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dimanche 19 avril 2020

Bob Dylan : More blood more tracks


Bob Dylan - More Blood, More Tracks: The Bootleg Series Vol. 14 ...

Je me rappelle encore de l’annonce du prix Nobel de littérature 2016. Les journalistes ne pouvaient s’empêcher de démarrer la présentation de l’heureux élu par un « non ce n’est pas une blague ». Ces avatars ridicules n’ont sans doute plus ouvert un livre depuis l’obtention de leur diplôme stupide (est ce que Zola ou Cavanna avaient un diplôme de journalisme ?) , ils ne pouvaient donc pas comprendre ce que représentait Dylan.

Ces gens ont l’amour des idées toutes faites, de la modernité absurde, et de la bien pensance ronflante. Pour eux, la musique est une distraction, ou un bien de consommation parmi d’autres.

Si je commence cette chronique par cette attaque apparemment hors sujet, c’est pour mieux ouvrir un chapitre essentiel du mythe Dylanien.
                                                                                     
Replaçons les choses dans leur contexte :
Nous sommes en 1975, Dylan vient de subir la trahison de sa maison de disque, et tente de se refaire une santé au côté du band. Sorti sans son autorisation en 1973, « Dylan » est le premier album d’une série décevante. « Planet wave »  est trop peu inspiré pour relever le niveau, et la tournée des stades qui suivit ne servit qu’à faire tourner la machine à cash.

Enregistré pendant cette tournée, « before the flood » est l’œuvre d’honnêtes fonctionnaires, des has been paumés se débattant dans un environnement trop tapageur pour eux. En dehors de la scène, le tableau n’est pas plus joyeux. Sara commence à se lasser des discussions musicales et des infidélités du Zim. Celle qui inspira « sade eyes lady of the lowlands » s’éloigne tant que le couple semble avoir atteint le point de non-retour.

Si Dylan réfutera toujours cette hypothèse, les textes qu’il écrit pour blood on the tracks sont tout de même parcourus par une tristesse, sans doute influencés par ses déboires sentimentaux.

La suite, tout le monde croit la connaitre. Dylan se serait précipité au studio Columbia, afin de donner à ses récits l’écrin digne de leur puissance poétique.  C’est vite oublier que blood on the track fut d’abord enregistré par Phil Ramone, l’ingénieur du son qui s’est occupé de « before the flood ».

Les sessions se sont d’ailleurs bien déroulées, le disque était prêt à sortir, et Phil était fier de faire écouter le résultat à Dylan. Sauf que le barde est aussi un maniaque anxieux, et ce qu’il entend ne correspond pas à ce qu’il souhaitait produire.

Voilà pourquoi le disque fut finalement refait au studio de Columbia, en compagnie de John Hammond. Les pistes enregistrées à New York devinrent vite un grand fantasme de Dylanophile , qui arrive enfin entre nos mains aujourd’hui.

A l’écoute de cette version résolument acoustique, on ne peut que souscrire au principe énoncé par Johnny Cash « Si les démos sont meilleures, on met les démos sur le disque ».  Les mélodies acoustiques laissent plus de place à la prose de Dylan, qui peint ses âmes tourmentées avec une précision chirurgicale. 

Il y’a quelque chose de Dostoïevski dans cette façon de peindre ces âmes en perdition. Le texte de « Lily Rosemary and the jack of heart », plus romancé a la force romantique des grandes nouvelles d’Hemingway.

D’un point de vue musical, on retrouve le Dylan folk des débuts. Son chant a néanmoins gagné en maturité, et se contente désormais de ponctuer délicatement ses arpèges. Seul « meet me in the morning » s’écarte de cette folk nostalgique, pour raviver la splendeur du blues acoustique.

Le lyrisme fait place à la retenue, et idiot wind montre que le grand Bob n’a pas besoin de lever la voix pour que ses mélodies donnent le frisson.

« more blood more track » montre une émotion plus subtile que la version finale. Si cette retenue semble donner plus de puissance aux textes, on n'ira pas jusqu’à dire que c’est celle-ci qui aurait dû sortir.

Ce nouveau numéro des bootleg serie apporte simplement un regard plus complet sur ce qui restera un des chefs d’œuvre Dylanien. L’écouter, c’est comme découvrir un nouveau chapitre à « crime et chatiment » ou un poème oublié issu des contemplations. Et, quoi qu’en pensent ceux qui voient la musique comme une distraction, ces bandes font parties de notre patrimoine culturel.

mercredi 26 février 2020

Bob Dylan Dream : Epilogue

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Il fallait bien deux ans pour faire le deuil d’une partie de son insouciance. Heureusement, l’attente en valait la peine.
                                  
Honteusement décrié , Street Legal est un chef d’œuvre. C’est qu’en deux ans , Springsteen et Petty, ses deux fils spirituels, commençaient à lui faire de l’ombre. Alors , en toute humilité , Dylan s’est adapté aux mœurs de son temps. La beauté de son chant est à son sommet, et la production est propre comme une mélodie de Jackson Browne.

En embuscade derrière ce vernis FM , ses influences gospels , rythm n blues , et rock , entretenaient des mélodies dramatiques à faire rougir le boss au sommet de son règne. Mais une bonne part de la critique avait déjà enterré Dylan, et ne comptait pas ressortir son squelette du placard.

Et puis , en 1977 , un autre monstre sacré retenait toute l’attention. Après son service militaire , la carrière d’Elvis ne fut qu’un long déclin , illustrée par cette image pathétique de rocker bedonnant. Le déclin a brutalement pris fin dans sa demeure de Graceland , et la nouvelle fit l’effet d’une bombe. Seuls les punks se réjouirent de cette perte, il est vrai que l’homme n’était plus qu’un symbole du passé,

Mais Dylan a toujours rêvé de ressembler à Elvis, ça restera d’ailleurs son plus grand complexe. Il rassemble donc un groupe composé d’ex musiciens du king , et entre en scène vêtue de blanc, la couleur portée par son héros lors de son ultime retour.

Ses titres étaient joués avec grandiloquence, les cuivres partant dans un grand requiem poétique , une fête à la mémoire de celui sans qui rien ne serait arrivé. Issu de cet hommage, live at budokan sera éreinté par la critique, qui ne supporte pas cette instrumentation tapageuse.

Dylan avait bien échoué, il ne sonnait pas comme Elvis, il était bien trop fin pour reproduire son modèle à l’identique. Live at Budokan était sa récréation, le catharsis où il jouissait enfin du sentiment d’être un frontman au milieu d’un vrai big bang musical. C’était Elvis et Sinatra , Springsteen et  James Brown , le charisme grandiloquent allié à une poésie qu’il ne pouvait laisser de côté.

Après le concert, Dylan commença à lire une bible prêtée par son vieil ami Johnny Cash, et se réfugiait de plus en plus dans ces sermons moralistes. Le guide d’une génération se faisait alors dévot, et chargeait Marc Knopfer de mettre ses sermons en musique. La critique n’avait pas aimé, Street Legal , elle détestera slow train coming.

