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mardi 11 mai 2021

Roine Stolt et les ruines du rock progressif

 


Avant d’ouvrir un dossier sur Adrian Stolt , un rapide retour sur l’histoire du rock progressif s’impose. A son origine, on trouve bien sûr sergent pepper , incontournable pièce montée ayant donné au rock des ambitions artistiques. Grâce à la symphonie rock du sergent poivre, l’album n’est plus un simple enchainement de chansons, mais une œuvre dont il convient de soigner la cohérence. En guise d’apothéose, « a day in the life » marque le début des noces unissant le rock aux musiques plus élitistes. A une époque où celui-ci est une ruche lumineuse remplie d’esprits brillants , Procol harum ne tarde pas à suivre la même voie avec le tube « a whitter shade of pale », transe majestueuse inspirée par une composition de Bach. Vint ensuite les Moody blues , groupe de rythm n blues sans succès, qui voit dans ce rock symphonique un moyen de sauver sa peau. Les Moody blues seront parmi les premiers à tenter l’aventure symphonique sur un album entier, il est d’ailleurs dommage que « day of the future past » soit surtout connu pour le tube « night in white satin ».

Les rockers se rêvent en chef d’orchestre , mais la simple rigueur d’une musique classique grandiloquente ne leur suffit pas. Vieille dame fatiguée, la musique jazz rajeunit donc un peu en donnant une chaleur cuivrée à l’album qui sera jugé comme le point de départ de la vague progressive. Objectivement, ce rôle de pionnier aurait dû revenir à Colosseum , dont le premier album est sorti un mois plus tôt. Mais la pop alambiquée du groupe de Dave Greenslade n’était pas plongée dans l’univers paranoïaque et envoutant, qui séduisit tout le monde à la sortie de « in the court of the crimson king ».

La « cour du roi cramoisi » s’étend ensuite rapidement, voit s’affronter le charisme moyenâgeux de Genesis , le futurisme distopique de Emerson Lake et Palmer , et les rêveries Tolkeniennes de Yes. Cette époque représente l’âge d’or artistique du rock, celle où sa popularité fut si immense qu’il absorbait les courants l’ayant précédé. La grenouille rock se faisait plus grosse que le bœuf jazz, plus menaçante que le monstre symphonique, et la presse ne demandait qu’à crever cette bulle fabuleuse. Sous la pression de rock critics refusant que le rock deviennent une « musique sérieuse » , la popularité du mouvement décline après cinq années explosives. On trouvera encore quelques traces de sa soif d’exploration en Allemagne , où des groupes comme Tangerine dream , Can et autres Kraftwerk inventent une avant-garde plus moderne.

Du coté des géants anglophones, le déclin est rude et brutale, ceux qui contribuèrent à émanciper le rock de la pop n’ayant d’autre choix que de s’y convertir. C’est ainsi que, lâché par Peter Gabriel, Genesis dérive vers une pop de plus en plus mielleuse à cause du funeste Phil Collins. C’est l’époque où Yes sort tormatoes , où ELP se noie dans la guimauve de love beach , pendant que d’ex membres de Yes forment le collectif Asia. Nous entrons ainsi dans une ère où , rendu inaudible par le nihilisme punk , le rock progressif devient une musique underground. Certains chefs-d’œuvre sortent encore, comme les perles jazz rock de National health ou de Gilgamesh, mais ce ne sont que des petites illuminations dans un décor de plus en plus sombre.

Vint ensuite le cas Marillion, qui toucha la timbale avec le trio script for a jester tears , fugazi , misplaced childhood. Si ces disques sont d’indéniables réussites musicales, si les quelques tubes qui les composent permettent de faire renaitre un certain progressisme pop, cette musique sonne plus comme un timide compromis que comme une véritable résurrection. La production est très calée sur les canons de l’époque, le synthé lisse les emportements d’une musique qui semble réfréner ses élans virtuoses. Avec ses tenues extravagantes, le chanteur pense évoquer Peter Gabriel. Son groupe n’évoque pourtant qu’une version moins corrompue du Genesis de Phil Collins. Marillion produisait un rock progressif accessible aux fans de U2, il aura d’ailleurs une descendance aussi anecdotique que le groupe de Bono.

Le véritable renouveau intervient enfin en 1993, quand les suédois d’Anglagard publient leur premier album. Hybris reprenait la formule des grands maitres du progressisme rock , le mellotron et la flute récupérant la place volée par ces serpents infâmes que sont les synthétiseurs. Loin de verser dans le passéisme stérile, Anglagard élargissait l’univers découvert par les grands condottières rock. Ses décors mouvants baignaient dans la chaleur et la luminosité de mélodies somptueuses, les instruments décollaient soudainement avec la grâce d’une nuée de colombes. Un second album, plus sombre et entièrement instrumental, sortira en 1994. Après ces deux miracles, Anglagard pensait avoir tout dit, le groupe se sépare donc quelques jours après la sortie de son second chef d’œuvre. Une reformation éphémère eu lieu en 2012 , mais l’album qui naquit de ce retour ne retrouva pas la splendeur de deux premiers disques incontournables.

Le succès d’hybris et épilogue, comme celui de « in the court of the crimson king » avant lui, entraine dans son sillage toute une armée d'explorateurs rock. Parmi celle-ci se cache Roine Stolt , un survivant des seventies éclipsé par la popularité des géants anglais. Cette discrétion lui permet d’infiltrer ce renouveau progressif, dont il compte bien devenir une figure de proue. Cette prise de pouvoir commence par l’enregistrement de son premier album solo.              

dimanche 9 août 2020

Rock Hippie 5



Arrivé sur le lieu du concert, Clint voit les angels bien en place, leurs motos positionnées devant la scène en guise de barrière. Cette disposition est déjà un mauvais présage. Si les angels cherchaient vraiment l’apaisement, ils n’auraient pas exposé ce qu’ils ont de plus précieux à une foule qui promettait d’être agitée. La moto est le bien sacré du angels , le totem pour lequel il peut tuer ou mourir. Comment imaginer que cette foule, qui semble déjà agitée alors que le concert n’a pas encore commencé, ne va pas bousculer un des précieux engins ?

Santana est chargé d’ouvrir la soirée, dans une ambiance où plane déjà une tension menaçante. Clint a déjà vu le guitariste à Woodstock et, si tous semblaient admiratifs devant ses improvisations alambiquées, son rock au rythme cubain l’avait laissé de marbre. Il ne voyait là-dedans qu’une tentative maladroite de rapprocher le rock avec un exotisme qui lui était étranger. Pour lui, les percutions cubaines n’étaient qu’un faire-valoir, un gadget pour impressionner le chaland. C’était à peu près aussi ennuyeux qu’un George Harrison prenant des leçons de raga indien auprès de Ravi Shankar.

Le public semblait apprécier ce barnum , mais la pression exercée par les derniers rangs laissait craindre un accident qui n’allait pas tarder. Alors que Santana est en plein milieu de l’improvisation tapageuse qui clot « soul sacrifice », le premier rang cède. Excédé , un des spectateurs pousse une des motos servant de barrière. Placés les uns contre les autres, tous les véhicules s’effondrent comme une série de dominos. Alors que le dernier d’entres eux n’a pas encore touché le sol, c’est une marée sanguinaire qui s’abat sur le public. Terrifié Santana n’ose interrompre une prestation qui, de toute façon, touche à sa fin.  

Arrivé après ce massacre, Jefferson Airplane n’aura pas la même retenue. Les musiciens s’installent après la bataille, quand des scènes proches d’une petite guerre civile ont laissé place à un calme menaçant. Altamont était devenue comme une bonbonne de gaz sous pression, et il suffirait d’une étincelle pour que tout s’embrase. Cette étincelle viendra d’un fou qui, pour se venger de l’attaque ultra violente des angels , met le feu à une de leurs motos.

Les bikers n’ont pas identifié le vandale, mais un blasphème pareil ne peut rester impuni. Armés de queues de billards, les sauvages foncent de nouveau dans la foule. Leader de l’Airplane , Maty Balin est si aveuglé par son idéologie qu’il oublie une des règles de survie les plus élémentaires. Ses premières harangues pacifistes n’avait provoqué que le rire amusé des agresseurs , montrant ainsi le fossé existant entre les utopies du musicien et la situation réelle. Cette réalité, Marty Balin ne pouvait la supporter et, comme il le sait très bien l’incompréhension engendre la violence, et ce même chez les plus irréprochables pacifistes. Le voilà donc qui éructe, pendant que son groupe n’ose s’arrêter de jouer.

