Si le blues fut, dans les premières heures, la matière
vitale qui permit au rock de libérer la jeunesse des années 50, les sixties s’émanciperont
de ce vieux totem libérateur. Certes, les floyds payèrent leur dû au dieu blues,
Barett ayant passé ses débuts de musicien en jouant come on des stones.
Sauf que les floyds avaient des horizons bien plus vastes,
Water étant d’avantage attiré par le jazz de Mingus que par les tubes de la
Motown. Les floyds dès leur début, sont les instruments d’une histoire qui
dépassent leurs propres influences, et qui devient légendaire dès l’ouverture
de l’UFO. Diminutif de « underground freak out », la salle est l’équivalent
anglais de ce camping-car américain conduit par la bande de Ken Kesey.
Dans cette salle, le rock ne célèbre plus la libération
de la jeunesse et des corps, mais invite le public à un voyage spirituel,
porté par une musique ambitieuse. Responsable des effets scèniques ,Mike
Leonard construit une roue faite de cellophane de couleur , et qui tourne
devant ses spots, pour créer un décor hypnotique. Le succès est rapide, et
après avoir essuyé un refus de la part d’Elektra , le floyd est récupéré par
EMI, qui lui offre les services du producteur Norman Smith.
Ce producteur fait partie des hommes de l’ombre auquel on
rend trop rarement hommage. C’est pourtant lui qui , déprimé par le conformisme
d’artistes se contentant de reproduire le son de la motown , a encouragé les Beatles
à s’intéresser aux possibilités offertes par les studios d’enregistrements.
Avec le groupe de Syd Barrett , il joue le même rôle modeste, et se contente de soutenir l’intérêt du groupe pour
les techniques de studio , et de l’aider à réaliser les fulgurants délires
musicaux de son leader.
Si tous s’accordent pour considérer les sixties comme l’apothéose
créative du rock , alors 1967 est son point d’orgue. Coté anglais, les Beatles
ont repoussé les possibilités du 33 tours avec revolver , et s’apprêtent à
enfoncer le clou avec « sergent pepper ». Les stones ne sont pas en reste,
et soumettent les vapeurs psychédéliques à leur groove bluesy sur aftermath et
beetween the button.
Côté américain, le prophète Dylan a guidé ses disciples
sur le chemin de la folk électrique, blonde on blonde s’affirmant comme l’apothéose
lumineuse d’une trilogie indépassable. Ses rejetons les Byrds ont tracé le même
chemin, avec une sensibilité plus pop , et leur premier disque est la base
raffinée à partir de laquelle des musiciens comme Tom Petty, ou Jackson Brown,
baseront une carrière exemplaire.
Et puis le son de San Francisco commence à déployer ses ailes,
le jefferson airplane lançant ses plus grands slogans peace and love. Si on
admet que le rock fut, en majeure partie , une grande guerre culturelle entre l’amérique
et la perfide Albion , alors « the pipper at the gate of dawn » lance
la vibrante réponse des anglais aux réveries psychédéliques des américains.
Pierre angulaire du rock progressif, le premier essai du
floyd est le chef d’œuvre de Syd Barett , dont les textes issus de la littérature
enfantine ou de science fiction posent les bases des rêveries progressives. En
studio, le floyd laisse sa spontanéité s’exprimer, polissant son œuvre lors de
50 sessions d’enregistrements, pendant que Norman Smith remet de l’ordre dans
ses expérimentations alambiquées.
L’enregistrement ne vise plus à trouver le refrain le
plus entraînant, où à balancer à la va vite une ritournelle sensée marquer l’esprit
des baby boomers , mais à laisser l’auditeur scotché par la richesse du son
produit.
« the pipper and the gate of down » est un
voyage introspectif, représentant toute la palette des émotions que Huxley
résumait dans « les portes de la perception ». Plus féroce, « astronomy domine » et « interstellar overdrive » inventent le carburant
qui permettra à Hawkwind de décoller vers des planètes musicales inexplorées.
La basse est déjà jouée comme une guitare, et la musique gronde comme une fusée
en plein décollage. Considéré comme la base du space rock , « astronomy
domine » montre aussi le pessimisme d’un Barett qui arrive déjà à la fin
de son parcours météorique.
Inspiré du générique de la série Batman , « Lucifer
Sam » est porté par un riff monstrueux réinventant les codes du blues. Le
floyd revient ensuite à la finesse pop célébrée par les Beatles et les beach
boys , qu’ils semblent défier avec les mélodies de flaming , ou les chœurs de
matilda mother.
Le fait que le groupe de John Lennon enregistre « lovely
rita » dans le studio voisin a sans doute influencé l’expérimental pow r
toc h, dont les bruitages font clairement penser aux fantaisies beatlesiennes.
Le floyd partage aussi cette fascination pour Tolkien, que les beatles
tentèrent d’adapter en film dès les années 60, et qui inspire à Barrett le
récit enfantin de the gnome.
Tendre poésie portée par la douceur d’une guitare acoustique,
tout juste rehaussée ici et là par un clavier qui carillonne tendrement, le
titre ouvre une seconde face marquée par les rêveries juvéniles chères à Syd
Barett.
On peut voir, dans son texte mystique ou fantastique, la
sève virtuose qui nourrira l’arbre progressif, auquel le floyd donne ici ses
premières lettres de noblesse. Album fondateur , « the pipper at the gate
of dawn » est un voyage foisonnant , annonçant brillamment le passage de
la pop classieuse à une musique plus « adulte ».
Elvis libérait les corps, Dylan a libéré les âmes, et le
floyd terminait le processus en nourrissant les rêves. Alors qu’attendez-vous
pour vous laisser porter ?