On pensait l’ex symbole de la liberté de conscience enfermé dans sa foi, un libre esprit retenu dans les geôles d’un obscurantisme gluant. Pourtant, l’homme n’avait pas renoué avec la religion comme un enfant se réfugiant dans les jupons de sa mère. Sa famille était juive, et c’est son parcours qui le mena au christianisme, comme il l’avait mené au folk quelques années plus tôt.
                                                         
Dieu était certes une consolation au milieu d’une période trouble, mais il s’agissait d’une consolation choisie. On peut aussi y voir une nouvelle expression de sa liberté, l’homme n’ayant pas peur de détruire son image pour suivre sa voie.

Quant à sa musique, elle creusait encore le sillon gospel rock de Street Legal. Slow train coming dispose d’un son plus épuré, qui met bien en valeur le feeling unique de Knopfer. Sa guitare n’a d’ailleurs jamais si bien sonné, elle renoue enfin avec le son du missisipi que Dire Strait défigurait. Chacun des disques de cette « trilogie chrétienne » fut un grand disque de rock.

Ce virage fut malheureusement incompris et, après avoir vécu street legal comme une soumission face à l’industrie du disque, le public considérait ces nouveaux disques comme une allégeance à une morale réactionnaire.

Des idoles sont mortes pour moins que ça et, déstabilisé par l’incompréhension qu’il engendrait , dégoûté par le nihilisme d’une époque artificielle , Dylan entama une période de presque dix ans de vide artistique.

Annoncée comme un événement historique , la tournée avec le dead ne laissera que le souvenir d’un album live d’une médiocrité honteuse. Dylan a eu peur de se retrouver statufié en symbole d’une époque, et a donc sélectionné les pires bandes, comme  si la chute de ce disque le débarrassait aussi de son encombrant passé.

On ne reviendra pas sur down on the groove , knocked out loaded, ou empire burlesque , ces disques montraient juste un homme qui se cherchait un avenir , sans savoir si il en avait encore un.  C’est Bono qui lui permit de rentrer enfin dans l’ère moderne.

En 1989 , il lui présente son producteur , avec qui le Zim va travailler sur le disque qui ouvre son nouvel âge d’or. Oh mercy fait partie de ces disques qui ont leur propre ambiance , et Dylan y reprend ce rôle de conteur qui lui va si bien. Dans les moments les plus rythmés, comme everything is broken, il parvient même à ressusciter le country rock du band.

Mais on retiendra surtout ses chroniques musicales, qui le voient enfiler le costume d’Homère moderne. Ring that bell creuse le sillon d’un folk mystique. Patti Smith n’aurait d’ailleurs pas renié sa mélodie en forme de messe païenne.

Man in the long black coat est une fresque rock digne de ballad of a thin man, la révolte en moins. Oh mercy remet Dylan en selle pour les années suivantes, et celui que tout le monde croyait fini entame un nouvel âge d’or.

Victime d’une crise cardiaque quelques années plus tard, il se nourrit de cette expérience glaçante pour enregistrer time out of mind. Disque d’un homme revenu d’un autre monde, et offrant son expérience tel un vieux sage, c’est un brulot spirituel comme il n’en a plus produit depuis les sixties.

Au moins aussi bon, love and left venait ratisser les chemins immortels du rock traditionnel, celui dont les rythmes étaient de glorieux échos du vieux blues. Soutenu par un des meilleurs groupes qu’il ait jamais eu, Dylan offre un disque enthousiaste après la noirceur introspective de time out of mind.

Le blues, il le retrouve encore sur « time go wrong » et « good has I’ve been to you » , disque où l’icône se mut en modeste passeur. Après ses deux recueils de reprises , il apporte sa petite pierre à l’édifice sur le sentimental « together throught life » . La voix a vieilli, et l’homme s’est imposé comme le gardien d’un temple perdu.

Je ne parle pas seulement de la musique profonde venue des studios sun , mais de cette pop exigeante, aussi travaillé dans sa musique que dans ses textes. C’est sans doute ça qui nous manquera le plus, quand le barde du Minnesota sera arrivé au bout de son « voyage sans fin ».  
    


lundi 24 février 2020

Bob Dylan's dream's : episode 4


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La nouvelle parue quelques mois plus tard, Dylan venait d’avoir un accident de moto. La pression mise sur ses frêles épaules avait fini par le toucher gravement, et l’incitait à se cacher pendant plusieurs mois. Adoré par une partie du public, détesté par celle qui avait vu ses débuts, le barde était au milieu d’une pièce dont il ne voulait plus jouer le rôle principal.

Son accident lui donnait une chance d’échapper à l’hystérie qui l’entourait, et de devenir un père de famille comme les autres. On le savait pourtant déjà actif, jammant dans la cave poussiéreuse de sa maison de woodstoock , comme un ermite se préparant à renaitre. Les cassettes de ces jams s’échangeaient déjà sous le manteau, sans que l’on sache qui a bien pu capter les dernières pépites d’une mine devenue inféconde.

Ces titres électriques ne laissaient pas présager le choc qui attendait les nouveaux Dylanophiles. Le guide générationnel s’était mué en père de famille comblé, et il développait désormais une musique retranscrivant cette sérénité retrouvée.  

Sorti en 1969, après près d’un an de silence, John Whesley hardin montrait que Dylan n’était jamais où on l’attendait.

« John Whesley Hardin
Was friend to the poor
He traveled with a gun in every hand
All along the country side
He oppened many doors
But he was never know
To hurt an honnest man »

Le poète beat faisait place à un countrymen contant la vie des légendes de l’ouest, et le progressisme faisait place à la tradition, incitant le poète à nourrir sa prose de récits bibliques.

«  Well Juda , he just winked said
All right . I’ll leave you here
But you better hurry up and choose which of thoose bills you want
Before they all disepear
I’m gonna start my piking right now
Just tell me where you ll be
Judas point down the road
And said eternity »

Celui qui avait conduit ses auditeurs sur le chemin du changement brusque et sans retour, racontait des récits à la gloire chère à l’Amérique profonde. A ce titre, la nouvelle version de girl from the north country était tout un symbole. Sortie sur un « nashville skyline » encore plus Countryman et léger que son prédécesseur, elle entrait désormais dans les terres ancestrales de la country , grâce à la voix de baryton de Johnny Cash.

Dylan espérait sans doute qu’on le lâche , que son statut de guide s’évanouisse dans sa célébration country, musicalement il obtint le contraire. L’arrière garde psychédélique , qui avait grandi avec ses chanson , ne pouvait que suivre ses pas pour sauver sa peau. Cela donnera « hot tuna » , disque country blues enregistré par d’ex Jefferson airplane , le workinman’s dead du grateful dead , et sweatheart of the rodeo des Byrds.

Ajoutez à ça la reprise tonitruante de « all along the watchtower » d’Hendrix, et vous obtenez un écho qui maintient désespérément son créateur au sommet de la mêlée. Il faudra un troisième disque pour que l’artiste parvienne à effectuer son hara kiri artistique.

