L’album acoustique devrait être un passage obligé pour tous
les folk rockers. Privé de tout artifices, ces musiciens retrouvent leurs
racines. Enlevez tout le folklore moderne et vous touchez au cœur de l’artiste,
c’est l’esprit du musicien qui s’épanouit dans la douceur de ces mélodies. Il
est vrai que, jusque-là, la guitare sèche fut surtout porteuse de propos plus
graves ou torturés . Il y eut les grandes protest songs de Dylan et son inoubliable Blood on the tracks , il y aura bientôt les récits dépressifs de Springsteen (Nebraska).
Bref l’acoustique sert surtout à souligner le sérieux des paroles. Le rock
sortait la guitare sèche comme d’autres sortaient les violons, pour nous tirer
une petite larme ou éveiller une saine indignation.
Neil ne fut pas exempt de cette gravité austère, il en fut même un des symboles. Il faut se rappeler l’image de ce type, seul au milieu de la pénombre, et vous soulevant le cœur à chaque note, vous retournant l’âme à chaque gémissement. On ne peut écrire qu’au seuil de l’abime disait Bloy , ce qui peut s’appliquer à la littérature peut souvent se vérifier dans la musique. Je vous renvoie aux enregistrements des concerts acoustiques de 1970 , Neil Young y est merveilleusement bouleversant. Sauf que, en 1975, notre homme ne veut plus hurler à la mort sur des drames acoustiques. Pour ce qui est des chants dramatiques, il a déjà donné, il est temps pour lui de créer des choses plus légères.
Alors le loner s’est simplement enfermé en studio, a fait tourner les bandes , et s’est mis à jouer. Ce genre de légèretés vous mène très loin , votre petit cinéma intérieur prend le contrôle et vous avez l’impression de découvrir votre œuvre en même temps que vous la créez. Neil fait partie de ces hommes qui ne grandissent pas , il n’a jamais soumis son cerveau à la même discipline que celle qui est vitale pour monsieur moyen. Certains trouvent un boulot pépére , éduquent un ou deux enfants , finissent par penser que le cerveau ne sert qu’à retenir des procédures ou les résultats du loto.
Neil, lui , restera toujours ce gamin fasciné par l’histoire de l’Amérique et rêvant de pionniers besogneux et d’indiens courageux. Alors sa guitare ne va pas recommencer à se lamenter, son chant ne va plus se mettre à larmoyer, il y a des moments où l’homme ne peut s’empêcher d’être optimiste. C’est d’ailleurs notre lot à tous, triste bœuf fonçant dans le prochain mur avec un enthousiasme désespéré.
Au début de cette chronique, je parlais de la guitare acoustique, elle n’a jamais été aussi enthousiaste que sur ce Hitchiker. Sur Pocahontas , un riff chante délicatement pour ne pas troubler les songes d’un Neil rêvant d'indiens décimés et affamés par des crétins massacreurs de bisons, ressuscitant un pays bâti sur les cadavres des indiens d’Amérique. Alors il s’imagine en trappeur vivant dans un paradis perdu au milieu de ce cauchemar, s’épanouissant au côté de Pocahontas et d’un Marlon Brando ayant quitté la machine de propagande hollywoodienne.
Sur Powderfinger , quelques arpèges suffisent à exprimer le mélange de tristesse et d’admiration que lui inspire l’histoire de l’Amérique. Comme cette histoire, les mélodies de cet album ne sont jamais toutes noires ou toutes blanches , l’émerveillement le plus admiratif y côtoie la mélancolie la plus profonde. Powderfinger est d’abord une chanson dramatique, l’histoire d’un homme dont la sœur est morte noyée, d’un pays où il ne vaut mieux pas sortir sans son fusil. Pourtant, on fredonne cette mélodie avec entrain, c’est beau comme un décor de western.
Un peu plus tard , captain Kenedy sonne comme les chants qu'auraient pu fredonner les héros de Steinbeck. Célébrant la vie d’un grand navigateur, captain Kenedy a le charme des récits d’un vieux cowboy racontant ses histoires de desperados entre deux parties de poker. Je vous l’ai dit, les boyaux de la tête des artistes sont des machines formidables. Avec dix fois plus de moyens Hollywood ne fait pas autant rêver que cet homme plaquant quelques accords seul dans un studio.
« Donne-moi la force d’aller plus loin » chante le loner sur le titre suivant, ses accords tintant comme des cristaux harmonieux. Rare excentricité de ce décor minimaliste, l’harmonica souffle sur ce sommet mélodique avec une rare douceur. Ce spleen de folkeux épanoui nous enveloppe chaleureusement, nous réconforte comme un vers de Thunder road (de Springsteen ). Notre conteur peut ensuite chevaucher son lama sur le titre suivant , avec une telle mélodie on le suivrait jusqu’au fin fond du Sahara. C’est plutôt en Californie que Hitchiker nous embarque, les riffs les plus vifs et les chants les plus enjoués semblant évoquer l’époque où les Mamas and the Papas ne furent qu’une bande de hippies travaillant leurs harmonies à partir de quelques arpèges.
Délice de solitaire , campagner nous montre Neil dans la peau du vieux paysan solitaire, de l’homme revenu de toutes les catastrophes , qu’il chante sur un air dylanien. Tout n’est pas rose dans cet inventaire, mais la douceur des arpèges montre une certaine tendresse pour ce passé. Sur Human higway , l’harmonica siffle gracieusement , c’est le signal annonçant le départ du train du souvenir. Inventer un personnage, se mettre dans sa peau pour que l’auditeur ressente ses émotions, c’est exactement ce que fera Springsteen sur Nebraska.
Human higway le fait avec plus de légèreté , on peut
siffloter cette mélodie après s’être ému de l’histoire qu’elle conte. Et c’est
bien la force de cet album , toutes ses chansons restent gravées dans les
mémoires comme autant de somptueux jardins secrets. Après des mois de deuil, Neil Young avait sans doute besoin de respirer un peu, et c’est cette légèreté
qui fait la beauté de Hitchiker.
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