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vendredi 11 juin 2021

Neil Young :Tuscaloosa

 


Peu de temps après la sortie de Harvest, Dany Whiten vint voir Neil Young dans son ranch. Le guitariste du Crazy horse lui annonça, avec des trémolos dans la voix, que la chanson the needle and the damage done l’avait bouleversé. « J’ai jeté toute ma came après avoir entendu ta chanson. J’en ai bavé quelques jours mais je suis clean. »

Neil doutait qu’une telle révélation fut possible, la dope est une maîtresse trop sournoise pour lâcher son homme si facilement. Mais Dany parut trop bouleversé pour que son ex patron lui refuse une nouvelle chance. Les répétitions qui suivirent furent un désastre. Le cerveau de Whitten , ravagé par l’héroïne , ne parvenait plus à retenir le moindre accord, à initier la moindre mélodie. Neil était dans un moment trop important pour se permettre de garder un guitariste aussi médiocre, la presse n’attendait que ça pour le descendre de son piédestal. Il offrit donc à son ami les 50 dollars censés payer son retour chez lui, et poursuivit ses répétitions avec les Stray gators.

Au début il appréciait moyennement ces types embauchés en urgence pour jouer au Johnny Cash show. Quand il repense à cette émission, Neil a toujours un sourire affectueux pour l’homme en noir. Quand il rencontra Cash, il n’était déjà plus le héros svelte de Folssom. Le temps l’avait doté d’une bedaine de tranquille père de famille, alors que ses premières rides lui taillaient un visage de fermier du Kentucky. Ne voyez aucun mépris dans cette description, c’est au contraire un éloge. A force de chanter l’Amérique profonde Cash finit par l’incarner. Neil imaginait bien ce grand homme continuant à chanter la country coulant dans ses veines malgré les stigmates de la vieillesse.

Triés sur le volet avant le Johnny Cash show, les Stray gator ont un feeling typique des musiciens de Nashville, ce tempo lent comme le pas d’une vache dans son pâturage. Ils pouvaient varier le rythme de ce swing campagnard, mais ils n’abandonnaient jamais cette monotonie fascinante. Lors d’un de ses concerts acoustiques, Neil avait avoué que cette nonchalance lui donnait l’impression de jouer avec les Tennessee Tree. Puis vint ce concert au memorial auditorum d’Alabama.

Ayant fait de cet état le symbole du racisme sudiste dans un des titres de harvest , Neil put s’attendre à un accueil assez viril. Mais le talent excuse tout, même si le ton moralisateur d’ « Alabama » en faisait le titre le plus faible d’Harvest. Le concert au mémorial auditorium imposa les Stray gator parmi les meilleures formations qu’ait connu le loner.

Sur les passages les plus country , le swing de ce groupe fut si charismatique que Neil faillit chanter qu’il «  avait tué un homme à Rino … Juste pour le voir mourir »*. La slide se prélassa majestueusement sur ce tempo bucolique, ses roucoulements furent le soleil dotant ces paysages d’une aura dorée. C’est le cœur de l’Amérique qui battit à travers les pulsations de Heart of gold ou don’t be denied. Même quand ces culs terreux se lancèrent sur un boogie furieux tel que time fade away , ils gardèrent ce swing flegmatique , qui se marie si bien avec le chant doucereux du loner.

Ce soir-là, au memorial auditorium , ces musiciens purent tout se permettre , même jouer Alabama dans la ville visée par son texte. Les spectateurs comprirent que, malgré la violence de ce texte, Neil Young est des leurs. Sa musique eut la beauté de ces terres où trimèrent des générations de paysans, elle exprima les plaisirs simples de ceux qui nourrirent le pays pendant des décennies.

Si Neil Young souriait en pensant à Johnny Cash, c’est qu’il reconnaissait en lui un père spirituel.     

 

*paroles de Folsom prison blues de Johnny Cash

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