c'était une excellente façon de gagner sa vie tout en prenant beaucoup de plaisir.


* C'est un cheminement étonnant, une évolution surprenante mais d'une grande originalité. Venant du noise rock expérimental et ensuite jouer du jazz ? Était-ce une idée que tu avais déjà en tête ?

Eh bien, j'incorporais déjà des idées de jazz sur "Beast of Dreams" et même plus tôt avec une reprise de "You're Blase" de Peggy Lee. New York est la ville du jazz, du moins l'était à l'époque. J'avais comme rêve d'être une chanteuse genre Billie Holiday, mais les choses ne se sont pas vraiment déroulées de cette façon. Ensuite je suis un peu revenue à cette idée avec la musique que j'ai jouée avec Al Street, mais je suppose que j'ai aussi également du rock and roll dans mes veines.


* Concernant les Moonlighters c'est du jazz mais assez rétro, très 20/30 avec des influences de la musique folk traditionnelle hawaïenne aussi ? Et c'est principalement basé sur des guitares ? Mais toi comment définirais-tu le style musical des Moonlighters ? (3)

Nous l'avons appelé "Hawaiian Swing". J'aimais le swing, et Henry aimait la musique de "steel guitar" hawaïenne, alors nous l'avons fusionnée dans une version moderne de musiciens hawaïens classiques comme Sol Ho'opii et Andy Iona. À l'époque, beaucoup de gens s'intéressaient au jazz à cause d'une série PBS de Ken Burns intitulée Jazz qui a été diffusée chaque semaine pendant plusieurs mois et qui a instruit le public sur le jazz, afin que les gens soient davantage prêts pour notre vision du jazz.


* Avec les Moonlighters, tu composes la musique en plus des paroles ?

Oui, parfois j'écrivais la musique et les paroles et parfois je collaborais sur une composition d'un autre membre du groupe en ajoutant des paroles.


* Y a-t-il eu une évolution des textes et des thèmes abordés entre Pain Teens et les groupes suivants ?

Il y a une mélancolie chez les Moonlighters qui, je suppose, n'est qu'une partie essentielle de ma personnalité.
(...) Le morceau "Blue and Black-Eyed" qui figure sur le premier CD des Moonlighters raconte l'histoire d'une prostituée du vieux New York qui se suicide. Si tu écoutes les paroles, tu verras un fil de blues qui passe par là, ce qui, je pense, est une expression américaine de l'inégalité fondamentale de la vie ici.


* Tu joues du ukulélé, un instrument relativement inconnu ? Comment as-tu eu ta passion pour cet instrument de musique ? (4)

Ce n'est pas du tout inconnu ! Ici, c'est énorme et continue d'être "redécouvert" tous les deux ans environ. Mon père jouait du ukulélé quand j'étais enfant et j'aurais aimé qu'il m'ait appris à ce moment-là. J'ai dû le reprendre après des années d'apprentissage sans succès à la guitare, avec l'idée de la facilité de jeu, et c'était populaire dans les années 1920, lorsque la musique dans laquelle j'évoluais a été diffusée pour la première fois auprès du public blanc et est devenue courante après avoir été une partie importante de la culture des noirs américains depuis des décennies, du ragtime jusqu'au blues.




* Ensuite, tu as formé un duo avec le guitariste Al Street pour des albums blues folk plus intimistes avec toujours un petit côté jazzy. J'ai même ressenti quelques passages reggae et surtout flamenco avec bien sûr une guitare avec beaucoup d'influences "hispaniques" ?

Al Street est un guitariste très polyvalent et qui adorait les défis stylistiques. C'est un grand fan de guitare espagnole et en particulier de Paco de Lucia (...). Nous avons aussi fait des choses se rapprochant du style psychédélique de Syd Barrett mais également des musiques de films noirs français, du reggae, du flamenco, ainsi que de la musique traditionnelle de l'ancien Punjab indien.


* En tout cas Unspun et Evanescent sont de magnifiques albums ...

Merci beaucoup.


* Tu sembles particulièrement à l'aise et épanouie dans ce format : voix / guitare ?

J'aime la liberté de rester simple et de pouvoir travailler simplement avec une autre personne. Mozart a appelé la guitare "The Little Orchestra" et elle est vraiment polyvalente.



