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dimanche 8 décembre 2019

Rock storie : Woodstock on water épisode 3


La nuit était tombée, sur une mer qui a désormais l’air d’un décor spatial, la lune lançant ses reflets blafards sur l’eau douce. Le spectacle qui suit demande l’intervention d’un hélicoptère placé en vol stationnaire, et assez loin des porte-avions pour que sa présence soit indétectable. Accroché sur sa carcasse métallique, un vidéoprojecteur lance ses images planantes sur les panneaux blancs disposés derrière Steven Wilson.

L’homme avait accepté l’invitation à condition que les organisateurs puissent transporter son grand théâtre cosmique sur cette scène maritime. Voilà donc cette foule sortie de sa sauvagerie, et regardant la cinématique d’ouverture avec fascination, avant que les musiciens n’entrent dans le plus grand calme.

Le changement de décors semblait réussir, et ceux qui étaient propulsés dans une orgie sauvage quelques secondes plus tôt sont désormais semblables à un enfant découvrant le monde. Pour le plus grand plaisir d’Eric, Wilson a décidé de commencer par Pariah , fascinante ballade space pop où la voix de Nina Tayeb brille comme une étoile dans le cosmos.

L’ovation succède rapidement à la fascination, la foule prend ces mélodies comme des caresses maternelles , et semble exprimer aux musiciens un amour transis. Même quand le binoclard ressort les histoires glauques de « in absentia », les passages les plus heavy de « the creator got a mastertapes » se drapent d’une poésie spatiale, que seul le floyd a approché sur « dark side of the moon ».  

C’est d’ailleurs ce qui est fascinant chez ce musicien, son registre semble sans limite et, même si la solitude et les tréfonds de l’âme humaine ont nourri ses plus grandes œuvres , sa palette musicale parait infinie. Résolument moderne, les titres comme « home invasion » , et les meilleurs morceau de hand cannot earase pourraient servir de nouvelle bande son aux passages les plus fascinants de 2001 l’odyssée de l’espace.

Et puis, sans prévenir, l’homme se rapproche de nouveau de la terre, pliant la pop à son art hypnotique sur « heaven less » et « poeple who eat darkness ». Ce n’est qu’une étape , et le retour sur terre se fait des plus poignants sur « the raven that refused to sing » , et sa mélodie jazz baroque qu’on aurait bien vu en bande son d’une adaptation cinématographique de l’idiot.

Et puis derrière lui, les histoires se succèdent , poétique sur the raven , glauque et fascinante sur the creator got a mastertape, ou chargées du désespoir de l’homme moderne sur poeple who eat darkness. C’est une incantation venue d’un espace que tous semblent connaitre,  ces mélodies aériennes ne restituant rien de moins que la nature humaine.

Wilson est un rationnel, ce sont les autres qui sont devenus fous et sans consistance, et toute sa carrière consistera à ramener son public à la raison. La description peut paraître un peu biblique, comme si l’homme était le nouveau guide spirituel de notre époque, mais c’est exactement l’effet que sa musique fit à Eric ce soir-là. Dans le public , une poignée de jeunes en tee shirt NTM regardent sa performance les larmes aux yeux , les voilà convertis.

La première journée se fermera sur l’écho des dernières notes de « the raven that refused to sing » . Il fallait laisser un blanc afin que le public redescende sur terre.


On ne change pas une formule gagnante et, à la lumière du crépuscule, c’est la légèreté sudiste de blackberry smoke qui ouvre une nouvelle journée de festivités. Avec leur look digne d’un film de Sergio Leone , accentué par le fait que les Georgiens n’ont pas pris le temps de se raser, blackberry smoke est un peu le Creedence clearwater revival du festival. Ces musiciens sont les nouvelles racines qui permettent au rock d’aller plus loin, sans oublier la chaleur de sa terre d’origine, la troupe déversant les bienfaits simples du trio rock/ blues/ country.