Sorti à peine un an après Nashville Skyline , self portrait est , dans ses meilleurs moments parcouru par un charme bluegrass rappelant vaguement le band. Mais ses rares éclats étaient noyés dans une bouillie infâme et indigeste, où Dylan chantait comme un crooner léthargique.

Alors, on crucifia l’idole, en rabâchant sans cesse l’évidence, son dernier disque était une daube putride. Le mythe fut si bien détruit, que certains pensent encore que sa carrière est réellement morte avec ce self portrait.    

Le disque ouvrit surtout la voie à new morning, album qui parvient à mettre un peu d’ordre dans le bazar grandiloquent de son prédécesseur. Le rock n’avait pas encore terminé son retour à la terre, mais celui-ci s’exprimait désormais à travers le blues abrasif de rednecks bourrus.

New morning trempait ses racines dans la même source que les contemporains de Lynyrd, mais il l’exprimait avec une classe mélodique plus apaisée. Dernier chapitre de sa période bucolique, son passage dans Pat Garett et Billy the kid ne fut pas des plus mémorable. Le film manquait de consistance, et Dylan semblait perdu au milieu de son intrigue. La bande son lui permit au moins d’écrire « knocking on heaven’s door », qui deviendra un tube planétaire.

Mais comme à son habitude, Dylan est déjà passé à autre chose quand son public découvre son dernier album.  De retour avec le band, il reprend les choses là où « blonde on blonde » les avait laissés. Sorti en 1974, Planet waves sera un de ses plus grand succès, c’était pourtant le disque le plus prévisible qu’il ait jamais écrit.

A l’image de la version country de « forever young » , le disque semble remplir un vide dans la carrière du chanteur. C’est une dernière concession faite aux nostalgiques de l’époque où il se battait pour imposer son virage électrique , un joujou pour fans nostalgiques.

Coincés entre le rock poussiéreux du band , et un reste d’influence country , Dylan mélangeait maladroitement les deux. Le band a d’ailleurs avoué qu’il avait accepté la tournée qui suivit pour renflouer ses caisses.

Dylan n’était plus à l’aise dans ces gigantesques célébrations, où le public semblait plus désireux de s’amuser que de réellement écouter sa prose. Et, du côté de sa vie personnelle , le bilan n’était pas plus brillant, et celle qui lui avait apporté un certain équilibre semblait prête à mettre les voiles. 

La longue fresque « sad eyes lady of the lowland », les rythmes bucoliques de sa période country, une bonne partie de l’âge d’or de Dylan fut influencée par la présence rassurante de Sara. Son départ progressif va influencer un nouveau virage, plus intimiste et méditatif. 

Avec Blood on the tracks , Dylan devenait le Dostoïevski du rock , mais les âmes désespérées que ses vers dessinaient n’étaient qu’une métaphore de ses tourments. Le disque fut unanimement salué comme «  le grand retour du génie Dylanien », alors que son auteur avait déjà abandonné la nostalgie de ce disque. 

Nous sommes en 1976, et une musicienne se balade dans les rues de new york avec son instrument à la main. Une voiture s’arrête près d’elle, et la conductrice lui demande si elle souhaite participer à un enregistrement au studio columbia. Cachée par son ombre, elle ne reconnait pas le passager qui semble être à l’origine de cette demande. Dylan avait embauché Scarlett Rivera simplement parce qu’elle portait cet étui à violon, violon qui illuminera la musique de desire.

L’idée menant à l’enregistrement de desire est née à Saint Marie de la mer, où Dylan était parti s’exiler quelques jours. Le soleil était à son Zenith , et ses rayons éclairaient une plage proche des décors de cartes postales. Un rassemblement attira son attention. Les gens du voyage étaient venus célébrer leur liberté sur cette plage, et leur joie attirait le poète.

Le voilà donc au milieu au milieu de chants mystiques, blues tzigane irrésistiblement festif. Alors forcément, quand il dit qu’il est musicien à une audience qui ne le connait même pas de nom, on lui tend généreusement une guitare. Il invente donc une mélodie enivrante, et les mots lui viennent si naturellement , qu’il semble possédé par un esprit supérieur.
                                                 
« One more cup of cofee for the road
One more cup of cofee where I go
To the valley bellow »

Ce jour-là, au milieu de ces gens qui ne connaissaient pas son nom, Dylan a retrouvé la joie de jouer pour le plaisir. Si chaque auditeur tente désespérément de retrouver les sensations procurées par son premier coup de cœur musical, le musicien lutte pour garder la fraîcheur de ses débuts. 

L’artiste n’est jamais aussi bon que quand il est pris d’une frénésie créatrice. Les œuvres qu’il produit peuvent alors être un peu bâclées, son esprit partant taquiner d’autres muses avant de terminer son ouvrage. Mais l’esquisse qui naît ainsi est dotée d’un charme qui aurait été tué par un processus plus méticuleux. Notre culture n’est, en fin de compte, qu’un amas de brouillons fascinants.

C’est précisément cette frénésie qui fit naître « desire », alors que blood on the traks n’était dans les bacs que depuis quelques mois. Le fossé qui sépare les deux œuvres est impressionnant. Torturé et grave, blood on the tracks est un disque introspectif, dont la sobriété renforce la puissance émotionnelle.

Desire , au contraire , est un disque électrique , festif , et foisonnant. C’est la célébration d’un homme qui a trouvé une nouvelle voie, et la folie de ses débuts. Quand il a fallut promouvoir le disque , Dylan refusa clairement de retrouver la grandiloquence vulgaire des tournées des stades.

Il recontacta Joan Baez , qu’il n’avait plus vue depuis son retour d’Angleterre , ainsi que Roger Mcguinn , et une poignée d’amis recrutés sur la route. Voilà donc nos clochards célestes embarqués dans un van, tels de jeunes idéalistes à la recherche de la gloire.

La rollin thunder revue était une catastrophe financière, en grande partie financée par Dylan lui-même. Mais c’est justement ce que son initiateur cherchait, il voulait retrouver l’énergie de celui qui lutte pour imposer son art.

Les premiers concerts furent grandioses, une expression de liberté comme le rock en connaîtra de moins en moins. Placé en ouverture, « When I paint my masterpiece » était une bluette nostalgique introduisant parfaitement la cérémonie.

Nostalgique , cette tournée l’était en partie. Le point d’orgue du concert était d’ailleurs le duo Dylan Baez , le roi et la reine de la folk ressuscitant le temps d’une tournée. Baez n’a d’ailleurs jamais si bien chanté que sur ce « dark as donjons » poignant, il faut dire que le groupe développait une folk spirituelle des plus raffinées.

Quelques minutes plus tard, la performance se concluait sur « this land is your land » , où Dylan rend hommage à Guthrie , en compagnie de Jonie Mitchell et Roger Mcguinn. Cette chorale finale représentait bien l’esprit bon enfant d’une tournée aussi spontanée que mythique.

