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mardi 19 octobre 2021

Au delà du rock partie 6

 


Bizarrement, après l’enregistrement de Revolver, Albert ne s’est pas réveillé au milieu de son appartement. John lui a prêté une de ses maisons, où il venait parfois le chercher pour faire un tour. John n’était pas encore le militant gauchiste canonisé par les médias, mais un personnage complexe. C’était un homme torturé et capable de passer en un instant de l’agressivité la plus cruelle à la tendresse la plus prévenante. Un jour, George vint chez lui pour prendre sa première dose de LSD. Afin de limiter les risques, John et George avaient décidé de planer ensemble, l’un pourrait ainsi aider l’autre en cas de mauvais trip. Albert était lui aussi présent mais, plus intéressé par les deux Beatles que par une expérience qu’il jugeait absurde , il refusa de prendre une de ces pilules psychotropes. Lennon et Harrison prirent donc leur dose et ses effets rendirent Harrison totalement apathique. Figé, le regard aussi vide qu’un poisson sorti de l’eau depuis plusieurs minutes , il inquiéta vite son partenaire. John s’empressa alors de lui secouer le bras en lui demandant « ça va vieux ? »

Cette anecdote représentait la face lumineuse de John, mais comme tout homme elle cachait des passions moins nobles. C’est ainsi qu’on le vit souvent se moquer ouvertement de l’homosexualité de Brian Epstein, dans des termes parfois très crus. Tout le monde savait que le manager avait le béguin pour Lennon et celui-ci en profitait autant qu’il s’en moquait. Le fait qu’il l’ait plusieurs fois qualifié de « fag » ne l’empêcha pourtant pas d’envoyer un bouquet de fleur et un mot lorsqu’Epstein fit une grave dépression. Chez Lennon, les sentiments les plus nobles côtoyaient en permanence des sentiments beaucoup plus bas. Resté le fils abandonné par son père, il vit toujours le décès de ses proches comme un affront que ceux-ci lui faisaient. Pour lui  ils n’avaient pas le droit de mourir, John avait encore besoin d’eux et leur disparition lui inspirait autant de colère que de chagrin.

Cet égocentrisme ne l’empêchait pas de sincèrement aimer ses proches , bien au contraire. L’amour pour autrui n’étant souvent que la plus belle expression de l’amour propre, John fut angoissé d’abord par peur d’être abandonné. Il fut ainsi le mari sans pitié qui tenta de retirer à sa première femme la garde de son premier fils, avant de devenir celui qui protégea Yoko de la haine des fans des Beatles. C’est parce qu'ils comprenaient ses tourments que les Beatles ne réagirent pas aux multiples piques que celui-ci put leur envoyer. Homme le plus cruellement visé par ses sarcasmes , Ringo fut aussi celui à qui Lennon demandait son avis quand il doutait de la qualité d’une de ses chansons.

Albert , comme beaucoup d’autres , vit d’abord John comme l’égocentrique Beatles , le militant un peu ridicule , l’idéaliste hors sol. Il découvrit un génie torturé, un homme d’une profonde intelligence et d’une profonde humanité. Ses relations avec sa famille étaient elles aussi complexes. Il avait assisté à des passes d'armes homériques entre le chanteur et sa tante, avant que John ne la rappelle pour lui demander « Tu n’es pas fâchée mimi ». Il l’a aussi vu mettre son père à la porte, avant de lui offrir un toit et de tenter de reconstruire une relation qui lui manquait.

Quand Albert ressassa ces souvenirs , John était assis en face de lui , ses cheveux courts et sa moustache lui donnant des airs de Maréchal d’empire. Pour préparer l’enregistrement du prochain album , Paul avait proposé de transformer les Beatles en orchestre fictif. En plus de libérer les musiciens de la pression liée à leur notoriété, ce concept offrit une ligne directrice au futur album.  Alors qu’il était plongé dans la lecture de son journal, un article retint l’attention de John. Il s’agissait d’un fait divers tristement banal racontant comment un couple avait trouvé la mort dans un accident de voiture. L’enregistrement de Sergent pepper passa si vite qu’Albert n’en garda que quelques souvenirs épars. Il y avait ce riff d’introduction, agressif et entrainant, spectaculaire et solennel, soutenu par une batterie sonnant comme un tambour de fanfare. Et Paul chanta comme un prestidigitateur haranguant la foule, les Beatles ouvraient leur grandiose cirque. 