« Hé tas de crétins crasseux vous allez arrêter votre cirque. On n’est pas dans une de vos cages à chimpanzés ! »

On ne résonne pas un barbare avec des mots et, si le  fou en arrive à l’injure, sa témérité se transforme en suicide. Clint n’en revenait pas, même quand certains angels commençaient à s’approcher de lui, Marty les injuriait avec une violence inouïe. Le musicien pensait sans doute que sa morale le mettait à l’abri d’une armée aussi primaire, mais un con qui cogne viendra toujours à bout d’un intellectuel qui se laisse cogner. Marty Balin s’est pris pour dieu, son martyr sera spectaculaire, un véritable lynchage en public. On en arriverait presque à s’étonner qu’un corps aussi chétif puisse supporter de tels outrages, l’être humain est décidément plein de ressources.

C’est là que les Stones débarquent, mais l’hélicoptère ne peut les déposer trop près de la scène. Impressionné par la tension palpable, le groupe traverse nerveusement la foule. Au milieu du périple, un homme frappe violement Mick Jagger au visage. Conscient de la gravité de la situation, la chanteur de « Street Fighting man » décide d’ignorer l’incident. Arrivé sur scène, des angels alcoolisés ont pris la place de l’Airplane, et ne semblent pas décidés à libérer l’espace. Un communiqué annonce alors à la foule que les Stones ne démarreront le concert que lorsque la scène sera libre. Les gangsters acceptent donc de quitter la scène, après avoir imposé une attente qui n’a fait qu’accentuer la pression qui règne sur le site.

Planqué backstage , Clint a déjà contacté les hélicoptères chargés de sortir tous les musiciens de cet enfer. Il ne veut pas devenir un martyr du rêve hippie, mais il sait aussi que les stones ne pourront décoller avant la fin de leur prestation. Un départ précipité ne ferait que transformer Altamont en champ de bataille, ce qui ferait dire à beaucoup que les stones sont responsables d’un massacre. Pendant la prestation, les bagarres se multiplient, les angels poursuivent leurs expéditions punitives d’une violence inouïe. Déjà secoué à son arrivée, Jagger est trop effrayé pour que ses mots apaisent les esprits, il sort les mêmes slogans creux que Balin sans aucune conviction.

Bizarrement, la prestation des stones est parfaite, comme si la violence nourrissait leur blues subversif. Keith Richard jouait ses riffs avec une justesse métronomique, Charlie Watt était au sommet de son swing, et Jagger oubliait sa peur pour se laisser emporter par « la musique du diable ». Dans la foule, un dandy sous amphétamine sort son flingue, sans que personne n’ait le temps de comprendre ce qu’il voulait viser. La réaction des angels fut aussi fulgurante que radicale. Poignardé une première fois au milieu de la foule, Meredith Hunter est emmené un peu plus loin pour être achevé.

Filmé par les caméras chargées d’immortaliser ce « nouveau woodstock » , l’évènement représente l’assassinat du rêve hippie. Sur scène, les stones n’ont rien vu, et s’empressent de lancer les dernières notes de « sympathy for the devil ». Alors que les derniers échos de cette salsa diabolique ne se sont pas encore éteints , tous les musiciens sont déjà dans l’hélicoptère qui doit les mener en lieu sûr.  

Assis face au Grateful dead et Jagger , Clint aimerait les insulter , leur dire à quel point leur faute est grave , mais les mots lui manquent.

« Déposez moi dans le premier avion pour Détroit ».

Jerry Garcia le regarde interloqué.

«  Que veux-tu faire là-bas »
« Renouer avec le réel . Avec un peu de chance je parviendrais à mettre assez d’argent de côté pour ouvrir mon disquaire. »  

Jerry Garcia ne protesta pas et, arrivé à l’aéroport , il insiste pour payer le voyage de son ami. Il savait que Clint n’était pas comme lui, seuls les musiciens peuvent vivre éternellement en dehors de la réalité. Le mouvement hippie avait fait croire à Clint qu’une autre vie était possible, plus libre et palpitante, le massacre d’Altamont venait de briser ce rêve.  

Il allait donc faire son deuil en se plongeant dans les usines sordides de la motor city.                
                                                                                                                                  

mardi 30 juin 2020

Jack White 4

43 Best Cold Mountain images | Cold mountain, Cold, I movie

C’est l’événement cinématographique de 2005, la sortie de « retour à cold mountain ». Ce film manichéen et abrutissant, si il semble fait pour séduire les séniles qui composent les jurys des grands concours , montre que l’époque moderne sera placée sous le signe de l’hystérie collective. Construit comme un drame , « retour à cold mountain » ne peut que déclencher un rire gêné chez les personnes saines d’esprits.

Jouer par des comédiens en roue libre , les personnages sont aussi crédibles qu’Omar Sy dans le rôle d’Arsene Lupin. Nathalie Portman effectue exactement ce que le film vous supplie de faire, elle pleure sur commande. Quand on lui prend son bébé dans une scène pitoyable de pathos surjouée, on prie presque pour que les clowns achèvent aussi ses hurlements de petit goret geignard.

Seule la prestation de Jack White relève un peu le niveau , il ressemble à un musicien de la guerre de sécession perdu sur un plateau de tournage. Cette apparition montre surtout la notoriété qu’il a acquise. Pour lui, 2005 est aussi le début des tournées mondiales , marquées par des concerts où le public devient une nuée de sauterelles animé par ses riffs. Dans les décors imposants des stades , le groupe montre parfois ses limites. Le son n’est pas totalement maîtrisé, certains rangs ne perçoivent qu’un gargouillis crasseux, ce qui n’empêche pas la foule de communier devant ce garage rock tonitruant.

La musique des whites stripes est surtout faite pour les petites salles, c’est là qu’elle peut montrer toute sa force viscérale. Alors on cherche parfois un coupable à ces prestations inégales , et c’est encore Meg White qui en fait les frais. Alors que son ex mari devient un demi dieu, on se moque de la simplicité de ses rythmes , de l’énergie enfantine de son jeu. On ne saurait dire à quel point c’est précisément cette simplicité qui permet aux white stripes d’exister , mais le public aime tuer ses idoles.  Meg commence d’ailleurs à perdre pied , ces foules immenses la terrifient , la notoriété du groupe la met sous pression.  

Enregistré en 2005 , Get Behind Me Satan ressemble à une volonté de prendre du recul sur cette folie, de chercher une nouvelle voie. L’auditeur est d’abord caressé dans le sens du poil , on lui offre sa décharge électrique pour lui faire supporter le choc à venir. La seconde déflagration ne viendra pas tout de suite, Jack a rangé sa guitare et ne compte pas en faire un usage abusif. Le piano et le marimba prennent donc sa place , pour souligner l’importance de la rythmique décriée de Meg, et l’habiller de mélodies inattendues.

L’électricité n’a plus sa place ici , elle ne ferait que troubler ces expérimentations acoustiques. Pour entrer dans ce disque , l’auditeur doit dépasser ses préjugés , se débarrasser de ses attentes pour comprendre cette nouvelle énergie. Bluette exotique entretenue par un marimba mélodieux, the nurse est parcouru par des syncopes, dont la puissance est accentuée par ses apartés apaisés. 

My Dorbell sonne ensuite comme un classique instantané, une kermesse pop où le piano donne la réplique à une batterie festive. Le piano adoucit les emballements de la batterie,  il l’empêche de partir dans une secousse violente, et met en valeur une des meilleures prestations de Meg White. La jeune femme délivre un jeu énergique sans être violent, elle embarque les mélodies acoustiques dans une célébration légère, sans en brusquer la douceur enfantine.

Ses battements sont le cœur qui nourrit ces expérimentations acoustiques, le doudou qui permet aux fans puristes de ne pas être totalement perdus. Elle abandonnera pourtant les fans bornés , troquant ses toms contre un tambourin timide . Rien que ce passage aurait du permettre au groupe d’être canonisé par une armée de fans hystériques. Les White Stripes avaient atteint une splendeur décharnée jusqu’à l’os , un blues des grottes , une pop de sauvages. Vieux folk , pop acoustique , les adjectifs ne manquent pas pour qualifier cette réussite. La seule chose que ces mots creux doivent saluer, c’est l’aboutissement d’un processus démarré sur apple blossom et hotel yorba, une simplicité qui met la pop à nue.