* Y a-t-il un fil conducteur entre les trois projets ou est-ce arrivé naturellement ?

Moi, je suppose !


* Un mot sur le public : celui des Moonlighters et ton duo avec Al Street doit être très différent de celui de Pain Teens. Cela ne t'as t-il pas fait une impression étrange de passer du public rock au jazz / blues ?

Je pense que les gens du jazz à New York ont ​​été très rebutés par mon nom de scène : Bliss Blood (5). Ils ont trouvé ça dégueulasse, je pense. Dommage. En ce qui concerne le public, le public de Pain Teens est à des années lumières de moi maintenant. Mais certains d'entre eux aiment néanmoins la musique que j'ai jouée ensuite, car au départ il faut déjà être assez ouvert d'esprit musicalement pour apprécier les Pain Teens !


* New York est l'une des villes les plus créatives et les plus musicales, est-ce la ville idéale pour un musicien ?

C'est en fait assez terrible. Il n'y a pas de radio qui diffuse de la musique d'artistes locaux. Pas beaucoup de promotion ou d'avis dans la presse écrite locale. Puis tout a changé avec internet et nous sommes vraiment tombés chacun dans un petit trou noir individuel bien obscur. Ces dernières années, je ne faisais que de petits concerts dans des restaurants et je faisais des travaux annexes comme vendre des disques au marché aux puces et donner des cours de ukulélé pour couvrir les factures.
Il y a 30 000 musiciens à New York, donc la concurrence est écrasante, et pourtant la plupart des gens ne s'intéressent qu'à la musique grand public. Personne ne s'intéresse au blues, c'est comme la peinture rupestre pour eux ou quelque chose comme ça. J'ai réalisé que je suis une artiste de niche, et comme je suis plus âgée maintenant personne n'est vraiment très intéressé, du moins en ce moment.



* Lorsque tu as commencé Pain Teens, il y avait peu de filles dans les groupes. As-tu été confrontée au sexisme et au machisme ? Et dans le jazz et le blues, est-ce différent ? Encore une fois j'ai l'impression qu'il y a peu de femmes, ou est-ce que ça évolue comme dans le rock où l'on voit de plus en plus de filles ?

Être une femme sur la scène musicale est toujours un défi. Il y a toujours du sexisme. J'aimais être féministe et me défendre, être la personne qui va réclamer l'argent au propriétaire du club. C'est la même chose dans tous les genres, rock, jazz, blues, probablement aussi dans la musique classique, reggae, rap, peu importe. Mais il semble que les gens commencent à être plus inclusifs ces temps-ci, en particulier les jeunes qui acceptent tout le monde comme étant leur égal. C'est encourageant, et puis nous devons remercier tous nos prédécesseurs, pères et sœurs, sur les épaules desquels nous nous tenons et nous nous dressons aujourd'hui, car ils nous ont tous défendus et ont aidé à changer la mentalité chauvine.


* As-tu suivi l'évolution du mouvement Riot Grrls au début des années 90 et qu'en as-tu pensé ?

Nous avons été présentés aux Riot Grrrls lorsque nous avons joué à Olympia dans l'Etat du Washington, (ville dont est originaire Bikini Kill les pionnières du mouvement) en 1992 avec Bikini Kill à l'affiche. Nous avons ainsi rencontré Kathleen Hanna (la chanteuse), qui était une "dure à cuire". Nous leur avons suggéré de changer l'ordre de passage avec nous, et nous avons donc ouvert pour eux, car nous pensions que la plupart des gens du public seraient là pour les voir eux (...). Nous avions raison, mais Bikini Kill pouvait à peine jouer une chanson sans être obligé de s'arrêter. C'était leur tout début et le groupe manquait encore de confiance. Ensuite le groupe s'est amélioré et le mouvement Riot Grrrls a commencé ! Je n'ai jamais vraiment acheté des disques de ce genre de musique mais j'étais en quelque sorte une sœur aînée pour cette scène. Je suis heureuse qu'elles se battent pour le bon combat, mais j'étais un peu au-delà de cette musique punk primitive à ce moment-là. Au fil du temps, je les ai suivis dans les médias, même si j'étais dans la scène jazz ici. Mais toujours fière des féministes du monde entier !



* Que fais-tu musicalement maintenant, parce que je pense que ton duo avec Al Street est terminé ?

