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jeudi 7 novembre 2019

Robert Wyatt Different every time : epilogue

Déjà mis à l’écart sur third , Robert Wyatt est presque ignoré sur fourth , comme si ses collègues le prenait désormais pour un simple exécutant. Aussi déçu par la direction de plus en plus élitiste que prend son groupe, que blessé dans son orgueil par cette mise à l’écart, Wyatt claque la porte en 1971. Il entame ensuite une période de dépression, et ne doit l’échec de sa tentative de suicide qu’à la bienveillance de voisins vigilants.
Matching Mole


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La blessure liée à sa mise à l’écart ne guérira jamais totalement, mais elle cicatrise suffisamment pour lui permettre de reprendre les concerts. Il effectue donc quelques performance en solo, accompagné de musiciens locaux, avant de rejoindre son vieil ami David Aellen pour renforcer temporairement le vaisseau gong. Progressivement, la muse revient le visiter, le poussant à chercher de nouveaux musiciens, pour donner vie à des idées qu’il n’aurait jamais pu construire avec soft machine.

La formation est annoncée en même temps que son nom : Matching molle , qui montre que Wyatt n’a toujours pas fait le deuil de son ancien groupe. Robert Wyatt, David Sinclair, Bill Mccornik et Phil Myer commence donc à jamer sur « moon in june » et « beware of darkness » de George Harrison. Si ces titres montrent bien l’attachement à la pop du batteur , les improvisations emmènent progressivement le groupe vers des sentiers moins balisés, et représentent les premières notes de sa seconde vie artistique.


De ses instrumentaux naissent rapidement un matériel hétéroclite , montrant les hésitations d’un Wyatt écartelé entre son amour de la pop et ses ambitions expérimentales. L’homme le résumera très bien en affirmant que, parfois, il se met à chanter de petites ritournelles pop au piano, et commence à penser qu’il s’agit de sa véritable vocation. Puis il reprend la batterie, et retrouve son gout pour les rythmiques alambiquées, les structures atypiques , et devient l’homme qui interdit à David Sinclair de renouer avec les chemins balisés par caravan.

Si son talent d’architecte fait de « matching mole » un grand disque , il montre encore une formation en rodage, suivant les hésitations de son leader sans réellement savoir où il s’embarque. Sur les titres les plus pop, la voix de Wyatt prend trop de place, et réduit ses collègues au rang de groupe d’accompagnement.

L’instrumental « instant pusssy » semble flirter avec l’élitisme virtuose que Wyatt a fui chez soft machine. Puis vient « part of the dance » , où les musiciens parviennent enfin à faire copuler l’agressivité électronique de « volume two » , la liberté portée par ce jazz qui reste tout de même la véritable inspiration de Wyatt , et l’efficacité d’un groupe de pop virtuose . Le batteur résumera ce son par la formule « concerto pour groupe , et on a pas encore trouvé meilleure formule pour qualifier cette musique expérimentale, aux apparences parfois décousues, mais dont le charme ne cesse de se dévoiler à chaque écoute.

Alors que soft machine développe une musique de plus en plus « classique », gommant progressivement toute trace d’expérimentation, dans l’espoir d’atteindre le niveau des grands virtuoses jazz, matching molle devient rapidement le nouveau tôlier de la scène Canterburienne. Le groupe commence à se souder lors de sa première tournée de 1972, ses concerts rodant une machine qui s’apprête à sortir son chef d’œuvre en novembre 1972.

Little red record


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Si les traumatismes de Robert Wyatt ont engendré les défauts du premier disque, ils guideront aussi le processus qui mènera à la naissance de ce little red record. Ayant besoin de se rassurer sur ses capacités de musicien, Wyatt a dirigé les séances du premier album de la façon la plus autoritaire, à tel point que le groupe hésitait à poser son nom sur un album qu’il n’a pas composé. Conscient de cet excès d’autoritarisme, le luttin batteur ne veut pas reproduire sur ses collègues ce qu’il a subit à la fin de soft machine. Il se place donc en retrait, laissant ses collègues composer la quasi-totalité du nouvel album, afin de prouver que matching molle est désormais un groupe solide et soudé.

De cette manière, il obtient une œuvre plus homogène, et plus concise. Les taupes n’ont pas perdu leurs capacités à expérimenter, et continuent de nourrir leurs expérimentations de sonorités résolument jazz rock, mais elles le font à travers une musique plus travaillée.

La voix répond enfin aux instrumentaux sans les masquer, ce sera la seule fois où celle-ci trouve une telle harmonie avec les musiciens qui l’accompagne. Pourtant, ce qui fera grand bruit à la sortie de l’album , c’est cette pochette singeant les affiches de propagande communiste , et les propos d’un Wyatt qui préfére : « être envahi par les chinois plutôt que de se voir imposer l’Europe ».

Dans ses textes, les pro communistes verront un manifeste en faveur de leur idéologie, alors que les anti communistes se délecteront de ces exagérations perçues comme une parodie de la nouvelle religion fondée par Marx.

Ces visions opposées auront au moins le mérite de prouver que la musique est bien plus sérieuse que la politique. Wyatt prenant soin de noyer ses déclarations dans une cacophonie de voix burlesques, comme si il se moquait de ses propres convictions.

Résultat, on retiendra surtout que, alors que son ancien groupe est en pleine déchéance , Wyatt a su rester au sommet de son art . Trop peu cité , son petit album rouge fait clairement partie des disques qui définissent cette époque où le jazz et l’expérimentation avaient aussi un potentiel commercial.

