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lundi 30 décembre 2019

Pink Floyd : The Pipper At The Gate Of Dawn


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Si le blues fut, dans les premières heures, la matière vitale qui permit au rock de libérer la jeunesse des années 50, les sixties s’émanciperont de ce vieux totem libérateur. Certes, les floyds payèrent leur dû au dieu blues, Barett ayant passé ses débuts de musicien en jouant come on des stones.

Sauf que les floyds avaient des horizons bien plus vastes, Water étant d’avantage attiré par le jazz de Mingus que par les tubes de la Motown. Les floyds dès leur début, sont les instruments d’une histoire qui dépassent leurs propres influences, et qui devient légendaire dès l’ouverture de l’UFO. Diminutif de « underground freak out », la salle est l’équivalent anglais de ce camping-car américain conduit par la bande de Ken Kesey.

Dans cette salle, le rock ne célèbre plus la libération de la jeunesse et des corps, mais invite le public à un voyage spirituel, porté par une musique ambitieuse. Responsable des effets scèniques ,Mike Leonard construit une roue faite de cellophane de couleur , et qui tourne devant ses spots, pour créer un décor hypnotique. Le succès est rapide, et après avoir essuyé un refus de la part d’Elektra , le floyd est récupéré par EMI, qui lui offre les services du producteur Norman Smith.

Ce producteur fait partie des hommes de l’ombre auquel on rend trop rarement hommage. C’est pourtant lui qui , déprimé par le conformisme d’artistes se contentant de reproduire le son de la motown , a encouragé les Beatles à s’intéresser aux possibilités offertes par les studios d’enregistrements. Avec le groupe de Syd Barrett , il joue le même rôle modeste, et se  contente de soutenir l’intérêt du groupe pour les techniques de studio , et de l’aider à réaliser les fulgurants délires musicaux de son leader.

Si tous s’accordent pour considérer les sixties comme l’apothéose créative du rock , alors 1967 est son point d’orgue. Coté anglais, les Beatles ont repoussé les possibilités du 33 tours avec revolver , et s’apprêtent à enfoncer le clou avec « sergent pepper ». Les stones ne sont pas en reste, et soumettent les vapeurs psychédéliques à leur groove bluesy sur aftermath et beetween the button.

Côté américain, le prophète Dylan a guidé ses disciples sur le chemin de la folk électrique, blonde on blonde s’affirmant comme l’apothéose lumineuse d’une trilogie indépassable. Ses rejetons les Byrds ont tracé le même chemin, avec une sensibilité plus pop , et leur premier disque est la base raffinée à partir de laquelle des musiciens comme Tom Petty, ou Jackson Brown, baseront une carrière exemplaire.

Et puis le son de San Francisco commence à déployer ses ailes, le jefferson airplane lançant ses plus grands slogans peace and love. Si on admet que le rock fut, en majeure partie , une grande guerre culturelle entre l’amérique et la perfide Albion , alors « the pipper at the gate of dawn » lance la vibrante réponse des anglais aux réveries psychédéliques des américains.

Pierre angulaire du rock progressif, le premier essai du floyd est le chef d’œuvre de Syd Barett , dont les textes issus de la littérature enfantine ou de science fiction posent les bases des rêveries progressives. En studio, le floyd laisse sa spontanéité s’exprimer, polissant son œuvre lors de 50 sessions d’enregistrements, pendant que Norman Smith remet de l’ordre dans ses expérimentations alambiquées.

L’enregistrement ne vise plus à trouver le refrain le plus entraînant, où à balancer à la va vite une ritournelle sensée marquer l’esprit des baby boomers , mais à laisser l’auditeur scotché par la richesse du son produit.

« the pipper and the gate of down » est un voyage introspectif, représentant toute la palette des émotions que Huxley résumait dans « les portes de la perception ». Plus féroce, « astronomy domine » et « interstellar overdrive » inventent le carburant qui permettra à Hawkwind de décoller vers des planètes musicales inexplorées. La basse est déjà jouée comme une guitare, et la musique gronde comme une fusée en plein décollage. Considéré comme la base du space rock , « astronomy domine » montre aussi le pessimisme d’un Barett qui arrive déjà à la fin de son parcours météorique.

Inspiré du générique de la série Batman , « Lucifer Sam » est porté par un riff monstrueux réinventant les codes du blues. Le floyd revient ensuite à la finesse pop célébrée par les Beatles et les beach boys , qu’ils semblent défier avec les mélodies de flaming , ou les chœurs de matilda mother.