Rien. Peut-être un jour...


* Donc pas de projets en cours ?

Non, même si j'adorerais faire une revue rétrospective à la Tom Waits de ma musique un jour, si c'était possible. J'adorerais avoir un ensemble original qui puisse reconstruire de manière cool la musique de l'ensemble des différentes parties de ma carrière.


* Comment vis-tu cette période de Covid, sans concert, pas facile pour un musicien ?

Heureusement, j'étais en grève des loyers contre mon propriétaire depuis plusieurs années avant le COVID, alors j'avais de l'argent à la banque. Sinon, je ne sais pas ce que j'aurais fait. Maintenant, je vends des disques au marché aux puces le week-end, et je vends des disques en ligne sur Discogs.



* J'ai vu qu'avec The Moonlighters vous aviez joué plusieurs fois en Allemagne ? As-tu déjà joué en France avec l'un de tes groupes ?

Nous avons fait quatre tournées en Allemagne, nous avions à Tübingen un agent qui s'occupait des réservations pour les tournées et qui était très gentil avec nous. Nous avons fait des spectacles énormes, mais surtout dans de petits clubs folkloriques et des restaurants dans le sud et le centre de l'Allemagne. Je dois dire que nous avons adoré Munich, le meilleur endroit, les gens y ont fait un "mosh pit" pour les Moonlighters !




* Es-tu toujours en contact avec des groupes de la scène noise rock, suis-tu toujours leur activité ou as-tu rompu les liens ?

Nous sommes toujours en contact grâce à Facebook. Des gens que je n'aurais jamais pensé revoir ou que je connaissais à peine sont maintenant en contact. C'est amusant, et je suis heureuse que cela existe pour tout le monde, malgré le côté négatif des réseaux sociaux.


* Veux-tu dire un mot sur la situation politique aux USA ?

Espérons que ça s'améliore. Nous devons cesser de gaspiller nos deniers publics dans le complexe militaro-industriel et le réinvestir pour faire de notre pays un meilleur endroit où vivre, et aider les habitants des pays du Sud à avoir une vie meilleure. Supprimons le financement des combustibles fossiles et de la police !


* As-tu quelque chose à ajouter ? Ou une question que j'aurais peut-être oubliée ?

Je voudrais juste vous dire merci beaucoup pour l'intérêt que vous portez à ma carrière. C'est passé bien trop vite! Mais je suis reconnaissante envers toutes les personnes sympas que j'ai pu rencontrer, divertir, et pour tous les bons moments sympas que j'ai pu avoir, et je souhaite qu'il en soit de même pour vous.


(3) du jazz plutôt joyeux alors que Pain Teens évoluait dans un style plus sombre
(4) j'avoue que je me suis trompé de mot dans ma question, je voulais plutôt dire méconnu, peu utilisé y compris dans le jazz...tant pis !
(5) On peut traduire Bliss Blood par "sang de béatitude"


Vous pouvez retrouver Bliss Blood sur Bandcamp :

Interview réalisée par mail en avril et mai 2021. 
Merci à JeHanne pour le coup de main pour les problèmes de traduction et la relecture


lundi 24 mai 2021

BLISS BLOOD (Interview) : première partie



Pour ma première interview j'ai choisi de donner la parole à Bliss Blood, dont le parcours est à la fois étonnant et atypique. Artiste complète qui fut pendant environ 10 ans la chanteuse de Pain Teens, l'un des plus intéressants groupes de noise rock des années 80 et 90, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ici en chroniquant il y a quelques semaines l'excellent "Destroy me, lover".
Le groupe de Scott Ayers et Bliss Blood sortira finalement six albums entre 1988 et 1995.
Partie ensuite à New York, elle a bifurqué vers une toute autre voie, d'abord avec The Moonlighters, du jazz rétro très influencé par les années 20/30 et qu'elle qualifie volontiers de "swing hawaïen" et où elle joue également de l'ukulele, puis ensuite en duo avec le guitariste Al Steet davantage tourné vers le blues flamenco très intimiste.
Elle a également participé à d'autres projets, notamment avec le groupe Exit 13.
Au delà de l'intérêt musical des groupes auxquelles elle a participé, c'est son parcours et la diversité des styles musicaux abordés qui fascinent.
Un parcours insolite, plus que surprenant, que j'avais envie de partager et de faire découvrir à travers cette interview que Bliss Blood nous a accordé avec beaucoup de gentillesse et d'amitié et ainsi de revenir sur sa l'ensemble de sa carrière. 
En espérant que Bliss Blood puisse rapidement s'investir dans de nouveaux projets musicaux... 
Du Texas vers New York, du noise rock vers le jazz...
En route...


