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dimanche 24 octobre 2021

Arthur Lee : Vindicator

 


L’histoire d’Arthur Lee est d’abord celle de son groupe maudit. Fasciné par le rhythm 'n' blues et le folk rock classieux des Byrds , Lee créa Love, qui signa vite un contrat avec Elektra. Love avait tout pour réussir, des influences dans l’air du temps, un compositeur du niveau de Brian Wilson, une maison de disques capable de propulser le groupe sur le toit du monde. La formation sort un premier disque divisant la critique, mais qui obtint assez de succès pour justifier l’enregistrement d’un second essai. Produit par Paul Rotchild , Da Capo flirte avec les mélodies plus raffinées du jazz, balaie les refrains innocents des Byrds pour partir vers des influences plus raffinées. Encore une fois, la critique est divisée , certains saluant cette nouvelle complexité pendant que d’autres regrettent la simplicité des débuts. Du coté des premiers fans, on accuse Paul Rotchild d’avoir corrompu le groupe, Da Capo se montrant bien moins puissant que ce que le groupe joue sur scène.

En concert, Love resta un grand groupe de rhythm' n 'blues s’épanouissant dans de grandes digressions instrumentales. C’est d’ailleurs après avoir assisté à une de leurs prestations que les Stones enregistrèrent Goin home , la grande improvisation refermant l’album Paint it black. Alvin Lee se fit alors piller une première fois, mais n’en eut probablement pas conscience. Love s’enferma rapidement dans une villa ayant appartenu à Bella Lugosi , un des premiers acteurs ayant joué le rôle de Dracula. Le groupe prit cette bâtisse pour son Olympe, elle devint vite une prison.  Sans cesse visité par une armée de parasites venus vendre leurs poisons, le groupe refusa vite de sortir de sa prison dorée, de peur de perdre ses fournisseurs. Elektra pouvait les envoyer faire le tour des Etats Unis pour promouvoir deux disques injustement boudés par le grand public mais Arthur Lee pensait que son talent suffirait pour obtenir la gloire.

Déçu par la décadence de ces musiciens junkies, Elektra commença à envisager de miser sur un autre cheval. C’est précisément à ce moment qu’Arthur Lee proposa à sa maison de disques de signer un jeune groupe dirigé par un poète Rimbaldien. Séduit par le charisme chamanique de Jim Morrison, le label mit vite le paquet sur les Doors. Soutenu par une promotion intense, le premiers album du groupe de Ray Manzarek fit vite un carton. La puissance agressive des Doors ringardisait le psychédélisme classieux et gentillet dont Love était un des porte-drapeaux. Trop enfermé dans sa tour d’ivoire pour comprendre le virage que prenait le rock , Arthur Lee écrivit ce qui devint Forever changes, un disque nourri de ses ressentiments et de ses déceptions . Malheureusement pour lui, Lee exprimait ses douleurs dans un vocabulaire musical très encré dans les raffinés sixties. Forever changes est un bijou nostalgique, une superproduction rock digne des plus grandes œuvres des Beatles ou des Beach boys.

Mais le public était passé à autre chose, rêvait désormais plus de poésie subversive et de refrains agressifs que de ces décors foisonnants. De plus, Elektra ne fit presque pas la promotion de ce grand disque, préférant concentrer tous ses efforts sur les Doors. Arthur Lee vécut cet échec comme une trahison , le groupe qu’il avait lui-même promu lui enlevait le pain de la bouche. Suite à une telle débâcle, la première formation de Love se sépara. D’autres musiciens vinrent alors poursuivre la triste histoire du groupe, mais leur leader semblait avoir mis tout son génie dans Forever changes. Après trois albums décevants, Arthur Lee abandonna enfin son groupe pour tenter sa chance en solo.

Sorti en 1972 , Vindicator est d’abord un hommage à Jimi Hendrix , avec qui Arthur eut l’occasion de jouer lors de quelques concerts de Love. Pour l’enregistrer, Lee réunit un nouveau groupe, qui fut censé enregistrer les premières démos. Les musiciens commencèrent à jouer, la sauce sembla prendre et 12 « démos » furent rapidement mises en boite. Une fois ses musiciens partis, Arthur écouta le résultat de cette célébration. Il fut si surpris par la qualité de ces prises, qu’il fut vite convaincu de ne pouvoir faire mieux. Il donna donc les bandes au label A et M , qui les publia telles quelles. Les musiciens ayant participé à ces sessions en voudront d’abord à Arthur pour avoir publié un travail qu’ils jugeaient inachevé. Quelques années plus tard, la plupart d’entre eux finirent par reconnaitre que le chanteur avait eu raison.

Vindicator représente avant tout les dernières braises d’un feu allumé par l’Experience du grand Jimi. La voix semble venir d’outre-tombe , les riffs tels que celui de Sad song célèbrent le mojo éternel du blues , une guitare pleine de distorsion poursuit le voyage initié sur Purple haze.  Le swing Hendrixien est éternel, le hard blues n’aurait d’ailleurs pas existé sans lui. Mais, alors que les grands barons tels que Led Zeppelin et autres Deep purple emmènent cette énergie voodoo vers d’autres nirvanas , Lee revient à l’essence même de ce qui fit la grandeur d’Hendrix. Il laisse ainsi résonner ses accords comme autant de détonations sismiques , fait décoller ses solos sur une rythmique que n’aurait pas renié le Hook, profite du boogie He said she said pour rappeler qu’il reste un grand amateur de rhythm 'n' blues.