Certains purent surtout se délecter des meilleurs versions de classiques du répertoire Dylanien, comme « sad eyes lady of the lowland », « tumbled up in blues » , et autres brûlots lyriques réadaptés par un groupe bluegrass folk.

Mais les lois du marché sont impénétrables, et le déficit força Dylan à côtoyer de nouveau les stades qu’il maudissait. De ce retour forcé naîtra « hard rain » , un live terne et déprimant comme un lendemain de fête. Il faudra deux ans pour que Dylan fasse le deuil de cette période magnifique, deux années de silence totale.

            

samedi 22 février 2020

Bob dylan's dream : partie 3


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A partir de là, les évènements s’enchaînèrent à une vitesse folle. « The freewhelin Bob Dylan » fut enregistré au studio A de Columbia, et réussit à conquérir les foules avec une folk authentique mais plus lisse. Le fossé qui sépare ce disque du précèdent est déjà énorme. Dylan a abandonné les reprises appliquées, pour développer sa propre voie, qui était aussi celle de sa génération.

Le succès du disque lui permettait de quitter les hootenanies , ces réunions de folk singer habités par la pureté de leur art , pour débarquer au festival de Newport. Kennedy était encore à la maison blanche, et son mandat nourrissait les rêves d’une jeunesse qui voulait croire aux lendemains qui chantent.

Derrière l’ascension du grand Bob, il y’avait Joan Baez, qui était déjà au sommet de sa gloire lyrique. C’est avec elle qu’il offrit au spectateur le plus beau moment de ce festival :

« A bullet in the back of a bust took Medgar’s Ever blood
A fire fired the trigger to his name
A handle hid out in the dark
A hand set the spark
Two eyes took the aim
Behind a man’s brain
But he can’t be blame
He’s only a pawn in their game »

Dylan ne le sait pas encore, mais ces mots prendront une dimension prophétique, quand l’espoir au pouvoir sera foudroyé d’une balle dans la tête.

« Seulement un pion dans leur jeu », tout le monde comprit la leçon dispensée ce soir-là. Si, comme le disent ses vers, chacun peut avoir participé à la construction d’un criminel, alors le crime ne peut être qu’une œuvre collective. C’est le sens de ce festival de Newport, et de ses petits frères Woodstock, isle de Wight , et glastonburry, exorciser cette violence que la société nourrit inconsciemment.  

Ce moment va aussi conditionner la perception qu’on aura de Dylan pendant les années à venir, perception que l’intéressé rejettera toujours. Le costume de guide d’une génération ne convenait pas à son caractère farouchement indépendant. D’ailleurs, alors qu’une partie de sa génération commence à le déifier, Dylan a déjà la tête ailleurs.    

En 1964 , des Beatles au sommet de leur gloire rencontrent le barde de New York. Si les ventes de Bob Dylan restaient modestes par rapport à ses amis anglais, sa réputation avait tout de même traversé l’atlantique.

Venu conquérir le pays de l’oncle Sam, le groupe de John Lennon déclencha une hystérie qui le dégoûta de la scène. Dans sa chambre d’hôtel, Dylan offrit aux quatre de Liverpool leurs premiers joints, pendant que Lennon passait ses disques de Buddy Holly.

Pour les Beatles , la révélation se trouve dans les délires provoqués par la fumette , délires qui furent la première influence qui mènera à l’enregistrement de sergent pepper. Dylan, lui, était scotché aux mélodies déversées par l’électrophone. Sa nouvelle voie venait de lui être révélée, il fera du rock.

Mais comment évoluer vers cette musique plus directe sans se renier totalement ?
                                                                                                                 
Les puristes du folk ne l’effrayaient pas , sa décision était prise, mais il cherchait son propre swing. Et c’est un de ses descendants qui lui montrera la voie.
Les Byrds s’étaient formés après avoir vu le film « a hard day night » des beatles, et enregistraient leur premiers titres dans les mêmes studios que Dylan. Passant devant leur salle d’enregistrement, le Zimm reconnut « Mr Tambourine man », ce folk  nourri par le surréalisme de Dylan Thomas , qu’il chantait à chaque concert. 

«  Hey Mr Tambourine play a song for me
I’m not sleepy and there is no place I’m going to
Hey Mr tambourine play a song for me
In the Jingle jangle morning I’me come followin you »

Ces mots étaient entrés dans la légende, et trouvaient désormais un accompagnement aussi fort que leurs glorieuses visions. Les Byrds lui firent l’effet d’alchimistes fascinants, inventant un nouveau culte en mélangeant sa prose à la beauté électrique venue de Liverpool. 

Cette découverte l’enthousiasma tant qu’il courut enregistrer sa propre version électrique. Bouclé en urgence, « brin git all back home » sortit en 1965, quelques jours avant le single des Byrds. Ralenti par une série de déboire avec Columbia, le groupe de David Crosby s’était fait doubler par son idole.

Dans le milieu très conservateur du folk, on s’offusqua de voir que Dylan avait vendu son âme à la fée électricité. Ce que Dylan « ramenait à la maison », c’est le son vulgaire et bruyant du rock commercial anglais.

Les puristes voyaient le folk comme un archipel accessible uniquement aux initiés, et voilà que leur principal porte-parole vendait les clefs du temple. Et ce n’est pas ce film, où il apparait en compagnie de Ginsberg, ni la beauté foudroyante  de vers dignes de « howl » , qui allait apaiser ces illuminés.

La même année, il s’était rapproché de Mike Bloomfield, qui vint illuminer sa poésie à grands coups de riffs bluesy. Plus grand guitariste de son époque, Bloomfield montrait ainsi la voie du folk rock, après avoir initié le rock psychédélique sur « east west » , le second album du blues band de Paul Butterfield.

Drapé dans le groove hargneux de son nouveau guitariste, Dylan pouvait cracher à la figure de ses détracteurs avec classe. « higway 61 » représentait le sommet de ce mélange de rock et de poésie qui fait désormais sa gloire, c’est un road trip musical, « sur la route » version rock. Au milieu de ce voyage, ses mots étaient lancés comme des obus venant abattre les murs du conservatisme :
                        
« You walk into the room
With your pencil in your hand
You see somebody naked and you say Who’s that man
You try so hard
But you don’t understand
Just what you’ll say
When you get home
Because there is somethin happenin here
But you don’t know what it is
Do you , Mister Jones »

Mister Jones désignait tout ceux qui, consciemment ou par bêtise, restaient en gare alors que le train du progrès poursuivait son ascension glorieuse. Lointain écho de « the time they are changin » , ballad of a thin man était un blues électrique d’une puissance remarquable. Ce qui constituait un autre affront fait aux ayatollahs du folk.  
Les concerts suivants furent de véritables combats, où Dylan et son groupe accentuaient la violence de leur rock, pour imposer la révolution en marche. Menacé de mort, traité de judas sur scène , Dylan transforme cette tension en énergie créatrice.