PREMIERE PARTIE :


* Peux-tu nous parler de ton parcours et de tes activités avant Pain Teens ?

J'ai grandi dans la plus grande ville du Nebraska, Omaha, une ville de 500 000 habitants à l'époque. Tu sais mes parents étaient ce qu'on peut appeler des travailleurs complaisants, typiques de la communauté chrétienne du Midwest des années 50. Vers l'âge de 13 ans, j'ai commencé à me rebeller et j'ai refusé d'aller à l'église. Quand j'avais 17 ans, nous avons déménagé à Houston, au Texas, au cours de ma dernière année de lycée. Mes amis du Nebraska m'ont manqué et j'ai été déçue. Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai déménagé pour aller dans la maison d'un copain pendant environ un an, puis j'ai obtenu mon propre appartement. J'ai eu une série d'emplois horribles avant d'aller à l'université pendant deux ans, puis j'ai été obligée d'abandonner parce que mes parents refusaient de contribuer à mes études. J'ai eu plusieurs boulots d'employée de bureau plus terribles les uns que les autres, puis j'ai quitté ce monde et j'ai commencé à travailler dans un magasin de disques et à faire de la musique avec Pain Teens.


* A cette époque, quels étaient tes goûts musicaux, tes chanteurs/chanteuses préférés ?

J'aimais la musique New Wave comme Siouxsie and the Banshees, Nina Hagen, The Cure et des trucs plus étranges comme The Birthday Party, Throbbing Gristle, D.A.F., Einsturzende Neubauten. J'aimais aussi Bessie Smith et Janis Joplin, les débuts du jazz et du blues des années 1920.


* Comment s'est créé Pain Teens ?

Scott Ayers était un de mes amis de classe d'anthropologie à l'Université de Houston. Je suis allée écouter son groupe Alien Labor jouer sur le campus, et il m'a fait écouter un enregistrement de musique expérimentale sur un petit magnétophone. Cela m'a rappelé 'My Life In the Bush of Ghosts' d'Eno et David Byrne. Nous ne nous sommes pas vus pendant quelques années après la fin de cette année scolaire. A l'époque j'écrivais des critiques pour un magazine de musique local gratuit et j'entendais son autre groupe Naked Amerika à la radio universitaire. Je suis donc allée écouter sa formation (..) et aussi raviver notre amitié. Il s'est avéré qu'aucun de ses autres membres du groupe n'était vraiment intéressé par sa musique expérimentale, alors j'ai décidé de rejoindre les Pain Teens. Il avait donc enregistré pas mal de choses pendant plusieurs années avant que je ne rejoigne le groupe, et beaucoup de ces premiers enregistrements ont ensuite été publiés sur nos démos ou repris en tant que nouvelles compositions de Pain Teens. Des chansons comme Symptoms, Shock Treatment, qui ont fait partie des albums Born in Blood et Case Histories, ont été extraites de ces premiers enregistrements.



* Le groupe s'est formé au Texas. Vu de France c'est un état qui n'est pas particulièrement réputé pour ses groupes de rock comparé à la Californie, New York, Detroit ou Seattle ? Qu'en est-il réellement ? (1)