Certains cherchaient cette profondeur squelettique dans les live unpluggeds de MTV , mais il ne suffit pas de sortir une guitare sèche en miaulant comme un chat castré pour la réveiller. Pour atteindre ce niveau, le musicien doit tordre le coup de ses ambitions, renouer avec une spontanéité corrompue par des siècles d’évolution.

Get Behin Me Satan , c’est un duo qui est parti se réfugier dans la grotte , et joue avec les sons comme les premiers primates secouant les branches. Les white stripes ne voulaient pas faire grandir le rock , mais le faire régresser , c’était la seule issue. Au lieu de se prosterner , tous virent le disque comme une curiosité un peu repoussante. On mettait l’origine du monde sur disque, et le public se sauvait en se bouchant le nez.

A partir de là , le duo aurait pu se radicaliser davantage , dégraisser encore le pachyderme pompeux qu’est Elephant. Mais le public avait rendu son verdict , incitant Jack White à partir sur des chemins passionnants mais plus balisés. Ce disque sonne comme un Atlantide abandonné trop tôt, une montagne de splendeur qu’on ne peut qu’admirer de loin. 

A partir de cette base , ils auraient pu atteindre la folie exotique de Dr John , réinventer le cœur voodoo de gris gris , donner des leçons de compositions perchées à Beefheart. Tout est permis à celui qui a su détruire ce qu’il était , se suicider pour ressusciter plus beau , plus fort , et plus con.

Le monde meurt sous les réflexions léthargiques d’intellectuels séniles , Get Behin Me Satan leur bottait le cul. La majorité constitue une génération d’oreilles impuissantes, des vieux sourdingues dont les oreilles ne jouissent que sous les coups de boutoir de l’électricité. Pourtant, imaginez un stade chantant en cœur My Dorbell , une foule extatique prise de transe sur les convulsions exotiques de the nurse.

Là plus que jamais, le rock aurait pris toute son ampleur. On aurait pu organiser un concert dans les grottes de Lascaux. Pour compléter l’œuvre des premiers hommes, les gamins auraient dessiné le portrait du groupe à la craie, juste à coté des dessins de chasse au mammouth. Le groupe lui-même semble ne pas s’en remettre, et sombre dans un sommeil de plusieurs mois.    

samedi 16 mai 2020

dimanche 8 décembre 2019

Rock storie : Woodstock on water épisode 3


La nuit était tombée, sur une mer qui a désormais l’air d’un décor spatial, la lune lançant ses reflets blafards sur l’eau douce. Le spectacle qui suit demande l’intervention d’un hélicoptère placé en vol stationnaire, et assez loin des porte-avions pour que sa présence soit indétectable. Accroché sur sa carcasse métallique, un vidéoprojecteur lance ses images planantes sur les panneaux blancs disposés derrière Steven Wilson.

L’homme avait accepté l’invitation à condition que les organisateurs puissent transporter son grand théâtre cosmique sur cette scène maritime. Voilà donc cette foule sortie de sa sauvagerie, et regardant la cinématique d’ouverture avec fascination, avant que les musiciens n’entrent dans le plus grand calme.

Le changement de décors semblait réussir, et ceux qui étaient propulsés dans une orgie sauvage quelques secondes plus tôt sont désormais semblables à un enfant découvrant le monde. Pour le plus grand plaisir d’Eric, Wilson a décidé de commencer par Pariah , fascinante ballade space pop où la voix de Nina Tayeb brille comme une étoile dans le cosmos.

L’ovation succède rapidement à la fascination, la foule prend ces mélodies comme des caresses maternelles , et semble exprimer aux musiciens un amour transis. Même quand le binoclard ressort les histoires glauques de « in absentia », les passages les plus heavy de « the creator got a mastertapes » se drapent d’une poésie spatiale, que seul le floyd a approché sur « dark side of the moon ».  

C’est d’ailleurs ce qui est fascinant chez ce musicien, son registre semble sans limite et, même si la solitude et les tréfonds de l’âme humaine ont nourri ses plus grandes œuvres , sa palette musicale parait infinie. Résolument moderne, les titres comme « home invasion » , et les meilleurs morceau de hand cannot earase pourraient servir de nouvelle bande son aux passages les plus fascinants de 2001 l’odyssée de l’espace.

Et puis, sans prévenir, l’homme se rapproche de nouveau de la terre, pliant la pop à son art hypnotique sur « heaven less » et « poeple who eat darkness ». Ce n’est qu’une étape , et le retour sur terre se fait des plus poignants sur « the raven that refused to sing » , et sa mélodie jazz baroque qu’on aurait bien vu en bande son d’une adaptation cinématographique de l’idiot.

Et puis derrière lui, les histoires se succèdent , poétique sur the raven , glauque et fascinante sur the creator got a mastertape, ou chargées du désespoir de l’homme moderne sur poeple who eat darkness. C’est une incantation venue d’un espace que tous semblent connaitre,  ces mélodies aériennes ne restituant rien de moins que la nature humaine.

Wilson est un rationnel, ce sont les autres qui sont devenus fous et sans consistance, et toute sa carrière consistera à ramener son public à la raison. La description peut paraître un peu biblique, comme si l’homme était le nouveau guide spirituel de notre époque, mais c’est exactement l’effet que sa musique fit à Eric ce soir-là. Dans le public , une poignée de jeunes en tee shirt NTM regardent sa performance les larmes aux yeux , les voilà convertis.

La première journée se fermera sur l’écho des dernières notes de « the raven that refused to sing » . Il fallait laisser un blanc afin que le public redescende sur terre.


On ne change pas une formule gagnante et, à la lumière du crépuscule, c’est la légèreté sudiste de blackberry smoke qui ouvre une nouvelle journée de festivités. Avec leur look digne d’un film de Sergio Leone , accentué par le fait que les Georgiens n’ont pas pris le temps de se raser, blackberry smoke est un peu le Creedence clearwater revival du festival. Ces musiciens sont les nouvelles racines qui permettent au rock d’aller plus loin, sans oublier la chaleur de sa terre d’origine, la troupe déversant les bienfaits simples du trio rock/ blues/ country.

Transformé en parterre de sauterelles, le public s’est remis de l’expérience spirituelle de la veille , et sautille au rythme de ces riffs enjoués. Trois guitares se croisant pour célébrer la grandeur du rock le plus traditionnel , le rock n roll de led zeppelin succédant à la grange de ZZ top , avant que BB smoke ne retombe sur ses pattes via le riff irrésistible de six way to Sunday.

Une mélodie, un riff, un rythme, voilà tout ce que propose blackerry smoke sur payback a bitch , shakin hands with the holie gost , ou find a light, mais la formule est immortelle quand elle est jouée avec un tel enthousiasme.  

Puis Charlie Starr finit seul, perché sur une haute chaise en bois, tel Neil Young à la fin d’un concert de Crosby Still and Nash. Les versions acoustiques de « prettie little lies » , « ain’t got the blue » , et « the mountain is hard for me to climb » préparent ainsi le terrain pour l’artiste suivant.  


dimanche 1 décembre 2019

Rock storie : Woodstock on Water


Cette histoire est totalement fictive, seules les groupes et titres qui y apparaissent sont vrais. C’est une autre façon d’appeler le lecteur à être toujours plus curieux, une nouvelle façon de donner envie d’écouter ce précieux matériel. Car, tant que le rock produira les artistes que vous découvrirez dans les prochaines lignes, il ne sera pas totalement mort.

Le monde est gris, la vie passe comme une longue peine, et les exutoires disparaissent à une vitesse affolante. Pour tout le monde, le rock est un truc dépassé , mort , dont on ne célèbre que les vieilles reliques, qui justement s’effondrent les unes après les autres. Bowie , Lemmy , Pink Floyd , Lou Reed , Rick Parfitt , presque chaque année de ce satané millénaire emporte un bon bout de cette époque bénie, où le rock était tout.