«  They stone you when you’re tryin to be so good
They stone you ya juste like they say they would
They’ll stone you when you try to go home
Then they’ll stone you when you’re all alone
But I would not feel so all alone
Everebody must get stone »

Jeu de mot entre le terme lapider et le fait d’être défoncé, ce titre, ouvrant ce qui restera son chef d’œuvre ultime, annonce la hargne d’un homme qui sait qu’il vient de gagner son combat. Blonde on blonde sortit en 1966, et ces vers montrent un homme passé de la colère au mépris.

Il sait que ce disque, plus qu’aucun autre, fera date, c’est un monument nourri par l’incompréhension qui l’entourait, une œuvre dépassant les codes du rock pour créer une véritable poésie musicale.  Derrière lui, le band est venu donner plus de consistance à ses rêves provocateurs. Un groupe formidable venait de naitre, et pourtant il vivait déjà ses dernières heures.
   

jeudi 20 février 2020

Bob Dylan's dream : Episode 2

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Dylan est donc arrivé au studio Columbia, où John Hammond l’observe avec attention. Il faut dire que, en plus de Carolyn Hester, un cador du label est venu lui chanter les louanges du « gamin venu du Minnesota ».

Ce jour-là, Johnny Cash trainait par hasard au Gaslight , et découvrit pour la première fois celui dont la notoriété ne faisait que croître à New York. Le début du concert était un peu bizarre. Le jeune homme amusait le public en maudissant une guitare, qu’il accordait avec difficultés. Sur ses reprises de folk/ blues, il se dandinait comme un pantin burlesque.

Mais Dylan avait cette voix , si mature pour un jeune homme de son âge, et dont le phrasé si juste fut éblouissant quand il attaqua « in my time of dyin »

« In my time of dyin
Don’t want somebody to moan
All I want for you to do
Is take my body home
Well , well , well , so I can die easy »

Ce gosse avait à peine l’âge de quitter les jupons de sa mère, et pourtant il chantait ce blues mieux que la plupart des braillards pathétiques qui tentaient de se faire une place au soleil. C’est après cette soirée que Cash s’empressa de contacter John Hammond.

« Il y’a un petit gars en ville qui se débrouille pas trop mal. Tu devrais le signer avant qu’un autre ne le fasse. Il s’appelle Bob Dylan. »

Hammond n’eut pas le temps de répondre, son interlocuteur avait déjà raccroché. Il n’avait pas besoin d’en dire plus, que Cash se dérange à cette heure pour lui parler de Dylan en disait déjà long sur le potentiel du garçon. Aujourd’hui, Carolyn Hester lui apportait ce petit prodige sur un plateau, et Hammond pouvait ressentir son charisme.

Après lui avoir demandé de jouer un titre, qui s’avéra être celui que Johnny Cash avait entendu la veille, John Hammond lui proposa rapidement un contrat d’enregistrement. Le premier album qui en découla fut enregistré rapidement, et était surtout composé de reprises. Il constituait un manifeste puriste, le point de départ d’un artiste qui revendique ses racines avant de les dépasser.

Le disque ne se vendra pas bien, il était bien trop traditionnel pour ça. Sa force ne se trouvait pas dans la beauté de mélodies alambiquées, mais dans ce phrasé, à mi-chemin entre ses ancêtres folk et les rêveurs de la beat generation.

A une époque où Londres réinventait la pop, ces chansons acoustiques faisaient fuir une jeunesse plus tournée vers l’avant garde. Rapidement surnommé l’aberration Hammond, ce bide fit de Hammond la risée du music business, qui pensait que l’homme avait fait son temps.

Aussi limité fut-il, le public folk qui acheta le premier disque de Dylan lui offrit une sécurité financière qu’il n’avait jamais connu. Le chanteur en profitait pour soigner son apparence, passant des heures dans les boutiques, pour trouver le look le plus « authentique ». Il n’était pas qu’un opportuniste, même si il savait que le folk était le tremplin qu’il cherchait, pour imposer son image au côté des grands poètes qu’il vénérait.

Sa petite notoriété lui permis aussi d’être suivie par un homme en costard , qui cherchait désespérément à entrer en contact avec lui. A cette époque, Dylan commençait seulement à bouleverser les codes du folk, ses textes faisant preuve d’une profondeur inédite.
Grossman cherchait un artiste capable de produire une « folk grand public », une musique aussi attirante que la pop , mais dotée de cette authenticité qui fait les œuvres intemporelles. Dévoilé ce soir-là , « a hard rain is gonna fall » montrait un artiste sensible aux angoisses de son temps, et les exprimant avec une sensibilité poétique inédite. 

«  Oh were have you been, My blue eyes son ?
Where have you been my darling young one ?
I’ve walked and I’ve crawled on six crooked highway
I’ve been out in front of a dozen death ocean
I’ve been ten thousand miles in the mouth of a graveyard
And it’s a hard , It’s a hard , It’s a hard
It’s a hard rain gonna fall »

Lorsqu’il chantait ces mots , Dylan avait l’aura fascinante d’un messager de l’apocalypse. Quelques jours auparavant, Fidel Castro avait accepté que les russes installent leurs missiles sur les côtes Cubaines, à quelques encablures de son « ennemi impérialiste ». 

Heureusement, les russes n’étaient pas encore prêts à lancer une troisième guerre mondiale, et la crise prit fin après les menaces de Kennedy. Mais tous étaient désormais conscients que les deux supers puissances avaient les nerfs à vif, et qu’il suffirait de pas grand-chose pour que l’une d’elle appuie sur le bouton atomique.

Quand il réussit enfin à approcher Dylan , Grossman ne met pas longtemps à devenir son manager.


mercredi 19 février 2020

Bob Dylan' dream : épisode 1

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Encore un groupe qui le largue, Robert Zimmerman commence vraiment à sentir le poids glacial du désespoir.  
Au début, il crut que ces abandons étaient dus à son allure hésitante, sa personnalité austère, et son amour de la littérature. Il n’avait ni la stature, ni le charisme animal qu’on colle généralement aux rock stars , et passait autant de temps à écrire des poèmes qu’à jouer de la guitare. Mais le problème était bien plus simple et, à chaque fois, un de ces gosses de riches venait lui piquer une formation qu’il s’était épuisé à réunir.

Les prétendants avaient des relations, leurs parents jouissaient du pouvoir corrupteur de l’argent, et les musiciens ne sont pas plus vertueux que la plupart des hommes. Les parents de Robert, eux, étaient tombés dans la précarité depuis que son père avait perdu son emploi. Les supérieurs se sont alors empressés de le virer. L’homme était diminué, et le grand capital n’est pas là pour faire la charité. Ayant rejoint la classe modeste du Minnesota, les parents de Robert toléraient ses rêves de gloire, tant que ses résultats scolaires restaient assez élevés pour accéder à l’université. Lieu où il pourrait se tourner vers des activités plus constructives.

Mais Robert sait que, si il s’est inscrit dans quelques cours, ce n’est que pour profiter encore un peu de cet instant de liberté, qui précède l’entrée de l’adolescent dans le monde terne des responsabilités.  Il avait ensuite découvert «  sur la route » , et sa vision de son avenir s’en était trouvé renforcée. Il ne sera jamais un salarié, partagé entre un boulot souvent abrutissant et une vie de famille bien réglée.

