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mercredi 3 mars 2021

ROLLING STONES : Gimme Shelter


Attention cette chronique ne s’adresse pas aux fans des Stones mais s’adresse aux jeunes générations, à ceux qui ne connaissent pas les Rolling Stones ou alors uniquement de nom. Pour vous qui lisez Rock In Progress régulièrement cela semble impossible…!!
Et pourtant certains jeunes – et parfois moins jeunes - ne connaissent pas les Stones ou alors de façon très vague et superficiel à travers deux ou trois morceaux !
On ne devrait plus à avoir à présenter les Rolling Stones, l’un des cinq plus grands groupes de l’Histoire du Rock, celui qui, avec d’autres, a fait le lien entre blues et rock, celui a marqué les années 60 et 70 de son empreinte et qui a sorti des classiques « immortels » à la pelle.

Cette compilation "Gimme shelter" sort au moment où le groupe est à son apogée, à son zénith et vit son âge d’or ; malgré le désastre du concert d’Altamount il est sommet de sa gloire.
Mais l’année 69 a été une année charnière avec le drame d’Altamount en décembre, méga concert qui devait concurrencer Woodstock dont les Stones avaient été absents et qui vire au cauchemar avec quatre morts provoqués par les Hell’s angels du service d’ordre, drame marquant la fin d’une époque d'utopie et qui suit également le décès du guitariste Brian Jones en juin de cette même année. 1969 laissera donc des traces et malgré encore quelques bons albums le groupe ne s’en remettre jamais totalement.

Pour en revenir au disque « Gimme shelter » comporte deux parties : une partie live avec des titres issus d’enregistrements de concerts datant de 1966, comprenant des tubes de la première période du groupe, l’autre studio sorte de "best of" des années 68/69 parfait donc pour ceux qui ne connaissent les groupes car en gros tous les standards de la période 64-69 y sont.
Mais si « Gimme shelter » est juste une compilation ce disque a pour moi une saveur toute spéciale, une place à part car c'est par lui, au début des années 80, que j'ai découvert les Stones et ses « tubes » de la fin des années 60 d'où le lien assez fort qui me lie à cet album (bon je dois avouer que si je suis plus Stones que Beatles les Who m’ont toujours davantage enthousiasmé !).

Donc je confirme que c'est l'album parfait pour découvrir le groupe à travers ses principaux « classiques » de la première partie de sa carrière, et de fait la plus intéressante (« Jumping jack flash », « Honky tonk woman », « Sympathy for the devil », « Gimme shelter » et bien sûr « Satisfaction » qui figure ici en live...) et le moins connu mais aussi excellent « Under my thumb » ; sont présentes également quatre belles ballades, qui sont parfois des reprises : « Lady Jane » et surtout « Time is on my side » (j'ai une tendresse particulière pour ce morceau) sans oublier « I’ve been lovin’ you too long » et « Love in vain » ce dernier plus blues.

Les deux faces sont donc complémentaires et on a donc une bonne vision de la période 64-69 du groupe, sans doute la meilleure. Ne manque en fait que "Paint it, black"
Pas un album phare ni vraiment indispensable, notamment pour les fans les plus « puristes » mais un bon disque pour qui ne connaît pas ou peu les Rolling Stones et veut découvrir à travers un « best of » plus accessible.
Sinon bien sûr mieux vaut directement se plonger dans « Sticky fingers », « Beggars banquet » « Aftermath » ou « Exile on main st » .

Muddy Waters : Electric Mudd



L’histoire du vieux Mudd est d’abord celle d’un visionnaire maudit. Enfant du Delta , il a plaqué ses premiers riffs en imitant le blues agressif de Robert Johnson. On pourrait aussi écrire des livres entiers sur le grand Robert Jonhson , roi des chanteurs de blues du delta . La virulence de son jeu inquiétait la bonne société, les grenouilles de bénitier considérant le blues comme la musique du diable. Du coté des admirateurs de Johnson, on avait tendance à croire que ses dons lui furent légués par le malin en échange de son âme. Cette légende ne faisait qu’augmenter la fascination que le mystérieux Robert exerçait sur tous les musiciens blues. Encore aujourd’hui beaucoup pensent qu’il serait devenu le roi du monde , si une bouteille d’alcool de contrebande n’avait pas eu raison de sa légendaire carcasse.