En France, la situation n’était pas plus passionnante dans les seventies, à moins de penser que téléphone est un groupe de rock. Mais on avait toute cette littérature, les articles de ce vieux routard d’Alain Dister , reçu à l’époque par Bernard Pivot, et bien sûr rock et folk et best. La France ne savait pas produire de rock, mais elle était celle qui en parlait le mieux, la beauté de sa langue survivant aussi à travers ces journalistes exceptionnels.

A ce niveau là aussi, on a un peu baissé, à moins que ce ne soit la passion qui ait diminué. Bref, en traînant au milieu des rue Lilloises , Eric mûrit un plan faramineux , créer LE concert de rock du siècle. Il ne s’agirait pas d’un nouveau Hellfest , qui est déjà devenu le disneyland du métalleux , mais bien d’un festival de passionnés.

Il avait d’ailleurs tiré une leçon essentielle en suivant l’évolution du Hellfest : un évenement doit être unique pour ne pas être corrompu. L’esprit humain étant ce qu’il est, le pognon prend souvent le dessus sur la passion des organisateurs et, si une bande de pharisiens vient à dénicher le bon filon, vous pouvez être sûr qu’ils transformeront votre invention en énorme cirque consumériste.

Plus vicieux aujourd’hui, les promoteurs manipulent votre orgueil, vous faisant sentir que vous êtes différent, alors qu’ils vous plument comme les aliénés pour qui le bonheur se trouve dans la prison merveilleuse de Mickey.

Mais comment peut-on organiser, dans un pays où tout est limité et réglementé, un festival sauvage capable de faire la nique aux réactionnaires comme aux partisans de cette modernité pernicieuse ? C’est un courrier un peu fou à rock et folk , et à Manœuvre , qui a tout déclenché. En voici la folle prose :

« Rock et folk ,

Oui ne t’attend pas à ce que je te donne du « cher » , « vénérable », ou « précieux » , car je suis d’abord ici pour te conspuer. Armé de ton égo atrophié, tu nous pompes l’air avec de vieux schnocks, que la plupart d’entre nous n’ont pas connu avant qu’ils deviennent mortellement chiants.

Il est vrai que dernièrement tu as fait un effort , en mettant Josh Homme en couverture , soit un mec qui n’a plus rien inventé depuis les deux premiers albums de Kyuss. Serais tu en train de lâcher l’affaire en nous faisant comprendre , comme le disait Manœuvre dans une interview, que « le rock est mort » ?

Où est l’époque où ce même Manœuvre, qui recevra une copie de la lettre corrosive que tu tiens dans tes mains molles, nous faisait tout un édito sur la folie de Detroit. Dans les années 90, on pouvait au moins te reprocher tes erreurs, d’avoir raté certaines choses , désormais tu rates tout.

Te faut-il un événement pour te mettre tout cela sous le nez ? Cherches-tu un autre Woodstock qui rendrait ton travail de découvreur plus facile ? Très bien, alors faisons-le ensemble. Tu trouveras ci-joint une liste de rockers encore en pleine forme, de guides écrivant la légende de demain, aide moi à les contacter.

Tu vas sans doute me trouver fou , mais pour l’endroit il suffirait de prendre un  bateau et de le placer à l’endroit exact où Radio Caroline émettait. Prévois de la place dans le Cargo, je pense que la musique que tu crois morte risque de te donner une surprise monumentale.

La seconde lettre, Eric l’avait déjà adressée au gouvernement, prouvant ainsi ce haut niveau d’inconscience qui fait les grandes œuvres.

Monsieur le président ,

Vous aurez remarquez que j’y ai mis les formes , il est vrai que le service que je vous demande est un peu spécial . Vous avez en effet, dans un garage maritime qui doit coûter « un pognon de dingue » au bon contribuable, un gros bateau fatigué qui semble à la retraite.

J’aimerais donner une seconde vie à celui que les guignols appelait ironiquement « le ribery » (parce qu’il est toujours à l’infirmerie), et qui dispose d’un espace fort intéressant pour mon projet. J’aimerais en effet y organiser un concert de rock du niveau de woodstock , un évenement monumental qui redonnera des rêves à une jeunesse endormie.

Vous cherchez une nouvelle popularité ? Je vous l’offre ici sur un plateau , ce sera mon cadeau de Noël.

PS : Si il vous reste aussi un ou deux hélicoptères , ce serait énorme de voir les artistes débarquer en parachute !

PPS : Pour augmenter l’espace, vous pouvez demander à votre copain trump qu'il nous en envoie quelques un … Il semble en avoir trop.


Au début Eric n’y croyait pas, d’autant que la réponse mit des mois à lui parvenir, et qu’il était retourné à l’ennui de son quotidien anonyme. La réponse de rock et folk et Manœuvre arriva en couverture de rock et folk. En couverture de ce hors-série, on pouvait voir tous les artistes étant dans sa liste avec, en titre : Ressuscitons le rock !

Rock et folk avait écrit 120 pages incroyables , racontant la genèse de ces artistes modernes , et annonçant un concert dont personne ne connaissait le lieu ! Après la couverture, le président et ses sinistres (y’a une astuce) , ont envoyé un courrier à notre doux cinglé.

Les politiques sont en général des feignants, il faut que la solution soit sous leur nez pour qu’ils se bougent, et la toute la presse et une bonne partie des médias avaient suivi rock et folk dans le récit de ce projet fou.

Plus porté sur les rappeurs analphabètes, qui sont plus proches de son niveau intellectuel, Hanouna avait programmé une émission de lynchage médiatique comme il les aime. Barthes n’étant qu’une version plus bourgeoise de ce pétomane sinistre, il ne cessa de moquer ce vestige du « vol de la culture noire par des petits blancs prétentieux ».

Il est amusant de remarquer que la bien pensance qu’il représente ne juge plus la culture que via la couleur de peau , la religion , ou le sexe de ses géniteurs. Mais nous dérivons sur un terrain politique et notre histoire parle d’une chose bien moins futile : la musique.  

Or , en plus de la lettre du gouvernement lui annonçant la mise en place du Charles De Gaulle , Trump lui-même avait accepté d’envoyer dix portes avions supplémentaires. Voilà donc notre héros à la tête d’une flotte impressionnante prête à coloniser les ondes au nom du rock .  

L’histoire avec un grand H peut enfin commencer.        
      





jeudi 21 novembre 2019

The ramones : Gabba Gabba Hey : épisode 2


Rocket to russia

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Seul contre tous , voilà comment on peut encore résumer le statut des ramones lors de la sortie de ce disque. Les critiques qualifient leur musique de « son de dix milles chasses d’eau » , les radios refusent de passer leurs titres , et les disques ne se vendent pas.

Ceux-là n’ont pas encore compris que le génie des ramones est progressif, le groupe monte en puissance par paliers, comme un missile en plein décollage. Rocket to russia est justement le titre de ce dernier manifeste en trois accords, et le chemin parcouru en un an est encore une fois impressionnant.

A l’époque , le groupe tourne encore sans discontinuer et , si la cadence infernale qu’il s’inflige lui permet de progresser rapidement , elle met les nerfs des musiciens à rude épreuve. Quant Joey chante « I wanna be well » , il exprime autant ses propres névroses que les tensions qui commence à frapper son groupe.

Celles-ci nourrissent encore des riffs qui n’ont jamais été aussi incisifs que sur cretin hop et rockaway beach, alors que le groupe commence paradoxalement à révéler une certaine finesse minimaliste. Des embryons de mélodies commencent à pointer timidement leur nez , comme sur locket love et I don’t care , et leurs mélodies qui s’impriment dans notre mémoire comme des parodies de slogans révolutionnaires.

Et puis il y’a « surfin bird » et « we’re an happy family » , rock cartonneuse qui semblent joués par des personnages de tex avery. Encore une fois, le disque ne se vend pas, et la critique ira jusqu’à prendre ce gang de dadaiste punk pour des fafs , après les avoir entendu chanter « je suis un béret vert au vietnam ».

« Nous étions trop innocents » déclarera Joey , on lui répondra que c’est bien là que se situe leur grandeur. La politique, les ramones s’en foutent comme de leurs premiers diabolos menthe. Leur truc c’est le rock, le vrai , celui qui sera toujours le cri rageur de ceux « qui ont la fureur de vivre, de parler, qui veulent jouir de tout, qui jamais ne baillent ni ne disent une banalité, mais qui brûlent, brûlent, brûlent, comme une chandelle dans la nuit."*

Et pour eux, la vie est un combat dont les ramones ont fourni la bande son.