«  Quelque part sur le chemin je savais qu’il y’aurait des filles, des visions, tout, quoi ; quelque part sur le chemin on me tendrait la perle rare. »

Ces mots de Kerouac raisonnèrent comme une directive céleste, et le gosse du Minnesota partit conquérir le succès, armé de sa machine à écrire et d’une guitare acoustique.  Il en était encore à chanter le blues , lorsqu’une discussion de bar lui montra la voie. 

« Tu ne connais pas Guthrie ! Il faut te mettre à la page mec, les grandes heures du blues son derrière lui. » Amusé par ce poète paumé chantant le blues , Allen lui offrit l’hospitalité. Avec son look de clochard cultivé, et sa barbe à la Ginsberg, il donnait confiance à un Robert de nature méfiante.

Le logement n’était ni particulièrement vétuste ni vraiment confortable, il faisait partie de ces bouts d’immeubles dans lesquels s’entassent les enfants de la classe laborieuse. La chambre contenait surtout une platine disque, sur laquelle Allen posa délicatement un 33 tours de Woodie Guthrie.

Pour le jeune Robert, ce fut une révélation, les mots résonnaient comme des vérités universelles, et la guitare exprimait autant en trois accords que Dylan Thomas en dix vers. 

« Dès le premier secret du cœur,
L’asservissement de l’âme,
Jusqu’au premier étonnement de la chair
Le soleil était rouge , la lune était grise ,
La terre était comme deux monts se touchant »

Dylan Thomas parlait sans doute d’amour, c’est pourtant ces quelques vers qui vinrent à l’esprit de Robert pour qualifier son coup de foudre artistique. C’est ainsi que Robert Zimmerman devint Bob Dylan, et que la folk remplaça le blues comme bande son de son parcours initiatique. 

Ayant appris que Guthrie était interné dans un hôpital psychiatrique , suite aux affres de la chorée de Huntington, Dylan pris de nouveau la route pour rejoindre celui à qui il doit sa vocation. Le parcours lui donna vraiment l’impression d’être Jack Cassady parcourant les plaines américaines, pour trouver sa voie.

Quand il arriva enfin à la porte de la chambre où se reposait son modèle, la femme de Woody lui ferma d’abord la porte au nez. Elle finit tout de même par céder, après que Dylan ait passé plusieurs heures à jouer les chansons de son mari sur le palier, pour montrer sa dévotion.

La rencontre entre ce jeune homme au visage enfantin et le vieux militant folk eut des airs de passage de témoin. Bob chantait l’utopie libertaire que son héros ne pouvait plus propager, et les deux hommes étaient liés par la complicité de ceux qui se savent voués à la même cause.

La rencontre dura quelques jours et, adoubé par celui qui brandissait sa guitare comme « une arme tuant les fascistes », Dylan se mit en quête d’une maison de disque.  Ses vagabondages le menèrent au Galisght, haut lieu de la culture folk, où se rencontraient tous les troubadours en quête de reconnaissance.

La salle était souterraine, et avait le charme froid des caves à brigands, que l’on voit parfois dans les films de capes et d’épées. Bob se dirigea immédiatement vers le taulier, qui le regardait d’un œil sévère, un regard qui aurait fait douter les voyageurs les plus avertis.  Mais il était lui-même trop froid pour s’inquiéter de cette posture peu accueillante.

«  Je m’appelle Bob Dylan et je cherche une scène où jouer »

L’homme se mit à rire avant de lâcher d’une voie rugueuse :

« On ne demande pas une place sur scène on la prend ! Monte donc , et si le public ne te vire pas tu pourras revenir demain. »

Alors Dylan montât sur scène, l’air un peu gauche et gêné, et se mit à déclamer les premiers vers de « blowin in the wind » en gratouillant une mélodie séduisante. Tout le public fut immédiatement conquis, et particulièrement Carolin Hester , une jeune chanteuse folk en pleine ascension , qui le recrute pour jouer sur l’album qu’elle enregistre au studio columbia.


                                                                                                                                            

dimanche 12 janvier 2020

Bob Dylan : Travelin Thru


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Dylan et Cash , comment rêver plus belle affiche pour ce nouvel épisode des bootleg series ? Les deux hommes se sont rencontrés en 1962, à l’époque où Cash est au sommet de sa gloire. Dylan, lui n’est qu’un troubadour obnubilé par Guthrie , un rêveur répétant ses titres dans un garage. Impressionné par ce qu’il entend lors de leur rencontre , Cash en parle à Columbia , qui récupérera bientôt le petit prodige, quant John Hammond verra en lui le futur de la folk.

Et puis le temps a passé, le jeune prodige est devenu le prophète beats de sa génération, et les rengaines de Cash se sont empoussiérés jusqu’à en faire un has been méprisé. Cash voyait dans Dylan le sauveur d’une folk en pleine déperdition, fossilisé par un conservatisme niais, et il eut raison au-delà de ses espérances.

Alors que son mentor était resté un pur produit de son époque, qu’il continuait à écrire des rengaines sentant bon les campagnes américaines , et à ressasser le même rythme bucolique , Dylan a affronté le conservatisme de front. Aussi haïe fut elle à sa sortie , sa trilogie électrique a achevé d’imposer son visage au sommet des grandes figures des son temps.

Cash, lui, vivait un déclin vertigineux sur fond de drogues et de rengaines acoustiques qui n’intéressaient plus personne. Cash et Dylan n’étaient pourtant pas les deux opposés d’une folk déchirée entre tradition et avant gardisme, leurs œuvres de l’époque étaient complémentaires. Après tout, aussi électrique soit il , « highway 61 » est parcouru par cette force rythmique , cette énergie viscérale que Cash connut sous les traits de ses amis Presley et Cochran.

Quelques mois plus tard, voilà que les deux hommes se rejoignent artistiquement, Dylan ayant sorti deux disques campagnards parcourus de références bibliques que n’aurait pas reniées l’homme en noir. Le public le cloue encore au pilori, il faut dire que son sourire narquois sur la pochette de « john whesley hardin » lui semble destiné. C’est pourtant dans ces mélodies poussièreuses que les groupes San Franciscain viendront chercher un second souffle , après s’être remis de la fin du rêve hippie.

Plus encore que son prédécesseur, Nashville Skyline était un magnifique retour à la terre, surtout grâce à son ouverture poignante. « North Country Girl » était la communion entre deux générations de rockers, la voix de Cash sortait des arpèges Dylanien comme une force ancestrale enfouie.

On pourrait presque prendre ce titre comme l’annonce du retour de l’homme en noir, qui publie son incontournable live à folssom la même année. Le retour du grand Bob auprès de son vieil ami , aussi ringard qu’il paraisse encore à l’époque , était donc l’aboutissement logique d’une démarche entamée sur John Whesley Hardin. Mais la tradition qu’ils voulaient célébrer ne venait pas seulement des terres de la country folk.