Le fait que le groupe de John Lennon enregistre « lovely rita » dans le studio voisin a sans doute influencé l’expérimental pow r toc h, dont les bruitages font clairement penser aux fantaisies beatlesiennes. Le floyd partage aussi cette fascination pour Tolkien, que les beatles tentèrent d’adapter en film dès les années 60, et qui inspire à Barrett le récit enfantin de the gnome.

Tendre poésie portée par la douceur d’une guitare acoustique, tout juste rehaussée ici et là par un clavier qui carillonne tendrement, le titre ouvre une seconde face marquée par les rêveries juvéniles chères à Syd Barett.

On peut voir, dans son texte mystique ou fantastique, la sève virtuose qui nourrira l’arbre progressif, auquel le floyd donne ici ses premières lettres de noblesse. Album fondateur , « the pipper at the gate of dawn » est un voyage foisonnant , annonçant brillamment le passage de la pop classieuse à une musique plus « adulte ».

Elvis libérait les corps, Dylan a libéré les âmes, et le floyd terminait le processus en nourrissant les rêves. Alors qu’attendez-vous pour vous laisser porter ?        
        
    

vendredi 27 décembre 2019

Black Sabbath : Paranoid




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1970 : Le rêve hippie est déjà bien amoché, blessé sérieusement par le chaos d’Altamont , et le retour à la terre de groupe San Franciscain, qui se trouvent une passion pour les rythmes poussiéreux de la country. Le premier album du sabb représentait magnifiquement cette désillusion, le pacifisme avait échoué, et le ton devait désormais se durcir. En une journée , black sabbath a lancé un premier pavé incroyablement puissant, gommant toute trace de rêveries pour entrer dans un cauchemar folklorique.

Ils étaient plus lourds que led zeppelin , plus sombres que n’importe quel groupe , et offraient au public la bande son idéale pour oublier le prog déjà décrié , et le psyché sophistiqué. Cela fait beaucoup , surtout pour un disque enregistré en une journée dans un studio des plus basiques.

Du coté des média , qui ont toujours eu un train de retard , on s’empresse d’accuser le groupe de satanisme , soulignant qu’ils utilisaient à outrance « l’accord du diable ». Cet arrangement fut d’abord qualifié ainsi par les illuminés, pour vomir leur haine du blues.  Avec le sabb, il annonçait une autre voie.

Les musiciens du groupe sont aussi catholiques, et cette propagande ne les laisse pas insensible, poussant Ozzy à porter une croix chrétienne à chacune de ses apparitions. L’agenda du groupe, boosté par les ventes du premier album, est plein, et black sabbath entre dans la sainte trinité du hard rock naissant : led zepp , deep purple , black sabbath.

Le second album sera enregistré en seulement quatre jours, mais le titre est d’abord refusé par le patron du label. Choisi en référence au titre le plus engagé du disque, war pigs aurait pu froisser une Amérique engluée dans son intervention au Vietnam, c’est donc le plus consensuel paranoïd qui est choisi pour représenter le disque.  

Après un premier disque résolument hard blues, malgré une ambiance de fin du monde annonçant l’assaut des disciples du métal morbide, paranoid fait entrer le sabb dans la mêlée des prophètes du riff chromé.

Ce disque est le plus direct, le plus tranchant, et le plus rock du groupe d’ozzy, qui laisse un peu sa noirceur de côté pour riposter aux décharges rythmiques de la secte du pourpre profond. En un seul album, le sabbath noir fait déjà le tour de cette folie en trois accords explosifs qui réunit des groupes aussi divers qu’ACDC , led zeppelin , Aerosmith …

Avec sa guitare sonnant comme une sirène pacifique, war pigs est le seul titre se rapprochant de la solennité du premier album. Prêcheur de l’apocalypse, Ozzy décrit crûment la violence de la guerre et de ses dirigeants « traitant les gens comme un amas de chair et d’os ». On peut y voir un parallèle avec le immigrant song de led zeppelin , qui était lui aussi un titre de transition ouvrant la voie à un nouveau son.

Si le titre du zepp paraissait plus guerrier que le manifeste presque peace and love déclamé par Ozzy , c’est que l’invasion préparée par le groupe est surtout annoncée par sa musique. Sèche et brutale, la batterie de Bill Ward entre dans cette guerre explosive que se livrent les batteurs, depuis que Bonham a redéfini les codes du genre.

Chaque martellement est une explosion annonçant les éruptions électriques balancées par Iommi. Guerrier à six cordes, le moustachu maléfique balance ses plus belles flèches, jouant sur les tempos pour mieux marquer le hard rock au fer rouge.