Ecoutez Dust my broom , tout vient de là , de ces lamentations désespérées ponctuant un swing cinglant. Si Muddy a fait ses premières armes sur les rives du Mississipi , où il enregistre un premier titre sous la houlette de Alan Lomax, c’est à Chicago que le grand mudd s’épanouit. là, entre les prostituées et les gangsters, sa guitare sèche ne suffit plus à faire entendre ses déclamations viriles. Alors il abandonne sa gratte de troubadour, et se procure une guitare électrique et un ampli. Ce jour-là, l’histoire du blues a pris un tournant décisif, qui se confirma quelques jours plus tard.

Nous étions au début des années 50 , et Mudd tapait le bœuf avec d’autres futures icones du Chicago blues. Un soir, alors que le saint mojo s’épanouissait à travers le swing irrégulier de Muddy, hurlait toute sa puissance virile grâce à la voie d’Howlin Wolf , un type a proposé de rejoindre l’improvisation. Il s’agissait d’un grand noir aux cheveux gominés, son sourire charmeur donnant l’impression qu’il cherchait à vous vendre une voiture.

Si il jouait un peu vite, le jeune Chuck Berry poursuivait la voie du blues urbain tracée par ses pères du Chicago blues. Après deux auditions infructueuses, Muddy était enfin parvenu à signer un contrat avec le label Chess , et il embarqua le jeune Chuck lors de quelques concerts devenus légendaires. Le show business est un monde de requin, et Mudd était trop gentil pour défendre égoïstement son succès. Il incitât donc son label à signer un contrat avec son petit protégé, et ce fut le début de la fin.   

Avec ses boogie blues en trois accords, Chuck Berry inventait le rock n roll, fils parricide du blues. Tous les gamins se sont alors jetés sur cette énergie primaire. La génération de Muddy a ouvert les portes du blues électrique, et tous les rockers s’y sont engouffrés en les laissant sur le palier. Si des groupes tels que les Rolling Stones devaient leurs noms à une de ses chansons, si Eric Clapton, Paul Butterfield et autres blues rockers l’admiraient, le vieux Mudd n’a jamais vendu autant que ceux qui l’ont pillé.                               

Ce n’est pas pour rien que, sur le légendaire get yer ya ya’s out , les stones préféraient reprendre un titre de Chuck Berry plutôt que l’un des siens. Les rockers jouaient trop vite pour atteindre le charisme suave du grand Mudd , à quoi bon essayer de le maitriser quand sa version simplifiée faisait un tabac. Mudd, comme ses contemporains dépassés, était un artiste que sa maison de disques gardait pour le prestige, une caution artistique sensée soigner son image de marque.

Sauf que, à l’heure où Cream avait réussi à vendre sa reprise de spoonfull par palettes , les responsables du label chess ne supportaient plus d’entretenir de vieux bluesmen has been. Si ceux-ci ne se mettaient pas rapidement à la page, leur label se verrait dans l’obligation de les renvoyer dans les bars malfamés de Chicago.

Pour aider le vieux Mudd , on lui offrit les service de jeunes loups initiés à la puissance acid rock moderne. Avec ces gamins , Muddy plonge son mojo viril dans un bain acide , les distorsions agressives amplifient la puissance de ses déclamations libidineuses.  I just want to make love to you fait passer le Butterfield blues band pour un groupe de fillettes , les riffs les plus lourds flirtent avec les éruptions acides de Blue cheers. Cette débauche d’électricité n’est qu’un vernis et, quand on commence à voir au-delà de ce rideau électrique, on est saisi par la puissance de ces rythmes, qui s’accélèrent et ralentissent suavement.     

Ce boom boom irrégulier, le rock l’a toujours eu dans le sang, mais il n’a jamais su en reproduire toute la richesse. Les gesticulations de ses musiciens psyché permettaient simplement à Muddy de récupérer son dû, de ramener la nation rock à l’essence de sa musique.

Après avoir permis à sa descendance de rouler sur l’or , le vieux Mudd avait bien droit à sa part du magot.  Le succès de electric mudd lui permet de récupérer son dû, tout en imposant sournoisement le mojo que personne ne put reproduire à l’identique.