À l'époque, il y avait quelques groupes célèbres du Texas des années 1960, comme Red Krayola, The 13th Floor Elevators, et puis une ère nouvelle avec des groupes punks comme The Dicks, les Big Boys, M.D.C, puis la vague suivante était emmenée par The Butthole Surfers. Les Surfers étaient les plus fameux et les plus connus quand sommes arrivés. Ils ont été à l'origine d'une nouvelle scène punk rock psychédélique qui était unique au Texas à l'époque, de nombreux groupes comme Ed Hall (qui a commencé à San Francisco et a déménagé à Austin), Crust, Lithium Xmas, Non-Dairy Creamers, Drain, Cherubs, Evil Mother, Angkor Wat, John Boy, ont été engendrés par eux. Houston avait beaucoup de grands groupes comme Culturcide, The Party Owls, Keel Haul, Sugar Shack, Dead Horse, Ms.Carriage and the Casual Tease, The Introverts, Really Red, Grindin' Teeth, Rusted Shut, The Mike Gunn, Bayou Pigs, Turmoil in the Toybox, Sprawl, au moment où nous construisions cette scène à la fin des années 1980 et au début des années 1990.
Les scènes de Californie, de New York et du Royaume-Uni étaient les plus influentes, quelques groupes comme les Stooges et MC5 de Detroit, mais Seattle n'était pas vraiment sur la carte jusqu'aux années où Pain Teens a commencé à se produire. Je suppose que quelques groupes comme Melvins avaient commencé à "explorer" et "défricher" le coin, mais personne ne s'en souciait vraiment jusqu'à ce que Sub Pop et K records commencent à sortir des trucs.


* Au début les premiers albums sont plutôt du noise rock expérimental ?

C'était un projet de studio que Scott a réalisé en solo pendant plusieurs années avec une bande 4 pistes et des cassettes. Il a tout joué, fait les overdubs et mixé. C'était intentionnellement très primitif et biaisé, afin de pouvoir provoquer et déranger quelques pans de la société ; et pour pouvoir ainsi se moquer de toute l'hypocrisie.
Quand je me suis jointe au groupe, nous avons fait plus d'enregistrements expérimentaux (Count Magnus, Innsmouth) qui ont été inspirés par mes auteurs d'horreur préférés du début du XXe siècle, H.P. Lovecraft et M.R. James. Scott est vraiment entré dans Lovecraft et a fait un tas de morceaux inspirés de ses histoires : Brown Jenkin, Mindless Piping, etc.
Au fil du temps, parce que je suis avant tout une chanteuse, nous avons commencé à ajouter des pistes vocales, puis le moment est venu de jouer en live. Pour notre première représentation, nous avons joué avec des bandes d'accompagnement. Scott portait un masque d'Halloween Michael Meyers et je portais un voile noir sur mon visage. C'était dans un espace artistique, donc c'était le premier concert parfait. Perry Webb et Dan Workman de Culturcide étaient les têtes d'affiche, Dan jouait de la guitare solo tandis que Perry dessinait d'énormes figures symétriques en utilisant les deux mains (...). C'était un super premier concert.
Mais ensuite, nous voulions jouer au club punk rock, The Axiom, nous avons donc dû composer une musique plus adaptée à cet environnement. Nous avons invité les amis de Scott, Bart Enoch et David Parker à jouer de la batterie et Steve Cook à jouer de la basse. Plus tard, nous avons remplacé Steve par Kirk Carr et avons également ajouté Ralf Armin de Ms. Carriage à la guitare pendant environ un an.


* Vous avez enregistré "Death Row Eyes", un single, sur Sub Pop. Que retiens-tu de cette expérience sur un label important (celui de Nirvana notamment) de l'époque ?

C'était un enregistrement inutilisé d'une chanson que nous jouions en live. Sub Pop faisait un "Singles Club", où vous vous abonniez et obteniez un single 7'' différent chaque mois. C'était vraiment cool d'être inclus là-dedans, je suppose parce que nous avions joué à Seattle et que les gens là-bas savaient qui nous étions. Le meilleur aspect de tout ça fût de collaborer avec l'artiste pop anglais bizarre Edwin Pouncey, mieux connu sous le nom de Savage Pencil. Il était extrêmement cool et est venu nous voir lorsque nous avons joué à Londres en 1991. Comme Steven Severin de Siouxsie and the Banshees, et John Peel, qui nous avait déjà envoyé une carte postale de fan quand il a reçu l'album Case Histories via le réseau de distribution radio Rockpool, qui à l'époque envoyait des albums aux stations de radio des États-Unis et à la BBC, une aide considérable dans la promotion de notre musique.
Je ne me souviens pas vraiment de Sub Pop, je pense qu'ils nous ont payé une somme forfaitaire et environ 50 exemplaires du disque. Je ne sais pas combien de singles ont été pressés au total, mais c'était plutôt chouette.