Le passage le plus culte reste bien sûr Iron Man, riff pesant entretenant ses résonances comme autant de secousses sismiques , pendant qu’Ozzy souligne la profondeur dévastatrice d’une guitare sortie des limbes.

Paranoid est le seul véritable passage du sabb sur les terres de plus en plus fréquentées du hard rock, sa musique n’est pas une introduction , elle dit déjà tout en huit titres. Certes, des titres comme paranoid ou farries were boots semblent déjà hacher le blues avec une violence rythmique irrésistible, mais ce n’est qu’une nouvelle version de cette réactualisation annoncée par led zeppelin sur ses deux premiers album. Le sabb joue d’ailleurs, lui aussi, sur les contrastes, mais ses cassures rythmiques sont plus sèches, comme si la moindre harmonie pouvait casser cette tension qui lui sert de moteur.

Et c’est précisément cette tension , exprimée ici de la façon la plus tranchante , qui ne fera que s’alourdir au fil des mois , obligeant black sabbath à quitter les rives d’un heavy rock dont il avait déjà fait le tour sur ces huit titres monumentaux.                                                                                                                                                                                                                                                             

mercredi 25 décembre 2019

David BOWIE : LODGER (1979)

Formation (principaux musiciens):
David Bowie
Brian Eno
Adrian Belew
Carlos Alomar
Tony Visconti
Dennis Davis
George Murray


Sorti en 1979, et toujours produit par Tony Visconti,« Lodger » marque la fin de la trilogie dite berlinoise.
Mais « Lodger » apparaît toutefois plus comme un album de transition avant « Scary monsters » (dont il est finalement assez proche) car il est assez différent de Low et Heroes (en plus il n'a pas été enregistré à Berlin mais en Suisse).
Globalement bien sur c'est moins expérimental et avant gardiste que ses deux prédécesseurs» (il n'y pas de plages instrumentales), moins créatif, plus « classique » et accessible mais à mon avis injustement légèrement sous côté dans la discographie de Bowie.


Dans l'ensemble il est largement intéressant et réussi ; et on y trouve quelques petites perles pas forcément les plus connus dans la discographie du Thin White Duke.
David Bowie revient aux fondamentaux pop/rock (même si des éléments plus new-wave sont présentes) avec notamment des titres au format plus court.
L'album débute avec « Fantastic voyage 
», presque planant puis « African night flight » et là c'est marrant ce morceau me rappelle certaines ambiances de « Remain in light » des Talking heads...qui ne sortira qu'un an plus tard, le fil rouge entre les deux disques étant bien sur le génial Brian Eno (Bowie a toujours su remarquablement s'entourer au fil de sa carrière et Alomar et Belew aux guitares en sont encore la preuve).

Les titres, comme souvent chez David Bowie, sont d'une grande variété, diversifiés et c'est le cas sur Lodger : des tubes « Boys keep  swinmming», « Look back in anger » (un grand morceau celui-là même si cela reste très classique), quelques expérimentations : le très oriental « Yassassin » (influences qu'on retrouvera aussi sur « Repetition ») et l'excellent « African night flight » » au rythme endiablé, des morceaux de bonne facture qui accrochent : « DJ », « Fantastic voyage » qui rappelle le Bowie du début des années 70's et qui par son ambiance aurait pu figurer sur Ziggy Stardust ou Hunky Dory et « Red Sails » sorte de chevauchée bien entraînante, presque épique.

Seuls les deux derniers titres s'essoufflent un peu, de même que « Move on ».
Mais au delà des compositions ce qui me subjugue toujours en premier chez Bowie c'est la voix, toujours magique, album après album.
Depuis le début des seventies et jusqu'à Scary Monsters Bowie s'est sans cesse renouvelé quasiment album après album changeant de style (et de personnages), devançant les modes. Là bien sur la créativité est moindre, encore qu'un titre comme « African Night Flight» explore un mélange d'influences assez inédits alors, mais il n'empêche l'album tient la route et possède une fois de plus un son qui sort de sentiers battus.
Peut-être un peu moins bon que « Heroes » et que « Scary monsters » (dans des genres différents) mais un album qu'on peut réécouter avec plaisir et qui reste pour moi dans la partie haute de la discographie de Bowie.


Celui-ci a certes fait mieux dans sa longue carrière mais cet album est vraiment chouette et attachant. Pas un disque à réhabiliter non, mais à remettre tout simplement à la lumière et lui donner la visibilité qu'il mérite.



Lou Reed : Magic and Loss


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« La mort soigne notre désir d’être immortel » Proust. Voilà ce qui peut résumer l’état d’esprit de Lou Reed en 1992. Son disque précèdent , song for drella, a été salué par une presse unanime , déjà subjugué par l’excellent New York. Ode à la mémoire de Warhol, le disque montrait un Lou Reed devenu le survivant d’une aventure qui est enfin reconnue et célébrée.