Renaissance : Renaissance

 


Keith Relf a vu défiler tous les chamboulements de ces swinguantes sixties. C’est lui qui , en 1963, a fondé les yardbirds , groupe plus connu pour sa succession de musiciens légendaires que pour son œuvre. A ses débuts , le groupe faisait swinguer toute l’Angleterre , côtoyant les Who , des Kinks pas encore embarqués dans leur grande aventure pop , et admirant les Stones. Le groupe de Mick Jagger était le symbole du rythm n blues , cette grande récupération du blues américain qui fait swinguer Londres. Les Stones étaient les guides ultimes de la vague rythm n blues british , le modèle que tous voulaient dépasser. Alors, certes, aucun groupe du pays ne parviendra à reprendre les vieux tubes d’Howlin Wolf ou Muddy Waters avec autant de justesse , mais les Yardbirds préféraient annoncer l’avenir que répéter le passé.

D’ailleurs, le groupe de Keith Relf avait pour guitariste l’anti Keith Richard parfait , un massacreur de manche qui aurait fait passé BB King pour un musicien austère.  Avec ses solos bavards , Clapton annonçait ce que serait le guitar héro quelques années plus tard . Les groupes devenaient alors des faire-valoir pour solistes virtuoses. L’histoire retiendra que c’est Hendrix qui initia cette révolution, mais Clapton l’avait prédit dès son arrivée chez les Yardbirds.

Et puis le swing a changé de forme, s’étirant et se déformant sous l’influence de Beatles ouvrant la voie du psychédélisme. Comment continuer à jouer les éternels standards du Mississipi blues, alors que le groupe de McCartney conquérait le monde, avec une pop de plus en plus sophistiquée. Les Yardbirds ont donc écrit leur « Love me do » en sortant « for your love ». Le succès fut instantané, et les Yardbirds entraient dans la grande lutte opposant les plus grands songwritters anglais. Cette lutte, Clapton ne l’acceptait pas. Pour lui le blues était un dogme, un sacerdoce, et une telle guimauve sonnait pour lui comme un blasphème.

Slowhand a donc quitté le groupe qui le fit naître, et c’est à partir de là que tout a commencé à partir en vrille. Pour le remplacer, les Yardbirds choisirent Jeff Beck, qui poursuivit d’abord le virage pop initié juste avant son arrivée. En prenant de l’assurance, Beck va progressivement recentrer le groupe sur un hard blues annonçant les futures bombes électriques de Led Zeppelin et autres Deep purple. Un seul disque rendra justice à cette période mythique, Roger the Enginer, crise de nerf heavy blues d’un groupe au bord du précipice.

Les Yardbirds étaient devenus trop énormes pour survivre et , quand Jimmy Page vint croiser le fer avec Beck , les égos des deux guitaristes firent rapidement exploser le groupe. Keith Relf claqua la porte en 1968, quelques mois avant que Page ne fasse des Yardbirds le prototype de ce qui deviendra Led Zeppelin.

Keith embarque alors Jim Maccarthy , autre ex taulier de son ancien groupe , avec qui il enregistre le premier album de Renaissance. Sorti en 1969, ce disque est, avec le premier album de Colosseum , et le In the court of the crimson king de King Crimson , un des actes de naissance du rock progressif. Ces albums montrent une scène anglaise qui ne veut déjà plus reproduire pieusement les lamentations bluesy de ses modèles américains. C’est encore les Beatles qui montrèrent la voie, le big band « a day in the life » donnant vie à une nouvelle galaxie rock.

En suivant ce modèle, les Moody blues écriront night in white satin , Procol Harum composera a whiter shade of pale. Les rockers anglais commençaient à rêver de symphonie rock , mais personne n’avait encore réussi à maintenir cette fusion sur tout un disque.

Renaissance (l’album) est donc le premier à y parvenir, le rock et la musique baroque accouchant ici d’une beauté aussi inédite qu’envoutante. En introduction, les notes de piano se déversent en un torrent lumineux, dont la batterie vient rapidement secouer l’écoulement limpide. S’ouvre alors une valse énergique et raffinée , un boogie symphonique bientôt propulsé au paradis par un refrain mystique. Des déesses inconnues psalmodient gracieusement sur une mélodie de piano , le rythme s’accélère sans s’emballer , s’intensifie sans perturber l’harmonie de la mélodie.

Kings and queens est une des rares fresques que l’on peut réellement qualifier d’opéra rock , une pièce épique où le chant a la grandiloquence stupéfiante des grandes cantatrices. Ce niveau de symbiose entre l’immédiateté de la pop et la beauté grave de musique jugée plus « sérieuse » sera rarement égalé par la suite. Après avoir déroulé une telle palette, Renaissance n’a plus qu’à agrandir son paysage en suivant le même modèle. Sur le bien nommé innocence, le groupe montre que le rock est toujours là, enlacé dans les draps somptueux de son charisme virtuose.