Road to ruin

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Des morceaux de plus de trois minutes , des solos certes minimalistes mais bien présents, le tout sur un album dépassant allégrement la demie-heure syndicale. Road to ruin est clairement l’album qui marque une nouvelle ère pour les ramones.

En amélioration constante depuis son premier brouillon libérateur, la fausse fratrie new yorkaise livre ici son disque le plus équilibré. Fini les riffs sonnants comme des tronçonneuses prêtes à déchiqueter toute notion de virtuosité rock , Johnny développe désormais son propre feeling. Et réussit désormais à varier les registres.

I just want to have somethin to do sonne comme une version punk des premiers led zeppelin , le guitariste ayant appris à laisser respirer ses décharges rythmiques, afin d'en décupler l’effet. On trouve toujours notre lot de rythmiques foudroyantes, comme bad brain ,ou i’m against it, mais la production ample s’éloigne du son tranchant des premiers disques.

Road to ruin n’est plus un pavé primitif, c’est un véritable album varié et travaillé. Le groupe réclame une reconnaissance qui tarde à venir, la ballade acoustique « don’t come close » s’alliant à la classieuse reprise de « needles and pins », et à la mélodie réconfortante de « questionengly », pour tenter d’imposer les ramones au sommet des ventes. Ajoutez à cela les progrès vocaux d’un Joey Ramones qui ne se contente plus de crier dans le micro, et vous obtenez le disque le plus abouti des marginaux américains.

Road to ruin est le plus parfait équilibre entre les ambitions commerciales du quartet , et sa rage juvénile, leur sergent pepper en quelque sorte. Mais, malheureusement, le succès ne sera toujours pas au rendez-vous, obligeant le groupe à poursuivre le rythme infernal de ses tournées.

Lassé de cette cadence, Tommy Ramones jette l’éponge à la fin des sessions d’enregistrement. Pour le remplacer, les ramones recrutent Marc Bells , qui est surtout connu pour avoir participé à l’enregistrement de blank generation des vodoids.

Une page se tourne, mais la prochaine n’est pas moins passionnante.

End of the century

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Parler de End of the century , c’est rejouer l’éternel combat entre les pros et les antis Spectors. Si son Wall of sound a inspiré Springsteen lors de l’élaboration du lumineux born to run , le boss ne devait sa réussite qu’à un équilibre que le cinglé pop serait bien incapable de reproduire.
                                                                                                                                                       
Ancêtre de la compression, qui transforme toute musique en glaviot informe, sa technique d’enregistrement se résume à une fange sirupeuse qui engloutit même le génie des beatles.  Pourtant, l’incompréhension autour de cet album est autant lié à l’erreur de jugement des rares fans des ramones qu’aux bourdes Spectoriennes.

Avant d’être des punk, les ramones étaient de grands fans des beatles et de la pop de la grande époque . Leurs racines sont là , dans ses refrains innocents et légers qui firent le succès des premiers titres des grands groupes de pop anglaise. C’est d’ailleurs pour cela que Spector choisit de commettre son prochain forfait sur les new yorkais, il avait compris que gabba gabba hey était l’équivalent moderne de « da doo ron ron ». Et, contre toute attente, la sauce va en partie prendre, end of the century s’affirmant comme un des rares disques du producteur qui ne donne pas envie de balancer sa platine par la fenêtre. 

L’enregistrement , lui , fut un enfer , le producteur se conduisant comme un véritable dictateur , usant de tous les moyens pour faire répéter le groupe, jusqu’à trouver la formule collant à ses idées foireuses. Ne se promenant jamais sans son arme, le docteur Jekyll des studios va jusqu’à pointer son pétard sur Dee Dee, pour l’obliger à recommencer ses parties de basse.

A la fin, l’expérience ne laissera de bons souvenirs à personne, et donnera naissance à un disque étonnant sans être brillant. Même si la rencontre entre le wall of sound et le wall of noise produit son lot de moments d’anthologie.

Les Ramones semblent transportés au milieu des sixties , l’annonce ouvrant l’album semble d’ailleurs tout droit sortie d’un vieux transistor. Voilà donc nos ramones balançant leurs refrains punks dans un décor vintage, Joey chantant « it’s the end of the seventies , it’s the end of the century » au milieu d’une production grandiloquente que n’aurait pas renié les groupes les plus raffinés.

Cette première partie n’est pas une compromission, c’est une révélation, les ramones renaissent grâce à ce son ample et plein d’écho qui fit le bonheur de John Lennon. Les premiers titres sont des réussites, les ramones se contentant de poursuivre les progrès effectués sur road to ruin, pendant que Spector ne fait qu’en souligner la simplicité pop. Classique du groupe de Dee Dee Ramone , Chinese rock montre un Spector qui a enfin compris qu’il n’était qu’un humble artisan chargé de mettre en valeur ses nouveaux protégés.

Et puis l’égo de l’escroc Spector reprend le dessus, et l’incite à répéter sur « baby i love you » le crime qu’il avait déjà commis sur « the long and winding road », les violons effectuant un travail de sape écœurant.

Le reste de la seconde face est du même niveau, montrant ainsi que le mur du son et le mur du bruit ne cohabitent pas, ils se succèdent. Spector s’est réservé la seconde face, détruisant ainsi tout ce que le groupe avait réussi sur la première , et si les ramones parviennent à reprendre la main sur « rock n roll higt school », c’est sans doute grâce à une négligence de ce terroriste du son.

Au final , on obtient une demie réussite , un disque frustrant et massacré par le plus grand tartuffe de l’histoire du rock.


Pleasant dreams

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D’une certaine façon, Spector a tenu ses promesses avec end of the century. Sans doute boosté par la réputation surfaite du producteur, le disque devient vite le plus vendu du groupe. Les chiffres restent toutefois modestes, et couvrent à peine les frais d’enregistrement. Mais surtout, les fans de la première heure voient d’un mauvais œil cette main tendue au grand public, et sa participation à un ridicule film de série B.

Pendant ce temps, le punk commence déjà à s’essouffler. Avec Sandinista , les clash ont signé leur arrêt de mort , en produisant un triple album cacophonique et inécoutable en une fois. Vulgairement appelé new wave , les restes du punk survivent difficilement à travers les quelques pépites d’Elvis Costello et des Jam, pendant que blondie , Patti Smith , et les stranglers se noient dans les méandres de la pop synthétique.

Pleasant dreams sort donc au milieu de ce vide, et obtiendra le même mépris que ses prédécesseurs. Pour les fans , Spector a tué les ramones , et la production très pop de pleasant dreams ne fait que confirmer leur sentiment. L’homme était pourtant une étape logique dans le parcours d’un groupe qui n’a cessé de s’affiner, mais les ramones resteront toujours prisonnier de l’image de gentils sauvages qu’on leur a collé.
                                                               
Si il durcit le ton , la critique fustige sa violence primaire , alors que toute touche pop est vue comme une trahison par les fans, laissant le groupe coincé entre le marteau et l’enclume. Pleasant dreams est pourtant un bouillonant manifeste pop punk , we want the airwave s’affirmant comme le nouvel hymne rageur d’un groupe qui s’est toujours vu comme le sauveur du rock. Et d’hymnes , ce disque n’en manque pas. The KKK took my baby away botte le cul de la pop , pendant que le groupe pose des bases que les punk rockers ne feront que copier sur «  sitting in my room » , « this business is killing me » , et autres perles juvéniles.    

Au final , si les ramones ont sans doute accentué leur coté pop, pour échapper à la déchéance de la vague punk , ils sont les seuls à le faire en gardant une telle énergie. Non, Spector n’a pas tué les ramones , le groupe a juste digéré ses enseignements, pour les soumettre à grands coups d’hymnes punk rock .  

    

    

dimanche 17 novembre 2019

The Ramones : Gabba Gabba Hey : épisode 1


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Attention, cet article est un plaidoyer à la gloire de la simplicité, une tomate envoyée à la figure de ceux qui oublièrent que le rock est avant tout un cri primaire. En un mot comme en mille, c’est un manifeste pour réhabiliter la foisonnante discographie d’un groupe qui fit tant, avec seulement 3 accords. Sur ce, lançons notre cri de guerre et entrons dans la légende : Gabba Gabba Hey !