Finies les histoires de deals à 25 dollars , les refrains provocateurs et les hymnes à la décadence, il était sorti de son propre purgatoire, et voulait désormais aider les autres à vivre. Cet objectif peut paraître un peu prétentieux, c’est pourtant la ligne directrice qui mena à la production de ce disque. « Le disque de rock n roll a toujours été un média jouet, je veux en faire autre chose qui peut aider les gens à vivre. »
Tant musicalement que dans sa construction, magic and loss est l’aboutissement de ce que Lou commençait à développer sur « new york » et « song for drella », disque dont la popularité masquera malheureusement cette réussite. A sa sortie, Lou Reed affirmait que l’album parlait de mort et de magie , cette magie émancipée des religions organisées , et qui forme la spiritualité de ceux qui ont été un peu secoués par la vie.

Le concept permet aux chansons de s’enchaîner comme des scènes tristes ou lumineuses , renouant avec ce concept de « film pour l’esprit » qui fit la beauté des plus grandes œuvres Reediennes.

La guitare saturée ouvre le ballet des disparitions regrettées , évoquant rageusement les esprits de ses potes , ce début de voyage se nomme sobrement « dorita ». « what’s good » poursuit donc le chemin endeuillé sur un rythme raffiné et nonchalant où Reed se plaint de « l’injustice de la vie ». Le tempo tout en retenu renoue avec New York , mais ne fait que souligner la véhémence d’un narrateur, qui ne sait comment réagir face à l’injustice de la vie.
« Power and glory » prend la suite sur une note spirituelle, c’est le blues du chanteur conscient de son cancer, mais qui croit en sa survie comme certains croient en dieu. Les complaintes gospel parsèment d’ailleurs son chant parlé , comme des apparition divines perçant les nuages sombres. On saluera au passage le riff d’une rare finesse, qui sublime cette complainte pleine d’espoir.
Puis vient « magician » , ultime manifeste de l’homme voyant l’ombre de la mort planer au-dessus de sa dernière couche. Et, forcément, cette image ne pouvait être illustrée que par le blues, cri de l’homme à terre, et qui devient une danse voodoo fascinante.    
Sword of damocles est sans doute le point d’orgue de ce disque, une complainte face à la fragilité de la vie, où les guitares synthés sonnent comme des violons, rejoignant une contrebasse majestueuse, pour emmener notre esprit au nirvana.

Sur le titre suivant, la musique semble sortir de l’église où Lou assiste à un enterrement , et parle au mort comme  pour refuser cette fin. La batterie profonde pulse comme un cœur, qui finit par s’arrêter, et les arpèges de guitare sont d’une profondeur hypnotique.
Et puis, après s’être placé dans la position du témoin, Lou imagine sa propre mort, dans un « cremation » où il sonne comme un Dylan macabre. Fidèle à la promesse portée par l’album, il se plonge dans un rêve, où il parle à la personne disparue. Il ne cite jamais de nom, préférant laisser l’auditeur placer ses propres souvenirs sur sa mélodie sobre. Sa voix semble sortir d’un trip spirituel, où seules quelques notes de guitare et de basse rehaussent le nuage réconfortant formé par les synthétiseurs.
No chance repart sur un rythme plus enjoué, plus rock et sautillant. Le constat n’est pourtant pas moins sombre et, si Lou semble sorti du deuil, ce n’est que pour constater qu’il n’a pas vu son amie partir, et n’a pas eu « la chance de lui dire au revoir ».

Le deuil s’achève donc et laisse place à la colère face à l’injustice du destin, l’animal de New York retrouvant les rives du rock rugissant sur un « the warrior king » vengeur. Voilà donc notre héros se rêvant en roi guerrier, prêt à botter les fesses des cochonneries ayant mis fin à l’existence de son ami.
Mais, je l’ai déjà dit, Lou n’est plus un rock n roll animal, sa hargne n’est plus l’expression sauvage d’un homme se croyant immortel. Elle est l’intermède entre la tristesse de la mort et la célébration de la bravoure du mourant.
Revenant dans le nuage synthétique parcourant le début du disque, la voix de Lou célèbre désormais le courage de ceux qui se sont battus pour gagner un peu de temps supplémentaire.  Puis la guitare gronde de nouveau, furieux requiem célébrant le combat mené par le héros de « gassed and stocked », dont il ne reste « que quelques photos et souvenirs ». Le titre sonne comme une célébration tribale du combat que vient d’achever le défunt, une sorte de blues sauvage sur un rythme de galère.