Trop souvent laissé de coté, Ringo put étaler toute sa bonne humeur contagieuse sur With a little help from my friend. Ecrite par le duo Lennon/ McCartney pour Ringo , cet hymne à l’amitié est un pur moment de bonheur. Après l’innocence de Ringo vint le génie provocateur de John. L’intéressé aura beau répéter que Lucy in the sky with diamond fut inspiré par un dessin de son fils, sa mélodie planante et ses chœurs semblent rappeler que les initiales du titre sont LSD. Paul répond à cette ambiguïté par le gentillet « Gettin better » , sorte de version psychédélique des premiers rocks beatlesiens. Gentiment surréaliste, la fanfare du sergent poivre est une symphonie rock parfaite. Enfin écouté par ses illustres collègues , Harrison parvient à imposer ce qui restera son chef d’œuvre avec l’exotique Within you without you. Inspiré par le sitariste Ravi Shankar, George écrit ainsi ce qui restera un des plus grands représentants du raffinement psychédélique anglais.

La fanfare du sergent poivre semble se clore sur la procession qui l’avait ouverte, puis vient l’apothéose. Inspiré par l’article de journal racontant un accident de la route, A day in the life est aux Beatles ce que la bataille d’Iena est à Napoléon, un fait de gloire leur permettant de marquer à jamais l’histoire. John apporte un premier mouvement d’une tristesse poignante, porté par cette sentence terrible « I read the news today oh boy. » Les arpèges de guitare ouvrent la voie à un piano jouant un triste requiem, jusqu’à ce que le déluge déclenché par un orchestre symphonique ne nous propulse dans le monde plus enjoué de Paul. « Wake up – Get out of bed » chante t-il sur une mélodie innocente, presque proche de ce que son comparse appelle ses « chansons de grand-mère ». Cette innocence est de courte durée, Lennon reprenant sa triste procession jusqu’à l’explosion finale.

A day in the life est la fusion la plus parfaite entre le rock et la musique symphonique, c’est aussi l’apothéose d’une œuvre indépassable. Si les Beatles ont toujours eu l’air de planer au-dessus de la mêlée, Sergent pepper rend leur suprématie incontestable. Le leader des Beach boys devint fou en tentant d’atteindre les mêmes sommets , les Stones finirent par revenir au blues pour faire oublier leurs limites créatives … Plus tard, certains tentèrent d’aller plus loin en se rapprochant du jazz ou de la musique classique , d’autres initièrent le concept d’opéra rock. Sergent pepper ouvrit ainsi la voie à un rock plus mur, plus aventureux, plus riche. Le principe de l’album construit comme une œuvre et enrichi d’influences diverses se propagea , sans que personne ne puisse dépasser le modèle.

Sur Revolver , les Beatles inventaient l’album , mais c’est bien Sergent pepper qui représente son aboutissement . En à peine un an et deux disques, les Beatles avaient inventé et achevé l’art de produire une grande œuvre rock. Albert se réveilla brutalement de ce rêve quand l’orchestre joua la symphonie finale d’A day in the life. La salle de son appartement était alors incroyablement silencieuse, comme si le temps s’était arrêté pour saluer la grandeur de ce qu’il venait de vivre.          

lundi 18 octobre 2021

Nouvelle rock au dela du blues partie 5

 


Le traditionalisme et le progressisme rock ne sont donc pas deux camps irréconciliables. Il se nourrissent l’un de l’autre, communiquent dans un dialogue qui écrit la longue histoire du rock. Cette conclusion lui vint après avoir réécouté East west toute la nuit. Mike Bloomfield avait raison, le LSD n’avait pas effacé ses influences blues, il les avait remodelé. Le puriste pouvait encore reconnaitre, dans ses riffs lancinants, la vieille magie que Bo Diddley légua aux rockers. Cette découverte lui rappela une définition qui l’avait particulièrement agacé. Il partit donc chercher un vieux dictionnaire et l’ouvrit à la page « Beatles ». Le petit larousse lui annonçait alors fièrement « groupe de pop anglaise ».