La jeunesse des ramones semble tirée d’une chanson de Lou Reed , avec ses dealers attendant leurs dûs aux coins des rues , et ses couples dysfonctionnels créant leurs propres purgatoires. Johnny et Dee Dee venaient de ses bas-fonds new yorkais , et Dee Dee a connu la « fièvre blanche » dès ses quinze ans , afin d’oublier les délires d’une mère déséquilibrée et d’un père alcoolique.  Johnny n’est pas issu d’un milieu plus reluisant, et copiera vite le tempérament autoritaire d’un père qui n’hésite pas lui demandé « alors j’ai élevé une fiotte ? » à la moindre de ses défaillances.

Cet environnement particulièrement dur va forger le caractère agressif de Johnny, qui trouve vite en Dee Dee un compagnon de misère. Avec sa coupe au bol et son air paumé, Dee Dee ressemble à un fan des beatles perdu dans un roman de Burrough , alors que Johnny développe une rage qui force naturellement le respect.

Ce parcours erratique, les amènes à croiser la route de Tommy et Joey, comme si leur air paumé les avaient prédestiné à créer un groupe. Fondateur du gang , Tommy dira lui-même que personne n’aurait parié un kopec sur cette bande de marginaux , qui joue en public avant même de maitriser leur instrument.

Après plusieurs tâtonnements, les rôles se définissent, Dee Dee découvre « qu’il y’a un do sur cette putain de basse » , et Joey s’affirme comme le digne frontman de ce gang de marginaux. Ayant frôlé l’hôpital psychiatrique, après qu’on lui eut diagnostiqué une « schizophrénie paranoïaque, il se nourrira de cette expérience pour chanter les classiques délirants qui jalonneront l’histoire du groupe.

Le rock est la seule bouée de sauvetage des Ramones , le seul milieu susceptible de leur donner une place, et ils s’y jettent comme si leur vie en dépendaient . D’abord tiraillé entre un chanteur et un bassiste obnubilés par les beatles , et un guitariste vénérant la violence led zepplinienne , tout ce petit monde se met d’accord en découvrant le premier album des New York Dolls.

Véritable chainon manquant entre la simplicité des premiers beatles et la violence crue de led zepp, le groupe de Johnny Thunder montre la voie d’une agressivité sonore libérée de toutes préoccupations musicales.   
                                                                                                                               
Tout le monde peut le faire ! Voilà le message des Dolls , message que les ramones vont propager à un rythme infernal. D’abord catastrophique, leurs concerts prennent progressivement la forme de bombardements libérateurs , où les faux frères New Yorkais prennent à peine le temps de s’arrêter entre les titres.
                                      
Johnny résumera cette philosophie de manière un peu pompeuse en affirmant «  le rock se mourrait et nous voulions le sauver ». C’est que le rock commençait à sérieusement se regarder le nombril, se prenant lamentablement au sérieux à travers ses instrumentaux interminables , ses solos vertigineux , et ses concepts élitistes. Quand Dee Dee hurle « one , two, tree, four » , c’est plus pour annoncer une nouvelle salve contre cet académisme d’opérette, que pour fixer la mesure de titres souvent calqués sur la même cadence.   

Le groupe devient rapidement la coqueluche du CBGB ,un  club bluegrass sur le déclin, qui se refait une santé en devenant le haut lieu de l’underground Américain. Entre ses murs , les Iggy Pop , blondie , Patti Smith et la crème du nihilisme rock écrit les premières pages de sa légende. C’est aussi là que, subjugué par l’énergie des faux frères ramonseques , Mclaren trouve le dernier élément de son plan de conquête des charts : il se nommera sex pistols.

On retiendra aussi cette phrase lancée par Joey à Joe Strummer « Nous sommes nuls. Si tu attends d’être bon pour former un groupe, tu seras trop vieux quand ça arrivera ». En 1976, Danny Fields, l’homme qui découvrit le MC5 et les stooges , invite ces « nuls » à enregistrer leur premier album.
La cartoo… Euh la légende peut commencer.

Ramones

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Premier journaliste français ayant chroniqué ce disque , Philippe Manœuvre réussit au moins à résumer l’incompréhension , voire le mépris , dont le groupe sera victime tout au long de sa carrière .
« On avait besoin de nouveaux stooges , pas de mecs avec des T shirts mickeys » déclare t’il quelques années plus tard.

Les ramones ne faisaient pourtant que perpétuer le message du groupe d’Iggy Pop , en le radicalisant. « search and destroy » et « blitzkrieg bop » sont fait du même bois , ils rendent aux gamins une musique confisquée par les expérimentations prétentieuses des dinosaures de stades.

Fini les solos à rallonge , les instrumentaux se perdant dans des délires alambiqués , ce premier album se résume à quinze parpaings pop ne dépassant jamais les 3 minutes. Trois accords , trois phrases , trois minutes , voilà la sainte trinité promue par les ramones , et servit par une production ultra minimaliste.

« Now I wanna sniff some glue » donnera son nom au magazine emblématique de la scène punk , qui passera une bonne partie de son existence à défendre vaillamment la verve ramonesque. Récités comme des mantras , les refrains entétants de « 53 rd » , « blitzkrieg bop » , et autres « sheena is a punk » viennent nettoyer le rock de la boue complaisante dans laquelle il s’était englué.

Mal vendu , descendu par la critique , « ramones » deviendra tout de même le disque underground le plus influent depuis le premier velvet.


Leave Home

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« Résumons nous : Les ramones représentent une partie infime de cette énergie que les stooges ont canalisé au péril de leurs vies, avec une maestra bien connue. »
Non , Monsieur Manœuvre , les ramones n’étaient pas un simple coup tenté par un manager aux dents longues.

Leur nihilisme,  les ramones le font survivre grâce au rythme infernal de leurs tournées comme les stooges avant eux. Là , leurs riffs deviennent moins mécaniques , les mélodies plus fluides, mais la simplicité reste. Le message est le même , « carbonna not glue » s’incrivant dans le même sillon décadent que sniff some glue, dans une série qui ressemble à une version minimaliste d’heroin.

La seule différence majeure entre ce disque et le précèdent, c’est que Johnny Ramones n’a plus l’air de tenir une guitare pour la première fois de sa vie. Plus carré , les refrain s’imposent comme une version sous speed de la pop sixties, « now i wanna be a god boy » bénéficiant d’un refrain taillé pour devenir aussi culte que « all you need is love », avant que les chœurs ne fassent leurs  apparitions sur swallow my pride. Avec les bruitages pop de beach boys de cartoon , ils montrent le besoin de reconnaissance d’un groupe qui commence à draguer le grand public.    


jeudi 7 novembre 2019

Robert Wyatt Different every time : epilogue

Déjà mis à l’écart sur third , Robert Wyatt est presque ignoré sur fourth , comme si ses collègues le prenait désormais pour un simple exécutant. Aussi déçu par la direction de plus en plus élitiste que prend son groupe, que blessé dans son orgueil par cette mise à l’écart, Wyatt claque la porte en 1971. Il entame ensuite une période de dépression, et ne doit l’échec de sa tentative de suicide qu’à la bienveillance de voisins vigilants.
Matching Mole


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La blessure liée à sa mise à l’écart ne guérira jamais totalement, mais elle cicatrise suffisamment pour lui permettre de reprendre les concerts. Il effectue donc quelques performance en solo, accompagné de musiciens locaux, avant de rejoindre son vieil ami David Aellen pour renforcer temporairement le vaisseau gong. Progressivement, la muse revient le visiter, le poussant à chercher de nouveaux musiciens, pour donner vie à des idées qu’il n’aurait jamais pu construire avec soft machine.

La formation est annoncée en même temps que son nom : Matching molle , qui montre que Wyatt n’a toujours pas fait le deuil de son ancien groupe. Robert Wyatt, David Sinclair, Bill Mccornik et Phil Myer commence donc à jamer sur « moon in june » et « beware of darkness » de George Harrison. Si ces titres montrent bien l’attachement à la pop du batteur , les improvisations emmènent progressivement le groupe vers des sentiers moins balisés, et représentent les premières notes de sa seconde vie artistique.