Après avoir connu la mort , Lou célèbre désormais une envie de vivre « plus forte que la luxure », sur une rythme orgiaque, porté par un riff doté de la puissance vitale du vrai rock n roll. Le titre se nomme « power and glory II » , et c’est la lumière au bout d’un voyage qui , en dépit des apparences , se révèle résolument optimiste et positif.

Le morceau titre conclut l’album sur ce constat, lâché comme une révélation : L’arrogance est un venin destructeur et la passion est le seul moteur de la vie. Il semble d’ailleurs se parler à lui-même quand il lâche « tu ne peux pas être Shakespeare et Joyce », constat cruel pour celui qui, plus que n’importe qui, a élevé les paroles rock vers des sommets littéraires.

Magic and loss (l’album) est un nouvel aboutissement dans la carrière de Lou Reed , son disque le plus abouti après Berlin. C’est aussi une œuvre qui nécessite qu’on s’y plonge totalement pour en ressentir toute la profondeur, la pièce musicale lumineuse d’un poète ayant atteint le sommet de son art.  
     


dimanche 22 décembre 2019

Lou Reed : New Sensations


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« Le moindre geste humain se comprend à partir de l'avenir; même le réactionnaire est tourné vers l'avenir puisqu'il se soucie de préparer un futur qui soit identique au passé. » Sartre.
Et voilà , je recommence avec mon affrontement entre vieux et nouveaux , immobilisme traditionnel et futilité moderniste. C’est que, en musique, cette séparation me parait absurde, chaque artiste se devant de se nourrir de ce qu’il l’a précédé, pour inscrire son œuvre dans le marbre de la postérité.

Et pourtant, je ne dirais jamais assez de mal des années 80, consécration d’un modernisme devenu fou, triste dépotoir ou les conseillers marketing étouffèrent tout ce que la musique avait de beau. On ne va pas reprendre le récit misérable de cette dystopie pop, elle est déjà assez irritante sur tous ces albums sonnant de la même façon.

Que peut faire Lou Reed à une époque qui crée ses propres œillères ? Comment peut-il survivre alors que la colonne vertébrale de son œuvre est le rock ? Ecoutez bien tous ses disques , du premier album à celui-ci , tous célèbrent ce rythme rugueux qui fit le vrai rock n roll. On exclura juste Berlin , grandiose requiem allant bien plus loin que le simple rock n roll , et la cacophonie metal machine music.

Pour le reste , les preuves de la pureté de ce rocker sont présentes dès les premiers riffs du velvet, et jusqu’au beat irrésistible de « I love you sweet suzanne ». Premier titre de « new sensation » , il choque par son coté commercial , porté par une boite à rythme très présente. Ne vous leurrez pas , Lou n’a pas décidé d’entrer dans la catégorie grandiloquente des clowns funestes que sont devenus Bowie et Springsteen après le succès de Let’s dance et Born In the USA , sans oublier les gesticulations risibles de celui qu’on nomme déjà « king of pop ».

A une époque célébrant l’artificiel et le tapageur, Reed balance un tube simplissime, où la boite à rythme est le cheval de Troie, chargée de faire pénétrer le rock n roll dans une pop corrompue. « I love you suzanne » plonge ses racines dans les disques de la motown , c’est le patron montrant aux jeunes l’essence d’une énergie orgiaque inépuisable.

Lou Reed , c’est Jekyll et Hyde en même temps , la subversion des premiers rock n roll servi par un poète à la prose fascinante. Si la production léchée tourne la page de ses riffs métalliques, si les textes plus apaisés semblent tuer le dandy décadent sous les coups de l’homme mur , pendant que les chœurs emmènent les refrains vers des sommets spirituels, cette sagesse est un leurre.

Lou sait qu’il est désormais le maître d’un navire que tous semblent abandonner et, au fond, new sensation est fait du même bois que ses classiques électriques.

 Rien n’est jamais tout rose dans son esprit , la violence y côtoie le romantisme, au rythme d’un chant parlé, qui ressemble à la réincarnation des grands poètes et romanciers.

L’amour, célébré sur Cosney Island Babie , lui inspire ici une désillusion violente. Cette désillusion qui l’amène à enchaîner les baignes sur le visage délicat de sa bien aimée, le tout chanté sur une mélodie que n’aurait pas renié le Petty des débuts. « I’m sorry » lâche t’il, sur une complainte bien éloignée de la froideur du narrateur de Berlin. « Turn to me » termine la série amère, en assurant qu’il sera toujours le seul vers qui cette femme pourra toujours se tourner, le tout sur un rythme stonien laissant les chœurs gospels transformer le refrain en prière désespérée.