Transformé en parterre de sauterelles, le public s’est remis de l’expérience spirituelle de la veille , et sautille au rythme de ces riffs enjoués. Trois guitares se croisant pour célébrer la grandeur du rock le plus traditionnel , le rock n roll de led zeppelin succédant à la grange de ZZ top , avant que BB smoke ne retombe sur ses pattes via le riff irrésistible de six way to Sunday.

Une mélodie, un riff, un rythme, voilà tout ce que propose blackerry smoke sur payback a bitch , shakin hands with the holie gost , ou find a light, mais la formule est immortelle quand elle est jouée avec un tel enthousiasme.  

Puis Charlie Starr finit seul, perché sur une haute chaise en bois, tel Neil Young à la fin d’un concert de Crosby Still and Nash. Les versions acoustiques de « prettie little lies » , « ain’t got the blue » , et « the mountain is hard for me to climb » préparent ainsi le terrain pour l’artiste suivant.  


mercredi 4 décembre 2019

Rock Storie: Woodstock on Water épisode 2


Se retrouver à la tête d’une flotte d’une dizaine de porte-avions, chargés de transmettre la bonne parole rock, la mission a de quoi effrayer. Surtout quant, à l’image d’Eric , on a passé sa petite vie sans faire de vague , et qu’on est d’un seul coup propulsé à la tête d’un événement potentiellement historique.

Transporté par hélicoptère , la nourriture et tout le nécessaire serait payés directement par les organisateurs. Au départ , les chaînes de grandes distributions s’étaient bousculés pour sponsoriser l’événement , mais il était hors de question de voir débarquer des hélicos lidl ou auchan.

Si le coup ratait, la plupart des organisateurs se retrouveraient à la rue, et chacun avait donc ses exigences. Convoqué à la salle de rédaction de rock et folk pour fixer la set list , Eric s’attendait à la bataille qui allait suivre, mais espérait naïvement que les noms de Radiohead et muse n’y serait pas prononcés.  

Dans le salon , les couvertures du magazines qui le fascinaient tant sont fièrement affichées , au milieu d’une décoration colorée, qui rappelle malheureusement le salon du bobo moyen. Confortablement assis dans le canapé où Iggy s’était installé, pour la photo du numéro célébrant la sortie de son album avec Josh Homme, Eric attendait d’abord qu’on lui présente la première version de l’affiche.

En arrière-plan, une grandiloquente représentation de Tom York façon art psyché. L’homme est plongé dans un solo faisant sortir des arcs-en-ciel d’une guitare déformée. La réaction d’Eric ne se fait pas attendre : C’est quoi cette merde !
                                                                                    
On entra alors dans un débat houleux, où il entendit des choses aussi aberrantes que « Muse et radiohead remplissent les cargos à eux seul , il est normal de les mettre à l’honneur. » ou « on laisse quand même leur chance aux autres, mais il ne faut pas non plus être trop utopistes. »

La rencontre ne faisait que confirmer ce qu’il pensait depuis plusieurs années, les journalistes rock ne croient pas à la survie de leur musique. Et, à la limite, il préfèrent largement la laisser comme elle est, fossilisée dans un passé révolu.

Pour eux , Muse était les nouveaux beatles , radiohead le nouveau pink floyd , et ces caricatures les rassuraient. Le seul argument valable de leur part était que le public n’était plus le même , la curiosité avait disparu , asphyxiant aussi le courage des journalistes musicaux.

« Mais justement ! Si vous n’aviez pas eu le courage de miser sur Iggy , il n’aurait jamais percé , vous avez une responsabilité dans le maintien de la curiosité populaire. »

La réponse décontenança d’abord Manœuvre et sa clique, et Eric compris vite que, si il ne raisonnait pas en terme de rendement, il ne parviendrait pas à les convaincre. Il claqua donc sur la table le dernier numéros de « classic rock » , sorte de version anglophone de best.

« Vous voulez voir grand ? Voilà ce que l’amérique et l’Angleterre veulent voir. » La couverture était l’exact opposé du premier essai d’affiche que rock et folk a concocté, et Muse et Radiohead n’y étaient même pas cités. Le constat était une véritable claque, le plus grand magazine rock de France venait de se faire gifler par le pays natal de la musique qu’il célébrait.

