Je veux aujourd’hui quitter les rives du missisipi ,
abandonner temporairement leurs mythiques troubadours misérables , pour revenir
sur les plaines de woodstock. Le nom évoque déjà l’image iconique de milliers d’utopistes,
venus vivre la plus belle expression de liberté du monde moderne. Et puis
Janis Joplin arriva, dans ses apparats de reine hippie, et sa voix hypnotisa
littéralement l’auditoire.
Je veux revivre cet instant suspendu, cette force
lyrique que les hard rockers ne cesseront de déformer, pour le meilleur et
pour le pire. Janis avait un avantage
sur eux, ses accompagnateurs savaient rester à leur place. Le culte du guitar
hero n’était pas encore devenu une religion musicale, et sa voix n’avait pas à
lutter avec une six cordes trop bavarde. Résultat, ses gémissements donnaient
plus de puissance émotionnelle au blues , ils l’éloignaient de la philosophie plaintive
de ses débuts.
Derrière elle, les musiciens étaient de bons artisans,
chargés d’habiller ses lubies du moment . Le blues , elle le chanta dans un
décor psychédélique, cuivré , ou groovy. Mais toujours avec une conviction
dévote, qui ferait passer Howlin Wolf pour un fonctionnaire apathique. Et puis
la formule a disparu en même temps que sa représentante, le blues se repliant
dans un traditionalisme un peu snob. Il faut dire qu’il y’avait désormais led
zepp et deep purple , et le blues ne voulait pas se noyer dans leurs brulots
tapageurs.
Pour retrouver la puissance vocale de Pearl, il fallait
donc regarder dans le rétro , se consoler en écoutant plus attentivement Grace
Slick ou Ruth Copeland. Le blues passait de Muddy Waters à Johnny Winter, avant
le succès inattendu de Bonamassa. Ses protagoniste étaient brillants , mais
rares sont ceux qui s’éloignaient du boom boom habituel, et aucun ne tentait
de placer le chant au même niveau que le reste.
Et puis, en Californie , une femme préparait le retour de
la splendeur perdue. Beth Hart fait d’abord des études de musique, mais sa
passion est ailleurs. La jeune fille est fascinée par le jazz, et ne prend pas
longtemps avant de nourrir le même amour pour le blues. Les deux genres ont
toujours fait très bon ménage, et son caractère très sociable lui permet de
rapidement monter un groupe. Vient alors l’éternelle épreuve des clubs, où il
faut lutter pour trouver l’attention de son premier public.
Pour elle, le combat ne sera pas trop compliqué , son accoutrement
excentrique rappelant les premiers pas de la reine de woodstock. La voix de Beth
Hart est plus douce, elle n’a pas ce timbre taillé au Jack Daniels, ce qui lui
permet de développer un chant plus mélodique. L’auditoire est rapidement
conquis et, dans un endroit comme Los Angeles, les rumeurs courent vite. Beth
Hart et son groupe atterrissent donc sur
les plateaux télé, où sa voix chaleureuse et puissante pénètre lentement dans
des millions de foyers Américains.
Ce n’est pas encore réellement le succès, mais c’est
suffisant pour pouvoir enregistrer un premier disque. Si les bandes sont sorties,
le retentissement fut très faible. Le blues venait de vivre un moment
historique dans l’indifférence totale. Les producteurs ont pourtant soigné leur
coup , donnant à la jeune femme une production typique de l’époque. Après être
revenues des fourvoiements synthétiques des années 80 , les maisons de disques
privilégiaient désormais un son léché mais puissant. Les solos jaillissent
glorieusement au détour de chœurs fervents , rappelant au passage que Beth Hart
flirte aussi avec le gospel. Ce son est lumineux sur « love surfer all »
et « I felt him cry » , c’est la finesse pop de Tom Petty portée par
une voix langoureusement bluesy.
Si ses chœurs donnent au disque un vernis séduisant, n’allez pas croire que la pop a encore eu la peau du rock, c’est tous le contraire. Ce
premier album est rempli d’envolées déchirantes , de grand-messes rock digne de
l’intro de Cheap Trills. D’ailleurs tout le monde ne peut pas sortir une telle
réadaptation de « lucy in the sky with diamond ». Entre les main de
Beth and the ocean of soul , le titre qui annonçait le début de la grande fête psychédélique
devient un gospel rock digne de Don Nix.
On a ainsi droit à une partie plus vintage, comme cette
guitare moelleuse qui ressuscite le fantôme de Mike Bloomfield sur « Am I
the one ».
« 1993 original recording » est un disque à la
croisée des chemins , donnant un coup de fraicheur au blues tout en étant
solidement ancré dans son époque. Alors, insérez ce disque dans le lecteur, et
laissez le son vous parcourir comme une énergie vitale. Cet album, c’est le
retour inespéré d’une énergie que l’on croyait perdue.
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