Le morceau titre semble le mettre dans la peau de Marlon Brando dans l’équipée sauvage , ou du captain america d’easy rider. Attaché à sa moto, Lou Reed se rêve en vagabond solitaire, écoutant de la musique country en causant avec les indigènes. C’est l’éternel cri de révolte de celui qui ne se reconnaissent pas dans ces « gens négatifs », et enfourche sa moto comme on prenait autrefois la mer , pour se sentir enfin vivant. Le tout sur fond de rock n roll mélodique.

Mais sa liberté, Reed la trouve surtout dans la culture , saluant Scorcese et le thêatre sur « doin things that we want to ». Là , les chœurs se font plus nerveux , la rythmique plus enjouée , avec toujours ce feeling post stonien, pour célébrer la puissance émancipatrice de ce rock dont Lou est devenu la nouvelle réincarnation.

Puis il a de nouveau le blues , et se désespère de la vie solitaire du chanteur en tournée, lourd tribut d’une gloire qui , pour lui , fut toujours relative. Nommé « what become a legend most » , son rythme de valse pop rappelle « street hassle », la grâce poétique ayant remplacé la violente noirceur de son ancien classique. 

La fascination morbide de l’animal rock n roll n’est jamais loin, et trouve encore une expression vibrante sur « fly to the sun ». La mort ? Il la décrit comme un moyen de fuir la souffrance, affirmant qu’il ne fuirait « ni devant la bombe ni devant l’holocauste », pour « voler jusqu’au soleil ». La mélodie est encore une fois superbe, avec cette voix, qui parle comme celle qui semble vous raconter une histoire, quand vous vous plongez dans un grand roman.

Dans le roman Reedien , le rock n roll n’est jamais loin , comme ses grands espaces chers à Kerouac.  « my friends John » est d’ailleurs le second meilleur rock du disque (juste après I love you suzanne), porté par un beat implacable.

Loin du junkie qu’il fut, high on the city montre un Reed apaisé , à la recherche de plaisirs sains, le tout sur une mélodie désuète, ouvrant la voie à la légèreté entrainante de « down at the arcade ». Ce rêvant en héros de jeu vidéo, Lou achève le disque comme il a commencé, par un rock n roll donnant la fessée à tous ses contemporains.

Aujourd’hui , ceux qui n’ont pas oublié ce disque le regarde de haut , lui reprochant de resservir la même formule sous un vernis eighties. Mais c’est justement la grandeur de ce disque et, alors que le rap et l’électro commence à balancer leurs soupes fades , alors que le heavy metal enchaîne les notes à une vitesse maladive , laissant le groove mourir sous ses mitraillages abrutissant , Reed rappelle que le rock est avant tout une affaire de swing.       


     

vendredi 20 décembre 2019

The Who : Who


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« Hope I die before get old »
Il faudrait demander à Towshend ce qu’il pense de cette phrase aujourd’hui. Quel effet cela lui fait de sortir un nouvel album plusieurs années après la mort de son bassiste et batteur ? Que pense t’il, quand il se remémore ce jeune fou furieux, détruisant guitare et amplis pendant que son batteur dynamitait les amplis ? C’est la question que se pose tout homme passé la cinquantaine : Ai je trahi mes idéaux ? Ne suis-je pas devenu ce que je détestais ? Bref, nous finissons tous par nous demander si nous ne sommes pas devenus des vieux cons.

Les who n’étaient pas seulement le groupe fétiche des mods. C’était , avec les stones , l’incarnation anglaise du rythm n blues. Mais le leur était plus aventureux, expérimental, au point que baba o riley parait encore futuriste quand il est balancé au générique d’une série américaine stupide.

Mais ça sert à quoi un album des who en 2019 ? Suis-je en train de jouer le rôle de crétin nostalgique que les pigistes de rolling stones tiennent déjà, quand ils n’essaient pas de comprendre la politique. Bon, ok, je fais partie des personnes qui se régalent de leurs plumes, quand celle-ci célèbre les vieux roublards. J’ai attrapé la même schizophrénie idéologique que Manœuvre et autres grands reporters rock. Ces gens qui tuent le rock à force de le résumer aux sixties seventies, tout en se désespérant de le voir s’étioler.

On souhaite tous voir une nouvelle vague naître, prendre la relève et éclipser le reste , mais en même temps nous ne sommes pas prêt à lâcher nos héros fatigués. «  Elvis est mort , tant mieux ! Sa grosse bedaine commençait à asphyxier le rock n roll » disait Johnny Rotten, exprimant ainsi une envie saine : Celle de botter le cul de gloires dépassées.