Désormais en position de force, Eric posa sa version de l’affiche sur la table, une simple peinture des musiciens au milieu de cette scène gigantesque formée par dix portes avions, et entourés des noms des participants. Bien sur radiohead et muse n'étaient pas mentionnés et, après avoir vu l’heure, Eric donna son coup de grâce lorsque les premières protestations se firent entendre.

Allumez la télé messieurs, et voyez comment on fait monter la sauce.
Notre ami s’était en effet permis de diffuser cette affiche sans attendre l’avis de ses collaborateurs et , si elle suivait à peu près le sommaire du numéro spécial de rock et folk , les deux absents firent grand bruit en France.

« Le festival qui refuse radiohead et muse » , les chaînes d’infos passaient ce bandeau en boucle , oubliant presque les grèves à la sncf , le chômage de masse , et les petits bourgeois cassant les abribus pour se donner un air de révolutionnaires anarchistes.

Le risque était que, blessé dans sa fierté, rock et folk lâche l’affaire , mais il fut au contraire galvanisé par ce dernier coup d’éclats. Un mois plus tard, tout ce que le rock compte aujourd’hui d’excitants embarque sur un bateau, en direction des eaux Anglaises, où Radio Caroline diffusait jadis les plus grands classiques du rock.

Quand les ferries transportant le public approche de la scène faite de dix porte-avions, les musiciens et organisateurs ont l’impression d’être une terre abordée par la monumentale flotte viking. Ce n’est pas un succès, c’est un triomphe, au point que la monumentale scène surélevée est bientôt semblable à une miette de pain cerné par une horde de fourmis. Vu des hélicos qui transporte Jack White , qui fut choisi pour ouvrir l’événement en réformant les white stripes, la scène est particulièrement impressionnante.

Qu’importe , l’homme en a vu d’autres , et débarque comme prévu en parachute , alors que sa batteuse a été placé derrière sa batterie pour ménager l’angoisse que pourrait lui provoquer cette foule. Jack, lui, est comme un poisson dans l’eau, son look de citizen kane lui offrant un charisme patriarcal, à mi-chemin entre Humphrey Bogart et l’incarnation de Willie Wonka par Johnny Depp.

Le chaos stoogien du duo semble décuplé par l’immensité de la scène. Nourri par le bonheur sauvage d’une foule déchaînée, le set s’avère absolument parfait. Icky thump , you don’t know what love is , seven nation army , ce sont les évangiles du riff que Jack White envoie ici, laissant toutes ses ballades de coté, pour éviter de faire retomber la pression.

Vous n’imaginez pas la sensation que provoque ses milliers de personnes chantant les fameux riffs de seven nation army, c’est littéralement le cri de guerre d’une musique de nouveau prête à conquérir le monde. Quand le musicien sort de scène , et croise le regard d’Eric , sa seule phrase sera « Je viens de comprendre ce qu’a pu ressentir Hendrix à Woodstock ».

Loin d’être impressionné, les rivals sons prirent la relève avec une puissance décuplée. Avec son look de dandy d’un autre siècle, Scott Holiday est sans doute le plus grand guitariste de hard rock de notre temps. Les rivals sons ne sont pas seulement la réincarnation de cette vieille bête fascinante, que les amateurs nomment sobrement hard blues, ils sont les nouveaux mages chargés de réveiller l’humanité à coup de solos déchirants.

En cette année où le rock semblait perdu, « open my eyes » sonne comme une résurrection, sortant tous les amateurs de musique d’un cauchemar qui n’a que trop duré. Véritablement possédé par un démon hurleur, Jay Buchanan donne de nouvelles lettres de noblesse au chant hard rock.

Enfin non , ce n’est pas un chant , c’est un cri de l’âme , qui semble charrier tout ce que l’humanité compte de passions, dans une orgie sonore qui se fait presque spirituel sur back in the wood et hollow bones. Et puis n’oublions pas la batterie, cœur du hard blues, battant avec une puissance monumentale, comme pour transmettre sa furie rythmique aux autres musiciens.