Groupe de pop ! Il suffisait de réécouter leur discographie pour comprendre l’absurdité de cet adjectif. Les Beatles furent, sur leurs premiers albums, de purs rockers. Fils spirituels de Buddy Holly et d’Elvis Presley, les quatre de Liverpool offrirent au rock anglais ses premiers refrains irrésistibles, ce mélange de légèreté et d’intensité que reprendront ensuite les Byrds.  Par la suite, ils n’abandonnèrent pas le rock, ils le poussèrent juste à un niveau artistique inédit. Comme pour prouver ses dire à un invité, Albert prit sa vieille guitare et se mit à jouer le riff de Taxman. Alors que le son sortant de son instrument lui apportait une énergie salvatrice, il se dit que Chuck Berry n’aurait pas renié un tel tube. Arrivé au moment où John commence à exprimer sa révolte contre le fisc anglais, Albert s’effondra une nouvelle fois.

Il se réveilla après avoir été violemment projeté contre la paroi d’un van. Lorsqu’il eut repris ses esprit, John Lennon le regardait avec un sourire moqueur.

-          Bienvenue dans le monde merveilleux des Beatles ! C’est vrai qu’avec une telle chevelure tu ressembles furieusement à Paul.

-          Où suis-je ?

-          En enfer mon pote ! Mais cet enfer prend fin après ce satané concert. Tu te rends compte que , si on ne t’avait pas récupéré , elles t’auraient sans doute tué ! Elles t’ont pris pour Paul … Et quand on voit déjà dans quel état les met Ringo…

L’intéressé ne réagit pas à cette attaque gratuite, il connaissait trop l’humour corrosif de John pour se sentir blessé. Ayant entendu que notre ami s’était réveillé, Paul vint lui faire une proposition qu’il ne put refuser.

-          On en peut plus de ces concerts où on ne nous écoute plus jouer, il faut qu’on arrête. Tant que tu es là, ça te dit d’assister aux enregistrements ?

Ce que Paul venait de proposer à son invité, c’était d’entrer dans le temple où naquit le rock moderne, de vivre le big bang qui allait marquer à jamais le rock anglais et mondial. Les séances de Revolver commencèrent de façon presque traditionnelle, Taxman creusant le sillon rock qui fit leur succès. Et puis il y eut ce solo déchirant, chorus hypnotique n’ayant rien à envier aux futures bombes californiennes. Eleanor rigbie initie ensuite un élitisme qui allait mener le rock vers des chemins moins balisés. Pourtant avare de compliments vis-à-vis de son partenaire et rival, Lennon n’hésitât pas à qualifier la composition de McCartney de chef d’œuvre. En sortant ainsi les violons, en mêlant poésie nostalgique et grâce symphonique, Paul ouvrait la voie d’un rock que l’on qualifiera bientôt de progressif. 

Galvanisé par la réussite de son partenaire, John demanda à l’ingénieur du son de faire résonner sa voix « comme celle d’un bouddhiste psalmodiant du sommet de la plus haute montagne ». Le résultat se révèle fascinant lorsqu’il se mêle aux bruitages farfelus de « Tomorow never know ». Explorant les possibilités des studios modernes avec l’enthousiasme de gamins laissés seuls dans un magasin de bonbons, les Beatles donnèrent une nouvelle maturité au rock n roll. Ce mélange de poésie musicale, d’excentricité sonore et d’énergie juvénile fera la grandeur du rock anglais. Plus limité que le duo Lennon McCartney , ce cher Ringo n’en écrit pas moins une sympathique comptine dont le coté surréaliste s’insère bien dans un album très homogène. Revolver montre un groupe qui fut rarement aussi soudé, cette cohésion leur permettant de faire plus qu’un amas de titres compilés à la va vite. Sur Revolver, le rock montre pour la première fois une cohérence, le 33 tours commence à avoir l’air d’une œuvre construite. Moins connu que le grandiose Eleonore Rigby, Dr Robert résume bien la géniale excentricité faisant la grandeur de Revolver. La puissance d’un riff venu des premières heures du rock n roll y côtoie la solennité d’un orgue grandiloquent.

A la fin des séances, les ingénieurs du son pensent avoir capté le plus grand chef d’œuvre du groupe et du rock moderne. Seul Albert sait que Revolver n’est pas un aboutissement, mais le génial initiateur d’un autre chef d’œuvre absolue.