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mardi 9 mars 2021

Nouvelle Rock Detroit 3

 


Arrivé sur le lieu du concert, Alain reconnait un visage familier dans la foule.

Le voyant s’approcher, Jac Holzman eut le sourire ravi de celui qui retrouve un vieil ami.

A : J’ai oublié de te remercier pour l’album forever changes que tu m’as envoyé. Dans quelques années tu seras fier d’avoir produit une merveille pareille.

Jack Holzman est le patron d’Elektra , le label qui a lancé le Paul Butterfield blues band et a soutenu Love autant qu’il le put. C’est d’ailleurs grâce à Love que les deux hommes se sont rencontrés, le label ayant envoyé son dernier album Forever Change à Cream. Lester Bang n’en voulait pas, la douceur hippie commençait à franchement l’irriter, c’est donc Alain qui fut chargé de chroniquer le disque. A force de l’écouter en boucle, il était convaincu que ce disque était le chant du signe de la pop psychédélique, une telle beauté ne pouvant être reproduite ou dépassée. Il avait qualifié l’album de « chant du cygne d’une beauté flétrie », et c’est en partie ce chef d’oeuvre qui le poussa à partir chercher où le rock allait se réinventer.

De son coté , Holzman compris que Love était arrivé trop tard , que son génie pop ne convenait déjà plus à cette fin de sixties. « Forever Change » aurait fait un carton si il était sorti en 1966, mais aujourd’hui l’avenir est du côté d’une musique plus tendue. Alors il a signé les Doors , dont le premier album fait partie des premières détonations de la décennie à venir.

Pour Holzman , concentrer l’énergie de sa maison de disques sur les Doors  lui permettait de survivre au fiasco commercial de Love. Pour Alain il s’agissait d’une trahison. D’un autre coté, il comprenait maintenant que la mort de Love était aussi nécessaire à la survie du rock.                                                              

H : Ta chronique était magnifique mais Love ne pouvait survivre. C’est la drogue qui a tué ce groupe, et je ne tenais pas à sombrer avec eux. 

A : Donc tu cherches de nouveaux génies à détruire ?

H : Et toi tu cherches quoi ? J’ai appris que tu avais quitté Cream, tu laisses le champ libre à ce malade de Lester Bang.

A : Bang fait partie de ces malades dont on se souviendra dans 30 ans.

H : Il a la dent trop dure et trop de pouvoir. Un seul de ses papiers peut tuer un groupe. Ce type est un gourou pas un critique.

A : Chaque culture a besoin de ce genre de gourou. Pour en revenir à Love sache que je ne t’en veux plus. C’est grâce à ta décision que je suis ici en train d’attendre l’avenir du rock.

H : Et bien tu me dois encore une fière chandelle ! C’est moi qui ait signé le MC5 et les Stooges.

A : Les Stooges ?

H : Oui, une bande de sauvages dirigé par un chanteur complétement cinglé.

La discussion fut coupée nette par un riff d’une violence inouïe , sur lequel s’élevait rapidement le hurlement sauvage d’Iggy.

 « Well It’s 1969 ok

All Across the USA

It’s another year for me and you

Another Year with nothin to do. »

Après tant d’années de pop rêveuse , Iggy et ses Stooges remettaient le nez dans le réel , et on était loin des Strawberry fields merveilleuses. Sur scène Iggy ressemblait à un pantin convulsant au rythme des riffs foudroyant de Ron Asheton. Ce qui fascine chez les Stooges , c’est la symbiose destructrice qui les unit. Entendre les Stooges , c’est se prendre les uppercuts parfaitement synchronisés de quatre champions poids lourds , cette musique atteint un niveau de violence inégalable. Les Stooges jouent comme si ils étaient le dernier groupe du monde, comme si ils devaient détruire toute la guimauve accumulée pendant des années de pop gluante. I wanna be your dog – TV eyes –No fun , chaque titre semblait se débattre violemment contre l’ennui de cette fin de sixties. Après un Louie Louie boosté aux hormones, les Stooges laissèrent la scène au MC5… Enfin plus précisément au présentateur du MC5.

Un excité s’était emparé du micro lâché par Iggy, et pointait ses deux bras vers le ciel dans une posture presque christique. Ses mains tremblaient d’excitation, et ses  Ray Ban devaient cacher le regard fou d’un homme possédé par un quelconque dieu païen. Avec son perfecto et son look de motard , on s’attendait plus à une annonce grandiloquente , à un fan de Steppenwolf annonçant les nouveaux maîtres de « la foudre heavy métal », mais c’est une émeute que l’homme venait annoncer.

« Frères et sœurs , je veux voir vos mains levées.

Faites-moi voir une mer de mains.

Je veux que tout le monde face un maximum de bruit.

Je veux entendre la révolution ici mes frères.

Frères et sœurs , il est temps de choisir si vous serez le problème ou la solution.

Cela ne prend que 5 secondes , 5 secondes pour réaliser ce que nous vous proposons.

Il est temps de bouger , il est temps d’affirmer que l’heure de la révolte est venue.

Je vous présente cette déclaration : le MC5 ! »

Alors que notre révolutionnaire mystique n’était pas encore sorti de scène, le MC5 chargeait déjà comme une troupe de Viet minh prenant par surprise la racaille impérialiste. La victime de cette charge fut d’abord le blues rock, vieux symbole que Fred Sonic Smith bombardait de ses riffs incendiaires. Avec le MC5 le rock redevenait une musique de révolte, sa puissance sonore était le napalm prêt à réduire en poussière l’ordre établi. A côté de kick out the jams , ride my lama , starship , les Who passent pour de vieux bluesmen fatigués.