Eric avait volontairement tiré deux de ses meilleurs cartes dès le premier tour de piste, il fallait littéralement assommer cette foule immense, lui donner du saignant, pour qu’elle arrive exsangue et reconnaissante vers des mélodies plus raffinées.

Le public avait eu droit au tonnerre, il faut désormais lui offrir un crépuscule lumineux.           

               
                                   

dimanche 1 décembre 2019

Rock storie : Woodstock on Water


Cette histoire est totalement fictive, seules les groupes et titres qui y apparaissent sont vrais. C’est une autre façon d’appeler le lecteur à être toujours plus curieux, une nouvelle façon de donner envie d’écouter ce précieux matériel. Car, tant que le rock produira les artistes que vous découvrirez dans les prochaines lignes, il ne sera pas totalement mort.

Le monde est gris, la vie passe comme une longue peine, et les exutoires disparaissent à une vitesse affolante. Pour tout le monde, le rock est un truc dépassé , mort , dont on ne célèbre que les vieilles reliques, qui justement s’effondrent les unes après les autres. Bowie , Lemmy , Pink Floyd , Lou Reed , Rick Parfitt , presque chaque année de ce satané millénaire emporte un bon bout de cette époque bénie, où le rock était tout.

En France, la situation n’était pas plus passionnante dans les seventies, à moins de penser que téléphone est un groupe de rock. Mais on avait toute cette littérature, les articles de ce vieux routard d’Alain Dister , reçu à l’époque par Bernard Pivot, et bien sûr rock et folk et best. La France ne savait pas produire de rock, mais elle était celle qui en parlait le mieux, la beauté de sa langue survivant aussi à travers ces journalistes exceptionnels.

A ce niveau là aussi, on a un peu baissé, à moins que ce ne soit la passion qui ait diminué. Bref, en traînant au milieu des rue Lilloises , Eric mûrit un plan faramineux , créer LE concert de rock du siècle. Il ne s’agirait pas d’un nouveau Hellfest , qui est déjà devenu le disneyland du métalleux , mais bien d’un festival de passionnés.

Il avait d’ailleurs tiré une leçon essentielle en suivant l’évolution du Hellfest : un évenement doit être unique pour ne pas être corrompu. L’esprit humain étant ce qu’il est, le pognon prend souvent le dessus sur la passion des organisateurs et, si une bande de pharisiens vient à dénicher le bon filon, vous pouvez être sûr qu’ils transformeront votre invention en énorme cirque consumériste.

Plus vicieux aujourd’hui, les promoteurs manipulent votre orgueil, vous faisant sentir que vous êtes différent, alors qu’ils vous plument comme les aliénés pour qui le bonheur se trouve dans la prison merveilleuse de Mickey.

Mais comment peut-on organiser, dans un pays où tout est limité et réglementé, un festival sauvage capable de faire la nique aux réactionnaires comme aux partisans de cette modernité pernicieuse ? C’est un courrier un peu fou à rock et folk , et à Manœuvre , qui a tout déclenché. En voici la folle prose :

« Rock et folk ,

Oui ne t’attend pas à ce que je te donne du « cher » , « vénérable », ou « précieux » , car je suis d’abord ici pour te conspuer. Armé de ton égo atrophié, tu nous pompes l’air avec de vieux schnocks, que la plupart d’entre nous n’ont pas connu avant qu’ils deviennent mortellement chiants.

Il est vrai que dernièrement tu as fait un effort , en mettant Josh Homme en couverture , soit un mec qui n’a plus rien inventé depuis les deux premiers albums de Kyuss. Serais tu en train de lâcher l’affaire en nous faisant comprendre , comme le disait Manœuvre dans une interview, que « le rock est mort » ?

Où est l’époque où ce même Manœuvre, qui recevra une copie de la lettre corrosive que tu tiens dans tes mains molles, nous faisait tout un édito sur la folie de Detroit. Dans les années 90, on pouvait au moins te reprocher tes erreurs, d’avoir raté certaines choses , désormais tu rates tout.