Little red record n’est pas encore sorti lorsque , lassé par le manque de succès et les difficultés financières , Robert Wyatt décide brutalement de mettre fin à matching molle. Ses collègues sont abasourdis, d’autant que les derniers concerts du groupe avait obtenu l’éloge de la critique, et que le succès semblait enfin à portée.

Wyatt , lui , voit plutôt dans ces chroniques la preuve de fidélité de journalistes qui l’ont toujours soutenu. La raison de cette fin brutale est toutefois plus profonde, et vient directement du processus plus démocratique qui a mené à la création de little red record.

Si ce processus a permis à la formation de s’affirmer en tant que groupe, elle a largement frustré son leader, qui avait de nouveau l’impression de ne pas pouvoir réaliser ses ambitions artistiques. Le batteur veut désormais être reconnu en tant que chanteur, et affine sa voix en participant à divers concerts d’Hatfield and the north et Kevin Ayer.

Après ces performances , il accompagne sa compagne Alfie à Venise , où elle travaille sur la réalisation d’un film. C’est là-bas qu’il écrit les premières paroles d’un disque qui prendra réellement forme après son accident.

La scène se passe lors de la soirée de promotion de flying teapot , le dernier album de gong. Après avoir noyé ses névroses dans l’alcool et différentes substances , Wyatt s’enferme dans la salle de bain en galante compagnie. Lorsqu’il est sur le point d’être surpris, le lutin barbu a la mauvaise idée de tenter de s’enfuir en descendant par la gouttière, qui cède rapidement. Résultat, une chute de quatre étages à laquelle il ne survit que grâce à la décontraction liée à son état d’ébriété.

Devenue paraplégique, il parvient à se soigner grâce à l’aide financière de divers artistes , avant qu’un Dave Mason en pleine gloire Floydienne ne lui propose ses services pour l’enregistrement de son prochain disque solo. Averti du projet, Mick Oldfield se joint rapidement à l’achèvement d’une grande œuvre que l’artiste avait démarré avant son accident.


Rock Bottom

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Chaque époque exprime le génie humain d’une façon différente, la renaissance le fit dans l’architecture et la peinture, Leonard de Vinci et Michel Ange étant le symbole de l’âge d’or de l’occident. Les années 50 le feront via le cinéma, l’âge d’or d’hollywood nourrissant les rêves de millions de jeunes se prenant pour John Wayne et Henry Fonda. Les années 60-70 , elles, marqueront l’âge d’or de la musique , sergent pepper , pet sounds et rock bottom s’affirmant comme les descendants de l’œuvre sublimant le plafond de la chapelle Sixtine.

L’Angleterre est donc devenue la nouvelle Italie, le rock un nouvel art majeur. « Pour comprendre un peuple il faut écouter sa musique » , comme le disait si bien Platon , des années avant que la paix ne permette aux musiciens de s’épanouir. Vous vous demandez sans doute pourquoi je commence cette chronique par une introduction que certain pourrait trouver trop pompeuse.

Et bien tout simplement parce que, à force de chercher à transcender le rock , les musiciens progressifs réussissent parfois à produire une œuvre qui dépasse ce simple qualificatif, et c’est largement le cas ici. La force de rock botom, c’est d’abord que son auteur a toujours pris plaisir à jouer sur les dissonances , à se jouer de la vision que l’on peut avoir de la beauté musicale.

Sa voix, qu’il qualifie lui-même d’androgyne, ne dévoilait sa beauté qu’après plusieurs écoutes attentives. Après l’avoir travaillé à la fin de matching molle , il l’a transcende ici grâce à une sensibilité d’une pureté incroyable, comme si l’homme nous invitait à explorer sa psyché tourmentée.

Rock Bottom est un disque introspectif, comme pouvait l’être rubycon, ou les grands disques ambiant, un album qui définit un paysage sonore enivrant et immersif. Autrefois partisan d’une musique foisonnante et parfois bruitiste, Wyatt apprend à alléger ses compositions, à ménager les espaces , laissant l’esprit de l’auditeur vagabonder entre ses espaces magnifiques.

Rock bottom , c’est le calme d’atmosphères apaisantes, entretenues par les claviers luxuriants mis en place par le duo Mason/ Wyatt , avant que le calme ne soit rompu par une complainte bouleversante, portée par des trompettes semblant annoncer une apocalypse tragique. Wyatt n’avouera qu’à demi-mot la portée autobiographique de ce disque, il a sans doute raison.

Dans rock bottom , ses sentiments deviennent universels , l’homme se servant de sa douleur pour produire une musique capable de réparer les âmes, pendant que la musique vibre comme une ode à l’innocence. Ce n’est plus du jazz, ce n’est plus du rock, ce n’est même pas réellement de l’ambiant. Ces étiquettes sont trop réductrices pour parfaitement résumer cet édifice sonore, où les instruments se complètent dans une symphonie apaisante.

Innocence est le maitre mot de ce disque, tant celle-ci permet à Wyatt de dévoiler ses sentiments sans tomber dans l’exhibitionnisme vulgaire. Comme pour relativiser l’exploit, le lutin virtuose achève son catharsis musical par un rire enfantin de génie espiègle.

Le résultat est au-delà des mots, et on l’écoutera sans doute aussi longtemps qu’il restera une étincelle d’humanité dans un monde transformé en cloaque numérique.

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