Island est plus mélancolique, les arpèges de guitares suffisant à habiller le chant  hypnotisant de Jane Relf, dont la voix de sirène peut faire rougir les plus belles naïades Californiennes.

A la sortie du premier album de Renaissance, les critiques commencent à se déchirer autour de ces questions : Est-ce encore du rock ?

Cette musique ne va-t-elle pas trop loin ?

Et bien oui, on peut encore appeler ça du rock, il s’agit même de la plus brillante réponse des anglais à la domination américaine. Les groupes américains capables d’atteindre un tel niveau de raffinement pop se comptent , encore aujourd’hui , sur les doigts d’une main de yakuza erratique.

Avec ce premier album, Renaissance achève le travail d’émancipation entamé avec les premiers tubes de son ancien groupe. Pop baroque, rock symphonique, ce disque pose la première pierre d’un rock qui ne cessera ensuite de vampiriser les musiques l’ayant précédées. La grande aventure du rock progressif démarre aussi avec ce disque trop méconnu, porte dorée s’ouvrant sur un monde merveilleux.             

samedi 27 février 2021

Beach boys : Pet sound


Nous sommes en 1965 et la pop est au sommet de sa popularité. Elle permet à la génération du baby-boom d’enterrer le souvenir de la seconde guerre mondiale, tout en oubliant la troisième, qui semble pouvoir survenir à tout moment. A l’heure où le rock a conquis le monde, la rivalité entre deux groupes occupe tous les esprits. Je ne parle pas de l’éternel cliché Beatles Stones , coup de publicité génial que tout le monde a pris trop au sérieux.

Les Stones et les Beatles n’ont jamais été rivaux, ils se concertaient d’ailleurs pour éviter de sortir leurs albums en même temps. Ils représentaient plutôt les deux faces du rock anglais , les Stones symbolisant sa réinvention du blues ricain, pendant que les Beatles portait le drapeau du progressisme anglais. Et puis, jusque 1966, les Beatles étaient au-dessus de toute concurrence. Depuis leur arrivée aux Etats Unis, en 1964, ils colonisent les charts américains sans qu’aucun groupe local ne puisse les renvoyer au pays.

Seule exception, les Beach boys ont su conquérir le cœur d’une jeunesse hédoniste. Sur toutes les radios du pays du rock n roll, leurs hommages à la chaleur du soleil Californien et à la beauté des gourgandines locales tournent en boucle. Mélange de doo woop et de rythm n blues , le tout servi par des chœurs à faire rougir le groupe de Paul Mccartney , leur surf music est le big bang qui donnera naissance au California sound.

La grande question des sixties n’est donc pas : Etes-vous plutôt Stones ou Beatles ? Mais êtes-vous plutôt Beatles ou Beach boys ? 1965 est aussi l’année où les Beatles enclenchent une évolution majeure pour la pop. Le groupe vient alors de sortir Rubber Soul , disque où ils commencent à écrire des mélodies plus aventureuses , et font entrer des instruments tels que le sitar et clavecin dans leur rock avant gardiste. Mais surtout, un soin particulier est apporté à chaque titre de l’album , dont les chansons défilent avec une fluidité incroyable pour l’époque.

Dans son studio , Brian Wilson écoute le dernier exploit de ses rivaux avec admiration. Il comprend vite que le duo Lennon Mccartney vient de monter le niveau d’un cran. Pour rester au sommet, il ne suffit plus de créer une mélodie entêtante, il faut désormais construire une œuvre. Ce virage tombe bien,  Brian Wilson vient justement d’arrêter les tournées. Effrayé par les voyages en avion, le petit gros du groupe ne pouvait plus décoller. Disposant de chanteurs assez doués pour se passer de sa voix, les autres membres acceptent qu’il se contente de composer les chansons.

Isolé dans son studio, notre Mozart pop écrit 13 partitions, qu’il fait jouer par une série de soixante musiciens. Ses textes ont grandi en même temps que sa musique, leur mélancolie exprime désormais le difficile passage de l’enfance à l’âge adulte. Pour emballer sa pop introspective et symphonique, Brian Wilson reproduit les échos grandiloquents inventés par Phil Spector. Dans cette grotte merveilleuse, une puissante frappe de batterie nous ouvre les portes d’une pop exigeante, d’une musique populaire élevée au rang d’art majeur.