Te faut-il un événement pour te mettre tout cela sous le nez ? Cherches-tu un autre Woodstock qui rendrait ton travail de découvreur plus facile ? Très bien, alors faisons-le ensemble. Tu trouveras ci-joint une liste de rockers encore en pleine forme, de guides écrivant la légende de demain, aide moi à les contacter.

Tu vas sans doute me trouver fou , mais pour l’endroit il suffirait de prendre un  bateau et de le placer à l’endroit exact où Radio Caroline émettait. Prévois de la place dans le Cargo, je pense que la musique que tu crois morte risque de te donner une surprise monumentale.

La seconde lettre, Eric l’avait déjà adressée au gouvernement, prouvant ainsi ce haut niveau d’inconscience qui fait les grandes œuvres.

Monsieur le président ,

Vous aurez remarquez que j’y ai mis les formes , il est vrai que le service que je vous demande est un peu spécial . Vous avez en effet, dans un garage maritime qui doit coûter « un pognon de dingue » au bon contribuable, un gros bateau fatigué qui semble à la retraite.

J’aimerais donner une seconde vie à celui que les guignols appelait ironiquement « le ribery » (parce qu’il est toujours à l’infirmerie), et qui dispose d’un espace fort intéressant pour mon projet. J’aimerais en effet y organiser un concert de rock du niveau de woodstock , un évenement monumental qui redonnera des rêves à une jeunesse endormie.

Vous cherchez une nouvelle popularité ? Je vous l’offre ici sur un plateau , ce sera mon cadeau de Noël.

PS : Si il vous reste aussi un ou deux hélicoptères , ce serait énorme de voir les artistes débarquer en parachute !

PPS : Pour augmenter l’espace, vous pouvez demander à votre copain trump qu'il nous en envoie quelques un … Il semble en avoir trop.


Au début Eric n’y croyait pas, d’autant que la réponse mit des mois à lui parvenir, et qu’il était retourné à l’ennui de son quotidien anonyme. La réponse de rock et folk et Manœuvre arriva en couverture de rock et folk. En couverture de ce hors-série, on pouvait voir tous les artistes étant dans sa liste avec, en titre : Ressuscitons le rock !

Rock et folk avait écrit 120 pages incroyables , racontant la genèse de ces artistes modernes , et annonçant un concert dont personne ne connaissait le lieu ! Après la couverture, le président et ses sinistres (y’a une astuce) , ont envoyé un courrier à notre doux cinglé.

Les politiques sont en général des feignants, il faut que la solution soit sous leur nez pour qu’ils se bougent, et la toute la presse et une bonne partie des médias avaient suivi rock et folk dans le récit de ce projet fou.

Plus porté sur les rappeurs analphabètes, qui sont plus proches de son niveau intellectuel, Hanouna avait programmé une émission de lynchage médiatique comme il les aime. Barthes n’étant qu’une version plus bourgeoise de ce pétomane sinistre, il ne cessa de moquer ce vestige du « vol de la culture noire par des petits blancs prétentieux ».

Il est amusant de remarquer que la bien pensance qu’il représente ne juge plus la culture que via la couleur de peau , la religion , ou le sexe de ses géniteurs. Mais nous dérivons sur un terrain politique et notre histoire parle d’une chose bien moins futile : la musique.  

Or , en plus de la lettre du gouvernement lui annonçant la mise en place du Charles De Gaulle , Trump lui-même avait accepté d’envoyer dix portes avions supplémentaires. Voilà donc notre héros à la tête d’une flotte impressionnante prête à coloniser les ondes au nom du rock .  

