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mardi 22 janvier 2019

[CHRONIQUE] Beardfish - Mammoth (2011)


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Chaque chronique centrée sur cette hydre superbe qu’est le Néo Prog, pourrait s’apparenter à un plaidoyer pour une certaine vision de la culture Rock. Largement influencé par Lester Bang, et sa vision très primaire du genre, la caste des chroniqueurs musicaux s’est mise à taper lourdement sur tout ce qui paraissait Progressif. Pour être plus précis, elle a commencé à le faire en 1975, lorsque le gros succès des débuts fut passé. Pour eux, le Rock se devait d’être brutal, primaire, et n’avait pas à ce soucier de complexifier sa musique. Bang était un chroniqueur incroyable, ces phrases sonnaient comme de grandes claques données à tous les conformismes, mais il ne concevait le Rock que comme un mouvement éphémère. Dans cette optique, les groupes ne pouvaient être qu’une réunion de musiciens inexpérimentés, se lançant sur scène comme un semi-remorque envoyé à pleine vitesse dans le mur du show business.
Les mecs devaient venir, célébrer le culte de l’éternel jeunesse pendant quelques temps, et se ramasser.  Cette vision est nécessaire au Rock et elle donne son charme à une musique dont l’histoire peut aussi être revisitée via ses nombreux disques oubliés ou invendus, les poubelles de l’histoire s’avérant aussi passionnantes que les chefs-d’œuvres vénérés. Mais, dans cette optique, voir des formations prendre le temps de peaufiner des titres dépassants régulièrement les dix minutes, et flirtant avec le jazz, ne pouvait être que rejeté. Cette ouverture était pourtant logique. Le Rock ayant accompli sa mission qui consistait à devenir la musique la plus populaire du monde, il cherchait  désormais à élargir son spectre musical, en se nourrissant de tout ce qu’il pouvait. Il faut rappeler que le Prog explose entre 1969 et 1972, trois années qui verront King Crimson flirter avec le Jazz, Zappa devenir le premier compositeur Rock, sans oublier la conversion au Funk Rock de Hendrix.

Le Prog n’était donc pas un genre prétentieux, il ne faisait que poursuivre la tendance initiée par les Beatles, qui consistait à faire ce que personne n’avait fait. Le fait qu’il ait, par la suite, développé des codes plus marqués, menant à la naissance d’un Revival Prog, pourrait paraitre plus gênant. Mais on  peut considérer que la génération des Flower Kings a plagié celle de Yes que si l’on estime que les Stones ont tout pompé sur Muddy Waters. Les décors étaient les mêmes, le matériel aussi, mais l’œuvre finale était belle et bien indépendante. En réalité, le problème du Rock Progressif, comme de toute la culture Rock actuelle, était plutôt lié à un certain public sectaire.  

Le Rock est malade de son passé et, pour un jeune groupe, s’écarter des références présentées sur ses premiers disques serait synonyme de trahison. Pourtant, l’objectif du Progressif n’a jamais été de s’enfermer dans le Free Jazz, le Rock Symphonique, ou le Space Rock , et ce, peu importe la somptuosité de certains résultats. C’était au contraire une incitation à rester curieux, et à la recherche de toutes les influences possibles. De ce point de vue, le Prog a tout de même montré la voie, en amorçant un rapprochement avec le Métal. Ainsi, pendant que Radiohead cherchait à esquisser quelques semblant de mélodies à se flinguer, dans le but d’être reconnu comme les nouveaux Pink Floyd, Porcupine Tree, Dream Theater, et Opeth mariaient la splendeur des descendants de King Crimson avec la violence cathartique d’Iron Maiden ou Death.

Formé en Suède, Beardfish s’est fait remarquer en sortant, coup sur coup, deux manifestes artistiques brillants de variété. Le groupe montrait une musique partagée entre le burlesque jazzy d’un Zappa période Uncle Meat et le lyrisme épique du Genesis de Peter Gabriel, et ne rechignait pas à hausser le ton dans de grandes envolées Zeppelinienne. Le seul problème était que, rallongé par un concept alambiqué, le disque manquait de cohésion. Défaut accentué par le caractère beaucoup plus « posé » du premier, le second déployant un Hard Rock raffiné, comme un Uria Heep penché sur la création de Salisbury (1971).

Destined Solitaire n’arrangeait pas ce seul défaut, avec ces soixante-dix-sept minutes bourrées de changements de rythme, et autres expérimentations brillantes mais mal cadrées. Le groupe était magnifique, les titres impressionnants de créativité, mais le tout semblait former un ensemble aussi lumineux qu’hétéroclite.
Et puis, enfin, Beardfish réduisit ses bavardages à l’essentiel, transformant ses séries de grandes démonstrations en opus efficace et enivrant. Les éléments qui ont fait le charme des disques précédents sont encore présents, mais le groupe passe désormais de tendres mélodies comme "Outside Inside" à des passages plus tendus, avec une facilité qui force le respect. On soulignera d’ailleurs les riffs puissants de "Green Wave", dont la violence annonce l’évolution d’un groupe qui se sert désormais de la puissance du Heavy Metal pour accentuer l’impact de ses envolées. 
Celle-ci relevait l’ensemble sans le dénaturer, ce qui ne sera pas le cas sur les courts passages hurlés de The Void sorti un an plus tard. Bien que disposant d’une discographie impressionnante, ne contenant que des disques d’un éclectisme passionnant, Beardfish n’atteint la perfection que sur ce Mammothsur lequel il parvient enfin à compacter ses influences dans un tout cohérent. Il produit ainsi une œuvre originale, inédite, et donc un grand disque de Rock.