Alors, je devrais me moquer de ce groupe, ne contenant plus que deux membres originaux, dont un à moitié sourd , et qui revendique sa vieillesse dès la pochette. Une affiche de vieux cirque, un dessin de femme semblant sortir des années 50 , Chuck Berry , et Pete Townshend s’inscrivant dans le même tableau . Ce n’est plus du kitsch, c’est du traditionalisme assumé, ou une certaine glorification de la nostalgie.

Et pourtant, ce disque est un petit miracle comme seuls les musiciens de leur génération semblent capable d’en créer. Certes, on ne parlera pas ici de classique, l’époque ne permet plus au groupe de représenter autre chose qu’une période glorieuse du passé, mais on tient tout de même leur meilleur disque depuis quadrophénia.

Il ne faut pas oublier que, déjà avant la mort de Keith Moon, les who étaient morts, éreintés par la magnifique série tommy , who’s next , quadrophenia. L’album suivant, who are you , était un amas de chansons faiblardes , où le synthé noyait la puissance sonore du groupe au lieu de la souligner.

Si who’s next est un classique, ce n’est pas seulement parce que Pete utilisait pour la première fois des claviers modernes, mais parce que ces claviers étaient un moyen de décupler le lyrisme épique de son groupe. C’est ce même lyrisme que l’on retrouve ici, all music must fade donnant l’impression que la grande époque du groupe était hier.

Cette puissance post who’s next brille magnifiquement jusque street song , puis la tension retombe un peu , la ballade I’ll be back sonnant un peu comme du procol harum mollasson. Si cette première ballade annonce clairement une baisse de régime, le groupe a encore assez de savoir-faire pour finir sa course de façon honorable.   

Les titres tels que « break the news » réussissent tout de même à rappeler la beauté de la pop sixties, la production se chargeant de dépoussiérer tout ça. Mais on est désormais plus proche de l’évocation que d’autre chose, le groupe finit par rappeler ce qu’il a été sans vraiment l’égaler. Et, si le souvenir est plaisant, l’exercice est condamné à lasser si le groupe retente l’expérience.
Alors, oui , le dernier who est un disque sympathique et réussi , une petite friandise qui a le charme de ces villes anglaises , où la tradition semble toujours côtoyer la modernité. Townshend a bien fait de résister à son espoir de « mourir avant de devenir vieux ».

                                                            

mercredi 18 décembre 2019

Lou Reed : Take No Prisonner


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Dans une sombre salle new yorkaise, un craquement d’allumette perce dans le silence , comme la lumière au milieu des ténèbres. Détendu comme jamais, plus prétentieux que dans ses heures les plus glorieuses , Lou Reed sait qu’il a atteint le sommet de sa carrière. Ce soir-là , le public lui est acquis d’avance, et les rares personnes conscientes qu’il représente désormais le rock n roll sont réunies, comme si New York attendait le héros qui l’a si bien dépeinte.  

« Excusez-nous du retard nous étions en train de nous accorder ».
Dès cette phrase, le public lui répond par une ovation chaleureuse, un spectateur lui lançant cette ordre féroce « Take no prisonner Lou Reed ».

Et il commence par lancer une pique à Patti Smith, dont le dernier album vient de sortir « It’s not radio Ethiopia , it’s radio brooklin ! », avant de partir sur un sweet jane de plus de six minutes , prétexte à quelques digressions pleines d’auto dérision.

I wanna be black part ensuite dans un free jazz fascinant rappelant ce que Lou Reed déclarait à l’époque : « si tu ne sais jouer ni le rock , ni le jazz, alors mélange les deux ! ». Malgré cette touche d’humour ce passage est impressionnant de virtuosité, une fête spectaculaire réinventant la notion d’orchestre rock. L’orchestre de Lou Reed est plus rock que celui de Zappa, moins théâtral que celui de Springsteen, c’est la chaleur du jazz copulant avec la puissance du pure rock n roll.

Derrière lui, le groupe chauffe comme l’autel d’une célébration païenne, et donne la plus puissante version de satellite of love jamais enregistrée. Portée par des chœurs fervents, et des cuivres chaleureux, cette version transcende la beauté glam de l’original et , quand la guitare succède à l’orchestre le temps d’un solo déchirant, on assiste véritablement à l’assassinat de la suffisance glam. Présent dans le public, Springsteen a du apprécier cette version grandiloquente, qui n’est pas sans rappeler le charme théâtral de ses shows.

Chef d’œuvre du Velvet , « pale blue eyes » n’égale pas la force de la version contenue dans live 1969, mais les chœurs font encore des merveilles, sur ce qui restera un des meilleurs titres écrit par le poète de New York.