L’histoire avec un grand H peut enfin commencer.        
      





jeudi 11 avril 2019

Woodstock et le Géant Vert (rock-story)



Illustration : José Correa

« And if I don't meet you no more in this world, then I'll meet you in the next one » Jimi Hendrix

Sous la lumière gris pâle, il fait son entrée sur scène, arborant fièrement ses origines Cherokee dans une tunique indienne blanche à franges colorées, un jean pattes d'eph, et sa Stratocaster couleur crème en bandoulière. Un bandeau rose fuchsia orne sa coupe afro. Jimi Hendrix semble serein. Pourtant, en ce lundi matin du 18 août 1969, la foule gargantuesque qui a fait vivre le festival durant trois jours a déserté les pelouses de Woodstock, pour laisser trente mille personnes parsemées pataugeant dans une boue infâme. De plus, hormis Mitch, le batteur, les autres membres du groupe n'ont jamais joué devant une telle assistance. Mais le gaucher de Seattle a branché son amante, celle qui fait de lui un demi-dieu, et dans le public, les plaintes laissent place à un silence de cathédrale. Tandis que le vent balaie les collines dans le lointain, les premiers coups de médiator du maestro semblent figer ces milliers de corps à moitié nus.
Comme chaque jour, calé dans mon fauteuil qui s'enfonce et ressemble de plus en plus à un cercueil, je regarde Jimi investir mon écran de télévision...
Cette fois c'est la bonne ! La gamine a enfilé son blouson et maintenant elle déambule au milieu du salon comme un type bourré. Monica a éteint la salle de bain. Le bruit des talons de mon geôlier claque derrière ma nuque. Tandis qu'elle se dirige vers l'entrée, son parfum de vanille écœure ce qui me reste de sinus. Comme toujours, il leurs faut deux bonnes heures de préparation avant de se décider à partir faire ces satanés courses ! La principale occupation de ma fille unique. Consommer ! Encore et toujours. Le plus possible, sinon elle s'ennuie. C'est pourquoi, elle a choisi Richard, un riche propriétaire Virginien. Mon gendre est un pecnot, raciste et grossier, une véritable caricature de sudiste, mais c'est encore le meilleur des deux. La gamine, je l'aime bien. Je trouve qu'elle s'en sort pas mal avec deux abrutis pareils. Le pire c'est qu'elle l'a pas cherché, ces cons-là sont allé l'acheter au Vietnam... euh je veux dire adopter...

— Tu as mis son DVD à Papy, c'est bien chéri, on file ! A plus tard Gé, on sera revenu d'ici deux heures.

« Gé »! Je ne supporte plus que Monica m'appelle comme ça ! C'est vrai, quoi ! Se faire appeler « Papa » de sa propre fille, c'est trop demandé ? Je ne me souviens pas l'avoir jamais entendu le prononcer, même lorsqu'elle était enfant... Gé ! Cette appellation remonte à ma jeunesse. Cela parait tellement loin qu'il me semble ne l'avoir jamais vraiment vécu. Et pourtant...

Mon nom de naissance est Tyron Green mais il fut un temps, où dans le New Jersey, j'étais un bassiste de renom, surnommé le Géant Vert ! En rapport à mon physique altier, mais pas seulement. On disait aussi, que comme Jimi Hendrix avec sa six cordes, j'arrivais à extraire des fusées cosmiques et autoguidées de ma guitare-basse, et que nous avions tous deux la particularité de traiter notre instrument comme s'il était fait de chair et de sang. Pourquoi Vert ? Mon nom (Green), n'y est pour rien. Ce sont ces horribles costumes que je m'obstinais à porter à chaque spectacle qui en sont la cause. Je cherchais à me composer un personnage... Qui sait ? Cette couleur verte bannie au théâtre, c'est peut-être elle qui fut responsable de mon malheur ? Elle me rappelle pourtant mes plus belles années. J'ai démarré ma carrière comme contre-bassiste, dans un quatuor de jazz, à la fin des années 50. Sans me vanter, j'étais plutôt bon. Enfin c'était l'avis de John Coltrane. Il voulait m'enrôler pour une tournée, mais moi, à cette époque, ce que je voulais, c'était faire du blues et du rock'n'roll ! Le maître m'a dit d'aller au diable !

