C’est fini ! Terminé ! Mort !a
C’était trop beau, vingt années de feu d’artifice permanent, un bombardement de merveilles. La seule faute du rock des années 60-70 , c’est d’avoir tué le jazz. A partir du moment où le rock se mit à vampiriser ses ainés et ses contemporains, il devint trop énorme pour permettre aux jazzmen de survivre. Pour survivre, le grand Miles inventa le rock fusion, sorte de free jazz funky et électrique qui culmine sur le bouillant Dark magus. Le public des années 60-70 eut une telle ouverture que Zappa et Beefheart purent s’épanouir en même temps que Miles Davis , que John Coltrane put innover autant que les Beatles. Innover, voilà la règle d’or de cette époque. Il fallait trouver le coin musical le plus désertique, le pic qu’aucun autre ne pourra atteindre.
En ce début d’eighties , tout cela est bel et bien terminé. Certains placeront le début de la décadence à la sortie d’Easter , disque qui popularisa la production très pop de Jimmy Lovine. Il est vrai que la production soignée de Lovine a quelque peu gommé la révolte agressive de la papesse du punk, mais elle parvint tout de même à garder son énergie révoltée. Cette façon d’arrondir les angles marquait le début d’une nouvelle vision de l’album rock. Energique sans être agressif , rapide sans être trop puissant , cette nouvelle version du rock va s’affirmer avec les blockbusters radiophoniques de Tom Petty. Oui Petty est l’enfant des Byrds et du garage rock, c’est flagrant sur son premier album. Mais Damn the torpedoes canalise cette fougue, la nappe d’un vernis séduisant.
Plus tard , cette aseptisation du rock se radicalisera , au point que des disques comme Let’s dance , Born in the Usa , ou Brother in arms semblent tous sortis du même moule sirupeux. Bowie mettra des années à retrouver ses dons d’explorateur pop, Springsteen ne s’en relèvera jamais totalement, mais entre-temps ils seront devenus riches et adulés. C’est bien le paradoxe des eighties, la musique se vidait de sa substance et pourtant on n’a jamais vendu autant d’albums. Face à cette pop aseptisée, une partie de la jeunesse se réfugie dans la violence vulgaire du heavy metal. Les eighties représentent l’âge d’or d’Iron maiden , la naissance du thrash metal avec l’horripilant Kill em all. Le metal tuait le rock comme le rock tua le jazz.
La musique fut donc ballottée entre ces deux extrêmes stériles, deux bourbiers sonores sans consistance. Cette catastrophe couve lorsque, en 1981, Neil Young se met lui aussi à standardiser ses méthodes de travail. Son fils handicapé subit alors de lourdes séances de rééducation, qui oblige son père à programmer son temps d’enregistrement pour être avec lui. Les séances commencent donc à 10 heures , et le loner ne reste que quelques minutes. Enregistré à la va vite, Reactor est mis en boite en quelques jours. A défaut d’être un grand disque, Reactor est tout de même un album intéressant.
Plus de dix ans après avoir accouplé le hard rock et le folk rock , le canadien et son fidèle cheval fou essaie une nouvelle fois de décupler la puissance de la musique de Bob Dylan. Ce qui frappe d’abord sur Reactor , c’est ce son puissant , massif , mais trop propre. En nettoyant les riffs crasseux de son fier destrier, Neil Young tente d’accorder deux camps qui ne peuvent que s’éloigner. La puissance d’un Crazy horse lourd comme un hippopotame ivre fait du pied au barbare chevelu du heavy metal , les sifflements de synthé tentant de transformer cette puissance balourde en tube power pop. Mais les riffs binaires sont trop simplets, la production proprette ne faisant que souligner le manque d’inspiration des musiciens. Dans les meilleurs moments, cette hargne juvénile rappelle presque les décharges heavy blues de Blackfoot un peu fatigué.
On perd ici la poésie de Zuma sans retrouver la
spontanéité de Rust never sleep , la modernité des synthés ne parvenant pas à
masquer le manque de personnalité de ces instrumentaux. Moins intéressé par son œuvre,
le loner ne parvient qu’à reproduire les travers d’une époque maudite. Si , jusque-là
, il était l’artiste de sa génération ayant le mieux survécu aux caprices du
temps , Reactor annonce le début d’une longue traversée du désert artistique.
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