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samedi 19 juin 2021

Neil Young : Tonight's the night

 


Neil était en pleine gloire, les stades dans lesquels il jouait étaient bondés, mais les Stray gator décidèrent de tout gâcher. Ces musiciens demandaient désormais une augmentation que le loner ne pouvait leur offrir. La tournée en cours se termina donc dans une atmosphère tendue , avant que Neil ne renvoie ces paysans à leurs bars miteux. Ce coup du sort ne faisait de toute façon qu’accélérer un virage qu’il s’apprêtait à prendre, notre homme refusant de rester « l’auteur d’Harvest ».                        

Un autre événement allait confirmer la fin brutale de cette parenthèse enchantée. Les Stray gators finirent le dernier concert de la tournée, quand le téléphone se mit à sonner backstage. Il s’agissait de la police de Los Angeles, qui venait de retrouver Dany Whiten mort d’overdose. En entendant cette annonce Neil pâlit, il se souvenait avoir donné 50 dollars au guitariste pour s’en débarrasser. Il pensait que cette somme servirait à payer son retour, mais le guitariste préféra s’offrir un dernier trip.

Les idées noires se bousculèrent dans la tête de notre canadien. Il avait en mémoire le visage décomposé de ce guitariste à bout, il n’avait pas su entendre son appel à l’aide. Dany Whiten était pour lui le plus grand guitariste de son époque, aussi grand que Hendrix et Mike Bloomfield , peut être même plus. Il envoyait de sacrés riffs sur everybody know this is nowhere ! Des parpaings binaires lancés à la figure d’un folk rock resté bloqué à l’époque des Byrds. Neil avait pris son pied en jouant avec un tel virtuose du rythme binaire, il aurait dû préserver ce précieux génie.

Ces idées faisaient de son cerveau une cocotte-minute en surchauffe, alors il l’a arrosé. Le bonheur est dans l’abrutissement, c’est les boyaux de notre cervelle qui nous précipite vers l’abime. Alors, quand l’homme est titillé par les épines de la culpabilité, il les noie dans des rivières d’alcool. Assommé par la vodka à longueur de journée, Neil n’en continuait pas moins d’écrire , il avait déjà un paquet de chansons à graver dans le marbre. Il monte donc un nouveau groupe, les Santa Monica Flyers , et enregistre ce qui deviendra l’album Tonight the night.

A l’écoute de ces bandes, les responsables de la maison de disque changent de couleur. Après avoir roucoulé avec une telle grâce sur Harvest , voilà que leur protégé se mettait à gémir comme un torturé. Dès les premières minutes, cette musique transpire la douleur, ce n’est pas un album de rock c’est un mouroir. La voix brisée par le deuil et l’alcool, Neil gémit plus qu’il ne chante, crie comme un loup un soir de pleine lune.

Derrière lui, les Santa monica flyers impriment un boogie de bluesmen à la gueule de bois , le requiem d’une soirée ayant mal tournée. Le ton de l’album était donné, ce sera donc un déchainement de douleur et de souffrance, un gémissement que l’on écoute avec tendresse. Le blues se fait plus sombre que jamais, des titres comme speakin out faisant passer les grands martyrs noirs pour des fils de bonnes familles. Quand la guitare slide entre dans la danse, ce n’est plus pour faire rêver de campagnes tranquilles et de lendemains paisibles, mais pour nous plonger plus profondément dans la noirceur de ce spleen dépressif.

Word on a string ajoute un peu de colère à cet assommoir torturé. Energique sans être enjoué, son riff binaire semble se révolter contre la cruauté du destin. Neil n’en est pourtant pas encore au point de se régénérer dans une colère libératrice et le refrain ramène tout le monde dans les lymbes de ses tourments. Tonight the night est un album sans optimisme, une œuvre qui brille par sa noirceur. Sur Borrowed tune , Neil gémit comme un exilé aloolique , l’harmonica et le piano soulignant son deuil. Et puis il y a cette voix, fragile comme une bête blessée, se cassant au moindre emportement.

Trop honnête pour exprimer autre chose que ce qu’il ressent, Neil livre ici un des albums les plus sombres de l’histoire du rock. Aussi torturé soit-il , tonight the night fait partie de ces quelques disques qu’il faut avoir écouté au moins une fois dans sa vie. L’album ne sortira que plusieurs années après son enregistrement, la maison de disque pensant que ces chansons n’étaient pour Neil qu’une façon de faire son deuil. Mais, comme le disait Leon Bloy « on ne fait pas son deuil. C’est le deuil qui nous fait ». Voilà pourquoi ce disque est un des plus fascinants de la carrière du loner. 


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