J'étais branché en permanence sur les radios du sud du pays, je swinguais sur Elvis, vibrais sur Jerry Lee Lewis et Little Richard. Alors quand la vague britonne a déferlé sur le pays au milieu des Sixties, j'ai surfé dessus tant que j'ai pu. J'ai fumé plus d'herbe en cinq ans que je n'ai mangé de salade durant toute ma vie. J'ai 88 ans ! Je gobais les acides comme des smarties, mais j'étais diablement créatif. J'avais monté un petit combo avec deux gars de la Nouvelle-Orléans et un pianiste de Greenwich Village. Comparé à la déferlante psychédélique, notre style sonnait un peu rétro mais on était très apprécié dans les clubs New-yorkais. Durant l'été 67, le fameux Summer of Love, je me suis rendu sur la côte ouest, à l'occasion du Festival de Monterey. Le premier festival Pop. C'était dément ! On aurait cru que la jeunesse de tout le pays s' y était donnée rendez-vous pour rompre avec le système, la morale puritaine et ses préceptes hypocrites. Les tensions de la guerre froide et la crainte d'une guerre atomique avaient laissé place à celle d'être appelé au Vietnam. Ces millions de jeunes avaient grandis comme des cocottes-minutes. Monterey allait devenir leur soupape, un moment de libération indescriptible précédant une période révolutionnaire jamais entrevue auparavant dans le pays.
C'est alors, que j'ai vu Jimi, introduit sur scène par le démon à la chevelure d'ange, Brian Jones encore Stone... Jimi enchaîna dix titres venus d'ailleurs, multipliant les prouesses techniques, les douceurs virtuoses, et les effets clinquants. Il clôtura son set par un numéro de Voodoo hallucinant, chevauchant sa guitare pour finalement l'enflammer dans un rituel erotico-mystique d'une rare intensité. Je n'ai jamais vu quelqu'un chambouler son auditoire de la sorte. J'ai tout de suite compris que Jimi représentait tout ce que j'aimais dans la musique. Un genre de synthèse de Muddy Waters, de Bob Dylan et des Beatles. Une virtuosité pop poussée à son paroxysme. Ses textes ne parlaient que de voyages vers d'autres univers, mais le plus dingue c'est que sa musique nous y emmenait. Unifiant tous les combats internes de l'Amérique, Jimi semblait tout avoir pour réussir. Comme disait Miles Davis, il était « le seul noir à faire swinguer deux blancs » et sa créativité n'avait pas de limites.

Durant sa courte carrière, une chose sembla pourtant le ralentir dans sa progression vertigineuse. Son bassiste. Noël Redding ne trouva jamais vraiment grâce à ses yeux. C'est pourquoi, en 1967, après le passage incendiaire de Jimi, j'ai lâché ma contre-basse pour passer à l'électrique. La guitare-basse. Mon idole avait un manque, et moi un rêve. J'allais devenir son pendant. Son ombre.
Délaissant mon combo pour un groupe plus funky, je me mis à travailler jour et nuit. Comme un forcené. Pour moi, c'était pas un problème, j'avais ça dans le sang. Un soir, dans une cave de Brooklyn, j'ai jamé jusqu'à l'aube avec deux grands noms du funk, Curtis Mayfield, et son altesse sérénissime Mister James Brown ! Mes doigts se baladaient sur le manche comme des mygales recouvrant la liberté. Curtis, très impressionné me félicita chaleureusement. Quant à Mister Dynamite, il posa sa main sur mon épaule en me jaugeant du regard, et dit : « Mmh... Pas mal. » J'avais des étoiles dans les yeux...
Je savais que Jimi Hendrix avait fait ses armes dans le groupe de Curtis Mayfield, j'en profitais pour essayer d'établir un contact. Curtis me promit de lui en toucher deux mots. Mais il fit bien mieux que ça...