* J'ai découvert Pain Teens dans les années 90 avec "Destroy Me, Lover", le cinquième album vraiment différent, plus "classique", un peu plus pop rock. C'est mon préféré. Cette évolution a été faite délibérément ou est-ce une évolution logique ?

Je pense qu'une partie de ce résultat est dû à la musique différente que j'ai assimilée en travaillant dans un magasin de disques pendant de nombreuses années. J'ai fait les samples sur le morceau 'Dominant Man' à partir d'un disque de jazz avec un nouveau clavier d'échantillonnage cool que Scott avait acheté. Nous aimions toutes sortes de musique et nous mélangions tout ensemble pour voir jusqu'où nous pouvions aller tout en restant bizarre. Scott a aimé cette émission de télévision "Get A Life" qui avait une chanson thème de R.E.M et il a fait RU-486 et m'a demandé de lui donner un titre et de chanter dessus. Je n'aimais vraiment pas R.E.M à l'époque, j'ai fait les paroles sur la pilule abortive et j'ai essayé de la rendre aussi féministe et subversive que possible. C'était donc en quelque sorte notre processus - rendre les choses aussi extrêmes que possible, dans n'importe quel style.


* Raconte nous l'histoire de "Story of Isaac", cette reprise incroyable, sublime et inattendue d'une chanson folk de Leonard Cohen ?

Un ami m'avait envoyé cette chanson sur une bande de mix des années auparavant. J'ai vraiment aimé l'aspect anti-chrétien et anti-maltraitance des enfants des paroles. Scott a ajouté la guitare et les effets sonores. Cela fonctionnait vraiment bien, et ma voix ressemblait beaucoup plus à celle d'un enfant qu'à celle de Leonard Cohen !


* Sur le dernier album "Beast of Dreams" il y a de nouveaux sons, des influences orientales, une nouvelle évolution, une sorte de mélange des premiers albums et de "Destroy me, lover" ?

J'étais vraiment dans le jazz à ce moment-là et j'avais même joué un concert de jazz avec un pianiste ami à moi. Je commençais à m'intéresser à la musique de films, comme Invitation. Si vous écoutez attentivement, vous pouvez entendre que Scott et moi sommes en quelque sorte séparés l'un de l'autre au niveau de l'enregistrement. Ses "bidouillages" noise ne m'incluent pas vraiment, et ma voix devient de plus en plus belle, plus celle d'une chanteuse, plus inspirée par toute la musique du monde que j'avais écoutée et collectionnée, et aussi de plus en plus obsédante. Je pense que c'était un beau final pour tous nos enregistrements musicaux.




* Pourquoi le groupe s'est-il arrêté après « Beast of dreams» ?

J'ai déménagé à New York un mois après la sortie de l'album, et personne ne s'attendait plus à ce que nous revenions en tournée ou que nous fassions de nouveaux disques. Nous étions arrivés en quelque sorte au terme de notre parcours.


* Que gardes-tu en priorité de ces 10 années d'expérience avec Pain Teens ?

C'était vraiment très amusant, j'ai appris les techniques d'enregistrement, j'ai pu voyager aux États-Unis lors de quatre tournées et faire un court voyage en Europe, (ce que j'ai aussi fait avec The Moonlighters plus tard, en tournée en Allemagne quatre fois). J'ai rejoint Scott parce qu'il était déjà établi et avait une esthétique similaire, ce qui est difficile à trouver, et je voulais être chanteuse. Je me suis bien amusée mais je travaillais dur, et travailler au magasin de disques en même temps m'a permis de participer à la construction d'une scène musicale pour notre communauté artistique à Houston, ce qui était extrêmement difficile car la ville est si étendue et avait très peu de médias publics à l'époque. Il y avait deux stations de radio, KPFT et KTRU, qui diffusaient de la musique locale et de la musique expérimentale, et quelques magazines hebdomadaires gratuits qui mentionnaient la musique locale, mais le grand public ne savait pas fondamentalement que la scène musicale underground à Houston existait même pour l'essentiel. Quelques groupes comme King's X avaient percé, mais le reste d'entre nous jouions principalement pour nos amis, c'était très underground.

                 avec Brutal Truth et Boredoms


* A cette époque, de nombreux groupes alternatifs / indépendants signaient sur de grands labels. Qu'est-ce que tu penses ? Et avez-vous été sollicités ?

