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lundi 26 juillet 2021

Neil Young : Harvest Moon

 


Dans un immense stade, la foule crie sa reconnaissance, les amplis inondent le public sous un torrent électrique. Neil Young est plus vivant que jamais, il déclenche des séismes à chaque accord. Nous sommes encore dans une époque où personne n’eut l’idée stupide de limiter le volume d’un concert de rock. Ces évènements furent donc encore de grandes cérémonies sauvages, des séismes assourdissants faisant vaciller les murs. Alors oui, le rocker pouvait sans doute se retrouver sourd après quelques années de ce traitement de choc, mais qu’importe l’hygiénisme quand ce risque permet de se remplir la tête de splendeurs sonores. Le rocker à qui on limiterait la puissance sonore est comme un boxer auquel on interdirait de mettre son adversaire KO, c’est une aberration comme seul ce foutu 21e siècle peut en imaginer.

Mais, aussi fringuant soit-il, Neil Young a l’âge de ses artères, ses précieux tympans n’échappant pas aux vicissitudes du temps. Lors des derniers concerts de la tournée raged glory, il subit un bourdonnement de plus en plus gênant, comme si un énorme bourdon avait élu domicile dans son canal auditif. Le verdict de son médecin fut sans appel : s'il continuait à martyriser ainsi ses escalopes, il risquait la surdité à vie. Neil Young mit donc sa bonne vieille old black de côté pour retrouver son costume de troubadour country folk. Après quelques concerts acoustiques, le loner contacta les Stray gator pour enregistrer l’album que tant de fans attendent depuis de nombreuses années. Le public savait depuis sa sortie que Harvest ne pouvait être reproduit à l’identique, ses mélodies étaient bien trop personnelles pour que la copie soit trop proche de l’original. Cependant, il espérait retrouver un peu de cette chaleur réconfortante, apercevoir quelques ombres familières à travers de nouvelles mélodies.

Harvest fut l’album d’un jeune homme ayant trouvé sa voie, il exprimait l’insouciance d’un âge où la vie ressemble à une fête sans fin. Sorti en 1992, Harvest moon est plutôt le disque d’un père de famille épanoui, d’un homme regardant ce qu’il a accompli avec fierté et émerveillement. Du côté de la presse, tout le monde est ravi par ce virage radical, même si le loner s’obstine à affirmer que ses virages sont « prévisibles comme le lever et le coucher du soleil ». Si cette déclaration semble exprimer une nouvelle volonté de brouiller les pistes, Harvest Moon montre bien un tiraillement qui le poursuit depuis le début de sa carrière.

Tel un paysan dans la ville , Neil lance ses berceuses bucoliques sur des rythmes binaires dignes des grands bluesmen de Chicago. Le bluegrass de Old king est ainsi propulsé par un batteur bucheron, pendant que la guitare développe un feeling que n’aurait pas renié les pionniers du blues acoustique. Par-dessus cette symphonie bucolique et urbaine, les chœurs s’élèvent comme ceux d’une fête paysanne. Un peu plus loin, une guitare slide familière dessine des mélodies nuageuses, rehaussées par un chant qui se fait presque chuchotement. Cet album convoque les grandes heures de la carrière de son auteur, renoue avec ses grands éclats acoustiques.

La mélodie de Natural beauty rappelle d’ailleurs la sérénité rêveuse de Hitchiker , disque qui serait devenu un classique si il n’avait pas été publié aussi tard. Comme à l’époque où il enregistra cet album, Harvest moon exprime le besoin de quitter un peu le bruit assourdissant du monde pour retrouver un peu de sérénité. Chacune de ces mélodies se savoure comme un souvenir que l’on croyait perdu. Revenu à la production, Jack Nietzsh ne reproduit pas l’erreur qu’il commit sur le premier album de son protégé. Le son qu’il offre au canadien est clair comme l’eau d’une rivière, léger comme les mélodies doucereuses composant l’album. Notre ex producteur de pop anglaise aura tout de même droit à son passage symphonique avec Such a woman.

Il ne s’agira pourtant pas d’un crescendo aussi intense que A man need a maid , mais plutôt d’une berceuse de Paul Mccartney de la folk. La grandiloquence dramatique des violons côtoie une voix qui semble presque chuchoter , un harmonica nostagique ramène cette symphonie dans les grandes prairies américaine. En dehors de cette splendide exception, Harvest moon est fait de mélodies légères et pures comme Unknow legend ou Harvest moon. Harvest moon se permet même de faire un clin d’œil à Lay lady lay de Bob Dylan, le temps d’une introduction douce comme un coucher de soleil.

Comme Bob Dylan , Neil Young fait déjà partie de ces figures dont le génie éternel est comme un décor immuable. Il est vrai que la jeunesse est désormais plus intéressée par ses fils spirituels que par la monumentale carrière du loner. Mais les gloires des nineties s’éteindront bien vite et Harvest Moon brille comme un phare au milieu de cette époque incertaine. Les modes vont et viennent, les héros d’une époque s’éteignent aussi vite qu’ils sont venus mais Harvest moon montre qu’il existe des monuments que le temps ne peut renverser.                 

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