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mercredi 4 décembre 2019

Rock Storie: Woodstock on Water épisode 2


Se retrouver à la tête d’une flotte d’une dizaine de porte-avions, chargés de transmettre la bonne parole rock, la mission a de quoi effrayer. Surtout quant, à l’image d’Eric , on a passé sa petite vie sans faire de vague , et qu’on est d’un seul coup propulsé à la tête d’un événement potentiellement historique.

Transporté par hélicoptère , la nourriture et tout le nécessaire serait payés directement par les organisateurs. Au départ , les chaînes de grandes distributions s’étaient bousculés pour sponsoriser l’événement , mais il était hors de question de voir débarquer des hélicos lidl ou auchan.

Si le coup ratait, la plupart des organisateurs se retrouveraient à la rue, et chacun avait donc ses exigences. Convoqué à la salle de rédaction de rock et folk pour fixer la set list , Eric s’attendait à la bataille qui allait suivre, mais espérait naïvement que les noms de Radiohead et muse n’y serait pas prononcés.  

Dans le salon , les couvertures du magazines qui le fascinaient tant sont fièrement affichées , au milieu d’une décoration colorée, qui rappelle malheureusement le salon du bobo moyen. Confortablement assis dans le canapé où Iggy s’était installé, pour la photo du numéro célébrant la sortie de son album avec Josh Homme, Eric attendait d’abord qu’on lui présente la première version de l’affiche.

En arrière-plan, une grandiloquente représentation de Tom York façon art psyché. L’homme est plongé dans un solo faisant sortir des arcs-en-ciel d’une guitare déformée. La réaction d’Eric ne se fait pas attendre : C’est quoi cette merde !
                                                                                    
On entra alors dans un débat houleux, où il entendit des choses aussi aberrantes que « Muse et radiohead remplissent les cargos à eux seul , il est normal de les mettre à l’honneur. » ou « on laisse quand même leur chance aux autres, mais il ne faut pas non plus être trop utopistes. »

La rencontre ne faisait que confirmer ce qu’il pensait depuis plusieurs années, les journalistes rock ne croient pas à la survie de leur musique. Et, à la limite, il préfèrent largement la laisser comme elle est, fossilisée dans un passé révolu.

Pour eux , Muse était les nouveaux beatles , radiohead le nouveau pink floyd , et ces caricatures les rassuraient. Le seul argument valable de leur part était que le public n’était plus le même , la curiosité avait disparu , asphyxiant aussi le courage des journalistes musicaux.

« Mais justement ! Si vous n’aviez pas eu le courage de miser sur Iggy , il n’aurait jamais percé , vous avez une responsabilité dans le maintien de la curiosité populaire. »

La réponse décontenança d’abord Manœuvre et sa clique, et Eric compris vite que, si il ne raisonnait pas en terme de rendement, il ne parviendrait pas à les convaincre. Il claqua donc sur la table le dernier numéros de « classic rock » , sorte de version anglophone de best.

« Vous voulez voir grand ? Voilà ce que l’amérique et l’Angleterre veulent voir. » La couverture était l’exact opposé du premier essai d’affiche que rock et folk a concocté, et Muse et Radiohead n’y étaient même pas cités. Le constat était une véritable claque, le plus grand magazine rock de France venait de se faire gifler par le pays natal de la musique qu’il célébrait.

Désormais en position de force, Eric posa sa version de l’affiche sur la table, une simple peinture des musiciens au milieu de cette scène gigantesque formée par dix portes avions, et entourés des noms des participants. Bien sur radiohead et muse n'étaient pas mentionnés et, après avoir vu l’heure, Eric donna son coup de grâce lorsque les premières protestations se firent entendre.

Allumez la télé messieurs, et voyez comment on fait monter la sauce.
Notre ami s’était en effet permis de diffuser cette affiche sans attendre l’avis de ses collaborateurs et , si elle suivait à peu près le sommaire du numéro spécial de rock et folk , les deux absents firent grand bruit en France.

« Le festival qui refuse radiohead et muse » , les chaînes d’infos passaient ce bandeau en boucle , oubliant presque les grèves à la sncf , le chômage de masse , et les petits bourgeois cassant les abribus pour se donner un air de révolutionnaires anarchistes.

Le risque était que, blessé dans sa fierté, rock et folk lâche l’affaire , mais il fut au contraire galvanisé par ce dernier coup d’éclats. Un mois plus tard, tout ce que le rock compte aujourd’hui d’excitants embarque sur un bateau, en direction des eaux Anglaises, où Radio Caroline diffusait jadis les plus grands classiques du rock.

Quand les ferries transportant le public approche de la scène faite de dix porte-avions, les musiciens et organisateurs ont l’impression d’être une terre abordée par la monumentale flotte viking. Ce n’est pas un succès, c’est un triomphe, au point que la monumentale scène surélevée est bientôt semblable à une miette de pain cerné par une horde de fourmis. Vu des hélicos qui transporte Jack White , qui fut choisi pour ouvrir l’événement en réformant les white stripes, la scène est particulièrement impressionnante.

Qu’importe , l’homme en a vu d’autres , et débarque comme prévu en parachute , alors que sa batteuse a été placé derrière sa batterie pour ménager l’angoisse que pourrait lui provoquer cette foule. Jack, lui, est comme un poisson dans l’eau, son look de citizen kane lui offrant un charisme patriarcal, à mi-chemin entre Humphrey Bogart et l’incarnation de Willie Wonka par Johnny Depp.

Le chaos stoogien du duo semble décuplé par l’immensité de la scène. Nourri par le bonheur sauvage d’une foule déchaînée, le set s’avère absolument parfait. Icky thump , you don’t know what love is , seven nation army , ce sont les évangiles du riff que Jack White envoie ici, laissant toutes ses ballades de coté, pour éviter de faire retomber la pression.

Vous n’imaginez pas la sensation que provoque ses milliers de personnes chantant les fameux riffs de seven nation army, c’est littéralement le cri de guerre d’une musique de nouveau prête à conquérir le monde. Quand le musicien sort de scène , et croise le regard d’Eric , sa seule phrase sera « Je viens de comprendre ce qu’a pu ressentir Hendrix à Woodstock ».

Loin d’être impressionné, les rivals sons prirent la relève avec une puissance décuplée. Avec son look de dandy d’un autre siècle, Scott Holiday est sans doute le plus grand guitariste de hard rock de notre temps. Les rivals sons ne sont pas seulement la réincarnation de cette vieille bête fascinante, que les amateurs nomment sobrement hard blues, ils sont les nouveaux mages chargés de réveiller l’humanité à coup de solos déchirants.

En cette année où le rock semblait perdu, « open my eyes » sonne comme une résurrection, sortant tous les amateurs de musique d’un cauchemar qui n’a que trop duré. Véritablement possédé par un démon hurleur, Jay Buchanan donne de nouvelles lettres de noblesse au chant hard rock.

Enfin non , ce n’est pas un chant , c’est un cri de l’âme , qui semble charrier tout ce que l’humanité compte de passions, dans une orgie sonore qui se fait presque spirituel sur back in the wood et hollow bones. Et puis n’oublions pas la batterie, cœur du hard blues, battant avec une puissance monumentale, comme pour transmettre sa furie rythmique aux autres musiciens.

Eric avait volontairement tiré deux de ses meilleurs cartes dès le premier tour de piste, il fallait littéralement assommer cette foule immense, lui donner du saignant, pour qu’elle arrive exsangue et reconnaissante vers des mélodies plus raffinées.

Le public avait eu droit au tonnerre, il faut désormais lui offrir un crépuscule lumineux.           

               
                                   

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