«Dans le port d’Amsterdam
Y’a des marins qui meurent
Plein de bière et de drame »
Si le blues est une force salutaire se nourrissant des
drames des terres qu’elle visite, alors Amsterdam ne pouvait que devenir le
nouveau Chicago. Il y’a quelque chose de magique dans ses nuits où, alors que
les promeneurs cherchent un peu de joie dans ses rues , les lumières projettent
leurs reflets d’or sur une eau ténébreuse. Sorte de dominos flottants, certaines
bâtisses semblent boire l’eau du fleuve. Et les rues, qui ont gardé le style
des siècles derniers, donnent l’impression que Van Gogh va se présenter au
prochain croisement.
On rencontre d’ailleurs son nom , inscrit sur le fronton
d’un de ces impressionnants musées , qui sont de véritables forteresses
culturelles. Le Carré Theatre n’a rien à envier à ces monumentales
constructions, et moult seigneurs auraient pu affirmer leurs pouvoirs en ses
murs. Ce soir de mars 2014, c’est Joe Bonamassa et Beth Hart qui
prennent possession de ce fort, le roi et la reine du blues réunis dans cette
cathédrale musicale.
Leurs visages trônent fièrement sur le fronton du bâtiment,
un peu comme ces belles affiches sur le fronton des grands cinémas. Le jour où l’on
donnera à la musique la place qu’elle mérite, il faudra que c’est deux-là aient
leur chapitre dans la longue histoire culturelle de l’humanité. Seul, ils sont déjà brillants, mais ne s’approche
de la perfection qu’a quelques occasions. Bonamassa est trop versatile et traditionaliste,
il se contente trop souvent de mettre son talent au service d’un revival blues
ou hard rock.
Ecouter certains de ses disques , c’est comme aller voir
le remake de la planète des singes . La technique est bonne, les effets numériques impressionnants, mais on attend toujours l’arrivée de Charlton Heston. Bonamassa
a le même problème, quand il joue le blues on entend BB King, et quand il passe
au hard rock on attend un trait de génie de Jimmy Page.
Beth Hart lui apporte une bouffée de fraicheur, ses
influences jazz l’obligeant à sortir de ses sentiers battus. Elle est le cadre,
et son guitariste pose les couleurs. La voix de la chanteuse, plaintive sans
être hargneuse, puissante sans hurler, est faite pour s’épanouir dans le grand
décor cuivré que son groupe plante ce soir de mars 2014. Le saxophone lui
taille une mélodie sur mesure, il habille ses complaintes dans un mariage éblouissant,
une formule perdue depuis la sortie du sous-estimé « I Got Dem Ol'
Kozmic Blues Again Mama!».
Alors forcément, la guitare n’ose pas hurler, elle chante,
se calle sur le rythme pour tisser ses mélodies. Mêmes les solos se font plus
chaleureux, comme si cet édredon cuivré gommait le tranchant de ses riffs, lui
imposant une plus grande finesse. Puis le blues reprend ses droits, les titres
tels que « well well well » ou « chocolate jesus » ressuscitant
ce bon vieux boom boom des pionniers.
On passe des lamentations classieuses à une célébration
fiévreuse, Beth Hart célébrant le swing comme si il vivait ses dernières heures.
Elle ne manque pas non plus d’énergie
sur le poignant « your heart is black as night », mais c’est une
énergie d’une autre nature.
Quand la mélodie prend de nouveau le pas sur le swing ,
sa voix réchauffe les cœurs et bouleverse les âmes. C’est peut-être d’ailleurs
ces titres qui illuminent le plus ce live, rappelant le blues de marin chanté
par Brel.
Comme je l’ai dit au début de cette chronique, ce soir-là
Amsterdam devint la capitale du blues. Alors, posez délicatement la pointe de
la platine sur le sillon, et enivrez-vous de cette musique au charme d’un autre
âge.
Vous entrez dans un décor musical qui procure ce
sentiment de quiétude, que l’on éprouve en marchant au milieu des vieux
villages français. Vous oubliez alors le temps et la laideur de vos décors
urbains sans âme. Ce disque, vous l’habitez pendant quelques minutes, ces
mélodies sont le battement qui donne vie à votre évasion blues. Vous avez atteint le paradis près « des
ports d’Amsterdam ».
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