Ecoutez matchbox , un des rares titres électriques de ce bootleg serie , et vous découvrirez deux hommes habités par le rock originel. Ce rock qui s’exprime de façon rugueuse à travers la voix de Cash , et annonce ce qui sera flagrant sur rusty cage , Cash a le rock n roll dans le sang.

A côté de sa puissante voix de baryton, celle de Dylan a du mal à s’imposer dans les chœurs, comme si le grand Bob conservait encore une certaine timidité face à ce géant que tous pensent dépassé. Et puis, les entendre chanter walk the line , titre aussi culte que « Jailhouse rock », c’est revivre l’histoire du rock en direct.

Il y’a peu de disques qui donnent cette impression de vivre un moment unique , un passage déterminant , la fin glorieuse d’un épisode historique. Travelin thru est de ceux-là , l’expression d’une tradition musicale qui ressurgit des vapeurs psychédéliques.

Travelin Thru rappelle ces scènes intimistes, que Steinbeck a si bien dépeintes dans Tortilla flat , c’est l’amitié de deux hommes s’échangeant leurs répertoires, et le célébrant à travers des duos acoustiques, dans le plus pur esprit folk.

En dehors de walk the line , on a aussi droit à un « ring of fire » plus posé , où Cash mesure son chant pour permettre à son ami de souligner sa mélodie. « you are my sunshine » semble lui aussi chanté depuis ces caravanes, dans lesquels les prolétaires américains fuyaient la misère de la grande dépression. Jouée de la même façon elle fait partie de ce même écrin rustique et somptueux dans lequel sont enveloppés les bluettes country folk telles que « wanted man » ,  « girl from the north country » , et même un « don’t think twice it’s alright » des plus dépouillés.

Travelin thru a le charme de ses vieilles reliques dégotées au fond d’un grenier poussiéreux, le témoignage d’un passé révolu , mais incontournable.   

   



  

lundi 30 septembre 2019

Bob Dylan : Time Out Of Mind


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Sept ans sans Dylan, voilà ce que furent les années 90 à 97. Vous me répondrez que l’homme a tout de même sorti deux albums, et continué à revisiter sa légende à travers les bootleg series. Justement, il revisitait sa légende au lieu de la poursuivre, phénomène nouveau qui dut faire dire à beaucoup que le vieux barde fatigué lâchait la rampe.

Times go wrong et good as I been to you avaient beau être d’excellents disques , le barde s’y transformait en disciple , se faisant humble pour servir ceux qui ont guidés ses pas. Tel un poète maudit, il s’était ensuite retiré dans sa ferme du Minnesota, le manteau neigeux assombri par le ciel gris de l’hiver lui inspirant des titres très marqués par le blues.

Du Minnesota, Dylan rêvait des bayous de Louisiane , et avait sans doute l’image christique de ses héros gagnant leur droit de vivre dans les champs de coton. Lors de l’enregistrement, il retrouve Daniel Lanois , celui qui le fit renaître en produisant oh mercy , et qui doit désormais l’aider à planter son blues dans la modernité. Il met ainsi en musique un disque conçu autour des préoccupations d’un homme qui pourrait bien être Dylan lui-même. Les amours déçues, la vieillesse, et la mort inéluctable, voilà le menu de cette odyssée moderne.
                                                                                                                           
La pochette présente Dylan entouré de ses instruments, dans une perspective qui donne l’impression que le poète joue au milieu d’un vaisseau spatial. Assis avec sa guitare sèche, il fixe l’objectif d’une manière qui rappelle sa posture sur brin git all back home.

Time out of mind n’est pourtant pas un disque futuriste, encore moins une célébration nostalgique, c’est une œuvre sans âge à la beauté immortelle. Placé en ouverture, love sick a des airs d’aboutissement, et pourrait être vu comme une version sentimentale du the end des doors.

Comme sur ce titre , l’atmosphère est lugubre , la boucle rythmique qui introduit l’album se fondant dans un tourbillon fascinant que n’aurait pas renié Jim Morrison. Les instrumentaux restent aériens, laissant Dylan exprimer le spleen de l’homme rejeté, à travers ses « rues mortes » et ses « nuages qui sanglotent », avant de résumer sa rancœur d’un « je souhaiterais ne t’avoir jamais rencontré » péremptoire. La conclusion, où l’homme voit sans espoir le temps passer entre en résonnance avec les préoccupations du chanteur, qui sort de son hospitalisation.  

Symbole de la mort qui s’approche et du temps qui défile , ce titre peut être vu comme la version musicale de la citation de Platon selon laquelle : « Personne n’a peur de la mort, si on le prend pour ce qu’elle est , ou alors , il faut être incapable de faire le moindre raisonnement et ne pas être vraiment homme-non, ce qui fait peur , c’est l’idée qu’on a pas été juste. »

C’est cette envie d’ « être juste » qui mène notre homme sur les routes à la recherche de celle qu’il a laissé partir trop tôt. Sans surprise, le blues rythme ses pas, permettant à Dylan de saluer encore une fois le fantôme d’Elvis en dotant sa voix de son écho caractéristique. Derrière lui, le groupe assure une rythmique carrée, dans la plus pure tradition du blues des pionniers. Le blues est la musique de l’homme à terre, et Dylan est un de ses plus brillants interprètes.

Standing in the doorway prolonge le voyage sur une note plus philosophique, Dylan reprenant la prose Dostoievskienne de blood on the track , dessinant les pensées de son personnage comme on décrit un décor. La mort est encore très présente dans ses pensées , son personnage ayant l’impression que son périple passe trop lentement, tout en ne sachant pas comment il réagira en retrouvant celle qu’il cherche. La mélodie raffinée qui soutient ses réflexions réussit l’exploit de paraitre dépouillée malgré sa débauche d’arrangements, on regrettera juste cette fin trop abrupte.

Sur un Million Miles , on se retrouve face à un dilemme très Dylannien : Suivons nous le récit du parcours d’un homme , ou ces mélodies nous rendent elles spectateur de ses rêves ? L’ambiance est détendue presque jazzy , alors que la femme aimée prend des airs de mirage, nous laissant face à cette conclusion déchirante : « tout n’est qu’illusion , sauf la solitude » . Quand cette ballade Jazzy laisse place à une melodie rock que n’aurait pas renié Springsteen, le narrateur termine son voyage en Louisiane . Là, on se rend compte que ce voyage philosophique dans l’Amérique profonde est plus proche de « sur la route » que de « l’idiot » , et que notre clochard céleste est un nouvel avatar de la passion de Dylan pour la prose de Kerouac.

L’homme a terminé son voyage sans espoir, le blues classieux de « fell in love with you » nous apprenant que « toutes ses tentatives pour séduire cette femme furent vaines » , et il ne saura donc jamais comment réagir. Son désespoir ouvre ainsi la voie au monument torturé de ce disque.