Trois mois plus tard, il revint me voir jouer dans mon night-club. Le 2 août 1969, reste gravé dans ma mémoire. Par chance, mon groupe et moi étions dans un grand soir. On m'avait annoncé la venue de Curtis, mais la lumière tamisée de la salle m'empêchait de voir qui l'accompagnait. Au cours du troisième morceau, j'invitais Curtis à me rejoindre sur scène. Mais c'est un gars élancée, encapuchonné dans une toge de moine qui grimpa sur l'estrade. Tandis que je découvrais lentement le piège dont j'étais l'heureuse victime, mes doigts si agiles se liquéfièrent d'un seul coup, suivis de mes membres premiers. Voyant que je perdais tout contrôle, Jimi eut le bon réflexe de sortir sa Les Paul de son étui pour distraire l'attention du public. Il me fallut deux bonnes minutes pour me ressaisir. Mais vous pouvez me croire, les dix qui suivirent sont tout simplement les dix meilleurs de ma chienne de vie ! Si comme disait un célèbre journaliste, écouter Hendrix c'est rentrer en communication avec Dieu, que dire du plaisir de l'accompagner. J'avais l'impression d'être l'écrin du plus beau joyau de la planète !
De retour d'Essaouira (Maroc), il semblait frais et détendu. Très intéressé par mon style, il me confia plus tard s'être séparé de son bassiste. Jimi cherchait un gars dans mon genre pour un concert test. C'était une aubaine inespérée. Je crois bien avoir dis oui avant même qu'il n'ait fini sa phrase. Il tenta une remarque sarcastique sur ma tenue vestimentaire, mais ajouta avec son sourire enfantin : « Viens comme tu es. » Quelle douce et enivrante sensation, que de réaliser son plus beau rêve ! Même si tout le monde n'en était pas conscient à l'époque, j'avais la conviction que jouer avec ce mec, c'était entrer dans l'histoire.

Deux semaines plus tard, j'étais fin prêt pour épauler le guitar-hero quand j'appris qu'il s'agissait d'un événement de grande envergure auquel Jimi m'avait convié. Woodstock. Le plus grand festival Pop jamais organisé. Janis, Grateful Dead, The Who, que des cadors ! Plus de 300 000 personnes étaient attendues !
Alors, vous savez ce que c'est, la peur fait boire... Le concert était initialement prévu le dimanche soir à minuit. Terrassé par le trac, j'ai passé mon samedi soir à me saouler la gueule. J'ai bu, jusqu'à finir dans une boîte un peu louche, un tripot d'un genre particulier. Des gars raidis à la coke y jouaient à la roulette russe. Après quelques lignes de poudreuses, je me suis mis moi aussi à vouloir jouer du barillet. La partie s'éternisant, la tension montant, une bagarre finit par éclater. Dans l'altercation, un coup fut tiré. La balle transperça ma moelle épinière comme une feuille de papier. Finir tétraplégique la veille de Woodstock, putain, fallait vraiment que je sois maudit !

Jimi n'en prit connaissance que le lendemain du concert. Je me souviens de lui, me rendant visite à l’hôpital, le visage dissimulée sous cette même toge qu'il portait lors de notre première rencontre. Puis un jour, j'ai appris sa mort à la radio.

Je devais être dans le film. Avec lui. Ma carrière aurait pu décoller comme celle de Carlos Santana. 
J'ai pratiqué le slap, et le taping dix ans avant les légendes Marcus Miller et Jako Pastorius. Je devais être dans le film... Mais je suis là, un corps sans vie, sans musique, à regarder chaque jour sur ma télévision, mon rêve envolé. Je l'ai frôlé pourtant, je l'ai même tenu un moment dans mes mains, ce fameux soir au night-club. Mon rêve est là, qui défile chaque jour sous mes yeux, dans cette image, dans cet amas de cristaux liquides où j'aimerais fondre... Mon corps ne me retient plus depuis longtemps... Au fond, c'est vrai, je ne suis déjà plus qu'un esprit... Je contemple la scène de Woodstock... Jimi après un début timoré a pris son envol sur Voodoo Child... C'est son vieil ami Billy Cox qui tient la basse... On ne l'entend pas... Qu'importe, Jimi plane mais comble les vides, il orchestre du regard, et ponctue les couplets de salves divines... Son solo final est époustouflant... Je le connais par cœur... Je devrais être dans le film...

Quelques instants plus tard, Monica et la gamine, de retour à leur appartement, constatent avec surprise que le salon est désert. Monica s'apprête à alerter la Police quand la petite lui fait justement remarquer :

— T'as vu Maman, il est rigolo le monsieur tout vert dans la télé ! On dirait papy...


FIN