« La pop est la musique classique du 20e siècle » disait Paul Mccartney, il ne pouvait pas deviner que ses rivaux seraient les premiers à lui donner raison. Pour alléger un peu la gravité de son œuvre, Brian Wilson la ponctue de bruitages divers, mirages sonores symbolisant des souvenirs en train de s’effacer. Bruit de sonnette, cris d’animaux , tous ces sons forment  les rivages déjà lointains de l’enfance.

Mccartney lui-même écoutait en boucle ce Pet Sound , ému au larme par sa poésie symphonique. Parmi tous les joyaux du disque, Mccartney retiendra surtout god only know , qui reste selon lui la plus grande chanson pop de tous les temps.

Tout est parfait sur Pet sound , de la grâce de sa pop baroque à la beauté poignante de ses chœurs somptueux. Chaque titre est un diamant taillé avec la finesse du plus grand joaillier de la musique, une grotte d’ali baba où les ritournelles s’épanouissent dans des échos divins.

Cet exploit est d’autant plus exceptionnel, que même son auteur ne parviendra jamais à le reproduire. A sa sortie, pet sound ne se vend pas, les américains n’étant pas prêts à abandonner leur insouciance pour cette symphonie introspective. Brian Wilson n’accepte pas cet échec, et tente de dépasser son chef d’œuvre incompris. Les heures qu’il passe en studio le rendent à moitié fou, et son génie étouffe sous ses ambitions démesurées. Son label met finalement fin à son calvaire en publiant les quelques bandes utilisable sous le titre « smile ».

Les amateur de pop ne cesseront d’écouter cette œuvre inachevée, cherchant dans ce brouillon quelques traces du génie de son auteur. La version définitive, Brian Wilson la sortira finalement en 2004, sans ses garçons de plage. Malheureusement, le résultat n’est pas à la hauteur des attentes, prouvant ainsi que Brian avait mis toute son énergie dans Pet sound.,

Entre temps , les Beatles se seront inspirés de sa pièce montée pour bâtir le monumental sergent pepper, disque qui les place définitivement au-dessus de toute concurrence. L’histoire retiendra finalement que le rock est devenu mature grâce à la symphonie d’un petit gros génial. Encore aujourd’hui, Pet sound est un disque dont la beauté fascine, une perfection qui semble dépasser le cadre de la pop.

Les vieilles formules sont une prison étroite, dont le rock post Pet sound ne cessera de s’échapper.        


mardi 23 février 2021

 Big Brother and the holding company (Janis Joplin) 1968 : CHEAP THRILLS


H
Chronique littéraire

- « Comment tu te sens mon joli sucre d’orge ? Tu es bien allongée, tu as besoin de quelque chose ma toute petite et jolie fille ? 

Janis était alanguie sur le sofa, t-shirt jaune informe, colliers empilés, pattes d’eph, sandales envolées...Il était tard, la journée passée à voyager avait été longue et demain il faudrait trouver du temps entre les premiers gigs pour répéter un peu et se chauffer la voix avec les amis du Big Brother and the Holding Company. 

- Ah, tu es là, je ne t’avais pas vu venir ! J’aime quand tu me dis des choses douces, ça me berce, la solitude s’envole, le calme s’installe. C’est bon de te savoir tout près ! Elle se mit à crier : Dimanche, dimanche, DIMANCHE ! Comment je serai dimanche ? Dis moi H, toi qui sais tout ?
- Ma petite Pearl dimanche sera ton jour, celui de la révélation, de la consécration. Tu vas les capter tous, les laisser bouche bée, ils vont réaliser l'immensité de ton talent ! Bientôt il seront tous à tes pieds, tu seras leur Mama Cosmique. Tu vas les libérer, leur proposer une autre vision, une possibilité de s ’échapper...un peu...Tu sais tout ça c’est un peu grâce à moi, tout ce cirque électrique cette « Purple Haze ». Que serait le rOCk psychédélique sans moi ? Que serait l’acid rOck, le trip roCk, le fix rocK, le LSD RoCk, appelle le comme tu veux moi j’appelle ça le H rOcK !
- Humm ! Oui ça sonne plutôt pas mal. Ça me donne même une idée de titre d’album...mon premier album s’appellera Sexe, Drogue et Plaisirs bon marché (Sex Dope and Cheap Thrills). Fantastique…! Dis, donne moi donc ce qui me fais envie, mon joli, tu sais bien ce que je veux, Baby, baby, baby...allez donne le moi, je veux partir un moment, emporte moi sur tes ailes.