Si vous voulez un chef d’œuvre, jetez-vous sur cette version extraordinaire de Berlin. Ce qui, sur disque, était une introduction au disque le plus magnifiquement déprimant que le rock ait porté, devient ici un véritable requiem rock, une symphonie sombre débouchant sur une série de points d’orgues lumineux.

Après s’être laissé aller à la sensibilité sur les trois précédents titres, Lou durcit de nouveau le ton, transformant « waiting for the man » en blues incroyablement tendu. Comme au début du concert, Lou joue avec le public, crachant sur les idoles de cette nouvelle génération (Patti en a pris pour son grade en début de concert) , et improvisant des discours farfelus au milieu d’impros qui étirent ses rythmes, comme Sergio Leone étire ses scènes.

Et puis, enfin, le break rythmique de waiting for my man laisse place à une guitare suivant les cuivres dans un blues urbain et menaçant, entrant ainsi dans un « temporary thing » qui porte merveilleusement son nom. Boogie en deux accords, monument de feeling à une époque où le rock semble le renier, ce titre est un magnifique pied de nez aux surexcités à crête qui prétendent perpétuer le message de Lou.

Contrairement à ce qu’annonce sa pochette, ce disque n’est pas punk, Lou est bien trop fin pour balancer les mêmes braillements niais. D’ailleurs, la seconde partie du live creuse un sillon classieux bien éloigné des glaviots de la bande à Rotten.

Et le voilà reparti dans ses sensibleries , partant dans une version de cosney island babie capable d’hérisser le poil du skinhead le plus endurci. Ce qui était une ballade introspective et philosophique devient une catharsis fiévreuse, un crescendo vibrant porté par la chaleur des cuivres, et la puissance de ses chœurs gospels.

Après le poète , l’animal rock n roll ne tarde pas à refaire surface , introduisant « street hassle » par un solo plein de larsen, avant de lancer ironiquement « c’est comme ça que metal machine music est né ». Lou Reed tient là le meilleur groupe de sa vie, le seul capable de balancer un titre comme street hassle en live, avec autant de justesse et de puissance.

La valse se fait encore plus solennelle, plantant cette histoire glauque dans un décor solennel et fascinant. Avec Reed, la beauté et la violence s’enchaînent, comme les scènes d’un film qui ne peut que mal finir, et la guitare perce la mélodie comme le prêche annonçant la catastrophe. C’est que la figure de Reed a toujours eu quelque chose de christique, et l’humour contenu dans certains de ses monologues a surtout pour effet d’accentuer des envolées, qui réussissent toujours à prendre l’auditeur par surprise.

On regrettera juste que Bruce ne soit pas monté sur scène pour lancer sa déclamation , mais le riff final achève cette fresque de manière grandiose. La longue jam de « walk on the wild side » lui donne ensuite l’occasion de régler ses compte avec son passé , d’exprimer son regret d’avoir mis fin au Velvet , tout en interdisant à son groupe de mettre la moindre émotion dans son plus grand classique.

Ce satelite of love, il le veut froid, distant, comme pour mettre fin à une époque où il n’était pas réellement lui-même. Est-ce parce qu’il sait qu’un tel succès peut le tuer ? Est-ce pour affirmer une liberté à laquelle il tient plus que tout ? Où faut-il y voir un autre rejet de la production que Bowie lui a réservé ?

Ce qui est un des plus grands classiques du rock, il le dépeint comme un bon morceau issu « d’un bouquin stupide sur des infirmes », avant d’envoyer cette délicate attention à ceux qui lui ont donné l’inspiration «  Allez-vous pendre les mecs ». On l’a déjà dit, avec Reed la violence et l’agressivité ne sont jamais loin, mais il est le seul à lancer son fiel avec autant de classe.

La violence de Reed est fascinante comme pouvait l’être celle de Lenny Bruce, c’est le cri de révolte du poète au milieu d’un monde de fous. Et, si le public prend ses insultes avec reconnaissance , c’est parce qu’il a conscience , comme le disait Dustin Hoffman dans le biopic consacré à Lenny Bruce , « d’avoir besoin de ce genre de fous ».

Comédie subversive, concerto rock, poésie décadente, « take no prisonner » est tout cela est bien plus encore. C’est le plus grand live de celui qui voulait être « le Dostoïevski du rock ». Et quand « leave me alone » clôt la céremonie sur une fureur proto metal asphyxiante, elle laisse l’auditeur assommé par une œuvre unique , une réinvention vibrante de ce que doit être un live rock.