Ce que les grands labels ont fait, c'est de détruire tous ces groupes alterntifs qui étaient énormes à notre époque, ou du moins d'essayer de les détruire, parce qu'ils étaient en concurrence avec ceux signés par les grands labels. Quelques-uns comme Nirvana et Pearl Jam sont devenus énormes, mais finalement la plupart d'entre eux se sont effondrés beaucoup plus tôt qu'ils ne l'auraient probablement fait. Des groupes comme Melvins ont survécu, mais Jesus Lizard, Babes In Toyland, Foetus, Godflesh, Helmet...ont juste été utilisés comme simple premières parties pour des groupes qui auraient dû ouvrir pour eux. Les majors ont ainsi réussi à détruire et à écraser les groupes alternatifs et la scène musicale indépendante que nous avions créée à l'époque où Pain Teens s'est séparé (...).


* Les textes et les pochettes participent volontiers à l'image de Pain Teens : pour les textes j'ai l'impression que les thèmes abordés sont une sorte de psychanalyse de la société et des gens comme si vous exploriez en auscultant le côté obscur caché des individus et de la société ? Une sorte d'exorcisme ? Un peu de provocation aussi ?

Oui, tu as tout à fait raison. Nous avons trouvé de la fascination dans la folie et avons essayé de découvrir les origines du côté obscur de notre culture. Pour moi, j'ai trouvé que c'est un cycle dans lequel les gens sont maltraités et le perpétuent ensuite sur les jeunes une fois qu'ils ont le pouvoir. C'est un héritage horrible de l'esclavage, de la misogynie et de tous les autres maux de l'Europe coloniale et de la religion, nous l'avons donc biaisé de toutes les manières possibles et avons essayé d'humaniser les victimes. Je recommande vivement le documentaire "Annihilate all the Brutes" de Raoul Peck si ce sujet vous intéresse davantage.



* Question classique : peux-tu nous raconter un bon souvenir ou une anecdote de concerts ou de tournées (Vous avez notamment joué avec Neurosis, Brutal Truth) ?

Mon moment préféré de nos différentes tournées a été lorsque Pain Teens a joué au Festival Tegen Tonen à Amsterdam, en février 1991. Quand nous sommes arrivés, j'ai découvert à ma grande joie que mon groupe préféré, Terminal Cheesecake, de Londres, figurait également à l'affiche! J'ai pu voir leur concert et aussi être la seule personne à écouter leur soundcheck. Ils ont joué au Paradiso et à la vieille église, dans la salle du choeur à l'étage. J'aurais aimé que Pain Teens puisse jouer là-bas, car nous avons joué dans la salle principale et c'était beaucoup trop grand (...). Terminal Cheesecake avait l'air incroyable, et ils étaient modestes et humbles. Je leur ai dit plus tard qu'ils avaient donné des coups de pied au cul, et ils ont répondu: "Non, nous sommes britanniques, nous ne pouvons pas botter le cul !!."


* Qu'as-tu fait entre Pain Teens et les Moonlighters?. Je sais que tu as enregistré un morceau (2) avec Melvins ? Comment as-tu rencontré ce groupe culte ?

Jim Thirlwell du groupe Foetus m'a dit qu'il était invité par les Melvins pour chanter sur un titre de leur album et que chaque morceau aurait un chanteur différent, tous en tant qu'invité. Je lui ai dit de leur demander si je pouvais participer, et à ma grande surprise, Buzzo (le chanteur/guitariste des Melvins) m'a appelée et on est devenu copains. Ensuite, ils m'ont envoyé un délire de 9 minutes ! Mais je pense que je me suis plutôt bien débrouillée avec ça au niveau du chant et que cela s'accordait avec l'ambiance à la fois sombre et amusante qui colle aux Melvins.

(A SUIVRE)

(1) Evidemment il y a aussi quelques groupes/artistes plus connus issus du Texas tels ZZ Top, Pantera, Janis Joplin voire At the drive in ou Dirty Rotten Imbeciles
(2) morceau " The Man With the Laughing Hand Is Dead" sur l'album "The crybaby"

Vous pouvez retrouver Bliss Blood sur Bandcamp :
https://blissblood.bandcamp.com/

Interview réalisée par mail en avril et mai 2021
Merci à JeHanne pour le coup de main concernant les "problèmes" de traduction et la relecture.