H se rapproche de Janis et avec une douceur infinie il passe une main dans ses cheveux caressant celle qui n’est qu’une petite fille de 24 ans. Il s’assied ensuite sur la table basse devant le sofa baise un pied de sa protégée et commence la préparation.

- H ? 
- Oui chérie !
- Tu vas me faire l’amour ? 
- Tu veux ?
- Bien sur que je veux ! Qui n’a pas envie d’amour sur cette Terre ? Qui peut survivre à une vie sans amour ? 
- Tes veines sont si petites mon bébé elles sont comme un fil d’Ariane vers le bonheur. Détends-toi amour donne-moi ton bras je ne veux plus te piquer le pied, tu as fait une infection la dernière fois. Je n’aime pas te voir souffrir. Ne t’inquiète pas je vais trouver…

Janis pousse un long soupir, laisse sa tête partir en arrière. Elle regarde le plafond qui se tord, la pièce tout entière qui se distend et se contracte un peu comme si elle respirait et puis tout se met à bouger, à tourner, c’est une valse lente. Alors elle sent son amant s’introduire en elle au plus profond de son esprit, il la pénètre si profondément qu’il lui semble que son corps enfle et va éclater.

Monterey en Californie, Dimanche 18 juin 1967,  Big Brother and the Holding Company dont la réputation dépasse à peine la baie de San Francisco vient de terminer sa prestation.

- Comment as-tu fait ? C’était juste d’une intensité folle, dit Mama Cass une des chanteuses du « Mamas and the Papas ». Tu m’as retournée c’était si fort ! Tout le Monde était sidéré. Tu as même impressionné Otis !
- Oh tu as trouvé, je suis si contente. Tu as vu Otis samedi ? Quelle claque aussi, il est juste waw… irréel…
- Oui tu as chanté comme lui… Pourtant tu es blanche, juste une petite femme mais ta voix est si noire si spéciale... 
- Je crois que je me sens vraiment proche de la musique tu sais, de cette vibration Rythm’n Blues telle que la délivre Otis Redding. J’espère aller haut, très haut…

4 octobre 1970, une chambre d’hôtel banale, du genre qui accentue la solitude et le sentiment d’être perdu dans un Monde dur, un Monde sans pitié, un manège qui broie les âmes égarées celles qui n’ont pas la chance d’avoir un ami ou une amie proche, une famille qui s’intéresse à ton sort et qui te permet de résister aux assauts de la déprime, de l’angoisse.

- H, je suis vraiment fatiguée tu sais, Baby baby baby j’ai recours à toi de plus en plus ces temps ci, je ne sais pas si je peux continuer comme ça, je me vois morte, je crois que j’ai envie de dormir vraiment. Jimi n’a pas résisté il est parti il y a seulement une vingtaine de jours et je me sens si mal, si seule...Je t’en prie H, mon amour prépare moi pour un petit voyage, je veux me sentir bien, je veux renaitre, je veux…
- Douceur, Jimi savait, Jimi voulait, le cirque l’a épuisé, il était tellement fatigué, tellement stressé, tellement en dehors des réalités. Tu sais, je le vois encore de temps en temps, il est mieux maintenant. Et puis les gens, les autres, tes amis, ta famille, ils n’ont pas su lire en toi, ils n’ont pas pris la mesure, ils n’ont pas vu l’importance de la déchirure qui est en toi Janis et qui fait que tu es un être à part. Tu es si belle si forte et si faible à la fois comme un petit oiseau tu aspires à t’envoler mais tes ailes sont si fragiles...Détends toi ma si jolie petite fille je vais m’occuper de ça…

Quand la seringue finit par trouver une veine à peu près indemne et mordit dans son bras Janis sut que c’était la dernière fois. Elle n’était pas inquiète, non, c'était une pulsion si forte. Esseulée, épuisée, vaincue elle était incapable d'y résister.

- H, mon amour, je veux que tu me prennes en toi, que tu m’emportes loin.