Le MC5 n’a pas de musiciens aussi visionnaires que Pete Townshend , de batteur aussi fou que Keith Moon , il n’avait pas besoin d’individualités aussi fortes . Ce groupe était juste une horde barbare faisant de leurs limites intellectuelles une force. La simplicité de leurs rythmes, la brièveté de leurs solos lancés comme des décharges de Kalachnikov, la hargne d’un chanteur hurlant comme un révolutionnaire aux portes du pouvoir qu’il cherche à détruire, toute cette simplicité permettait au gang de développer la rage la plus pure et virulente.

Le public hurlait sa reconnaissance car il comprenait que ce rythm n blues, devenu le son de la révolte, était l’expression d’un peuple étranglé par une oppression raciste et capitaliste. Ce soir-là à Détroit , on avait vraiment l’impression que le rock avait levé une armée prête à faire la peau à l’immonde oncle Sam. Ce n’était qu’une illusion, mais il n’en fallait pas plus pour affirmer que le rock était en train de renaître à Détroit.                                                                                     

Alors que les dernières braises de ce feu révolutionnaire s’éteignaient , Alain partit discuter avec Holzman dans un bar du coin. Celui-ci avait une tête à effrayer un mort, comme si c’était contre lui qu’était dirigée cette révolte hargneuse.

Alors que les deux hommes prenaient place , le producteur frappa la table avec une violence qui fit sursauter son interlocuteur.

H : Ce crétin en ouverture n’était pas prévu au programme ! 

Le producteur avait dit ça avec la colère froide de celui qui sent qu’il est en train de tout perdre.

A : Le groupe que tu viens de signer a joué le concert du siècle et toi tu te plains !

H : Concert du siècle mon cul ! Je viens surtout d’immortaliser son suicide.

A : Et en plus c’était enregistré ! Mais l’album sera au rock ce que free jazz d’Ornett Coleman fut au jazz ! Une libération historique !

H : Et voilà. Tu repars dans tes envolées lyriques. Tu sais quelle est la seule chose sur laquelle producteur et musiciens sont d’accord ? Le mépris de la critique. Quand vous vous enthousiasmez, c’est toujours pour les musiciens foutus d’avance, les fous furieux, les kamikazes. Il suffit de répertorier les coups de cœur de ton ami Lester Bang pour comprendre le problème.

Après cette phrase, il marqua une pause pour avaler d’un trait le verre de vodka qu’on venait de lui servir. Avant de reprendre son réquisitoire.

H : Les critiques sont des gosses qui s’amusent à construire une mythologie bancale, avant de s’étonner quand la musique qu’ils prétendent défendre finit par s’écrouler. Tu te rends compte que ces conneries ne passeront jamais à la radio ? Toute l’Amérique n’a qu’une peur c’est le communisme et je leur sers le grand chaperon rouge sur un plateau. Ce sera symbolique, mais le show biz bouffera le MC5, ils serviront de gri-gris à travers lequel l’Amérique se soulagera de sa peur du grand méchant rouge ! 

A : A toi de faire en sorte que ça n’arrive pas. Elektra a assez de pognon pour graisser quelques pattes.

H : Le pognon a ses limites ! Soutenir le MC5 sera comme pactiser avec l’ennemi, tu verras que ce concert marquera le groupe du sceau de l’infamie. De toute façon je ne les garderais pas. Atlantic a fait une offre … Ils pourront maintenir le groupe à flot quelques mois.

A : Tu lâches encore la rampe, tu préfères le succès plus pépère des Doors. Avec toi la pop se serait limitée aux premiers albums des Beatles et à quelques tubes des Beach boys.

H : Ne méprise pas ces groupes. C’est grâce à eux que tes fous furieux peuvent enregistrer des disques. La plupart des majors n’auraient jamais produit des albums tels que Freak out , Trout mask replica , et les autres bizarreries que vous vénérez, si elles n’étaient pas devenues riches grâce à la pop que vous vomissez. Pour une maison de disques, la production d’un album de Zappa ou Beafheart est un accident industriel, la plupart d’entres elles ne savaient pas ce que ces cinglés produiraient avant de les signer.

A : Donc tu penses que seules les ventes comptent ?

H : Je pense qu’aucune maison de disques ne peut se permettre de maintenir éternellement en vie un groupe comme le MC5. Aussi révolutionnaire soit elle, cette musique ne peut que disparaitre aussi vite qu’elle est arrivée.

Pendant la discussion, Alain avait remarqué que son interlocuteur écrivait quelque chose sur une petite feuille de papier. Après l’avoir glissé sous son verre, Holzman quitta le bar en titubant. Avant qu’il ne passe la porte, Alain eut le temps de l’entendre marmonner « Et en plus ce con de Lester Bang risque de démolir le MC5 dans le prochain Rolling stones. »

Quand son ami quitta son champ de vision, Alain lut le papier qu'il lui avait laissé.

« Les Stooges enregistrent leur premier album demain dans nos studios. John Cale se charge de la production. Si tu veux venir assister aux séances tu es le bienvenu. »   

Holzman savait comment redonner la banane au chroniqueur qu’il adorait détester.           

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