Si vindicator salue surtout le Hendrix des débuts, les quelques touches funky de He know a lot of good woman flirtent avec ce groove qui inspira Sly Stone et Funkadelic. Avec cet album, Alvin Lee semblait enfin avoir accepté l’échec de Love. Vindicator montrait une facette plus brute de son génie, une hargne plus proche de son époque. Malheureusement, en 1972, une bonne partie de la critique tentait de réhabiliter Forever changes. Influencé par la découverte tardive de ce qui restera son ultime chef d’œuvre, elle lapida Vindicatore , le présenta comme un album simplet et passéiste. Détruit par ce nouvel échec, Lee reforma Love et sortit quelques albums indignes de son talent.

Quelques années plus tard, il fut emprisonné pour avoir tiré plusieurs coups de feu en l’air. A sa sortie de prison, le regain d’intérêt autour de Love le poussa à tenter une nouvelle résurrection. C’est malheureusement à ce moment que son médecin lui diagnostiqua une leucémie, ce qui l’empêcha d’honorer les concerts prévus pour la reformation de son groupe. Il se concentra donc sur la production d’un dernier album, qu’il n’eut pas le temps de terminer. Mort en 2006, Arthur Lee laisse derrière lui trois chefs-d’œuvre encore trop peu connus.  Son parcours ressemble à celui d’un bluesman maudit, Vindicator s’imposant comme son King of the delta blues singer*.

 

*album de Robert Johnson.       

vendredi 16 novembre 2018

[CHRONIQUE] Love - Forever Changes (1967)

(par Benjamin Bailleux).


Habitant Los Angeles depuis l’âge de 8 ans , Arthur Lee commence à enregistrer dès 1963. A une époque où le rock est en pleine mutation, il enchaine les groupes obscurs et laisse derrière lui une poignée de disques vites oubliés. Ces nombreux changement de groupes l’amèneront, en 1964, à croiser la route d’un Jimi Hendrix encore inconnu. Cette entrevue légendaire donna lieu à l’enregistrement d’un single vite oublié, Arthur Lee cherche encore sa voie.
Il l’a trouvera en assistant à un concert des Byrds. Le groupe vient alors de sortir un premier album révolutionnaire et, fasciné par ce qu’il entend, Arthur Lee décide que son groupe jouera une fusion entre le Folk-Rock des Byrds, et le Rythm n'blues primaire qu’il aime tant. Il forme donc Love, et obtient rapidement une bonne audience dans les clubs de Los Angeles. Avec leurs premiers cachets, les musiciens achètent une maison ayant appartenu à Bella Lugosi et mènent une existence communautaire.

Le premier album du groupe sort en 1966, et obtient des ventes encourageantes. Il faut dire que Love était encore très proche du Folk-Rock des Byrds qui trustait déjà le sommet des charts.
Ce n’est qu’en 1967, avec son second album, Da Capo, que Love va réellement poser les bases du mélange enivrant qui aboutira à la sortie de ce Forever Changes. Encore critiqué pour un son trop épuré, qui ne convenait pas à la sophistication de ses compositions, Da Capo ne faisait qu’annoncer les merveilles à venir.

Commencé quelques semaines après la sortie de Da Capo, l’enregistrement de Forever Changes démarre de façon chaotique. Alors qu’il est sensé produire l’album, Neil Young abandonne avant les premières séances d’enregistrement. Pour le remplacer, Love appelle en urgence Bruce Botnick, un jeune ingénieur du son, qui gagnera ses galons en participant aux enregistrement des Doors. Pour souligner la beauté des mélodies inventées par Arthur Lee, Botnick à l’idée d’engager des musiciens de sessions en plus du groupe. Cette idée ajoute une pression supplémentaire à Love, qui abandonne le travail après deux morceaux. Conscient qu’ils partent dans une mauvaise direction, les musiciens se remettent à répéter, jusqu'à trouver la formule parfaite.

Regonflé par cette remise en question, Love finit par reprendre les séances, et enregistre le reste de l’album en quelques heures. Le stress engendré par ce début d’enregistrement chaotique inspirera à Arthur Lee les vers doux amères de "The red telephone" :




"Sitting on a hillside
Watching all the people die
I'll feel much better on the other side."
("Assis sur un flanc de coteau
En regardant tous les gens mourir
Je me sens beaucoup mieux de l'autre côté.")



Même Dylan n’y aurait pas pensé ! Il faut dire que le compositeur est chamboulé par le succès des Doors, qu’il vit comme une humiliation. Alors que c’est lui qui, quelques mois plus tôt, avait conseillé au label Electra de s’intéresser au groupe de Jim Morrison, les Doors atteignent les sommets dès le premiers album.
Après des début difficile, l’album des Doors fait en effet partie des meilleurs vente de cet année 1967, alors que Love doit ce contenter d’un succès d’estime. Profondément blessé par ce coup du sort, Arthur Lee pense que sa fin est proche, et que Forever Changes sera son testament musical.

Déprimé, le compositeur invente des mélodies riches et sombres, merveilleuses et oppressantes. Sur fond de cuivres  hypnotiques, la voie du chanteur récite des plainte nostalgiques. Même les titres les plus enjoués, comme "Love Maybe The people Would Be The Times Or Between Clark And Hilldale" et son rythme entrainant, semble empreint d’une certaine tristesse.    
Et c’est cette dualité qui fait le charme de cet album sombre, et pourtant d’une grande beauté.

Mais, peu après sa sortie, le groupe subit les conséquences de ses excès. Ravagé par l’héroïne et autres substance, les musiciens abandonnent la partie, découragés par les faibles ventes de l’album.
Love se reformera par la suite, sans réussir à renouer avec la grâce de ce Forever Changes, qui n’obtiendra le statut de chef d’œuvre que des années après sa sortie.