Alors le corps de H commença à grandir. Janis regardait comme hypnotisée la transformation. Bientôt la tête de H atteignit le plafond de la chambre, la pièce était devenu si petite. Les murs commencèrent à s’estomper. La chambre, l'hôtel, la ville, l'espace plein se désagrégeaient et bientôt tout ce qui était tangible disparu. Du vide, il n’y avait plus que du vide, le vide et H, un H gigantesque. Délicatement avec la main gauche devenue immense il prit sa douce et tendre petite fille, les phalanges resserrées formaient un berceau, un cocon pour l’enfant qui souriait. Très doucement il la couvrit de la main droite puis il pressa, pressa, pressa jusqu’à ce que Janis ne soit plus rien. Alors dans une brume violette à son tour il disparu.

The Beatles 1969 : Abbey road


THIS IS THE END

Le groupe en 1966 est à son zénith c'est l’époque de "Revolver". La période qui suit, importante dans l’histoire du rock, l'est particulièrement pour la carrière des Beatles.

En pleine vague psychédélique où pas mal d'errements sont pardonnés voire adulés le Beatles déroule sa Pop mélodique - les Beatles ont-ils jamais été ROcK ? - qui prend de plus en plus une tournure expérimentale.

Les albums excellents s'enchainent chacun affichant une facette du talent des "4 garçons dans le vent". Il y font montre d'une écriture stupéfiante bonifiée par les trouvailles sonores du prolifique George Martin arrangeur de génie qu'on surnommera le cinquième Beatles. "Sergent Pepper lonely hearts club band" et bien sur le moins cité et pourtant un des meilleurs albums "Magical mystery tour" ou encore l'outrecuidant "Album blanc" qui aurait pu faire un simple génial sont les prolongements de cette recherche innovante.

Les "Fab four" sont donc au sommet de leur art et reconnus par tous comme un pilier des musiques actuelles, le mètre étalon Pop ROck ! 


**« Aujourd'hui, nous sommes plus populaires que Jésus »** 


ira jusqu'à dire John Lennon. Cette phrase au vu de la notoriété du groupe et qui passerait inaperçu à notre époque vaudra pas mal d'ennuis au 4 de Liverpool et à son auteur. Leurs disques seront brûlés en public par des foules d'anciens fans aux Etats Unis. Ils seront Interdits de diffusion radiophonique en Afrique du Sud et au Mexique. À l'approche d'une tournée aux États-Unis, des menaces d'assassinat seront adressées à Lennon et au groupe en général, notamment de la part du "fucking" Ku Klux Klan.

C'est donc dans un climat boursouflé d'ego où se profile le départ de John Lennon, de disputes internes et d'isolement (chacun composant un peu dans son coin)  qu'arrive Abbey Road et si nos quatre riches Hippies marchent encore ensemble sur cette pochette devenue légendaire à la croisée de Grove End Road et Abbey Road face aux studios où ils ont enregistré presque toutes leurs chansons depuis 1962 on ne peut douter que de l'autre côté de la route ils vont se serrer la main et partir sur des sentiers différents.


**Paul Mac Cartney « il fallait en quelque sorte que nous enlevions nos gants de boxe, que nous tentions de nous rassembler pour réaliser un album très spécial. D'une certaine manière, nous sentions que ce serait notre dernière œuvre, alors... montrons encore ce dont nous sommes capables, montrons le à nous-mêmes, et essayons de prendre du bon temps en le faisant ».

George Harrison « Nous ne savions pas, ou je ne savais pas que nous allions enregistrer le dernier disque des Beatles, mais nous avions d'une certaine manière le sentiment que nous étions au bout du chemin »**


Alors oui, malgré tous les problèmes ils vont arriver à produire un album mondialement reconnu un peu décousu et inégal (medley dispensable de la face deux ?) où percent de très belles "songs" - Come together, Something, I want you, Here comes the sun - 

Les Beatles ne s'entendent plus, pire il ne se retrouveront jamais à plus de trois en studio mais en grands professionnels ils sortent la tête de l'eau et produisent, presque ensemble, un très bel album. 

 Sonny Boy Williamson and The Yarbirds 1965 : Live at the Crawdaddy


L'ENFER C'EST LES AUTRES

Tout simplement une question : pourquoi les grands musiciens afro-américains et tout particulièrement les bluesmen qui ont enfantés les Yardbirds, les Animals, nourris la passion d’un Clapton, d’un Beck, d’un Keith Richards et de tant d’autres, permis l’existence du RoCk des Who, du Hard Blues de Led Zep…Pourquoi John Lee Hooker, Muddy Waters, Willie Dixon, Albert King, B.B. King, Sonny Boy Williamson, Big Bill Broonzy sont-ils absents des grands festivaux de l’époque et spécialement Woodstock ? 