De ses instrumentaux naissent rapidement un matériel hétéroclite , montrant les hésitations d’un Wyatt écartelé entre son amour de la pop et ses ambitions expérimentales. L’homme le résumera très bien en affirmant que, parfois, il se met à chanter de petites ritournelles pop au piano, et commence à penser qu’il s’agit de sa véritable vocation. Puis il reprend la batterie, et retrouve son gout pour les rythmiques alambiquées, les structures atypiques , et devient l’homme qui interdit à David Sinclair de renouer avec les chemins balisés par caravan.

Si son talent d’architecte fait de « matching mole » un grand disque , il montre encore une formation en rodage, suivant les hésitations de son leader sans réellement savoir où il s’embarque. Sur les titres les plus pop, la voix de Wyatt prend trop de place, et réduit ses collègues au rang de groupe d’accompagnement.

L’instrumental « instant pusssy » semble flirter avec l’élitisme virtuose que Wyatt a fui chez soft machine. Puis vient « part of the dance » , où les musiciens parviennent enfin à faire copuler l’agressivité électronique de « volume two » , la liberté portée par ce jazz qui reste tout de même la véritable inspiration de Wyatt , et l’efficacité d’un groupe de pop virtuose . Le batteur résumera ce son par la formule « concerto pour groupe , et on a pas encore trouvé meilleure formule pour qualifier cette musique expérimentale, aux apparences parfois décousues, mais dont le charme ne cesse de se dévoiler à chaque écoute.

Alors que soft machine développe une musique de plus en plus « classique », gommant progressivement toute trace d’expérimentation, dans l’espoir d’atteindre le niveau des grands virtuoses jazz, matching molle devient rapidement le nouveau tôlier de la scène Canterburienne. Le groupe commence à se souder lors de sa première tournée de 1972, ses concerts rodant une machine qui s’apprête à sortir son chef d’œuvre en novembre 1972.

Little red record


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Si les traumatismes de Robert Wyatt ont engendré les défauts du premier disque, ils guideront aussi le processus qui mènera à la naissance de ce little red record. Ayant besoin de se rassurer sur ses capacités de musicien, Wyatt a dirigé les séances du premier album de la façon la plus autoritaire, à tel point que le groupe hésitait à poser son nom sur un album qu’il n’a pas composé. Conscient de cet excès d’autoritarisme, le luttin batteur ne veut pas reproduire sur ses collègues ce qu’il a subit à la fin de soft machine. Il se place donc en retrait, laissant ses collègues composer la quasi-totalité du nouvel album, afin de prouver que matching molle est désormais un groupe solide et soudé.

De cette manière, il obtient une œuvre plus homogène, et plus concise. Les taupes n’ont pas perdu leurs capacités à expérimenter, et continuent de nourrir leurs expérimentations de sonorités résolument jazz rock, mais elles le font à travers une musique plus travaillée.

La voix répond enfin aux instrumentaux sans les masquer, ce sera la seule fois où celle-ci trouve une telle harmonie avec les musiciens qui l’accompagne. Pourtant, ce qui fera grand bruit à la sortie de l’album , c’est cette pochette singeant les affiches de propagande communiste , et les propos d’un Wyatt qui préfére : « être envahi par les chinois plutôt que de se voir imposer l’Europe ».

Dans ses textes, les pro communistes verront un manifeste en faveur de leur idéologie, alors que les anti communistes se délecteront de ces exagérations perçues comme une parodie de la nouvelle religion fondée par Marx.

Ces visions opposées auront au moins le mérite de prouver que la musique est bien plus sérieuse que la politique. Wyatt prenant soin de noyer ses déclarations dans une cacophonie de voix burlesques, comme si il se moquait de ses propres convictions.

Résultat, on retiendra surtout que, alors que son ancien groupe est en pleine déchéance , Wyatt a su rester au sommet de son art . Trop peu cité , son petit album rouge fait clairement partie des disques qui définissent cette époque où le jazz et l’expérimentation avaient aussi un potentiel commercial.

Little red record n’est pas encore sorti lorsque , lassé par le manque de succès et les difficultés financières , Robert Wyatt décide brutalement de mettre fin à matching molle. Ses collègues sont abasourdis, d’autant que les derniers concerts du groupe avait obtenu l’éloge de la critique, et que le succès semblait enfin à portée.

Wyatt , lui , voit plutôt dans ces chroniques la preuve de fidélité de journalistes qui l’ont toujours soutenu. La raison de cette fin brutale est toutefois plus profonde, et vient directement du processus plus démocratique qui a mené à la création de little red record.

Si ce processus a permis à la formation de s’affirmer en tant que groupe, elle a largement frustré son leader, qui avait de nouveau l’impression de ne pas pouvoir réaliser ses ambitions artistiques. Le batteur veut désormais être reconnu en tant que chanteur, et affine sa voix en participant à divers concerts d’Hatfield and the north et Kevin Ayer.

Après ces performances , il accompagne sa compagne Alfie à Venise , où elle travaille sur la réalisation d’un film. C’est là-bas qu’il écrit les premières paroles d’un disque qui prendra réellement forme après son accident.

La scène se passe lors de la soirée de promotion de flying teapot , le dernier album de gong. Après avoir noyé ses névroses dans l’alcool et différentes substances , Wyatt s’enferme dans la salle de bain en galante compagnie. Lorsqu’il est sur le point d’être surpris, le lutin barbu a la mauvaise idée de tenter de s’enfuir en descendant par la gouttière, qui cède rapidement. Résultat, une chute de quatre étages à laquelle il ne survit que grâce à la décontraction liée à son état d’ébriété.

Devenue paraplégique, il parvient à se soigner grâce à l’aide financière de divers artistes , avant qu’un Dave Mason en pleine gloire Floydienne ne lui propose ses services pour l’enregistrement de son prochain disque solo. Averti du projet, Mick Oldfield se joint rapidement à l’achèvement d’une grande œuvre que l’artiste avait démarré avant son accident.


Rock Bottom

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Chaque époque exprime le génie humain d’une façon différente, la renaissance le fit dans l’architecture et la peinture, Leonard de Vinci et Michel Ange étant le symbole de l’âge d’or de l’occident. Les années 50 le feront via le cinéma, l’âge d’or d’hollywood nourrissant les rêves de millions de jeunes se prenant pour John Wayne et Henry Fonda. Les années 60-70 , elles, marqueront l’âge d’or de la musique , sergent pepper , pet sounds et rock bottom s’affirmant comme les descendants de l’œuvre sublimant le plafond de la chapelle Sixtine.

L’Angleterre est donc devenue la nouvelle Italie, le rock un nouvel art majeur. « Pour comprendre un peuple il faut écouter sa musique » , comme le disait si bien Platon , des années avant que la paix ne permette aux musiciens de s’épanouir. Vous vous demandez sans doute pourquoi je commence cette chronique par une introduction que certain pourrait trouver trop pompeuse.

Et bien tout simplement parce que, à force de chercher à transcender le rock , les musiciens progressifs réussissent parfois à produire une œuvre qui dépasse ce simple qualificatif, et c’est largement le cas ici. La force de rock botom, c’est d’abord que son auteur a toujours pris plaisir à jouer sur les dissonances , à se jouer de la vision que l’on peut avoir de la beauté musicale.

Sa voix, qu’il qualifie lui-même d’androgyne, ne dévoilait sa beauté qu’après plusieurs écoutes attentives. Après l’avoir travaillé à la fin de matching molle , il l’a transcende ici grâce à une sensibilité d’une pureté incroyable, comme si l’homme nous invitait à explorer sa psyché tourmentée.

Rock Bottom est un disque introspectif, comme pouvait l’être rubycon, ou les grands disques ambiant, un album qui définit un paysage sonore enivrant et immersif. Autrefois partisan d’une musique foisonnante et parfois bruitiste, Wyatt apprend à alléger ses compositions, à ménager les espaces , laissant l’esprit de l’auditeur vagabonder entre ses espaces magnifiques.

Rock bottom , c’est le calme d’atmosphères apaisantes, entretenues par les claviers luxuriants mis en place par le duo Mason/ Wyatt , avant que le calme ne soit rompu par une complainte bouleversante, portée par des trompettes semblant annoncer une apocalypse tragique. Wyatt n’avouera qu’à demi-mot la portée autobiographique de ce disque, il a sans doute raison.

