Encouragé par une prestation qui a marqué son public à vie, Tangerine Dream retrouve son studio anglais. Comme pour Phaedra , l’enregistrement de Rubycon fut douloureux. Servi par une alimentation électrique défectueuse, le studio subissait des chutes de tension déréglant un matériel déjà erratique. Tangerine Dream dut donc lutter pour entretenir la grâce de ses animaux mécaniques.
Ayant remis les séquenceurs au centre de son système musical, Tangerine dream se concentre sur ses mélodies. Au fil des improvisations , le trio finit par tisser une fresque musicale de plus de trente minutes , qu’il décompose en deux partie. Rubycon est donc l’aboutissement d’un processus démarré sur la seconde face d’Alpha Centaury , et qui se termine avec ce long titre composant tout un album. La première partie nous berce lentement, prolonge l'eden musicale introduit sur Atem. On peut encore saluer la virtuosité d’Edgard Froese , dieu du mellotron inventant des mondes lumineux.
La seconde partie de la fresque Rubycon est plus tendue, plus sophistiquée aussi. Partant sur un mantra binaire, Tangerine dream augmente progressivement le nombre de notes, créant ainsi un crescendo vaguement inquiétant. Chœurs chantés par des sirènes synthétiques, prière se déployant sur une rythmique vaporeuse, monastère électronique aux décors parfois inquiétants, Rubycon est un monolithe fait de plusieurs teintes. On pense successivement au paradis et à l’enfer , on entre dans l’eden avant de retomber au purgatoire.
Sur certains passages, le mellotron installe une atmosphère pesante, les synthés gémissent comme des âmes en peine. Puis ce mouroir s’illumine, ce qui nous semblait être des gémissements de damnés devient apaisant comme un chant de mouettes. Aussi radicale soit elle, cette évolution s’est faite progressivement et naturellement, comme des rayons solaires perçant progressivement un ciel d’orage. Avec Rubycon , la musique de Tangerine dream gagne en cohérence et en cohésion , ce n’est plus un monde que nous découvrons mais une sensation.
Finis les décors blancs ou noirs,
les sentiers rêveurs ou cauchemardesques, Rubycon met fin à plusieurs années de
manichéisme musical. Ecouter ce disque, après avoir traversé les œuvres précédentes,
c’est comme passer du noir et blanc à la couleur. N’y voyez pas de jugement de valeur,
Zeit restera toujours une des plus grandes œuvres du trio. Mais Rubycon permet
désormais de varier les décors et les émotions dans une même fresque mélodique.
Ce changement s’est fait par étapes, Phaedra a d’abord imposé des formes plus
cohérentes , imposantes statues de glaces belles comme des dieux grecs. Puis,
après avoir trouvé le modèle capable de fusionner ses sons , Tangerine dream a
commencé à travailler la grâce de ses toiles sonores.
Rubycon correspond d’abord à ce moment clef, où Tangerine dream est devenu assez maitre de ses effets pour inventer de nouvelles mélodies. Après une telle découverte, revenir en arrière n’est plus possible. Alors, tel César traversant un autre Rubicon, Tangerine dream semble affirmer que les dés sont jetés. Et le triomphe de nos allemands sera digne du récit de la guerre des gaules.
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