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mardi 1 juin 2021

Transatlantic : The Whirlwind

 


Ils reviennent enfin !

Le départ en solo de Neal Morse avait mis fin aux activités de Transatlantic pendant sept ans. On ne peut pas dire que ce temps a particulièrement réussi à chacun des membres de ce collectif. Perdu dans des décors de plus en plus sombres et brutaux, Dream theater perdait peu à peu le lyrisme fascinant de ses débuts, les Flowers kings sont à l’arrêt depuis 2007 et on ne peut pas dire que les expérimentations de Neal Morse laissèrent un souvenir impérissable. Dans le même temps, la réussite impressionnante de bridge accross forever laissait penser que Transatlantic avait déjà tout dit, qu’il valait mieux une fin brutale qu’un combat de trop.

Cette troupe d’élite se lance pourtant un nouveau défi sur the whirlwind , réinventer le format du rock. Les longues pièces musicales étaient déjà une tradition à l’époque de Mike Oldfield , mais le format vinyle en limitait la durée. Rares sont les virtuoses ayant profité du grand espace proposé par le cd pour étaler leur virtuosité sur une bonne heure. C’est précisément la mission que se donne Transatlantic sur cet album , qui ne contient qu’une longue épopée musicale de 77 minutes.

De grandes incantations sur fond d’orgue épique annoncent le décollage de ce nouveau monument aérien. La batterie de Mike Portnoy ouvre ensuite la voie à un dialogue grandiloquent entre la guitare et le clavier. Passé cette mise en bouche digne d’un péplum, le synthétiseur s’agite dans un déchainement aigu digne de Keith Emerson. Pour contrebalancer cette hystérie stridente, guitare et basse creusent le sillon d’un hard rock délicat.

Ce déchainement se pose progressivement sur une mélodie atmosphérique qui sert de fil conducteur à cette épopée musicale. La voix baigne ensuite dans une mélodie digne des plus belles heures des Flowers kings. Les rois des fleurs n’avaient malheureusement pas une brute aussi virtuose que Mike Portnoy pour propulser leurs rêveries dans la stratosphère. Moulinant comme un damné sur cet intermède pop, il lui donne le charisme vertigineux des grandes ascensions progressives. Au bout de cette escalade, le solo de Roine Stolt décolle avec la majesté d’un faucon perché au sommet de la plus haute montagne. A intervalle régulier, un riff gracieux lance un intermède semblant annoncer le retour triomphal d’un puissant souverain.

Un intermède funky permet d’apporter un peu de légèreté à ce décor grandiloquent. Le swing de cette basse dansante attire vite la valse effrénée d’un clavier hyperactif et d’une basse abrupte. Entrant dans cette danse folle, la guitare fait le lien entre les univers cosmiques du space rock et la verve rythmique du hard blues. Après cette fiesta, des cordes baroques ramènent le groupe vers des méditations plus apaisées. L’accalmie ne dure pas, la batterie se mettant rapidement à cogner comme un cœur angoissé. Elle entretient ainsi une tension mélodique qui se repose progressivement sur un tapis psychédélique. Le battement faussement inquiet de Portnoy guide alors une improvisation heavy , où l’on croit entendre Led Zeppelin perdu dans les décors mythologiques de Genesis.

Soudain, un boogie délicat emporte notre dirigeable vers des rêves plus insouciants. Au détour de cette fête féerique, la mélodie atmosphérique qui constitue le thème principal de cette grande fresque annonce une escale reposante. On pourrait encore écrire des pages sur le solo que Stolt glisse dans ce cinquième acte, sa guitare est une lyre tutoyant les anges. Sans temps mort, les parties suivantes s’enchainent avec une fluidité qui laisse rêveur. Out of the night est un blues atmosphérique qui n’aurait pas fait tache sur le premier album de Spock’s beard.

 Jamais prise en défaut, la symbiose de nos musiciens d’élite crée une tension dramatique irrésistible. The Whirlwind nous embarque dans un zeppelin somptueux, nous laissant admirer les paysages qui défilent derrière ses vitres. Ce qui place Transatlantic au-dessus de la masse hurlante ou bêlante du néo prog , c’est son obsession pour la mélodie. Même dans les envolées les plus débridées, the whirlwind entretient le charisme rêveur d’une mélodie épique. L’alliance puissante d’une batterie sismique et d’une basse grasse est un réacteur qui accélère la progression de ce vaisseau, sans en abimer la sublime carcasse. Les décors défilent alors comme un océan de couleur, les notes semblent se percuter et s’assembler comme des paysages défilant à toute vitesse. A ce défilé éblouissant succède une rythmique imposante comme une chaine de montagne, impressionnant sommet neigeux où la frappe de Portnoy déclenche des avalanches heavy rock.

The whirlwind est un tour du monde en une heure dix , un film dont le scénario grandiose permet aux héros de voyager des plaines d’Ecosse au sommet du Kilimandjaro. Jamais le rock progressif n’avait tenté d’étaler sa virtuosité sur une symphonie d’une telle longueur. Ce grand espace semble décupler la profondeur de ces méditations, rehausser la hauteur de ces sommets vertigineux.

Passer des mois à écouter cet album en boucle ne suffit pas pour en saisir toutes les finesses, une vie humaine n’y suffirait pas non plus. Chaque écoute est une nouvelle découverte, une nouvelle parcelle de ce décor foisonnant se dévoilant à l’imparfaite oreille de l’auditeur. The whirlwind est un peu plus qu’un album de rock, c’est la grandeur de l’âme humaine accessible à tous. Cette définition rejoint d’ailleurs celle d’une époque où le rock dépassait systématiquement ses limites.  

Nous achevons donc ce voyage en compagnie de Roine Stolt avec cet album. Par la suite , les Flower kings sortiront 5 autres albums de très haute tenue. Roine enregistrera également un très bon album avec le leader de Yes et un nouveau disque de Transatlantic est paru cette année. 

Si ces albums sont tous très honorables, ils ne réinventent plus une musique déjà largement décrite sur les chroniques précédentes. Si le rock progressif a plus que jamais besoin  de Roine Stolt , c'est justement grâce à cette capacité à inventer tant de fresques avec ces mêmes éléments . Arrêter ce dossier ici me donne aussi la liberté de revenir ponctuellement sur une œuvre monumentale qui se construit encore à l'heure où j'écris ces lignes.                     

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