L’orgue vous plonge dans un décor méditatif, ses notes étant autant de jalons de la grande fresque que Dylan est en train de tisser. La rythmique lourde ponctue les pensées Dylaniennes , les guitares nous rappelant que nous écoutons bien un disque de rock, tout en ajustant les formes de ce décor onirique.  

La suite est trempée dans le même tonneau précieux, cold iron bound nappant le rockabilly d’une ambiance lourde à souhait, avant que le blues nonchalant de can’t wait et highlands ne viennent clore ce voyage philosophique.

Après avoir rendu hommage au blues, Dylan le transforme, et le résultat n’est pas seulement un de ses meilleurs disques. Time out of mind est le genre d’album qui marque la musique d’une civilisation, le genre d’œuvre qu’on choisira pour définir l’être humain.



dimanche 22 septembre 2019

Bob Dylan : Desire


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Les beatles ont lancé le culte de l’album , faisant ainsi passer le rock dans une nouvelle dimension. Les 33 tours sont désormais des œuvres construites, et l’enchainement des morceaux devient un sujet épineux pour lesquels se battent les musiciens. Issu du folk , Dylan sera d’abord loin de ces réflexions .

Porteur de la même tradition que Guthrie , il produisait une musique rustique , réduite à sa plus simple expression pour véhiculer ses messages humanistes. On peut le regretter, mais l’histoire retiendra surtout blowin in the wind , hard rain , ou the time they are a changin , laissant la ribambelle de brillantes folk song qui les accompagnent croupir dans ce puits merveilleux, qui fait le bonheur des fans.

Le virage sera radical en 1965, lorsque le barde passera à l’électrique sous les huées de fans rétrogrades. A partir de là , ses disques furent plus réfléchis , à l’image du voyage qu’il propose désormais sur higway 61 revisited . On suivait les mues artistiques du poète, comme on suit les réflexions d’un auteur.
                                                                                    
Le reste de sa carrière ne sera qu’une longue suite d’incompréhensions, ses brusques changements obligeant la critique à revoir régulièrement son jugement. Vue au départ comme une trahison, Dylan se convertissant à une musique adorée par l’amérique profonde, que les hippies jugent beauf et raciste, John Whesley hardin sera célébré quand les byrds et le grateful dead suivront ses chemins terreux.

Mais le mal était fait et , de john whesley à planet waves, Dylan sera systématiquement lapidé par une critique qui fera juste une pause pour célébrer les basement tapes, un disque enregistré au milieu des sixties, et loin du Dylan traditionaliste qu’elle ne peut supporter.

Heureusement, la série noire pris fin en 1975, le public ne pouvant que s’incliner face à la série de peintures musicales somptueuses qui composent blood on the tracks. Le spleen lié au naufrage de son mariage a donné un nouveau souffle à Dylan , qui opte pour une musique douce et sobre, seulement chargée de ponctuer sa prose.

Mais , quand le disque sort , Dylan est déjà passé à autre chose , la déprime ayant laissé place à une douce euphorie, qu’il souhaite restituer en studio. Pour la première fois , il conçoit ses textes avec un auteur , montrant ainsi un désir d’ouverture qui le dirigera lors de la création de desire.  

Le voilà donc de retour à Greenwich Village , la ville où tout a commencé , et où il donne naissance aux vers de desire, en compagnie de l’auteur de Calcutta. Quelques jours plus tard, lors d’un voyage en voiture, il invite Scarlett Rivera à le rejoindre.

La scène est digne d’un roman d’Heminghway :
La violoniste voit s’arrêter près d’elle une voiture verdâtre. Caché par la femme qui l’accompagne, un homme lui demande son numéro de téléphone, ce à quoi elle répond qu’elle ne le donne pas aux inconnus. Il l’invite alors à participer à l’enregistrement de son album dans le studio de Columbia. Dylan a choisi la musicienne juste pour le violon qu’elle portait ce jour-là, comme si il renouait avec la simplicité des jours où il essayait d’écrire sa légende, armé de ses textes et de sa guitare sèche.

La routine est un poison mortel pour l’artiste, et Dylan a trouvé son antidote. Les séances sont de véritables réunions de bohémiens, réunissant parfois une vingtaine de musiciens.

Placé en ouverture du disque, Hurricaine renoue avec la verve contestataire des débuts, Dylan prenant même quelques libertés avec la vérité, pour défendre un Hurricane Carter qu’il voit comme le symbole de ce racisme qui subsiste en Amérique.  

Mais sa folk a désormais des airs de complainte tzigane , le violon portant une tension dramatique qui explose dans des cœurs condamnant la partialité de la justice. Dylan changera quelques lignes de ce pamphlet musical pour éviter un procès. La version finale garde tout de même une beauté dramatique digne de ses plus belles œuvres.

Les images s’enchainent ensuite en même temps que les influences. Le grand Bob place la déesse Isis au milieu d’un décor de western, qui permet à un piano enjoué de côtoyer son harmonica rustique, le tout sur un fond de violon bluegrass, genre qu’il a initié sur le mal aimé self portrait. La légèreté de ses textes est parfois ambiguë , et on se demande si le décor de carte postale de « mozambique » n’est pas en réalité un hommage à la prise de pouvoir des communistes dans le pays.

Musicalement , le titre est porté par une mélodie légère , où une dizaine de musiciens s’embarquent dans une grande fête musicale. Cette légèreté atteint des sommets lors des chœurs, ou la voix de Dylan et d’Emilou Harris s’unissent dans une grande cérémonie païenne.  

On s’embarque ensuite pour Sainte Marie de la mer , théâtre d’une grande cérémonie gitane , que Dylan raconte dans une vibrante complainte mystique. « one more cup of cofee » connaitra une seconde jeunesse lorsque les white stripes en feront un blues nostalgique, mais cette version n’atteindra pas ce degré de ferveur fascinante.

Plus terre à terre , les larmoiements de violons de oh sister s’adressent sans doute à John Hammond , le premier qui a cru en ce jeune fan de Guthrie. On rencontre ensuite Joey Gallo , parrain de la mafia que Dylan idéalise un peu trop. Mais comment lui en vouloir à l’écoute de cette gracieuse odyssée sonore ?

La splendeur de cette mélodie fera d’ailleurs dire à Jerry Garcia , le leader de grateful dead, qu’il s’agit d’une des meilleures chansons jamais écrite.

Puis vient la petite baisse de régime, Clapton ne parvenant pas à faire de romance in durango un morceau mémorable. Lancé sur un rythme hispanisant, le titre part rapidement dans un joyeux bazar rythmique ou l’on peine à reconnaitre le touché de ce prestigieux invité.
                              
Dans un autre album, son ambiance de fête hippie aurait pu être insupportable, mais ici il témoigne de la joie qui anime le barde en cette année 1975. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il sera systématiquement joué lors de la rollin thunder revue , tournée qui redonna à Dylan le goût de la scène.

Rejouer pour le plaisir, voilà la seule ambition qui le guida au moment de produire ce disque. Et, à son écoute, on constate rapidement que ce plaisir est contagieux.