*– Euh, scuse moi, scuse moi je te rappelle que Big Bill est mort en 1958 et Woodstock c’est en 69, et puis on dit pas des festivaux mais des festivals...t’es con ou quoi ?.*..

Certains ont du avoir un arrière goût, une petite amertume au fond de la gorge, la sensation d’être passé à côté de quelque chose de grand mais surtout d’une reconnaissance qu’on peut trouver insuffisamment assumée et accessoirement d’un tremplin pour une carrière lucrative.

C’est comme ça, pas assez à la mode, la faute à pas d’chance, d’autres occupations, des engagements différents, pas assez drogués, pas assez psychédéliques, pas assez engagés politiquement…Tout un tas de raisons qui font qu’à part Jimi Hendrix « Dieu vivant » de la six cordes saturée au LSD, Sly and the Family Stone ou Richie Havens qui ouvrira les festivités avec sa guitare en open tuning de Ré sur une improvisation magique de Freedom/Sometimes I feel like a Motherless Child (célèbre negro spirituals), les grands Bluesmen…No, y sont pas là !


Les Beatles et les nombreux emprunts de leurs débuts, les Rolling Stones, Canned Heat - qui travaillera avec John Lee Hooker concrétisant ainsi le rêve d’Alan Wilson guitaro-harmoniciste membre overdosé du club des 27 - ils ont tous tapé dans la soupière du Black Blues mais aussi du Black Rock à la Chuck Berry ou Little Richard à tel point que Led Zeppelin perdra un procès pour plagiat contre Willie Dixon pour son ultra tube « Whole Lotta Love ». Cela dit, ce n’est pas un problème les types qui ont puisé dans ce puits magique ne l’ont pas fait pour piller les musiciens mais tout simplement par amour de la musique et parce qu’ils étaient secoués par le pouvoir des 12 mesures. Le pouvoir d’un blues construit sur la misère et la détresse de l’esclavage.

 D’après Sartre « L’enfer c’est les autres » donc en envisageant cette citation au premier degré les autres sont des salauds qui me veulent du mal. Ils me spolieront, me traineront dans la boue et m’enchaineront si je les laisse manœuvrer. Pourtant en réfléchissant un tout petit peu plus il faut comprendre que j’existe parce qu’il n’y a pas que moi, je vis parce qu’avant moi d’autres ont permis que je sois quelque chose, que je devienne quelqu’un. Le monde est mon huitre et je peux m’y centrer parce qu’autour de moi il y a les autres qui m’aident à me construire, me définir. On ne peut donc pas envisager un combat avec les autres qu’ils soient noirs ou blancs malgré les malheurs passés ou à venir, je suis l’autre ou j’aurai pu l’être et il est moi ou aurait pu l’être. C’est peut être une condition qui nous sauve du néant !

Quelle belle illustration que cet album pour mettre en exergue ce raisonnement à peine ébauché et que d'aucuns pourront trouver fallacieux.

Nous sommes en 1965 et SBW a environ 65 ans il est né dans une plantation, triste héritage d’une Amérique esclavagiste, raciste, suffisante et cruelle. Une Amérique où le WASP power règne encore. Le Mississipi aura été son berceau ainsi que le berceau du blues. Il sera très vite repéré par son jeu dynamique, déployant toutes les possibilités de l’harmonica, le plaçant au cœur de la musique. Ce génie rural au swing moderne fait rêver avec juste un pauvre petit harmonica en bouche et sa voix, magie de l’âme humaine déployée.

Eric Clapton et les membres du Yardbirds ont entre 20 et 22 ans ils se cherchent certainement comme on peut se chercher à 20 ans émerveillé par le pouvoir de la musique mais vont relever le défi de cette réunion magique. Jeunes, vieux, noirs, blancs plus rien ne compte que les 12 mesures ressassées et ressassées encore mais dont on ne se lasse jamais.

L’album est une réussite en la matière, il transpire le Roots Blues, le mystère d'une musique qui naquit dans la douleur, catharsis de toutes les peines pour oublier, vibrer et tripper sans substances. Emmenés par le maître les jeunots qui ont déjà un sacré niveau donnent la réplique, se mettent au service et interviennent de manière brillante…alors oui l’enfer c’est les autres !

 

*Attention il existe une version incontournable de 1980 de cet album. Les morceaux supplémentaires y sont excellents et bonifient grandement les 9 titres originaux.*