Dans rock bottom , ses sentiments deviennent universels , l’homme se servant de sa douleur pour produire une musique capable de réparer les âmes, pendant que la musique vibre comme une ode à l’innocence. Ce n’est plus du jazz, ce n’est plus du rock, ce n’est même pas réellement de l’ambiant. Ces étiquettes sont trop réductrices pour parfaitement résumer cet édifice sonore, où les instruments se complètent dans une symphonie apaisante.

Innocence est le maitre mot de ce disque, tant celle-ci permet à Wyatt de dévoiler ses sentiments sans tomber dans l’exhibitionnisme vulgaire. Comme pour relativiser l’exploit, le lutin virtuose achève son catharsis musical par un rire enfantin de génie espiègle.

Le résultat est au-delà des mots, et on l’écoutera sans doute aussi longtemps qu’il restera une étincelle d’humanité dans un monde transformé en cloaque numérique.

dimanche 3 novembre 2019

Robert Wyatt : Different every time : Partie 2 , grandeur et décadence


Quand le premier album sort enfin, Soft Machine est officiellement séparé, usé par une tournée de trois mois qui a eu raison de sa témérité. Grâce à la persévérance de son producteur américain , son premier album finit tout de même par sortir, et le groupe qui se croyait libre de tout engagement se retrouve contraint de produire le second disque prévu par son contrat. Heureusement, soft machine a continué à composer pendant sa période d’inactivité, et dispose déjà d’un matériel conséquent. Avant les premières sessions, Hugh Hopper annonce qu’il s’en ira si « le groupe produit encore de la pop » , ouvrant ainsi un conflit entre les influences pop de Wyatt et les ambitions jazz des autres membres du groupe.

Voyant au départ le projet comme une obligation contractuelle, le trio répète 17 titres, qu’il compte lancer comme une aumône à sa maison de disque. Mais, au fil des répétitions, le projet se densifie, les sessions s’allongent, et ce qui devait être un travail bâclé se transforme en disque foisonnant  où le gang atteint le sommet de sa cohésion.

Seule ombre au tableau, la production est un peu brouillonne, et donne un écrin un peu rudimentaire à ces perles. Mais la perfection des titres rachète largement l’amateurisme des producteurs, et tout ce que le premier disque avait annoncé se réalise dans nos oreilles ébahies.

Volume two


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Mélange de dadaïsme et d’intellectualisme musical, l’école de canterbury nait réellement avec ce disque. De caravan à Khan , sans oublier hatfield and the north , tous vont broder leurs œuvres autour de cette base rutilante. Volume two est le seul disque de soft machine qui réussit ce pari fou, marier la spontanéité et l’avant-garde, la légèreté pop, et la sophistication jazz. The soft machine (l’album) était encore trop brut, les stridences de son orgue rapprochant le groupe d’un psychédélisme aussi violent qu’aventureux.Third , lui, est un chef d’œuvre. Mais il n’auraît pu naitre si le groupe n’avait pas tourner le dos à la pop, au grand dam de Robert Wyatt.

 Le lutin batteur est le véritable maitre d’œuvre de ce volume two , réarrangeant les instrumentaux écrits par Hugh Hopper , tout en écrivant toute la prose absurde qui parcourt ce disque.

Plus que jamais au centre des mélodies de la machine molle, sa voix aère des instrumentaux alambiqués. Ceux-ci sont compressés sur des pièces de deux/trois minutes, qui s’enchainent comme les pièces d’un fabuleux puzzle. Encouragé par le collège libertaire de la pataphysique, Wyatt libère ses textes de toute logique, ses exubérances vocales se mariant à une musique extrêmement riche, dans une perfection jazz pop que seul Frank Zappa parviendra à approcher.       

Les années précédentes ont consacré la pop, 1968 marque le début de l’avènement du free jazz. Chacun en donnera sa version, instrumentale et envoutante chez Zappa (hot rats) , atmosphérique et électrique chez Miles Davis (bitch brew) , sans oublier la symphonie grandiose de King Crimson (in the court of the crimson king).

En plus de lancer toute une scène , volume two est passé avant tout ces chefs-d’œuvre. De là à dire qu’il les a influencé il n’y a qu’un pas, que nous éviterons de franchir. Si Zappa a en effet côtoyé la machine molle , c’était à l’époque où sa musique n’était encore qu’un rock pyché expérimental. Quant à Miles Davis , il ne se mit à métisser son jazz qu’après avoir été époustouflé par un show de Jimi Hendrix.

En revanche, volume two était le pavé dans la mare, un signal envoyé à tout ceux qui étaient restés bloqués dans le blues rock sixties. Le jazz et la pop ont conçu un enfant, voici ses premiers cris.   


Le succès semble proche, les maisons de disques commencent à voir un réel potentiel commercial dans ce groupe pop/ Jazz, et se pressent pour offrir un contrat à l’ex coqueluche de l’underground anglais. Si elles encouragent le groupe à retourner en studios , celui-ci veut désormais obtenir une liberté totale. Enrichi par une autre tournée en compagnie de Hendrix, le groupe décide de financer lui-même les sessions de son troisième disque.

Parallèlement, le duo Hopper/ Ratlehedge a pris le pouvoir, écartant définitivement les compositions pop de Wyatt. Déjà complexé par le talent de ses collègues, et doutant de ses propres capacités, le lutin anglais parvient juste à glisser une composition. En plus d’être une des compositions les plus réussies de ce disque, Moon in june représente l’adieu du groupe à la pop. Un adieu qui sera confirmé par le départ de Wyatt après la sortie de fourth.

Lors des enregistrements , Ratlehedge et Hopper refusent de jouer sur la composition de leur batteur, qu’ils semblent désormais voir comme un frein à leurs ambitions. Toujours aussi mal produit, third est heureusement composé de titres toujours aussi brillants, et d’une inventivité qui ne laisse pas présager que la fin est proche.

Third



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Cet album me fait toujours penser à l’histoire mise en scène sur « the grand wazoo » , le chef d’œuvre de Zappa, qui relate la lutte d’une tribu virtuose contre la horde des dangereux médiocres. Cette image exprimait bien le combat entre l’élitisme et la spontanéité que le rock a toujours provoqué. Jusqu’où peut-on aller sans tomber dans la démonstration stérile ? A partir de quand dépasse t’on les frontières du rock pour partir sur les terres pernicieuses d’une musique pompeuse et sans âme ?

Ces questions ont parcouru les groupe depuis que le rock existe. C’est la lutte entre les mélodies discos de Jagger et le blues de Keith Richard, ce sont les contestations provoquées par les changements brusques de Bowie , ou par les nouvelles mélodies de led zeppelin.

Chez Soft Machine plus que chez n’importe qui , ce problème ne pouvait que finir par se poser. Dès le départ, la formation était écartelée entre les tendances de son époque et son amour pour la « grande musique » de Mingus , Coltrane …

On pourrait aussi penser que volume two , sommet de cohésion entre ses influences contradictoires , représentait un point d’orgue que le groupe ne pouvait reproduire , sous peine de tomber dans le même bain que sa descendance. Parce que la formule a fait des adeptes, qui lanceront bientôt des disques qui sont autant d’échos à cette nouvelle pop.

Pour prolonger son statut de précurseur, soft machine devait partir vers d’autres territoires, et tant pis si Wyatt devait être sacrifié sur l’autel de l’avant-garde. Usant des capacités des studios modernes, la machine molle reprend la technique du collage cher à Zappa, sur un facelift où les envies de liberté de Hopper ouvre la voie à la musique extrémement composée qu’affectionne Rattlehedge. Le groupe creuse le même sillon expérimental sur « out bloody rageous » , où les boucles rythmiques s’accélèrent , s’entrechoquent , ou s’accordent dans une nouvelle forme de symphonie jazzy.    

Entre temps, on se sera émerveillé sur ses longues pistes moelleuses, où le groupe flirte avec la douceur avant gardiste du premier king crimson. Si volume two était son chef d’œuvre pop , third donne une nouvelle définition du free jazz , soft machine accélérant le son de ses bandes , ou les inversant tel un savant fou du free jazz.

Si third est un grand disque, c’est parce qu’il se défait de ses influences , pour inventer une nouvelle définition de la musique. Après ça, soft machine pouvait se dissoudre dans un jazz de plus en plus académique. Ce sommet-là ne pouvait, de toute façon, que le tuer.